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DIAL 3271 - Figures de la révolte (4)
PÉROU - La rébellion de Túpac Amaru : protonationalisme et revivalisme inca, deuxième partie
Charles Walker
mercredi 12 février 2014, mis en ligne par
José Gabriel Condorcanqui Noguera (19 mars 1742 - 18 mai 1781) a pris la tête, en 1780, du plus grand soulèvement contre le système colonial espagnol aux Amériques. Il était aussi nommé José Gabriel Túpac Amaru, du nom du dernier monarque inca (1545-1572), exécuté par les Espagnols et dont il se réclamait le descendant, par son père. Pour éviter la confusion, il est depuis sa mort souvent dénommé Túpac Amaru II. Le mouvement a finalement échoué et Túpac Amaru a été écartelé et décapité à Cuzco en 1781, mais cette rébellion garde une place particulière dans l’histoire et la mémoire latino-américaine et nombre de groupes ont mobilisé ou mobilisent sa mémoire, du général Juan Velasco Alvarado, président du Pérou de 1968 à 1975, au Mouvement de libération nationale - Tupamaros (MLN-T) uruguayen, créé dans les années 1960 et dont le président de la République actuel, José Mujica est issu, en passant par de nombreux mouvements indiens. Charles Walker est professeur d’histoire à l’Université de Californie - Davis. Le texte, dont la seconde partie est publié ci-dessous, est une traduction quasi intégrale [1] du chapitre 2 de Smoldering Ashes : Cuzco and the Creation of Republican Peru, 1780-1840 (Durham, NC, Duke University Press, 1999). La première partie a paru dans le numéro de janvier 2013.
À la mi-novembre, dans la région de Cuzco puis, rapidement, dans d’autres endroits à l’intérieur et à l’extérieur du vice-royaume du Pérou, les gens se sont demandé qui étaient les rebelles, ce qu’ils cherchaient, quelle force ils avaient, où ils étaient basés et qui les soutenait. Dans les nombreux édits qu’il publiait et les lettres qu’il adressait aux émissaires, Túpac Amaru abordait bon nombre de ces questions. Au cours de cette première phase, il jurait au nom du roi d’expulser tous les corregidors et les Espagnols, et d’abolir plusieurs d’institutions exploiteuses. Il commençait invariablement ses proclamations par la formule « Par ordre du roi », ou une formule approchante. Un édit du 15 novembre, par exemple, commençait en ces termes : « Le roi m’a ordonné de prendre des mesures exceptionnelles contre plusieurs corregidors et leurs lieutenants, pour des motifs légitimes qui demeurent pour l’heure secrets. » [2]. Les chefs rebelles ont peu à peu cessé d’invoquer la monarchie hispanique pour en appeler au nom de l’Inca. Après la bataille de Sangarará, José Gabriel et Micaela ont commandé un portrait qui les représentait comme le roi et la reine (qoya) des Incas [3]. Dans les édits et les discours, cependant, Túpac Amaru et les autres chefs mettaient l’accent sur le fait que leur but était de chasser les fonctionnaires dévoyés et sur leur soutien au roi Charles.
Il convient toutefois de lire ces communiqués de façon critique. L’insistance des rebelles sur le soutien au roi et par le roi ne légitime pas nécessairement le colonialisme pas plus qu’elle ne témoigne des revendications « réformistes » de José Gabriel. Un mouvement subversif cherche habituellement à recueillir le maximum de soutien sans s’attirer l’opposition débridée de l’État. En l’espèce, Túpac Amaru s’est employé non seulement à rassembler le plus de monde possible mais aussi, par sa rhétorique modérée, voire confuse, à retarder le déchaînement de colère de l’État colonial. Cette interprétation suppose cependant un niveau d’intentionnalité qu’il n’est pas possible de vérifier. Il serait plus juste de voir dans cette rhétorique une subversion des paradigmes dominants. Plusieurs universitaires travaillant sur le concept d’hégémonie observent que le discours fondant les projets anti-hégémoniques n’est pas étranger au discours dominant mais le dénature complètement [4]. José Gabriel et les autres commandants insistaient sur le fait que leurs « droits » au sein du régime colonial étaient systématiquement bafoués. Ils ne cherchaient pas à revenir à une sorte de pacte bienveillant comme avec les Habsbourg mais à mettre un terme au projet des Bourbons. L’utilisation du discours même du colonialisme rendait leur mouvement encore plus séditieux. Les caprices de l’autorité coloniale et le fossé entre le discours et la pratique en faisaient une proie facile pour ce genre de subversion. L’expression mauvais gouvernement, par exemple, prête clairement à une diversité d’interprétations ; elle est polysémique. Combattre au nom du roi ne signifie pas nécessairement approuver le colonialisme. Un examen des actions des rebelles peut nous éclairer sur le sens de leur rhétorique. Dans le cas présent, lorsque les rebelles détruisaient des propriétés et faisaient la chasse aux autorités, leur lutte tenait manifestement de la subversion.
