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DIAL 3239
BOLIVIE - « La consultation sur le TIPNIS n’en était pas une »
Somos Sur
samedi 18 mai 2013, mis en ligne par
En Bolivie, comme en Équateur, respect du « bien vivre » et de la nature, d’une part, et projets gouvernementaux de développement des infrastructures et d’exploitation des ressources naturelles, d’autre part, ne font souvent pas bon ménage [1]. Le projet de construction d’une route entre Villa Tunari et San Ignacio de Moxos, qui constituerait la première liaison directe entre les départements de Cochabamba et Beni et traverserait le Territoire indien et Parc national Isiboro Secure (TIPNIS), est discuté depuis plusieurs décennies, mais l’approbation par la Bolivie en 2011 d’un prêt de 332 millions de dollars auprès de la Banque nationale pour le développement économique et social (BNDES) du Brésil a rendu les perspectives de sa réalisation plus concrètes et déclenché d’importants débats. Pour désamorcer les conflits, le gouvernement d’Evo Morales s’était finalement engagé à réaliser une consultation auprès des populations du TIPNIS. Mais, comme le dénoncent les deux textes publiés dans ce numéro, le processus de consultation, réalisé selon une procédure douteuse, semble surtout avoir cherché à donner une légitimité au projet, sans se préoccuper vraiment de l’avis des habitants concernés. Rapport de l’organisation Somos Sur, 17 décembre 2012.
« La consultation sur le TIPNIS n’en était pas une » : ainsi s’est exprimé lors d’une conférence de presse un représentant de la Commission de vérification qui a effectué une enquête d’après-consultation dans le TIPNIS (Territoire indien et Parc national Isiboro Secure), lundi 17 décembre 2012.
La Commission composée de représentants de l’Assemblée permanente des droits humains de Bolivie (APDHB), de l’Église catholique et de la Fédération interaméricaine des droits humains (FIDH) – à la demande de dirigeants démocratiquement élus du TIPNIS, comme le sont Fernando Vargas et Bertha Bejarano – s’est rendue pendant les deux premières semaines de décembre dans les 36 communautés pour vérifier les résultats et les méthodes employées par le gouvernement dans la dite « consultation ».
Première constatation : 30 des 36 communautés se sont opposées à la route.
Est apparue ensuite une série d’irrégularités qui, à la vérité, mettent le doigt sur la plaie : « la consultation ne peut être considérée comme un processus de consultation », mais seulement comme un certain nombre de réunions communales, vu que certaines communautés n’ont réuni que quelques familles, sans la présence des corregidores [2] et, dans le pire des cas, hors des communautés.
À cet égard, les représentants du gouvernement ont cherché immédiatement à disqualifier les résultats du travail pourtant professionnel de cette Commission de vérification, la qualifiant de « politique », « grossière » et « fausse ».
Somos Sur a fait un travail de compilation des différentes opinions sur la « consultation » réalisée dans le TIPNIS par le gouvernement et nous constatons que tout cela n’a été qu’une farce.
Nous présentons ici une brève synthèse que nous avons élaborée sur la base des faits et des chiffres du gouvernement lui-même et des analyses des femmes et des hommes qui font encore le pari d’une Bolivie transparente et du « bien vivre ».
En conclusion, nous continuons à croire que la VIIIe et la IXe marche, les morts du « chemin » et la lutte du peuple bolivien en faveur du TIPNIS n’ont pas eu lieu en vains.
Le TIPNIS, c’est la vie.
Maria Lohman, Somos Sur
Clôture de la procédure de « consultation » du TIPNIS
Le 7 décembre, le gouvernement a clôturé le processus de « consultation » du TIPNIS par une grande fête médiatisée dans le Colisée de la ville de Trinidad.
Une manifestation pleine de contradictions qui reflètent d’une certaine manière ce qui, depuis plus de deux ans, est vécu en Bolivie, quand les discours s’éloignent chaque fois plus de la réalité.
