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DIAL 3132

AMÉRIQUE CENTRALE - Évangéliques pentecôtistes : un portrait, deuxième partie

Paola Bolognesi

vendredi 10 décembre 2010, par Dial

Les églises évangéliques ont connu une croissance très importante ces dernières années, en particulier en Amérique latine et en Afrique. Nous avions déjà publié en juillet 2005 un article proposant un panorama de leur situation au Brésil (DIAL 2817). Dans ce texte, paru dans le numéro 338 de la revue Envío (mai 2010), Paola Bolognesi présente une synthèse de la recherche qu’elle a menée auprès des églises évangéliques centroaméricaines. La première partie du texte a été publiée dans le numéro de novembre.


Les « aspirants à la rencontre » ressentent une expérience surnaturelle

La rencontre est un instrument de conversion très efficace parce qu’elle représente, pour la grande majorité des personnes qui vivent cela, une espèce de démonstration pratique et tangible de la véracité des dogmes pentecôtistes. J’ai participé à une rencontre qui s’adressait à quarante femmes et j’ai interrogé des dizaines d’individus qui ont fait cette expérience dans d’autres églises que celle que j’ai fréquentée, et presque toujours j’ai reçu des opinions enthousiastes. Dans les rites de libération, les aspirants à la rencontre sentent réellement qu’ils reçoivent l’Esprit saint et si au début – comme j’ai pu l’observer – ils n’entrent pas vraiment en transe en se laissant tomber sur le sol, ils se laissent bel et bien entraîner, plénière après plénière, à des gestes totalement incontrôlés et hors du temps, y compris des accès de glossolalie.

Quand ils recouvrent leurs esprits, ils ressentent un bien-être physique et intérieur si grand qu’ils ne peuvent expliquer cette sensation inédite qu’en termes surnaturels. Ils éprouvent une euphorie et un optimisme si forts qu’ils demeurent fermement convaincus d’avoir été rachetés par l’Esprit et de se trouver au début d’une étape nouvelle de leur existence, plus heureuse et rayonnante. Ils sentent qu’ils sont au seuil d’un avenir empli de bénédictions où ils pourront pleinement se réaffirmer comme des individus. Endoctrinés par les prédicateurs et galvanisés par ces expériences mystiques, une bonne partie des participants décident, après cette rencontre, de rentrer dans la communauté et de suivre à partir de ce moment les dispositions du pasteur qui la guide.

Comment les pasteurs arrivent-ils à convaincre ces personnes qu’elles ont reçu l’Esprit saint ? Comment suscitent-ils chez elles une sensation aussi forte de bien-être qui les porte à croire qu’elles ont été bénies par Dieu ? Comment cette sensation peut-elle les rendre dépendantes des ordres du pasteur ? Je présente quelques hypothèses surgies de mon observation en tant que participante dans une rencontre féminine.

Les pasteurs de cette église – et sûrement aussi ceux des autres églises – arrivent à convaincre des personnes étrangères à la religion pentecôtiste qu’elles ont reçu l’Esprit saint dans leur corps parce qu’ils recourent à de multiples mécanismes bien pensés. En premier lieu, pour les prédisposer à cette conviction, ils les soumettent à un intense stress émotionnel : ils les font se sentir profondément insatisfaites de leur vie pour les pousser à désirer intensément un contact direct avec Dieu qui résoudra instantanément tous leurs problèmes. En deuxième lieu, ils les soumettent à un fort stress physique : ils les font arriver aux rites de libération dans des conditions de fatigue et d’abrutissement telles qu’elles ne peuvent se rendre compte des jeux subtils qu’ils utilisent pour les suggestionner.

1.- Stress émotionnel : coupables et victimes

Les aspirants à la rencontre arrivent aux rites de libération dans des conditions de fort stress émotionnel, parce que tout au long des plénières ils subissent une sorte de « démolition » : les prédicateurs parviennent à les faire se sentir tout à la fois autant coupables que victimes. La démolition est possible parce que les plénières sont constituées de longues séquences de témoignages, d’histoires de vie et de sociodrames qui racontent les mésaventures de pécheurs incroyablement endurcis mais qui finalement sont rachetés grâce à une conversion. On leur communique une liste si longue de comportements « expressément censurés » par la Bible que tous, jusqu’à la dernière des personnes présentes, s’identifient aux protagonistes de ces péchés.

La culpabilisation résulte de la condamnation de conduites graves : homicide, stupre, violence… En même temps, on met dans la liste des pratiques négatives d’autres qui sont inoffensives : plaisanteries, orgueil, fantasmes sexuels, admiration pour des groupes musicaux à la mode… On criminalise aussi des comportements qui ne dépendent pas des personnes qui en sont victimes : une femme violée commet de toute façon le péché de fornication, une femme qui avorte est coupable d’homicide et une femme abandonnée par son mari est coupable de divorce. Les pasteurs culpabilisent les participants parce que leurs actions ont servi Satan et auraient permis aux démons d’agir par leur intermédiaire pour corrompre et envoyer aussi en enfer des parents et des amis. Coupables aussi parce que, par leurs péchés, ils ont été la cause de nombreuses malédictions tombées sur leur parenté. On les rend responsables des maladies et problèmes vécus par eux-mêmes et leur famille. La victimisation s’inculque en recourant aux mêmes mécanismes : l’aspirant à la rencontre est considéré comme corrompu par les gens qui l’entourent et par toutes les malédictions qu’il a dû subir à cause des péchés de sa famille. Tous ses problèmes et ses souffrances sont ramenés à l’intervention du Malin dans sa vie.