Túpac Amaru a créé une idéologie protonationale qui visait à fédérer les différents groupes ethniques nés au Pérou contre les Espagnols ou les Européens. Lui et d’autres idéologues ne cessaient de présenter les créoles et les métis comme des paisanos, c’est-à-dire des compatriotes. Ils ne s’adressaient pas à une patria chica, à une patrie réduite, mais à tout le vice-royaume du Pérou et au-delà. Le 21 novembre, Túpac Amaru a rappelé sa volonté de ne nuire en aucune façon aux créoles, mais de « vivre [avec eux] en frères et de faire corps pour détruire les Européens » [5]. Pour eux, les Espagnols étaient des chapetones, l’ennemi. Dans un appel à rejoindre ses rangs, il déplorait « l’hostilité et les abus manifestés par les Européens » [6]. En pleine bataille de Sangarará, Túpac Amaru a décrété qu’il « éliminerait » le reparto et les Européens, et qu’il maintiendrait uniquement l’impôt de capitation, qui diminuerait de 50 pour cent. Mollinedo a vu dans ce décret une propagande sournoise destinée à isoler les Espagnols des créoles et des métis [7]. La définition exacte de l’ennemi a fluctué au cours de la rébellion car les Indiens en ont étendu l’acception pour y inclure tous les exploiteurs non indiens [8]. Néanmoins, Túpac Amaru a tenté d’unifier tous les non-Européens dans la lutte contre le colonialisme.
Túpac Amaru et ses commandants ont rapidement fait mouvement afin d’élargir leur base dans toute la région au sud de Cuzco. Ils ont donné instruction aux caciques d’Azángaro, de Lampa et de Carabaya de « dresser des gibets, d’attraper les corregidors et autres Européens, de saisir tous leurs biens que l’on pourra trouver » [9]. D’innombrables édits ont été publiés pour expliquer les motivations des rebelles — résistance face à des autorités corrompues et soutien au roi — et pour appeler les Indiens à les rejoindre. Les caciques et d’autres intermédiaires ont été sollicités pour lire ces appels à des Indiens en majorité analphabètes et pour recruter des partisans parmi eux. Des avis ont également été diffusés dans le Haut-Pérou, dans le nord de l’Argentine et au Chili. Les forces insurrectionnelles se sont multipliées rapidement, passant de 6 000 à la mi-novembre à plus de 50 000 fin décembre. À la fin de novembre, un commentateur pris de peur écrivait dans une lettre au corregidor de Cuzco que l’armée de Túpac Amaru « croît minute par minute, encouragée par ses victoires » [10].
Les rebelles comptaient sur les voyageurs, essentiellement les muletiers, et sur les soldats rapides pour le travail de coordination et d’espionnage [11]. Les chicherías, tavernes qui servaient de la bière de maïs, constituaient des lieux importants pour les conspirations, la propagation des rumeurs et le partage des frustrations ainsi que, pendant la rébellion, pour les réunions stratégiques. Situées le long des différentes routes commerciales et dans les murs de Cuzco, ces tavernes non seulement mettaient en contact Indiens et non-Indiens mais créaient aussi des liens entre différentes régions grâce à la présence de voyageurs loquaces [12]. Malgré sa rapide expansion, qui avait plongé les forces espagnoles dans cet état de panique, le mouvement a connu des problèmes qui sont communs aux insurgés des guérillas. Il manquait de provisions de base — en l’espèce de la nourriture, de l’alcool et des feuilles de coca — et était principalement armé de lances, de couteaux et de frondes [13]. Dans un document anonyme, on explique que des milliers de rebelles ont été massacrés « parce que ce sont des nigauds qui ne voient pas qu’avec une fronde vous ne pouvez pas l’emporter sur Juan Fusil [Jean Fusil] » [14]. Le mouvement a également souffert de problèmes de discipline et de communication, ses chefs trouvant de plus en plus difficile de contrôler les actions de soldats.