Les membres des Brigades arrivaient avec des cadeaux et ont proposé des projets à au moins 35 communautés du TIPNIS, faisant signer par les Indiens des documents disant qu’ils étaient favorables à la construction de la route, alors qu’ils avaient dit non.
Le vice-président Garcia Linera a fait un discours incendiaire disant qu’il y avait des gens qui voulaient que les habitants du TIPNIS continuent à vivre comme des animaux, que « l’heure est venue pour eux de se développer comme n’importe quels autres Boliviens » et que « 180 années d’oubli des peuples d’Amazonie s’achèvent avec Evo Morales ». Un discours discriminatoire qui a été qualifié de « lapsus volontaire ».
À l’extérieur du Colisée, des dizaines de frères et de sœurs étaient encerclés par la police et criaient : « La résistance a gagné ! La consultation a échoué ! Le TIPNIS, c’est la vie ! »
Premiers résultats officiels de la « consultation »
Le vice-président et le ministre des travaux publics ont fait savoir que 80% des communautés du TIPNIS avaient avalisé la construction de la route dans leur territoire, certifiant que 11 seulement des 69 localités qui existent dans la zone écologique, selon le protocole, avaient refusé la consultation. (Le rapport final serait présenté le 20 décembre).
Un rapport diffusé par ERBOL [3] inclut une liste, datée du 22 octobre 2012, des communautés consultées où l’on observe que dans quasiment toutes les communautés, la réponse « Non à l’intangibilité » coïncide avec un « Oui à la route ». Ce résultat est étonnant quand on sait que le questionnaire ne comprenait pas une question spécifique sur la route, et quand on constate en outre une série d’irrégularités dans la sélection des communautés, avec entre autres l’inclusion de 17 communautés du CONISUR [4] qui n’appartiennent pas au TCO [5] du Parc TIPNIS.
C’est ainsi que le vice-président Alvaro Garcia Linera – prenant ces résultats truqués comme « approbation de la construction de la route » – a déclaré à Trinidad que maintenant « on va chercher des fonds pour la construction d’une route écologique » et que l’« on envisage la création d’un viaduc aérien ou d’un tunnel souterrain pour ne pas endommager le TIPNIS ».
Pour sa part, Paola Bolivar, chef de brigade de la consultation, a admis dans un entretien avec ERBOL que les brigades n’avaient pas consulté les habitants du Territoire indien et du Parc national Isiboro Secure (TIPNIS) sur le tracé du 2e tronçon du projet de route Villa Tanari - San Ignacio de Moxos qui coupe en deux cette réserve écologique, indiquant que « […] le thème du tracé de la route est postérieur à la consultation ».
[…]
Suivent de nombreux témoignages que nous ne reprenons pas ici, préférant reproduire in extenso le communiqué public de la commission composée de représentants de l’Assemblée permanente des droits humains de Bolivie (APDHB), de l’Église catholique et de la Fédération interaméricaine des droits de l’homme (FIDH) (article suivant).
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3239.
– Traduction de Bernard et Jacqueline Blanchy pour Dial.
– Source (espagnol) : Rapport Somos Sur, 19 décembre 2012.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, les traducteurs, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Sur la Bolivie, voir notamment DIAL 2905 - « AMÉRIQUE DU SUD - Sommets de Cochabamba : vers quelle intégration ? », 2945 - « BOLIVIE - Le projet de complexe hydroélectrique du rio Madeira » et 3084 - « BOLIVIE-BRÉSIL - Le gouvernement d’Evo Morales ferme les yeux sur les barrages de Lula » ; sur l’Équateur, voir DIAL 3083 - « ÉQUATEUR - La guerre pour les biens communs s’aggrave » et 3130 - « ÉQUATEUR - Écologie : un discours de façade ? »
[2] Officiers de justice – note DIAL.
[3] Éducation radiophonique de Bolivie – note DIAL.
[4] Conseil indien du Sud – note DIAL.
[5] Territoire communautaire d’origine – note DIAL.