C’est dans cette ambiance très lourde que sont célébrés les rites de libération. À la fin de la plénière, le pasteur propose aux participants de « rompre » avec leurs malédictions et leurs péchés et d’effacer tous leurs problèmes comme l’ont fait les protagonistes des récits entendus auparavant. Tout ce qu’ils ont à faire pour transformer leur vie et laisser en arrière la sensation suffocante de faute et d’oppression mûrie tout au long de la plénière, c’est de se repentir de leurs péchés, de pardonner ceux des autres et de supplier Dieu de leur envoyer l’Esprit saint. Les aspirants à la rencontre se convainquent que cela arrive parce que, après avoir subi un processus de démolition émotive tout au long de la plénière, ils désirent tant cette venue qu’ils en arrivent au point de se suggestionner. Ils se sentent si mal, si désemparés, qu’ils s’accrochent désespérément à la religion et se laissent complètement emporter par l’oraison jusqu’à s’auto-convaincre d’avoir obtenu la grâce divine.

2.- Stress physique : suant et pleurant

Pendant ce moment où ils se consacrent totalement au désir de recevoir l’Esprit saint en leur corps, ils sont en outre soumis à un important stress physique. Les conditions dans lesquelles s’organisent les prières collectives qui débutent les rites de libération sont extrêmes : durant 20 à 25 minutes les participants prient avec leurs bras, pas seulement avec les mains, qu’ils tiennent en l’air, les yeux fermés. Ils dialoguent ainsi à voix haute avec Dieu dans une superposition étourdissante de cris et sur un fond de musique trépidante à plein volume.

Tout au long de la rencontre à laquelle j’ai participé, les femmes autour de moi étaient visiblement abruties par les pleurs abondants provoqués pendant les plénières, par le manque d’air frais et d’oxygène et par l’exceptionnelle chaleur qu’il y avait dans la salle, occasionnée – comme j’ai pu l’observer – par le pasteur qui éteignait les trois gigantesques climatiseurs qui à d’autres moments de la retraite fonctionnaient parfaitement. Suant et pleurant, les personnes s’épuisent en perdant une partie importante du peu de liquide qu’on leur donne dans la journée. Durant les trois repas quotidiens nous recevions un seul verre, contenant 20 cl de jus et tout au long de la journée nous n’avions de l’eau que si nous la demandions expressément aux « servantes » – le personnel volontaire de l’église – qui nous donnaient 5 à 10 cl d’eau, cela pour que nous allions le moins possible aux toilettes et ne perdions aucun moment de la retraite.

Désireux d’être instantanément purifiés par l’Esprit – pour se libérer définitivement des sentiments de culpabilité et d’oppression suscités par les histoires de vie racontées dans les plénières – et, en même temps, fortement ébranlés et abasourdis, les aspirants à la rencontre vivent les rites de libération sans se rendre compte des subtiles manœuvres que les pasteurs utilisent pour favoriser leur suggestion.

3.- L’Esprit saint est bien arrivé !

Pendant que les participants prient, à voix haute et les yeux fermés, les serviteurs – 15 serviteurs en moyenne pour 40 participants – prédisposent pour la « visite » de l’Esprit : ils éliminent les chaises sur lesquelles étaient assis les aspirants à la rencontre durant la plénière et répartissent ceux-ci en douceur en deux files parallèles. Après les avoir ainsi disposés dans la salle, les serviteurs commencent à prier pour eux en tournant autour des corps en même temps qu’ils bougent rapidement le bras. Ils fléchissent le bras, coude aux côtes, et immédiatement le projettent vers les fidèles, jusqu’à leur toucher presque le visage avec la paume de la main. Ils créent ainsi des déplacements d’air qui ont pour effet, chez ceux qui les ressentent les yeux fermés, de les désorienter.

À ce moment-là, le pasteur se place face à chaque participant et lui susurre quelques mots, tout en le poussant en arrière par une très légère pression sur les épaules, comme j’ai pu le vérifier lors de trois rites de libération. Les corps raidis des aspirants à la rencontre tombent en arrière, sans plier les jambes, comme tomberait un parallélépipède. Ces chutes sont retenues par un serviteur qui se place derrière les fidèles dès que le pasteur donne le signal des moulinets. Le serviteur place chaque personne sur le sol, pose délicatement la tête par terre et lui croise les mains sur la poitrine comme cela se fait sur les défunts. Les participants restent immobiles, comme s’ils dormaient, ou bien remuent en prononçant des sons incohérents jusqu’au moment, quelques minutes après, où les serviteurs les relèvent.

Toutes les femmes qui ont participé avec moi à la rencontre m’ont dit avoir senti l’Esprit saint en leur corps au moins une fois durant les trois jours de retraite. Aucune n’a reconnu s’être rendu compte qu’on la poussait, pas même celles qui, avant de se soumettre à ces rites, s’étaient montrées sceptiques à leur égard. Presque toutes m’ont raconté leur possession en me disant avoir ressenti au début une chaleur suffocante et une forte pesanteur dans tout le corps et immédiatement après un intense fourmillement dans les membres ainsi qu’une sensation étrange de soulagement, de libération et de bien-être. Elles ont vécu cette « rencontre » avec Dieu comme le décrit un des hymnes de louanges les plus connus et fameux en Amérique latine : « Il est venu, il est venu, l’Esprit saint est venu, je le sens dans les mains, je le sens dans les pieds, je le sens dans mon âme et dans tout mon être, comme un éclair tombant sur moi et qui me brûle, qui brûle et brûle… »

Il est logique de croire que la chaleur suffocante dont ces femmes m’ont parlé, qui « tombait sur elles comme un éclair qui brûle », était due à la température élevée de la salle, et que le fourmillement (« je le sens dans les mains »…) était étroitement lié à la posture incommode – debout, les mains levées vers le ciel – qu’elles ont gardée durant la longue prière collective qui précède la possession. Et que la sensation de soulagement physique qu’elles m’ont décrite était due au fait qu’une fois mises à l’aise sur un sol de carreaux froids, elles pouvaient enfin rafraîchir leur corps échauffé et reposer leurs membres épuisés.

