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MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, VI - L’économie
Erwan Bernier
lundi 19 novembre 2007, mis en ligne par
Sommaire :
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, I - Introduction
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, II - La politique
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, III - L’éducation
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, IV - La santé
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, V - L’écologie
– MEXIQUE - L’autonomie zapatiste, VI - L’économie
Première partie
S’il est un domaine où de sérieux progrès étaient à réaliser, c’est bien l’aspect économique. Aujourd’hui le Mexique suit les Etats-Unis dans la voie des privatisations. Mais si le Mexique s’enrichit, le peuple, lui, continue de s’appauvrir. Ainsi, en 2004, dix ans après l’entrée en vigueur de l’ALENA, le salaire minimum avait perdu 20 % de son pouvoir d’achat. Dans le même temps, symbole de l’opulence de ce pays, Carlos Slim, patron qui domine le marché des télécommunications, était classé au troisième rang des plus grande fortune du monde, mais, selon d’autres sources, il aurait pu entre temps détrôner Bill Gates au sommet de cette hiérarchie.
En moins de deux ans durant les années 1990, le Mexique a connu un grand virage libéral dans le secteur l’agriculture. Ainsi le 6 et le 28 janvier, l’article 27, un des plus progressiste de la Constitution, régulant l’exploitation des ressources et le travail de la terre est amendé, supprimant ainsi les principaux acquis de la Révolution de 1917. Deux ans plus tard, le 1er janvier 1994, c’est l’ALENA qui entrait en vigueur. Ce sont autant d’attaques contre les petits paysans qui ont de plus en plus de mal à survivre de leur travail. Il fallait pour les zapatistes rendre une dignité à ces petits producteurs, car avec la nouvelle loi en vigueur, les paysans préféraient vendre leur terre qui ne leur rapportait quasiment plus rien pour tenter ensuite sa chance en ville où ils allaient grossir encore un peu plus les rangs des travailleurs pauvres
Les populations indigènes sont celles qui souffrent le plus de la pauvreté au Chiapas. Ce sont elles qui souffrent le plus de la malnutrition, qui ont le moins accès à l’eau courante, à l’électricité.
Exclues de facto de la société, elles n’étaient qu’un rouage secondaire de l’économie mexicaine condamnée à travailler toujours plus sans forcément obtenir les fruits de ces efforts supplémentaires.
Ainsi la création des caracoles a permit à des petits producteurs, dans toutes sortes de domaines, de s’organiser afin de vivre un peu plus décemment du fruit de leur travail. A Oventik, par exemple, il existe trois coopératives de femmes où celles-ci vendent les produits qu’elles ont confectionnées. Comment fonctionnent ces coopératives ? Si chacune travaille de son côté, on y retrouve plus ou moins la même structure. La coopérative regroupe plusieurs femmes de différentes communes qui décident de s’unir pour vendre leur travail. Ainsi, sur l’ensemble des personnes qui appartiennent à la coopérative un certain nombre d’entre elles sont chargées de tenir la boutique, qui se situe à Oventik même, au moins une semaine à tour de rôle. Une d’entre elle explique la raison de cette organisation : « Bien qu’on travaillait toute la journée, nous n’arrivions pas à obtenir de prix juste ». Elles reconnaissent que « tisser et broder est le seul travail que nous savons faire ». A présent elles peuvent vendre leurs produits un peu plus chers. Un problème se pose cependant encore à elles : le nombre de personnes venant acheter dans leurs boutiques est encore faible, c’est pourquoi elles espèrent beaucoup de la commercialisation de leurs produits à l’étranger. Ce qui a été difficile au début car il fallait légaliser la structure ce qui a duré une année pour l’une d’entre elle.
Et l’on essaye de multiplier ce genre d’exemple au maximum. Grâce à la coopérative de café, dans le même caracol, le kilo se vend à présents dix pesos le kilo alors qu’auparavant on ne leur en offrait que sept pesos, soit une augmentation de près de 50%. A Morelia, dans la même optique, on est justement en train de construire ce qui deviendra aussi une coopérative de café. Se pose alors le problème de la vente car le prix de ces produits n’est pas à la portée de toutes les bourses. Pour écouler leurs produits, les zapatistes comptent alors énormément sur le commerce à l’étranger. C’est un aspect essentiel qui permet actuellement aux zapatistes de s’en sortir.
Les épiceries sont aussi organisées en coopératives. On y retrouve les mêmes produits qu’en ville. Certes, mais à un prix plus élevé diront certains. Plus juste diront d’autres, Car les bénéfices supplémentaires dégagés ne servent pas seulement à améliorer les conditions de vie, mais aussi à financer les projets du caracol, ce qui leur permet d’accroître dans le même temps leur autonomie.
Un des projets que tente de développer les caracoles est l’accès à Internet. Internet commence petit à petit à se développer. Si chaque junta possède sa connexion, seul Roberto Barrios et La Garrucha permettent à chacun de surfer sur le web pour 15 pesos (1 euro) par heure. Pour l’instant ces services sont encore peu utilisés. Il faut dire que peu de personnes sont formées de telle façon à pouvoir utiliser ce genre de technologies. Une façon comme une autre de s’ouvrir au monde et de sortir quelque peu de son isolement. Si d’autres tâches plus importantes doivent être développées en premier lieu dans, il ne faut pas négliger cet aspect qui reste un outil comme un autre de compréhension du monde. On n’hésite pas à Roberto Barrios à affirmer qu’Internet « est un moyen de partager nos systèmes d’économies alternatives ». S’inspirer des modèles des autres pour les appliquer chez soi, voila donc une des utilités d’Internet qui devient un outil comme un autre pour l’autonomie.