Micaela Bastidas, épouse de Túpac Amaru, était chargée de la logistique. Après sa victoire de Sangarará, Túpac Amaru décide de consolider ses forces dans le sud avant de s’occuper du centre du pouvoir colonial dans les Andes péruviennes, la ville de Cuzco. Il s’emploie à augmenter ses effectifs et à prévenir des attaques à partir d’Arequipa et Puno. Au début de décembre, il commande la prise de Lampa et Azángaro, villes proches du lac Titicaca, et de Coporaque et Yauri, villes se trouvant dans les régions hautes de Cuzco. Micaela reste à Tungasuca, qui abrite alors le quartier général du mouvement. Elle assure la coordination entre les différents éléments de ce dernier, organise les déplacements de l’approvisionnement et des troupes, et garde l’œil sur son mari, qu’elle presse d’accélérer l’attaque de Cuzco. Le 6 décembre, elle lui écrit que les soldats ne tiennent pas en place et qu’ils ne vont pas tarder à rentrer chez eux. Elle lui demande d’être prudent et lui fait part de son désespoir. « Je suis capable de me livrer à l’ennemi pour qu’il me tue parce que je vois ton manque d’enthousiasme face à une affaire aussi grave, qui expose la vie de chacun, et parce que nous sommes en territoire ennemi et que non seulement nos vies sont en danger mais aussi, par ta faute, celle de mes enfants et de tous les gens qui nous soutiennent. » [15] Elle tenta de prendre Cuzco avant l’arrivée des renforts de Lima. Si Micaela Bastidas occupe une position de cette importance, ce n’est pas seulement du fait de son mariage. Beaucoup d’autres femmes sont à la tête de la rébellion. Tomasa Condemayta, par exemple, cacica d’Acos, organise et conduit des troupes. Le 9 décembre, elle se plaint que, « l’Inca étant loin », le mouvement s’essouffle [16].
Bien que les troupes de Túpac Amaru aient pris la direction du lac Titicaca après avoir pendu Antonio de Arriaga, leur base est demeurée dans la vallée de Vilcanota, au sud-est de Cuzco, où la rébellion avait commencé. L’évêque Moscoso appelait cette dernière « la gorge de l’ensemble du royaume » et le « centre névralgique de la révolution » [17]. Les provinces de Quispicanchis, Chumbivilcas et, surtout, de Canas et Canchis (ou Tinta), où Túpac Amaru « avait le plein soutien de sa province d’origine », jouaient un rôle particulièrement important [18]. Faisant le lien entre Cuzco et le Haut-Pérou, la route royale courait le long de la rivière Vilcanota. Beaucoup de communautés qui soutenaient Túpac Amaru prenaient une part active au commerce transrégional. Comme l’a écrit Flores Galindo, les membres de ces communautés ne correspondent pas au stéréotype de paysans misérables et appauvris [19]. Túpac Amaru lui-même était originaire de cette région, y exploitait son troupeau de mules, et y entretenait de nombreux contacts commerciaux et familiaux. Il avait des liens étroits avec des dizaines de caciques, qui se sont révélés des partisans importants [20]. Pour le recrutement, il possédait trois avantages complémentaires : des parents partout dans la vallée de Vilcanota ; ses liens avec d’autres caciques, dont beaucoup travaillaient avec lui et suivaient son combat pour la défense des droits, et les contacts qu’il avait à travers la région grâce à son activité de marchand et à sa fonction de cacique qui l’obligeait à fournir des travailleurs de la mita aux mines de Potosí. La résistance au mouvement avait pour base la ville de Cuzco et la Vallée sacrée au nord de la ville, où la majorité des caciques s’opposait à Túpac Amaru.
Le commandement du mouvement était socialement hétérogène. Parmi les personnes jugées pour avoir dirigé la rébellion, O’Phelan Godoy a dénombré 19 Espagnols ou créoles, 29 métis, 17 Indiens, quatre noirs ou mulâtres, et trois individus d’origine ethnique non déclarée. Ces gens venaient de plus d’une dizaine de provinces différentes du Pérou, et quelques-uns du Chili, du Río de la Plata et de l’Espagne [21]. Un loyaliste a accusé Túpac Amaru de faire venir des « Indiens, des métis et des créoles, à qui il fait croire qu’il ne leur causera pas de tort ni aucun mal à l’église, et qu’il poursuivra et exterminera seulement les Européens » [22]. Parmi les 70 inculpés les plus éminents, 15 professions ou activités économiques étaient représentées, dont les fermiers, les artisans et les muletiers pour un peu plus de la moitié. Ces chiffres vont dans le sens des nombreux auteurs pour qui la direction du mouvement était formée d’une classe moyenne coloniale, un groupe qui n’était pas pauvre mais qui se trouvait exclu des cercles économiques et politiques dominants [23].