4.- Dans le tunnel du temps

Si ces petits détails peuvent aider à expliquer la sensation de bien-être physique que les aspirantes à la rencontre m’ont rapportée, ils n’expliquent pas la sensation de libération, de sérénité et de paix intérieure qu’elles ont vécue durant et après la possession. Le bien-être émotionnel dont elles m’ont parlé pourrait être le produit d’une espèce de thérapie psychologique à laquelle sont soumis les aspirants à la rencontre durant les activités de la retraite.

Tout au long des trois jours de la retraite, les pasteurs incitent les aspirants à la rencontre à réduire le poids de leur mal-être existentiel. Les activités de la rencontre, en plus de favoriser un endoctrinement intensif, semblent aussi destinées à stimuler chez eux un processus d’introspection et à renforcer l’estime de soi.

Les aspirants à la rencontre – et les pentecôtistes en général – appartiennent en grande majorité aux couches les plus pauvres et marginalisées de la société. Leur vie a été faite de pénurie, mais aussi des abus et de la violence typiques du modèle familial autoritaire dans une culture profondément machiste. Celles qui participent à ces retraites sont très souvent des personnes abandonnées par l’un de leurs parents, ou par les deux, et cruellement maltraitées dans leur enfance. Dans bien des cas, ce sont des femmes victimes de violence domestique et d’abus sexuel, ainsi que des hommes incapables d’extérioriser leurs propres émotions, par crainte de paraître efféminés. Pour avoir une idée du type de personnes qui participent à ces rencontres, nous pouvons prendre comme exemple le cas d’une jeune femme de 23 ans qui dormait dans la même chambre que moi durant la retraite à laquelle j’ai participé. Elle n’a pas été reconnue par son père, elle a, depuis l’enfance, été maltraitée par sa mère qui a toujours manifesté une nette préférence pour son frère, elle vivait seule avec ses deux enfants sans l’aide de personne, et, pour les nourrir, se prostituait avec un trafiquant de drogue de son quartier. Elle ne parvenait pas à être affectueuse avec son fils – pour employer ses propres mots : « j’arrive seulement à le regarder en face » – parce que cet enfant, né à la suite d’un viol, ressemblait étonnamment à son père.

Avec les activités de la rencontre, les pasteurs essaient d’atténuer ces profondes souffrances, pour modifier l’attitude des personnes concernant les problèmes du passé et du présent et, de cette manière, « transformer » leur vie. En les convaincant qu’un changement positif est l’œuvre de l’Esprit saint, ils arrivent à les attirer définitivement dans leur « troupeau ».

Tout au long de la retraite, les aspirants à la rencontre entreprennent un processus d’introspection prolixe car les témoignages et les sociodrames qu’on leur présente durant les plénières – récits de vies tourmentées par de continuels déboires, par des disputes, des mauvais traitements et des abandons – les amènent à s’identifier avec leurs protagonistes, en les conduisant à réfléchir sur les aspects sombres de leur existence qu’ils ont essayé d’oublier. En revivant ces épisodes, ils épanchent par des pleurs les sentiments de frustration, de tristesse, de peur et de faute, probablement réprimés durant des années, se préparant ainsi à la recomposition de leurs traumas.

5.- Repenties et prêtes à pardonner

La recomposition de la vie passée se produit au cours des rites de libération, au moment où elles se repentent sincèrement de leurs péchés et pardonnent ceux des autres. L’acceptation des injustices subies est facilitée par l’endoctrinement reçu lors des plénières, lequel les amène à pardonner les erreurs de leurs parents et amis – interprétées comme le résultat de l’intervention du Malin – et à intérioriser des stéréotypes concernant l’âge, le sexe, qui leur permettent de considérer comme normaux des rôles déterminés dans la famille et de justifier les outrages subis.

En se soumettant à ce processus d’introspection, les aspirants à la rencontre éprouvent probablement un bien-être émotionnel du moment qu’ils se sentent complètement libérés de toute sensation de culpabilité, qu’ils « assimilent » la rancœur contre les autres qu’ils gardaient en eux, et qu’ils se considèrent finalement prêts à rétablir leurs relations interpersonnelles sur la base du respect mutuel et à commencer ainsi une vie plus heureuse.

Tout au long de la rencontre à laquelle j’ai participé, pour permettre aux participantes de se repentir, de pardonner et de mener leur « vie nouvelle », l’église a organisé une dynamique spéciale. À la fin du rite de libération relatif aux relations père-fils, nous avons été placées à genoux sur le sol, les yeux fermés. Quand on nous ordonna de les ouvrir, face à nous se trouvaient une trentaine de membres de l’église tous âges confondus (depuis des enfants d’un an jusqu’à des seniors de soixante-dix) venus à la rencontre à cette occasion. À leur vue, nous devions nous diriger vers les personnes qui ressemblaient le plus aux membres de notre famille, les prendre dans nos bras et leur demander de nous pardonner ou leur pardonner. Pour les femmes qui vécurent la retraite avec moi, ce fut un moment très douloureux. Toutes reçurent un choc considérable et réagirent par des pleurs désespérés. Quelques-unes s’évanouirent.

