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NICARAGUA - « Les grands médias occidentaux ne pardonnent pas au pays de reprendre le projet révolutionnaire », entretien avec Margarita Zapata
Juan Agulló
vendredi 25 mai 2012, mis en ligne par
Margarita Zapata (México DF, 1950) ne flanche pas. Elle a plusieurs dizaines d’années d’expérience politique et son militantisme vient de loin : après avoir participé à la Révolution sandiniste, la petite-fille d’Emiliano Zapata, sociologue, journaliste, fut la vice-présidente de l’Internationale socialiste de 2000 à 2008 [1]. Sa vie est un combat sur tous les fronts. En 2011, après s’être éloignée un temps du pays, elle a été nommée ambassadrice itinérante du Nicaragua. C’est une grande connaisseuse de l’Amérique latine qui s’exprime ici.
Pourquoi revenir à un poste de responsabilité après un si long éloignement et, à un moment où le Nicaragua offre une image internationale controversée ?
C’est vrai que le Nicaragua a une image internationale controversée mais cela est dû au fait que le président, Daniel Ortega, est en train de reprendre le projet de la Révolution sandiniste : la réforme agraire, l’éducation et la santé gratuites, l’accès au logement, les politiques de la jeunesse…
La meilleure arme pour combattre la pauvreté, c’est l’éducation. C’est pourquoi quand je vois que les enfants ne sont plus dans la rue, aux feux rouges, je revis le rêve pour lequel nous avons lutté et pour lequel sont morts les meilleurs fils du Nicaragua.
Mais à l’extérieur du Nicaragua on dit plutôt que l’élite sandiniste s’est convertie en une sorte d’oligarchie semblable à celle qui existait du temps de Somoza (avant la révolution sandiniste).
Cette oligarchie sandiniste n’existe pas. Je ne vais pas nier qu’il y a des sandinistes riches mais beaucoup sont devenus entrepreneurs quand le FSLN [Front sandiniste de libération nationale] a perdu les élections [en 1990]. Ce sont ceux qui s’appellent aujourd’hui les « rénovateurs » [en référence au Mouvement de rénovation sandiniste, allié à l’opposition de droite]. Les gens les appellent encore « sandinistes » mais ils ne sont plus à l’intérieur du projet sandiniste.
Mais par exemple la relève de génération est-elle garantie à l’intérieur du FSLN ? Sur le plan international on dit beaucoup que la personne qui succèderait à Daniel Ortega pourrait être son épouse Rosario Murillo. On nourrit des craintes, par ailleurs, pour la continuité du projet.
La continuité du projet est garantie et la relève générationnelle aussi. Le FSLN a beaucoup travaillé pour rapprocher la jeunesse de l’expérience. De fait l’évolution a été très positive : des membres de la direction historique du FSLN, il n’en reste que trois. Nous avons beaucoup travaillé aussi pour instaurer la parité : actuellement, plus de la moitié des députés du FSLN sont des femmes. À partir de ces principes, cependant, il faut avancer en s’adaptant aux circonstances, sans précipitations.
Vous faites beaucoup allusion aux changements concrets dans le secteur social mais s’agit-il de changements structurels ?
Oui et non seulement il s’agit de changements structurels mais ils s’édifient sur une forte croissance économique que même le FMI a reconnue (4% en 2011).
Ce qu’on dit sur le plan international, c’est que cette croissance serait dopée par le Venezuela et plus concrètement par Hugo Chávez.
Le Nicaragua ne reçoit pas de cadeaux : ce qu’il y a c’est un commerce juste dans le cadre de l’ALBA [Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique - Traité de commerce des peuples]. Ce n’est pas que le Venezuela soit le bienfaiteur et subventionne à fonds perdus. Il y a un échange avec le Venezuela et avec d’autres pays qui ne font pas partie de l’ALBA.
Quelle différence y a-t-il actuellement entre les modèles nicaraguayen et salvadorien ?
Je ne connais pas le cas salvadorien en profondeur mais je ne réussis pas à voir clairement où est l’avantage économique de maintenir une certaine distance avec le reste des pays latino-américains. Ceci dit avec tout le respect, je ne comprends pas non plus le pari du président Mauricio Funes de faire un gouvernement « apolitique » alors qu’il a été lui-même porté au pouvoir par un parti politique [le FMLN, ex-guérilla]. Il veut maintenir la distance avec son parti, la distance avec le gouvernement, la distance avec la gauche, il veut qu’on parle de « ses » succès et non de ceux du FMLN. Wikileaks a publié des conversations où il demande l’aide des États-Unis pour « se dégager » du FMLN. Il me semble en tout cas qu’il y a des choses qui dérangent les Salvadoriens.
Puisque nous parlons de gauche et d’Amérique latine, où situez-vous le projet sandiniste actuel, dans le cadre idéologique des gouvernements de gauche qui existent dans le continent ?
Le gouvernement de Daniel Ortega est de gauche. C’est très clair…
Mais le Nicaragua est très proche de l’ALBA ; a-t-il d’autres éléments, des apports en propre… ?
Le sandinisme se rénove, se met à jour, s’adapte. Le FSLN de 1979 [année du triomphe de la révolution] n’est pas le FSLN de 1984, lorsqu’ont été organisées les premières élections démocratiques du Nicaragua ; ni celui de 1990 qui a perdu les élections, ni celui de 2006 qui les a remportées ni même, pour aller vite, celui qui a gagné en 2011. C’est logique…
Est-il compatible de faire partie de l’ALBA en tant que pays et, en même temps, en tant que parti au pouvoir, être membre de l’Internationale socialiste (IS) ?
Bien sûr. De fait si nous prenons au pied de la lettre les statuts de l’IS, la majorité de ses membres devraient être alignés sur la gauche latino-américaine actuelle. Le problème est qu’ils ne le sont pas parce que l’IS se positionne de plus en plus à droite.
Et que pense faire Daniel Ortega à ce sujet ?
Cela dépendra de ce que sera l’IS après son prochain congrès, prévu en fin d’année. Ce qui va s’y décider est si l’IS va continuer à parier sur le néo-libéralisme ou si elle va revenir aux principes et aux valeurs sur la base desquels elle s’est créée et qui sont ceux de la Révolution Sandiniste. Hors de l’Internationale socialiste il y a beaucoup d’espaces (comme la COPPPAL [Conférence permanente des partis politiques d’Amérique latine] et le Forum de São Paulo) qui sont beaucoup plus fédérateurs et beaucoup plus à gauche que l’IS, car on ne peut continuer de cette manière.
Le prix à payer pour ces positions politiques est l’image médiatique qui se projette du Nicaragua à l’extérieur depuis que le FSLN est revenu au pouvoir ?
En effet. La mauvaise image du Nicaragua dans les grands médias occidentaux est le résultat de ses positions mais aussi de son projet politique. Le problème est que le Front sandiniste et le gouvernement nicaraguayen ne sont pas là pour plaire aux médias occidentaux mais pour résoudre les problèmes des nicaraguayens. Et ils ne le font pas si mal. Daniel Ortega a été réélu avec 62% des suffrages.
Source (espagnol) : http://www.cronicapopular.es/2012/02/margarita-zapata/
Traduction : Thierry Deronne pour www.venezuelainfos.wordpress.com
[1] Lire à ce sujet l’enquête très fouillée de Maurice Lemoine « L’Internationale socialiste, une coquille vide », dans Le Monde diplomatique de janvier 2012 (édition argentine).