Deuxième partie
L’isolement des populations rurales est dû non seulement à leur position géographique au beau milieu des montagnes et à leur éloignement des grandes villes, mais aussi à des routes difficilement accessibles vu leur état. N’ayant évidemment pas les moyens de remettre en état les routes et afin de s’éviter de trop nombreux allers-retours dans la ville la plus proche pour se procurer ce qu’ils ne peuvent pas produire eux-mêmes, les zapatistes ont décidé de construire de grands entrepôts pour pouvoir stocker ces marchandises. A Roberto Barrios, cet entrepôt existe. On n’y trouve pêle-mêle des pommes de terres, des biscuits, de l’huile, des pâtes ou des boites de conserves en très grande quantité. Les municipes du caracol viennent ensuite s’y approvisionner.
Les zapatistes cherchent dans le même temps à pouvoir commercialiser leurs produits à un prix décent. Si cette idée n’est qu’un projet pour le moment, il est devenu réalité dans le caracol d’Oventik où le municipe de San Andres de los Pobres accueille depuis le 29 septembre le marché autonome « 1er de enero ». Ce marché, ouvert aussi aux personnes non-zapatistes, permettra aux travailleurs de vendre leurs produits à un prix qui leur permettra de vivre décemment. De même, cela évite aux paysans, qui la plupart du temps n’obtenaient pas d’autorisation pour écouler leur production sur les marchés, de vendre leurs produits à des intermédiaires qu’on nomme ici communément les « coyotes » parce qu’ils achetaient les marchandises à très bas prix, pour les revendre beaucoup plus chers. Impuissants auparavant, voila qu’ils contrôlent à présent toute la chaîne de production réussissant ainsi à n’être dépendant d’aucune personne extérieure. Mais cette initiative a eu le don de déplaire et le caracol d’Oventik a reçu plusieurs menaces de morts au cas où il ne supprimerait pas ce nouveau marché. Pour le moment les menaces sont restées lettre morte, mais elles montrent en tout cas que l’alternative proposée par les zapatistes ne fait pas l’unanimité et qu’elle entraîne de vives oppositions ce qui n’a pas empêché que, le jour de l’organisation, plus de trois milles personnes, des zapatistes comme des sympathisants du Parti Révolutionnaire Institutionnel qui connaît pourtant des relations difficiles avec ces derniers, de se réunir le jour de l’inauguration, marquant ainsi une certaine forme de réconciliation
Dans la même idée, les zapatistes possèdent maintenant leurs propres véhicules pour transporter personnes et marchandises du village à la ville et de la ville au village. Car auparavant, ces populations étaient victimes des mêmes coyotes pour l’approvisionnement de produits qu’on ne trouve qu’en ville. Elles étaient obligées d’accepter le prix auquel ces différents intermédiaires vendaient leurs produits. L’équation était fatale pour les indigènes. Vente à bas prix de leurs produits et achat de marchandises assez chères, il était donc difficile de survivre dignement dans ces conditions.
Mais tout n’est pas parfait et le capitalisme voit certaines de ses méthodes reprises. Ainsi on peut voir dans certaines boutiques différents objets estampillés EZLN, du briquet à la petite poupée zapatiste. Mais ces produits ne sont pas toujours confectionnés par les habitants des caracoles. Ces objets sont parfois achetés en ville avant d’être revendu jouant ainsi sur l’image de marque du groupe armé.
De même, les caracoles participent largement à la première place du Mexique (devant les Etats-Unis) en ce qui concerne la consommation de sodas. Et la première place est sans doute tenue par Coca-Cola. Il peut paraître très paradoxal que les produits de cette marque si souvent fustigée par Marcos dans ses différents écrits. Alors pourquoi vend-on du Coca-Cola dans les caracoles ? Cette question semble être plutôt taboue et peu de gens souhaitent s’en expliquer. Seul la junta de La Realidad a daigné nous accorder une réponse dont l’argumentation peut sembler quelque peu bancale et plutôt évasive : « Il est vrai qu’il y a une polémique. Beaucoup de gens nous posent cette question. Ce que nous souhaitons, c’est que les ouvriers de Coca-Cola gèrent eux-mêmes leur entreprise pour décider ce qu’ils veulent produire. Mais pour le moment, nous ne pouvons pas nous permettre de refuser un produit si les gens nous le réclament ». En bref, les zapatistes se soumettent au diktat de l’offre et de la demande.
La rupture avec le capitalisme est encore loin d’être consumée. Les zapatistes troquent de plus en plus l’habit traditionnel pour s’habiller comme en ville. On ne souhaite pas pour autant de quitter son village conscient de ce qui attend les personnes qui veulent tenter leur aventure en ville. On reste conscient que le travail mené arrivera à transformer en profondeur le niveau de vie de chacun tant les efforts sont nombreux.
Les zapatistes bénéficient en plus d’une aide internationale pour appuyer leurs projets. Ainsi le système de santé de La Garrucha a été en large partie financée par l’association basque Paz y Solidaridad. L’associations « Schools for Chiapas » cherche à recueillir de l’argent pour pouvoir financer la construction des écoles zapatistes. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini. Les zapatistes sont encore assez dépendants du financement des étrangers pour faire aboutir leurs projets, même s’ils commencent à dégager quelques bénéfices, notamment grâce au système des coopératives. Les zapatistes voient donc sur le long terme. Le processus d’autonomisation est une lutte de longue haleine. Et comme l’affirme un escargot peint à Oventik : « J’avance lentement, mais j’avance ». Tout un symbole du combat que mènent les zapatistes.