Cet exemple démontre comment les aspirants à la rencontre peuvent être amenés sous la contrainte à résoudre leurs problèmes de relation par le biais du pardon. Cette dynamique semble conçue pour entraîner les participants à exécuter ces mêmes gestes envers les membres de leur famille et leurs amis quand ils reviendront chez eux, en leur donnant les outils pour en finir avec des situations difficiles et même des délits commis au sein du foyer.

En les faisant se sentir exempts de faute et de ressentiment, les pasteurs stimulent le bien-être émotionnel qui génère du même coup l’estime de soi. Les chefs spirituels obtiennent ce résultat en les faisant se sentir aimés par Dieu et par la communauté. Pour qu’ils se sentent aimés par Dieu, ils leur répètent que Dieu les aidera comme un père bon et affectueux et que Christ a sacrifié sa vie pour eux. Ils essaient de les persuader que la valeur de quelqu’un ne se mesure pas par le niveau d’études ou la position sociale, mais seulement par leur profonde consécration religieuse, leur enseignant ainsi un chemin clair, simple et accessible à tous pour obtenir statut et prestige.

Les aspirants à la rencontre se sentent aussi aimés par la communauté à la manière dont elle les accueille : l’empressement des volontaires de la congrégation le leur prouve. Continuellement, les serviteurs s’occupent des participants, leur offrent des bijoux fantaisie, des bonbons, des massages, de petits objets artisanaux qu’ils ont eux-mêmes confectionnés et durant la nuit leur cirent les chaussures pour que le jour suivant ils les trouvent brillantes. Les aspirants à la rencontre sont aussi accueillis par des rites festifs à l’ouverture et la clôture de la retraite et par un « dîner de gala » le samedi soir, préparé à l’hôtel où se tient la rencontre. La confiance et l’estime de soi chez les participants sont stimulées aussi par leur intégration dans des groupes qui adoptent le style de groupes d’entraide interne.

Dès qu’ils arrivent sur le lieu de la retraite, les aspirants à la rencontre sont divisés en groupes d’environ dix personnes, organisés en fonction de l’âge (17-24, 25-30, 30-40, 50 et plus) et confiés à quelques serviteurs. Chaque groupe partage une petite salle avec des couchettes, une table dans la partie salle-à-manger et font face ensemble à l’expérience de la rencontre. Outre qu’ils s’assoient les uns près des autres lors des plénières, à de nombreux moments de la journée ils partagent avec leurs compagnons leurs problèmes et ce qu’ils considèrent comme leurs limitations. Tout au long de la retraite à laquelle j’ai participé, lorsque l’une d’entre les femmes de mon groupe parlait d’aspects intimes de sa vie, parfois même humiliants, nous écoutions toutes avec attention et un regard d’empathie, essayant qu’elle ne se sente pas coupable ou bizarre, l’admirant plutôt pour le courage qu’elle montrait en se déchargeant d’un fardeau par le récit qu’elle nous en faisait. Durant ces journées, les relations entre nous se sont renforcées et dans les moments difficiles et émouvants, nous nous serrions les mains ou nous nous caressions les épaules pour nous réconforter réciproquement.

L’objectif de ces groupes, outre l’encouragement et le soutien des aspirantes à la rencontre pour qu’elles vivent cette expérience de la manière la plus sereine et joyeuse possible, est de favoriser l’entrée collective dans la communauté. Fréquenter ensuite les cultes célébrés dans le temple est, pour des raisons évidentes, beaucoup plus agréable si cela permet de rencontrer des personnes avec lesquelles ont été établies auparavant de solides relations d’amitié, une « fraternité en Christ ».

Pourquoi un tel succès ?

Pourquoi ces techniques de cooptation et de conversion gagnent-elles tant de personnes ? Les « effets spéciaux » auxquels les pasteurs recourent peuvent expliquer en partie seulement les raisons de leur succès. Il faut admettre que si les prêches et les messages pentecôtistes touchent les gens, c’est parce qu’ils satisfont des exigences ressenties par de vastes secteurs sociaux.

Le pentecôtisme s’est répandu dans des contextes de modernisation rapide, de désorientation des secteurs exclus de ce processus, d’urbanisation accélérée comme résultat des migrations de la campagne vers la ville. D’après Yvon Le Bot, les sectes prolifèrent dans des « tissus socio-économiques en voie de décomposition et dans un espace institutionnel vide » parce qu’elles restaurent la solidarité, l’aide réciproque et la cohésion communautaire, garantissant à ses membres un réseau de sécurité sociale. Dans les quartiers marginaux, où les bandes organisées contrôlent l’espace public, obligeant les gens à vivre enfermés chez eux, les églises pentecôtistes sont, pratiquement, l’unique espace et l’unique occasion de socialisation et de création de relations sociales stables d’où retirer un soutien émotionnel et parfois matériel. Dans le contexte rural, tout cela s’obtient de sa propre famille, des voisins et allié(e)s.

Selon David Martin, l’expansion de ces églises s’explique par le fait qu’elles offrent aux sujets marginaux, émigrés de la campagne vers le « monde fourmillant et anomique des villes », non seulement des chemins clairs et univoques capables de leur assurer une ferme croyance en la vie dans l’au-delà, mais aussi une forme de protection face à un monde hostile et asservissant où dominent la corruption, le machisme, la violence et la destruction de la personne et de la famille.

