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DIAL 3016 - Dossier : « Le travail forcé, une question très actuelle »

BRÉSIL - Nouvelles des fronts de lutte contre le travail esclave

Xavier Plassat

lundi 1er septembre 2008, par Dial

La lettre d’Adolfo Pérez Esquivel au cardinal de Bolivie, publiée dans le numéro de juillet de Dial , évoquait la question de l’esclavage dans la province du Chaco bolivien, au Sud-ouest du pays. Nous avions aussi publié l’année dernière une série de textes de Xavier Plassat, coordinateur de la Campagne nationale de la Commission pastorale de la terre (CPT) contre le travail esclave au Brésil. Ce dossier « Le travail forcé, une question très actuelle » est constitué de deux textes. Le premier décrivait la situation générale. Le second, une lettre envoyée à ses ami-e-s par Xavier Plassat, revient sur les enjeux actuels de la lutte contre le travail esclave au Brésil.


Chers amis, chères amies

[…] Nous en sommes de fait encore à tenter de faire voter par le Parlement brésilien un texte en attente depuis 13 ans qui vise à insérer dans la Constitution la possibilité de confisquer les terres où l’on trouve des esclaves (la « PEC 438 », c’est-à-dire la Proposition d’amendement constitutionnel 438/2001), un texte que, fraîchement élu, Lula, en 2003, avait promis de faire passer illico.

Vous trouverez avec cette lettre une copie de la pétition qui circule à ce sujet. Nous avons tout de même un peu avancé : une belle mobilisation nationale s’est construite depuis début 2008 : nous sommes allés à Brasília « embrasser » le Congrès (une chaîne faite de manifestants venus principalement de nos États du Nord du Brésil), les leaders des deux Chambres se sont engagés, un front parlementaire s’est mis en place... avec l’espoir que le texte soit examiné avant la fin de l’année. Quant à être approuvé, c’est une autre histoire. En fait certains secteurs économiques ont commencé à réfléchir aux sérieux torts que peut produire aux exportations brésiliennes la publication du Cadastre officiel ou « liste de la honte » qui révèle le nom des esclavagistes pris la main dans le sac. Un Pacte national d’entreprises contre l’esclavage a été lancé. Certains y adhèrent avec foi, d’autres par opportunisme ou par angoisse. Récemment le groupe Wal Mart a promis de collecter 1 million de signatures en faveur de la PEC ! Le texte de la pétition figure à la fin de cette lettre avec les adresses utiles pour l’envoyer par mail ou courrier terrestre ou, mieux, pour la signer en ligne (http://www.reporterbrasil.org.br/petition ou http://www.reporterbrasil.org.br/abaixo-assinado-en.php.

Nous avons sur cette affaire enregistré avec satisfaction la claire prise de position de la Conférence épiscopale brésilienne. C’est important, surtout pour nous qui n’avons pas si souvent l’occasion, au niveau local, de recevoir l’appui local de nos évêques pour les causes que nous défendons... La CNBB a ainsi déclaré : « Si, constitutionnellement, la violation de la fonction sociale de la propriété est motif suffisant pour son expropriation (moyennant compensation), l’utilisation de la propriété comme instrument pour mettre en esclavage son prochain est un crime absolument intolérable contre la dignité et la vie. Rien de plus juste pour ceux qui le pratiquent que de perdre leur propriété, sans aucune compensation, afin que l’État lui donne une destination appropriée, spécialement pour y faire la réforme agraire ! [...] La Campagne de la fraternité [campagne de carême] de cette année nous conviait à choisir la vie. “Choisis donc la vie !”, voilà ce que nous espérons de la part de chacun des Députés. »

Si les chiffres de l’esclavage n’ont guère varié au cours des dernières années (6 000 personnes ont été libérées en 2007 par l’Inspection mobile du travail), des secteurs nouveaux apparaissent dans les registres du travail en enfer : notamment la canne à sucre qui est en plein boom (éthanol !), surtout dans le centre du pays, monopolisant la terre et provoquant, par effet de dominos, la création de nouveaux pâturages en direction de la forêt amazonienne, une activité elle aussi gourmande en esclaves modernes. Ici dans le Tocantins, l’insécurité des petits paysans s’accroît avec la forte pression des planteurs de soja et aussi d’eucalyptus (destiné au charbon de bois qui alimente les hauts-fourneaux : la plantation d’eucalyptus à grande échelle cherche à suppléer le bois natif, déjà épuisé). S’y ajoute la construction de plusieurs barrages hydroélectriques sur le fleuve Tocantins et d’une importante voie ferrée Nord-Sud, destinée à acheminer la production vers le littoral Nord. Partout des familles perdent leurs terres sans ménagement. De nouveau nous envahit le sentiment de David devant Goliath. Ces dernières semaines, la presse regorge d’informations sur l’un des derniers scandales : la Banque Opportunity (Daniel Dantas), la bien nommée, avant même d’atteindre ses 10 ans d’âge, s’est rendue acquéreuse dans l’État voisin, le Pará, de 23 500 hectares et 500 000 têtes de bétail sur des terres qui seraient du domaine public. On soupçonne le blanchiment d’argent sale.

