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DIAL 3017

BRÉSIL - Clodovis et Leonardo Boff, deux frères séparés

Sandro Magister

lundi 1er septembre 2008, mis en ligne par Dial

Cet article de Sandro Magister, publié par le site www.chiesa le 14 juillet 2008, fait le point sur la controverse entre les deux frères Boff, Clodovis et Leonardo, autour de la théologie de la libération.


Autrefois la théologie de la libération les unissait, aujourd’hui elle les sépare. Le premier la critique totalement et est passé du côté de Joseph Ratzinger. Le second continue de la défendre et se sent trahi.

Rome, le 14 juillet 2008 – Le premier coup date d’il y a quelques mois : un article publié dans une revue brésilienne de théologie par une célébrité de la théologie latino-américaine : Clodovis Boff.

Mais c’est le deuxième coup qui a fait le plus de bruit. Une réponse véhémente à l’article de Clodovis Boff, écrite par son frère – encore plus célèbre – Leonardo.

Les routes des deux frères se sont séparées puis violemment recroisées précisément à cause de ce qui les unissait autrefois : la théologie de la libération.

C’est avec son essai publié à l’automne 2007 dans la Revista Eclesiástica Brasileira (gérée par les franciscains brésiliens et dirigée justement par son frère Leonardo de 1972 à 1986) que Clodovis Boff a rompu avec ce courant idéologique, ou mieux, avec « l’erreur de principe » sur laquelle, selon lui, il est fondé.

En revanche, dans sa réponse diffusée le 27 mai sur le site de l’Instituto Humanitas Unisinos, Leonardo Boff défend très fermement ce même principe : « Du moment que Dieu s’est fait homme-pauvre, l’homme-pauvre devient la mesure de toutes choses ».

Aujourd’hui, Leonardo Boff se définit comme un « theologus peregrinus » [1], sans domicile fixe. Depuis 1985, une sentence de la Congrégation pour la doctrine de la foi lui interdit d’enseigner dans les facultés de théologie catholique. C’est principalement son livre Église : charisme et pouvoir. Essai d’ecclésiologie militante qui est en cause. Leonardo Boff a quitté l’habit franciscain et s’est marié. Il vit à Petrópolis, dans l’état de Rio de Janeiro.

De son côté, Clodovis Boff appartient toujours aux Serviteurs de Marie. Il vit à Curitiba, dans l’état du Paraná, où il enseigne à l’Université pontificale catholique. Il n’a jamais fait l’objet d’un procès de la part de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Cependant, dans les années 80, il a perdu sa chaire à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro et on lui a interdit d’enseigner à la faculté de théologie « Marianum », tenue par son ordre à Rome.

Son frère Leonardo se souvient de lui dans les années où il était un partisan fervent de la théologie de la libération : « Il passait la moitié de l’année dans les communautés de base, où il dispensait des cours populaires, en descendant et remontant les fleuves pour rendre visite aux peuples de la forêt. Il consacrait l’autre moitié de l’année à l’enseignement et à la production théorique à l’université de Rio ».

Mais aujourd’hui, toujours selon Leonardo, Clodovis soutient corps et âme « avec un optimisme ingénu et un enthousiasme juvénile » la ligne définie par les évêques latino-américains lors de leur conférence continentale qui a eu lieu à Aparecida, au Brésil, en mai 2007, et a été inaugurée par Benoît XVI en personne.

Curieusement, c’est le successeur de Clodovis Boff à la chaire de théologie de Rio, l’Italien Filippo Santoro, aujourd’hui évêque de Petrópolis et membre de Communion et Libération, qui a le plus inspiré et suivi cette « conversion » qui a pris plusieurs années et a abouti à l’essai publié dans la Revista Eclesiástica Brasileira.

À sa parution, cet essai de Clodovis Boff n’a fait du bruit qu’au Brésil. Mais lorsque son frère Leonardo a diffusé sa réponse en mai dernier, la polémique a fait le tour du monde.

Fin juin, à Rome, Avvenire, le quotidien de la conférence des évêques d’Italie, a publié une brève sur la confrontation entre les deux célèbres frères. Mais c’est surtout l’agence catholique progressiste Adista qui a donné de l’importance à l’évènement en y consacrant de nombreux articles.

Dans deux autres pages de www.chiesa, on trouvera l’intégralité de l’essai de Clodovis Boff et de la réponse de son frère Leonardo, dans leur langue originale, le portugais.

Mais voici d’abord le titre, les premières lignes, les liens et un rapide résumé de chacun des deux textes :

1. Théologie de la libération et retour au fondement

par Fr. Dr. Clodovis M. Boff, OSM

« Nous souhaitons ici, dans une première partie, proposer un questionnement en profondeur de la théologie de la libération. notre intention n’est pas de disqualifier la théologie de la libération, mais, plutôt, de la définir de manière plus claire et de la refonder sur ses bases originaires… »

[>>Texte intégral (portugais)]

Dans la première partie de l’essai, Clodovis Boff critique le fondement de la théologie de la libération, non pas la théologie théorique mais celle « qui existe réellement ».

Selon lui, la théologie de la libération fait l’erreur « fatale » de placer le pauvre comme « premier principe opérationnel de la théologie », en le substituant à Dieu et à Jésus-Christ.

Et d’expliquer :

« Cette erreur de principe ne peut produire que des effets funestes. [...] Dès lors que le pauvre acquiert le statut de « primum » épistémologique, qu’advient-il de la foi et de sa doctrine, au niveau théologique mais aussi pastoral ? […] Il en résulte inévitablement une politisation de la foi, réduite à être un instrument de libération sociale ».