Manuel Castells explique lui aussi l’énorme succès du fondamentalisme chrétien en des termes semblables, mais, à son avis, la « tranchérisation » que les sectes pentecôtistes permettent ne répond pas simplement à une exigence de protection face aux problèmes d’insécurité urbaine ou existentielle, mais plutôt à l’intention – plus ou moins consciente – de « résistance » aux processus d’individualisation et d’atomisation sociale qui découlent des dynamiques de la globalisation. D’après Castells, en rejoignant ces communautés fermées, les personnes qui occupent une position sociale subordonnée développent un sens d’appartenance où elles trouvent des significations et où elles réaffirment le contrôle sur leur propre vie, se protégeant ainsi du « caractère imprévisible de l’inconnu ».

À son avis, les identités générées dans les églises pentecôtistes ont manifestement des traits « défensifs », parce qu’elles se basent sur des « principes distincts voire opposés à ceux qui imprègnent les institutions de la société » : la foi considérée comme indispensable, la centralité de la famille, du patriarcat, de la sainteté du mariage, de l’autorité des hommes sur les femmes, et de l’obéissance que doivent les enfants. Ainsi, en inversant les jugements de valeur, elles permettent « l’exclusion de ceux qui excluent par ceux qui étaient exclus ».

Trouvant du sens, dignes, virils et utiles

S’il est vrai que la religion pentecôtiste se base sur des principes opposés à ceux qui dominent dans la société et que cela implique pour ses adeptes une transformation de leurs jugements de valeur, nous pouvons alors être d’accord avec Thorton quand il dit que l’adhésion à une église permet « à des personnes exclues par le système » d’acquérir statut, prestige et une solide victoire morale.

La conversion confère la dignité aux pauvres, implique pour eux une espèce de rachat moral parce que, sanctionnant l’entrée dans une communauté bénie et rachetée par l’Esprit saint, sont effacés et subvertis tous les critères qui les oppriment dans la vie courante, et remplacés par un principe unique : « La grâce de Dieu est accessible à tous ». Si nous ajoutons à cela que les fidèles pentecôtistes se voient comme des guerriers qui combattent, au côté des anges, dans l’éternel affrontement entre le Bien et le Mal, ces personnes tirent de la religion non seulement un sentiment de dignité et d’illumination, mais aussi de profond héroïsme. Elles se sentent vaillantes et, s’agissant d’hommes, viriles, même lorsqu’elles extériorisent leurs propres émotions par des pleurs fréquents dans les activités religieuses. Ces pleurs prennent une signification exactement opposée à celle que leur attribue la culture machiste, car lorsqu’elles professent ainsi leur foi elles se sentent impliquées dans un « combat » contre un « ennemi » qui utilise des « armes mortelles » – mensonges, tromperie et confusion – et elles considèrent qu’en respectant le très sévère style de vie que cette lutte leur impose, elles font preuve de la plus grande des audaces.

Les conquêtes que les pentecôtistes sont convaincus d’avoir réussies, comme membres d’une communauté de croyants, ne se limitent pas à la seule sphère religieuse et morale. L’appartenance à une église leur offre aussi la possibilité d’éprouver, en d’innombrables occasions, une grande satisfaction en participant, en tant que volontaires et protagonistes, à l’organisation et la création des activités de leur propre congrégation. En s’engageant comme leaders communautaires, ils sentent qu’ils « comptent pour quelque chose » et développent des capacités qui leur donnent confiance en eux. D’après David Martin, ceci est encore plus vrai pour les femmes qui, dans l’église, parviennent à exprimer des talents et à jouer des rôles qu’elles n’exercent pas à la maison.

Révolution pentecôtiste : effets sociaux

Les églises pentecôtistes rendraient un important service aux sociétés dans lesquelles elles sont implantées en se consacrant avec énergie à la récupération de sujets qui ont des problèmes d’alcoolisme, d’addiction aux drogues et qui sont auteurs de violences chez eux et dans la rue.

Les personnes en grands besoins sont la cible privilégiée de la mission d’évangélisation et les pentecôtistes essaient de les aider dans la solution de leurs difficultés en les absorbant dans des communautés pour les convaincre d’adopter, avec la religion, un style de vie puritain et de suivre les préceptes moraux que celui-ci impose. Les membres de ces églises ne se contentent pas d’accueillir des individus marginaux et exclus qui ne reçoivent l’aide de personne. Ils se chargent aussi de les suivre dans le temps jusqu’à une complète transformation de leurs attitudes et conduites. Elles ont beau avoir une conception très particulière des causes et des solutions possibles aux problèmes de ces personnes, grâce à leur présence par capillarité dans tous les quartiers marginaux urbains, ces églises sont désormais l’acteur principal de l’assistance sociale en Amérique centrale, car elles approchent, avec un certain type d’aide, des personnes que ni le gouvernement ni les organisations privées et laïques ne peuvent approcher, pour différentes raisons.

Les grands succès que les pentecôtistes enregistrent dans la récupération et réinsertion sociale de ces personnes, sont dus à la forte composante communautaire de ces institutions et à l’effet radical que la « conversion » est capable de produire en termes d’image.