Malgré tous les motifs de doute, nous gardons la tête froide. J’ai vu l’an dernier au Pakistan, lors d’un court voyage d’échange avec des partenaires locaux engagés dans la lutte contre l’esclavage, des situations bien plus désespérantes : pour un pays de population équivalente à celle du Brésil mais sur un territoire 10 fois plus petit, on parle de 1,8 million de personnes en esclavage, souvent forcées à rembourser, de père en fils, une dette impayable. Là, il n’y a ni inspection du travail rural, ni politique d’éradication, ni projet de réforme agraire et la principale action de soutien aux victimes de l’esclavage est de construire des villages de réfugiés pour ceux qui parviennent à s’en échapper. À propos, justement, en ce milieu d’août nous avons reçu ici dans le Tocantins, Nasir et Bisharat, deux militants pakistanais d’ONG qui nous avaient reçus chez eux l’an passé. Ils ont circulé avec moi dans le Pará, le Tocantins et le Maranhão, les trois états en tête de la « liste de la honte ». Ils sont repartis avec l’image d’un contraste brutal entre le potentiel énorme du Brésil et la manière dont sont traités ses travailleurs et petits paysans, un modèle pervers de développement qu’ils connaissent aussi au Pakistan. Ils ont aussi découvert, avec plus de surprise, la mobilisation d’importants secteurs de la société et de l’État, et leur possible et efficace coopération : un scénario plus difficile à imaginer chez eux.

En dépit des immenses frustrations produites par la « gestion Lula », nous continuons à penser qu’il y a des raisons d’espérer. C’est ce que nous avons tenté d’exprimer, en mai dernier, avec la réalisation d’un ambitieux « Festival de l’abolition » (de l’esclavage), que nous (la CPT et notre partenaire Repórter Brasil) avons organisé dans 10 villes du nord du Tocantins, avec une finale retentissante dans notre bonne ville d’Araguaína (120 000 habitants). Durant plus de 10 jours se sont succédés, à un rythme d’enfer : festival de cinéma, animations et manifestation de rue avec participation de jeunes et d’adultes, romaria [1], débats et conférences dans les universités, shows musicaux, spectacles de danse, théâtre, musique, poésie, capoeira, marionnettes, etc., produits par plus de 700 artistes volontaires et 70 groupes invités à montrer ce qu’ils savent faire quand le sujet est la fin de l’esclavage (la loi décrétant son abolition remonte seulement au 13 mai 1888, jour choisi pour notre manifestation de rue).

L’idée était de montrer au public, d’une manière « séduisante », que nombreux sont ceux qui ne tolèrent pas que ça continue et sont déjà à l’ouvrage. Nous avons simplement convié tous les groupes auprès desquels, avec Repórter Brasil, nous avions réalisé depuis 4 ans des actions de prévention, en particulier les professeurs de nombreux collèges, à inscrire les projets culturels ou artistiques de leur choix, autour du thème « Liberté, viens et chante ! » (c’est le titre d’un chant populaire dans les communautés de base). Au total plus 6 000 personnes se sont « bougées », la presse en a multiplié l’écho et nous avons réussi à mettre le problème en évidence, obligeant le gouvernement régional à sortir des tiroirs son Plan d’éradication et à prendre position.

Également pour pousser les autorités à la roue, nous avions, quelques mois auparavant (en novembre 2007), accepté l’invitation à Washington d’une commission du Congrès américain à venir présenter la situation de la lutte contre l’esclavage moderne au Brésil, occasion de plus pour mettre en évidence les contradictions d’une politique qui sert le chaud et le froid, à vouloir satisfaire Dieu et le diable. La réforme agraire est au point-mort comme rarement elle ne l’a été dans le passé, l’agrobusiness est devenu le Mammon inaccessible à quelque critique que ce soit. En son nom, devenu synonyme de progrès, tout est redevenu permis. Notre vidéo « Enchaînés par les Promesses » était du voyage.

En ce mois de juillet, ici aussi mois de plage (sur les rives sablonneuses des fleuves Araguaia et Tocantins) et de plein été (alors que le Brésil officiel, celui du sud, est en hiver), je viens de recevoir la visite « canonique » du maître général des Dominicains (Carlos Aspiroz, 86e successeur de St Dominique), dans ma modeste demeure d’Araguaína. Pour l’occasion étaient venus les quelques rares Dominicains des alentours : Henri Burin, Jean Raguénès, Marcos Belei et José Fernandes. Ensemble, nous sommes allés à la rencontre de familles du MST (Mouvement des sans-terre) en campement provisoire devant la ferme dont elles revendiquent l’expropriation pour réforme agraire. En toute simplicité, elles nous ont expliqué que la terre a été donnée aux hommes par Dieu pour être cultivée en partage. Henri, avocat, a confirmé que cette loi-là – du partage – passe bien avant la lettre des traités juridiques. Carlos a approuvé.