Les Indiens des communautés composaient le plus gros des forces de Túpac Amaru, essentiellement des originarios (autochtones) établis dans le pays plus que des forasteros (étrangers). Ainsi qu’on l’a vu, ils venaient pour la plupart de la vallée de Vilcanota. Les femmes étaient bien représentées aussi bien au sein du commandement que parmi les forces combattantes [24]. Les motivations des rebelles sont plus difficiles à cerner. Leur haine de l’État colonial et de ses représentants ressortait très clairement de leurs actions. Il ne fait aucun doute que les exigences de plus en plus pressantes de l’État ont aidé à l’éclatement du conflit. Cependant, les rebelles ne réagissaient pas simplement à la politique de l’État. Les combats revêtaient souvent un tour personnel, consistant à punir des corregidors et des caciques qui abusaient de leur pouvoir, ou à incendier des usines de textile, et s’inscrivaient dans des conflits locaux souvent vieux de plusieurs années. Comme c’est généralement le cas des mouvements paysans, la ferveur des rebelles a faibli à mesure qu’ils s’éloignaient de leurs communautés et du lieu des injustices subies. Toutefois, Túpac Amaru a réussi à mettre sur pied des unités qui parcouraient la région de Cuzco dans tous les sens. Bien que leur motivation ait indéniablement résidé en partie dans la constitution de butins de guerre, ils n’étaient pas de simples criminels comme l’État espagnol l’a prétendu.
Le cas du malheureux Esteban Castro montre que le mécontentement à l’égard de la politique coloniale, l’appel de Túpac Amaru lui-même et les circonstances ont poussé certains dans le conflit. Les changements structurels et les conflits locaux ne sont pas les seuls facteurs à prendre en considération pour expliquer les actions des rebelles. Un des émissaires de Túpac Amaru, ayant rencontré par hasard en novembre un muletier du nom de Castro, a demandé à ce dernier de patrouiller dans les collines de la province de Quispicanchis. Quelques jours plus tard, las de faire la sentinelle, Castro a décidé de se joindre aux partisans de Túpac Amaru venus de différentes villes de la vallée de Vilcanota. Mais il a abandonné la partie après plusieurs jours parce que sa mule était fatiguée, et il est retourné chez lui à Surimana, où il a été ultérieurement capturé. Quand on lui a demandé pourquoi il s’était joint aux rebelles, « au mépris de la légalité de notre roi catholique », il a répondu : « Parce qu’un décret est paru qui disait qu’il n’y aurait plus de corregidores, de repartimientos, de douanes ni d’alcabala, et qu’à lui seul [Túpac Amaru], comme un petit roi, on devrait obéissance. » Castro a alors invoqué le fait qu’il avait quitté le mouvement en décembre 1780. Tout en niant avoir soutenu Túpac Amaru, il a expliqué que, lorsqu’il faisait la sentinelle, « il avait eu envie de capturer tous les Espagnols qui passaient sur cette route et de les envoyer à l’usine de textile de Pomacanche ». Si, pour sauver sa vie, Castro a minimisé le rôle qu’il avait joué dans la rébellion, il n’a toutefois pas réussi à occulter sa haine à l’encontre des Espagnols et des usines. Il a fini pendu [25].
Après la bataille de Sangarará, la panique s’est emparée de la ville de Cuzco. Les autorités ont sorti les deux images religieuses les plus vénérées de Cuzco, le Señor de los Temblores (Notre Seigneur des tremblements de terre) et Mamacha Belén (Notre Dame de Bethléem), pour des processions destinées à chasser les rebelles et, plus concrètement, à décourager les classes populaires de soutenir les insurgés. Dans une lettre datée du 17 novembre, l’évêque Moscoso faisait part de son mépris et d’une méfiance doublée d’inquiétude à l’encontre du petit peuple, sentiments qui ont perduré dans la région durant des décennies [26]. Il écrit que bien que « Les Indiens ne doivent pas être blâmés pour leur bêtise et leurs mauvaises manières, j’ai placardé des décrets contre les rebelles sur la porte de toutes les églises de cette ville ». Il ajoutait : « Nous avons rapidement besoin de toute cette aide pour protéger cette ville, car le royaume en dépend. Cuzco manque d’armes et de gens pour s’en servir vu que nous n’avons ici en grand nombre que des Indiens, des cholos et des métis qui, bien disposés envers les vols commis par les rebelles, nous abandonneront et changeront de camp. » [27] Le 1er décembre, le corregidor de Cuzco estime qu’il pourra compter sur uniquement 1 200 ou 1 300 hommes pour défendre la ville, alors que Túpac Amaru en a plus de 40 000 ainsi que des réservistes issus des provinces dans le sud. Il doute que l’on puisse soutenir une attaque [28]. Les habitants de Cuzco ne sont pas les seuls à avoir peur. Ainsi, un fonctionnaire d’Abancay, province située à l’ouest de Cuzco, évoque la « terreur panique » des populations des villes proches. D’autres représentants de l’autorité décrivent sur un ton inquiet les foules qui se joignent aux rebelles, l’intimidation des royalistes et l’avancée rapide de José Gabriel et de ses troupes. Ils craignaient pour leurs vies [29].