Les congrégations pentecôtistes sont un milieu dans lequel il est facile de changer de conduite, précisément par leur caractère fermé et protecteur face au monde extérieur. La communauté des croyants, gouvernée par des règles et des valeurs distinctes de celles du reste de la société, facilite la transformation individuelle. Elle éloigne de facteurs et de personnes qui menaient à la déviance et introduit dans un contexte où il est simple d’adopter les gestes prescrits par la foi, puisque tous les respectent. En outre, elle permet une rapide et solide intégration dans des relations interpersonnelles au sein desquelles il est possible de trouver aussi bien un soutien émotionnel qu’un stimulant, ainsi que la vigilance et le contrôle nécessaires pour ne pas retomber dans les erreurs du passé.

La « conversion » facilite la réinsertion sociale des individus avec des problèmes de dépendance et de violence parce qu’elle implique pour eux une manifeste transformation physique et comportementale. Cette transformation est immédiatement perceptible par les voisins et connaissances grâce à des signes extérieurs évidents : ils changent leur manière de s’habiller et de se peigner, ils traversent leur quartier la Bible sous le bras aux heures de culte… Tout cela donne une grande crédibilité à leurs efforts pour changer de vie. Comme j’ai pu moi-même l’observer dans un quartier marginal de Managua, l’adoption de la religion pentecôtiste peut avoir des effets presque immédiats sur l’image de beaucoup de personnes. Dans des contextes où au moins la moitié des résidents professe cette confession, beaucoup finissent par croire que, par l’intervention de l’Esprit saint, n’importe qui peut radicalement changer dans les trois jours que dure la rencontre.

Récupérant des membres de bandes organisées

Si les efforts et les succès des pentecôtistes dans la récupération de personnes en difficultés sont indéniablement considérables, il est nécessaire de s’interroger sur les motivations qui les poussent à consacrer tant d’énergie en faveur de ces gens. Officiellement, les raisons de leur intérêt sont des principes philanthropiques et eschatologiques, mais nous avons des raisons de croire que cette attitude répond aussi à une autre considération : en parvenant à « convertir » et « transformer » des personnes notoirement violentes et antisociales, en leur faisant adopter un style de vie extrêmement discipliné, ils obtiennent une bonne publicité auprès des membres de leur famille et des voisins. Ces résultats les convaincront probablement des pouvoirs thaumaturgiques de la religion pentecôtiste et de la prédilection divine pour une église qui a si bien réussi. Ils décideront alors de lui faire confiance pour résoudre tous les problèmes qui affligent leur vie.

Les mots du pasteur R. – un ex-membre de bande qui maintenant guide à Managua une congrégation sérieusement engagée à sauver socialement les membres de la bande de son quartier et qui a aidé des dizaines de jeunes – expriment très bien les contradictions et les relations perverses qui lient les activités de récupération de ces sujets aux aspirations expansionnistes des chefs spirituels pentecôtistes. R. déclare : « La conversion des membres de bandes peut paraître, à première vue, peu rentable pour quelqu’un comme moi parce que, dans les cultes, ces derniers n’offrent jamais d’argent. Parfois seulement des piécettes. Mais si tu convertis l’un d’eux, tu es sûr de convertir dix autres personnes ». L’inquiétante référence du pasteur aux offrandes en argent qu’il espère recevoir de ses fidèles témoigne de la valeur instrumentale que les activités de récupération à l’adresse des jeunes à problèmes ont pour ces congrégations.

Questions

Ces églises sont-elles un mouvement social ?

Quelques auteurs affirment que les églises pentecôtistes ont un impact positif sur les sociétés dans lesquelles elles s’insèrent parce que, en réunissant en communautés des sujets aux conditions sociales défavorables, elles donnent lieu à des réalités associatives capables d’offrir une représentativité politique à des secteurs marginaux et exclus.

Vue en ces termes, la présence et la diffusion de ces églises contribuerait à la variété et à la complexité du troisième secteur, unanimement reconnu comme un élément indispensable pour la définition démocratique de tout agenda politique. Selon Campos, le pentecôtisme apporte une contribution positive à la société civile parce qu’il crée des communautés qui confèrent aux pauvres du « pouvoir » et un « rôle dans la société ». Álvarez va encore plus loin : ce courant religieux peut être compris comme « un des nouveaux mouvements sociaux qui définit les paramètres de la démocratie et les frontières de ce qui définit proprement l’arène politique : ses participants, ses institutions, ses processus, son agenda, sa portée ».

S’il est indéniable que les églises pentecôtistes sont à l’origine d’expériences associatives qui ont comme protagonistes les couches de la population les plus dans le besoin et qui se traduisent, entre autres choses, par des activités de récupération pour des personnes ayant de sérieuses difficultés, il est nécessaire d’avoir en tête que ces institutions sont à l’origine d’une expression très particulière de la société civile et avec un champ d’action assez circonscrit. Leur existence, même si elle favorise le pluralisme du troisième secteur, ne fournit pas un apport nécessairement positif à la consolidation démocratique des régimes politiques dans lesquels elles s’insèrent.

Pour comprendre quel type d’impact les églises pentecôtistes peuvent produire dans la société, il est nécessaire de souligner le caractère exclusif/excluant de ces associations. L’objectif de leur action est seulement le développement de leur communauté religieuse et l’avancée sociale de leurs membres. Leur attention ne s’oriente absolument pas vers les problèmes du reste des habitants du quartier où elles se situent ou vers le défi à la pauvreté à un niveau plus ample et national. Leurs efforts se concentrent sur l’expansion de la structure physique du temple et sur la croissance du nombre d’adeptes de la congrégation. Tout le travail qu’elles font dans le domaine de la récupération et de la réhabilitation sociale, qui initialement bénéficie à des sujets étrangers à la communauté des fidèles, a cet unique objectif.