Les conséquences sont graves également pour la vie de l’Église :

« La “pastorale de la libération” devient une branche parmi tant d’autres du “mouvement populaire”. L’Église ressemble alors à une ONG et se vide aussi physiquement : elle perd ses forces vives, militants et fidèles. Ceux “du dehors” sont peu attirés par une “Église de la libération”, car, pour le militantisme, ils ont déjà les ONG et, en ce qui concerne l’expérience religieuse, ils ont besoin de beaucoup plus qu’une simple libération sociale. De plus, ne percevant pas l’expansion et l’importance sociale de l’inquiétude spirituelle actuelle, la théologie de la libération se montre culturellement myope et historiquement anachronique, c’est-à-dire étrangère à son temps ».

Dans la seconde partie de l’essai, l’auteur montre que la théologie de la libération ne peut « se sauver », avec les fruits positifs qui sont les siens, qu’en revenant à ses fondements d’origine, qui se trouvent dans le document final de la conférence d’Aparecida.

Ce document – écrit Clodovis Boff – est la « démonstration limpide » que l’on peut associer correctement la foi et l’action libératrice. Contrairement à la théologie de la libération, qui « part du pauvre et rencontre le Christ », Aparecida « part du Christ et rencontre le pauvre », en sachant bien que « le principe-Christ inclut toujours le pauvre alors que le principe-pauvre n’inclut pas nécessairement le Christ. [...] La source originaire de la théologie n’est autre que la foi dans le Christ ».

2. Pour les pauvres, contre l’étroitesse de la méthode

par Leonardo Boff

« Clodovis Boff a cumulé de nombreux mérites dans le domaine de la théologie de la libération. Il a produit une réflexion de grande importance sur la méthode de la théologie, sur l’écclésiologie des communautés écclésiales de base… »

[>>Texte intégral (portugais)]

Dans sa réponse, Leonardo Boff rejette la thèse de son frère Clodovis, comme « fausse, théologiquement erronée et pastoralement nuisible ». En effet, écrit-il, elle « court le risque de condamner l’Église et la théologie à l’insignifiance historique et à la stérilité pastorale ».

Selon Leonardo, la thèse de Clodovis doit être inversée :

« Il n’est pas vrai que la théologie de la libération substitue le pauvre au Christ et à Dieu. [...] C’est le Christ qui a voulu s’identifier aux pauvres. Là où est le pauvre, il y a un lieu de rencontre privilégié avec le Seigneur. Celui qui rencontre le pauvre rencontre inévitablement le Christ, encore sous la forme du Crucifié, qui demande à être détaché de la croix et à ressusciter ».

Concernant les conséquences de l’attaque lancée par Clodovis contre la théologie de la libération, Leonardo Boff écrit :

« Je crains que les critiques émises par Clodovis ne fournissent des armes aux autorités ecclésiastiques locales et romaines pour la condamner à nouveau et, qui sait ?, l’exclure définitivement de l’espace ecclésial. Ces critiques dévastatrices peuvent contribuer à cette opération regrettable car elles viennent de l’intérieur, de l’un des représentants les plus connus de la théologie de la libération. [...] La position de Clodovis est une musique pour les oreilles de ceux qui, loin du monde des pauvres et de leur souffrance, ont cette théologie en horreur. Elle encourage ceux qui, dans la société et au Vatican, cherchent à l’éliminer, empêchent qu’elle soit étudiée ou interdisent qu’elle soit une référence pour la pratique pastorale avec les pauvres et les marginaux ».

Leonardo Boff admet que son frère n’entend pas nier en bloc la théologie de la libération mais « la ramener à ses fondements originaires, car ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra être sauvée ».

Mais il ajoute :

« Pour moi, cette intention revient à dire : Mon frère, je te plante un poignard dans le cœur, mais sois tranquille, c’est pour ton salut ».


Au début de son essai, Clodovis Boff cite un célèbre théologien de la libération, le jésuite Jon Sobrino, qui a récemment fait l’objet d’une enquête de la congrégation pour la doctrine de la foi.

Il le cite justement pour montrer l’ambiguïté du langage « libérationniste » :

« Jon Sobrino dit que les pauvres sont l’entité qui donne la “direction fondamentale” à la foi et le “lieu le plus décisif” de cette dernière. De toute évidence, c’est avec peu d’attention que l’auteur utilise les deux adjectifs “fondamentale” et “décisif”. Car, dans l’absolu, ils ne s’appliquent pas aux pauvres mais à la “foi apostolique transmise par l’Église”, comme le rappelle judicieusement la notification romaine qui critique certains points de la christologie de Sobrino ».

Dans un commentaire publié le 8 juin sur le site internet qui a diffusé la réponse de Leonardo Boff, un autre théologien brésilien de la libération, le père Érico Hammes, parle d’un Jon Sobrino « profondément attristé » par l’approbation explicite de Clodovis Boff à la condamnation de certaines de ses thèses par le Vatican [2]


Ressources complémentaires

 Instruction publiée en 1984 par la Congrégation pour la doctrine de la foi sur la théologie de la libération et disponible sur le site du Vatican, en anglais uniquement : « Instruction on certain aspects of the “theology of liberation” »

 Celle de 1986, également en anglais exclusivement : « Instruction on Christian freedom and liberation »

 Document final de la Ve conférence générale de l’épiscopat d’Amérique Latine et des Caraïbes qui s’est déroulée du 13 au 31 mai 2007 à Aparecida, au Brésil : Documento conclusivo (pdf)


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3017.
 Traduction de Charles de Pechpeyrou pour www.chiesa. Traduction revue par Dial à partir du texte original.

 Source (français) : www.chiesa, 14 juillet 2008.
 Texte original (italien) : www.chiesa, 14 juillet 2008.

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[1théologien pèlerin.

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