En septembre qui vient, j’irai à nouveau aux États-Unis, cette fois pour recevoir, au nom de la CPT, un prix que nous a décerné, en partage avec Repórter Brasil, l’organisation américaine Free the Slaves : le « Harriet Tubman Community Award ». (cf. http://www.freetheslaves.net/netcom...). La remise du prix (une jolie statuette et un joli chèque, qui arrive à point : nous sommes toujours sans garantie de ressources pour l’année qui vient) aura lieu à Los Angeles le 15/09. On est assez contents...

Je profiterai de l’occasion pour nouer d’autres contacts et, qui sait, trouver d’autres fonds [2].

A tous et à toutes, meu cordial abraço ! Et nos remerciements pour votre constant appui ! [3]

Araguaína, 23/08/08, jour international de la mémoire de la traite d’esclaves et de son abolition (ONU).

Xavier Plassat.


Appel au Congrès brésilien en vue d’approuver la loi qui permettra de confisquer toute propriété où est constatée la pratique de l’esclavage moderne

En mai de cette année, le Brésil a célébré les 120 ans de la loi Áurea qui abolit l’esclavage dans le pays. Malheureusement, celui-ci perdure jusqu’à ce jour : durant ces 14 dernières années, le gouvernement fédéral a retiré de cette situation trente mille ouvriers agricoles, dont six mille en 2007.

Aujourd’hui, les Congressistes brésiliens ont la possibilité de promouvoir la Deuxième abolition de l’esclavage. Pour cela il est nécessaire que soit confisquée la propriété de ceux qui utilisent le travail esclave. L’expropriation des terres où cette pratique aura été dûment constatée constitue une mesure juste et nécessaire, et un des principaux moyens pour éliminer l’impunité.

La Constitution brésilienne affirme que toute propriété doit remplir une fonction sociale. Elle ne peut donc être utilisée comme moyen d’oppression ou de sujétion de qui que ce soit. Pourtant on rencontre au Brésil, principalement dans les régions de frontière agricole, des cas de fermiers qui, sur leurs domaines, réduisent les travailleurs à la condition d’esclave, un crime puni par le Code pénal brésilien (article 149).

Privation de liberté et usurpation de la dignité sont les caractéristiques de l’esclavage contemporain. Voler la dignité et la liberté des gens, c’est agir en esclavagiste. L’esclavage est une violation des droits humains et doit être traité ainsi. Si un propriétaire se sert de sa terre comme d’un instrument d’oppression, il doit en être privé, sans aucun droit à indemnisation.

C’est pour cela que, en tant qu’ami/e du Brésil et citoyen/ne du monde, je prie le Congrès brésilien d’approuver la Proposition d’amendement constitutionnel 438/2001 qui ordonne la confiscation des terres où la pratique de l’esclavage aura été rencontrée et destine ces mêmes terres à la politique de réforme agraire. Cette proposition est déjà passée devant le Sénat fédéral en 2003 et a été approuvée en première lecture par la Chambre des députés en 2004. Depuis lors, elle est au point mort, en attente de délibération.

C’est le moment d’en finir avec cette pratique honteuse ! En cet anniversaire des 120 ans de la Loi Áurea, cher/chère Congressiste, vous avez entre les mains la chance historique de pouvoir garantir aux travailleurs de votre pays la dignité.

[nom, pays, email ou fax]


- Pour signer en ligne :
http://www.reporterbrasil.org.br/petition ou http://www.reporterbrasil.org.br/abaixo-assinado-en.php

 Pour envoyer la pétition par email :
cptoc[AT]cultura.com.br

 Pour envoyer la pétition par courrier postal :
CPT/PEC438 - CP 51 –Araguaína, TO – 77.807-070 – BRÉSIL


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3016.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Procession.

[2Nous sommes de fait au bout des ressources du petit fonds d’épargne que nous avions constitué « au cas où » et n’avons pas encore trouvé d’alternative au financeur principal qui nous a lâchés voici 2 ans. De sorte que nous n’avons pour continuer l’action générale de la CPT dans le Tocantins (hors Campagne contre le travail esclave, qui dépend d’un budget spécifique) que le maigre budget triennal financé par l’ONG irlandaise Trocaire : 40 000 euros par an jusqu’en 2010. Le coût salarial moyen d’un agent de notre équipe est de 1 000 Euros par mois, charges comprises. Il faudrait y ajouter autant pour les coûts d’activité et d’administration. J’ai renoncé à mon salaire depuis mars. Notre équipe compte 6 membres (1 avocate, 3 éducateurs, 1 agronome, 1 administratif). Coût annuel minimum : 140 000 Euros. En attendant mieux, nous avons résolu de suspendre les contrats de travail à partir d’octobre 2008. Chacun de nous est décidé à tout faire pour continuer à travailler pour la CPT, même sans salaire ou si peu. Mais, pour mes collègues, il y a les charges de famille... Combien de temps cela peut-il tenir ?

[3Vous pouvez, si vous le souhaitez, apporter votre soutien financier. Les chèques sont à libeller à l’ordre de l’Association CEFAL (pour recevoir un reçu fiscal) avec la mention « Xavier Plassat - CPT Tocantins » au dos du chèque, et à envoyer au Pôle Amérique latine, Service National de la Mission Universelle de l’Église (SNMUE), 58 avenue de Breteuil 75007 Paris.

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