Les pentecôtistes apportent aide et soutien aux seuls membres de leur congrégation ou à ceux qu’ils essaient d’absorber. Si ces derniers n’adoptent pas leur religion, ils ne reçoivent plus rien. À la différence des catholiques qui – même dans le but de maintenir un contrôle hégémonique sur la société – se proposent de répondre aux problèmes de toute l’humanité, avec une perspective que David Martin appelle « socialistique », les pentecôtistes agissent selon un modèle « individualistique », qui jamais ne favorise des individus autonomes et isolés, mais des groupes qui finissent par adopter les traits d’une secte.

Une expression de la société civile ?

Outre qu’elles sont des associations de type « excluant », ces églises sont aussi une expression de la société civile qui ne prend pas une part active dans la définition de l’agenda politique. L’indifférence des pasteurs, ainsi que des fidèles, touchant les questions d’intérêt public, n’est pas seulement dictée par le fait qu’ils sont absorbés par leurs stratégies d’expansion de leur propre congrégation, mais aussi par des considérations de caractère spécifiquement religieux.

Les injustices, les inégalités, les abus de pouvoir sont, pour les pentecôtistes, des conséquences de péchés individuels et/ou de malédictions divines. Cela n’a aucun sens de s’organiser pour chercher la solution aux problèmes sociaux parce qu’il s’agit de questions bien au-delà des capacités humaines. La seule chose qu’il est possible de faire, c’est de prier Dieu pour qu’il résolve les problèmes par son intervention directe.

Cela ne veut pas dire que la population pentecôtiste, avec les dimensions qu’elle a atteintes dans les pays d’Amérique centrale, n’ait pas un certain poids électoral et, pour cette raison, ne soit pas prise en compte par les gouvernants dans quelques politiques publiques, par exemple la pénalisation de l’avortement. L’important est de souligner que ces églises n’ambitionnent pas des espaces politiques et, en outre, découragent toute forme de participation politique de leurs fidèles. Comme elles promeuvent une interprétation fataliste de la réalité et dissuadent leurs adeptes de s’engager politiquement, ces institutions « produisent » des citoyens passifs et sans esprit critique qui, non seulement ne présentent pas de propositions aux détenteurs de pouvoir, mais ne s’engagent pas non plus dans la surveillance des mesures prises par leurs gouvernants, si ce n’est par leur vote lors des élections, la forme de contrôle la plus légère de tout système démocratique.

Tout en étant des organisations de pauvres, les églises pentecôtistes ne sont pas des organisations pour les pauvres, car les solidarités qu’elles créent permettent à leurs membres un rachat moral, mais non matériel et concret. Ce sont des institutions qui produisent une vaste mobilisation populaire, mais qui ne contribuent ni au changement ni au débat social.

L’impératif catégorique : payer la dime

Les églises pentecôtistes reçoivent des éloges pour leur capacité à transmettre à leurs adeptes – généralement de condition sociale très basse – des comportements et des mœurs qui peuvent les aider à améliorer leurs conditions de vie. En fait, les règles de conduite promues par ces églises, en plus de pousser les fidèles à adopter une attitude soumise face au prochain – qui favorise une coexistence pacifique à l’intérieur de la famille et de la société –, altèrent aussi leurs habitudes de consommation et leurs priorités dans les dépenses. Il semble indiscutable que les congrégations pentecôtistes orientent les pauvres vers une gestion plus efficace de leur argent, mais il reste difficile de comprendre qui, en dernier ressort, bénéficie de ces changements dans l’utilisation de leurs ressources économiques. À qui est destiné l’argent que les fidèles pentecôtistes économisent en suivant les normes que leur indique le pasteur ?

Pour comprendre comment les églises peuvent influencer la gestion des économies des fidèles, il faut considérer que les pentecôtistes doivent renoncer à toute addiction ou dépendance et faire passer le bien-être familial avant leur intérêt personnel. En imposant de renoncer à l’alcool et au tabac et en remettant en question les valeurs machistes qui légitiment que les hommes utilisent la majeure partie des gains à leur seul profit, cela provoquerait une augmentation sensible des ressources financières du foyer et leur utilisation au profit des femmes et des enfants.

Pourtant, on doit garder à l’esprit qu’un des impératifs catégoriques imposés par la foi pentecôtiste est l’obligation de « payer la dîme » : donner au moins 10% des revenus au pasteur. Les fidèles doivent respecter cette obligation car c’est seulement ainsi qu’ils peuvent espérer recevoir des « bénédictions économiques ». En payant la dîme, ils peuvent littéralement « ouvrir un compte courant au royaume du ciel », où Dieu puisera pour les aider financièrement dans les moments difficiles, en leur envoyant un chèque ou en annulant une dette.

L’offrande de la dîme est un devoir incontournable, qui fonctionne selon le « principe naturel des semailles et de la récolte » et dont il faut s’acquitter. Comme on me l’a expliqué dans la rencontre à laquelle j’ai participé, « ils ne peuvent semer des pièces parce qu’alors Dieu leur enverra des pièces. S’ils sèment des billets, Dieu leur enverra des billets et s’ils sèment des dollars, Dieu leur donnera des dollars ». Et si quelqu’un n’a pas d’argent, il est libre d’offrir ses propres biens, mais « celui qui sème des savates recevra des savates, tandis que celui qui sème des chaussures recevra des chaussures ». On leur explique que l’on ne peut « déshonorer Dieu en lui offrant des pièces ». Au Nicaragua les fidèles doivent donner au moins un billet de 20 cordobas (un dollar) et ils ne peuvent donner « des billets vieux et froissés, seulement ceux qui sont en bon état ».

Pour les fidèles pentecôtistes, il n’est pas facile d’échapper à l’impératif de la dîme, non seulement en raison de considérations spirituelles mais aussi pour des raisons pratiques, vu le mode concret de dons des fidèles, qui sont recueillis pendant les cultes. Dans les églises catholiques, les offrandes sont recueillies habituellement par un enfant de chœur ou une femme qui passe entre les bancs de l’église. Les fidèles déposent leur argent discrètement dans une bourse en tissu ou dans un autre récipient. Dans les églises pentecôtistes, ce moment particulier de la liturgie est différent. Dans toutes les églises que j’ai visitées au Nicaragua, les fidèles doivent déposer leurs dons dans un grand panier bien en vue au pied de la chaire. Ils doivent se lever, se mettre en file et attendre leur tour, comme les catholiques le font pour recevoir la communion. Celui qui ne paie pas la dîme, non seulement s’auto-exclut du rite de l’offrande, mais encore étale publiquement devant le pasteur et toute la communauté son incapacité à accomplir la volonté divine.

Religieux chevalier est Messire Argent [1]

Pour des gens qui vivent dans des conditions d’extrême pauvreté et gagnent le minimum indispensable pour nourrir la famille, l’offrande au pasteur représente une dépense importante. Un père de famille m’a avoué s’être trouvé, plus d’une fois, indécis : devait-il donner à manger à ses enfants ou payer la dîme ? Dans un tel contexte, nous pouvons mieux comprendre les leaders pentecôtistes quand ils prônent le jeûne comme une méthode puissante d’oraison agréable à Dieu. Bien sûr, si toute une famille renonce à manger plusieurs fois par semaine, elle pourra plus facilement faire l’offrande de sa dîme.

Les pentecôtistes doivent offrir de l’argent pas seulement durant les cultes mais encore en d’autres circonstances. Ils doivent payer pour fréquenter la formation de leaders communautaires et pour participer à la rencontre. Au Nicaragua, pour faire partie de cette retraite spirituelle, il faut payer 30 dollars, l’équivalent – selon les données du PNUD 2007 – des revenus d’un mois entier pour 48% de la population nationale. Les « serviteurs » aussi doivent payer pour pouvoir travailler comme tels 18 heures par jour, en moyenne. Personne ne participe sans payer. Celui qui ne peut payer est financé par un fonds alimenté par les membres de l’église. Comme si cela ne suffisait pas, les fidèles font un gros cadeau à leur leader spirituel à l’occasion de la « fête de la famille pastorale ». En 2008, à cette occasion, le pasteur D. a reçu comme cadeau un véhicule tout terrain. En 2009 ce furent des vacances de trois semaines pour lui, sa femme et ses deux enfants au Costa Rica, où le coût de la vie est bien plus élevé qu’au Nicaragua.

Pour analyser si l’appartenance à une église pentecôtiste a un impact positif sur la situation économique des pauvres, il faut en plus souligner que les pasteurs ne mettent pas au service de la communauté l’argent qu’ils obtiennent avec les offrandes des fidèles, mais qu’ils le gardent exclusivement pour eux. Les leaders des cellules doivent autofinancer leur mission d’évangélisation, en payant la totalité des frais (le transport jusqu’au lieu de réunion de la cellule, le rafraîchissement qu’ils offrent aux participants…) et quand les congrégations célèbrent des évènements particuliers, ce sont les fidèles qui doivent acheter le matériel pour décorer le temple. Quand je demandais aux gens à quoi le pasteur destinait l’argent que celui-ci gagnait avec les offrandes, ils me répondaient de manière expéditive qu’il l’investissait dans la construction ou l’agrandissement du temple. Mais vu la lenteur avec laquelle ces travaux de construction avançaient, il était clair que cette dépense absorbait seulement une partie dérisoire des rentrées de fonds.

Les croyants ne laissent paraître aucun soupçon sur l’important transfert d’argent qu’ils font en faveur de leurs leaders. Comme l’impératif de la dîme est écrit dans la Bible (Lévitique 27,30 et Malachie 3,10), il répond à la volonté divine et ne se discute pas. L’enrichissement de leurs leaders est le fruit de cette volonté suprême et explique la faveur énorme avec laquelle Dieu les « bénit ».

Il est donc difficile de comprendre si l’adoption des normes pentecôtistes aide les pauvres à gérer plus efficacement leur argent et à améliorer leurs conditions de vie, de même qu’il est difficile de savoir si l’expansion des églises pentecôtistes peut avoir un impact positif sur les sociétés dans lesquelles elles s’insèrent. Ce qui est évident, c’est que la propagation de la religion pentecôtiste favorise considérablement l’économie des chefs spirituels de ces congrégations. Être guide d’une de ces églises devient un négoce très rentable. Au Nicaragua, rien que les rencontres – auxquelles participent en moyenne 40 nouveaux adeptes potentiels et 20 serviteurs – leur assurent mensuellement un gain de 1550 dollars.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3132.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : Envío, n° 338, mai 2010.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la traductrice, la source française ([Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1« Religioso caballero es Don Dinero » est la transposition d’un poème satirique de l’écrivain espagnol Francisco de Quevedo (1580-1645) ; « Poderoso caballero es Don Dinero » : Puissant chevalier est Messire Argent.

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