Quand les rebelles entraient dans une ville, ils jetaient souvent les fonctionnaires royalistes en prison, y compris les caciques, et installaient des gibets qui inspiraient la terreur. Lorsque, par exemple, Túpac Amaru et 6 000 Indiens ont atteint Velille dans la province de Chumbivilcas le 27 novembre, ils ont mis à sac la maison du corregidor et distribué ses biens, nommé une nouvelle administration, ouvert la prison et détruit le rouleau employé pour les supplices [30]. Vers la fin de l’année, lorsque les eaux ont commencé de monter avec l’arrivée de la saison des pluies, les rebelles ont pris le contrôle d’un grand nombre de ponts. Ils surveillaient également les routes et les pistes, ce qui leur donnait l’avantage en matière de communications et de renseignement [31]. Dans les derniers jours de 1780 cependant, l’offensive de Túpac Amaru, qui semblait inexorable, s’est légèrement essoufflée. Les forces royalistes se sont finalement montrées capables de résister aux rebelles, et l’intense propagande menée contre José Gabriel et ses « hordes » a commencé à produire son effet. De plus, les renforts n’ont pas tardé à arriver. Les 20 et 21 décembre, les rebelles ont été battus aux abords d’Ocongate dans la province de Quispicanchis. Les forces gouvernementales, inférieures en nombre, ont utilisé leur puissance de feu pour diviser les insurgés et tuer des centaines d’entre eux. L’évêque Moscoso, à qui l’on doit le meilleur récit de cette bataille, a reproché aux rebelles leur violence gratuite et d’avoir assassiné tous les « Espagnols » qu’ils rencontraient sur leur chemin, sans différence d’âge ni de sexe. Les soldats du corregidor ont ensuite défilé dans les rues de Cuzco avec des lances sur lesquelles étaient fichées les têtes de plusieurs rebelles. Moscoso a salué cette action, la jugeant « très opportune pour avertir les plébéiens, et pour corriger en partie leur mauvaise attitude » [32].
Des lettres et des rapports favorables aux autorités, dont bon nombre étaient largement diffusés, décrivaient les Indiens comme de lâches voleurs qui se joignaient temporairement au mouvement pour se livrer au pillage, ce à quoi Moscoso ajoutait que les troupes rebelles étaient indisciplinées. Cette interprétation visait à apaiser la panique provoquée par des rumeurs selon lesquelles entre 50 et 100 000 rebelles contrôlaient les provinces du sud de Cuzco et s’occuperaient bientôt de la ville elle-même. Faire des rebelles de violents criminels et non des éléments subversifs justifiait en outre une répression de grande ampleur à leur encontre et dissuadait les non-Indiens de les soutenir. Mais Moscoso notait aussi qu’en évitant l’affrontement direct avec les troupes royalistes et en battant rapidement en retraite, « comme des mouches chassées d’un plat de desserts », les rebelles étaient difficiles à vaincre. Il a fait de leur tactique de guérilla une description empreinte de frustration et d’un sens profond de l’art militaire [33].
Le 17 décembre, Túpac Amaru revient de son incursion dans la zone du lac Titicaca. Deux jours plus tard, apprenant que des troupes royalistes auxiliaires arrivent de Buenos Aires, il finit par entendre l’appel insistant de Micaela Bastida à lancer une attaque sur Cuzco. Il laisse Tungasuca avec 4 000 hommes et recrute des troupes sur le chemin qui le mène à Cuzco. Les rebelles auraient saccagé de nombreuses haciendas. Les contemporains de Túpac Amaru, ainsi que des générations d’universitaires, lui ont fait le reproche d’avoir trop tardé à attaquer Cuzco. Selon eux, s’il avait écouté Micaela, l’issue aurait été différente, mais son idée était d’étendre le territoire qu’il contrôlait et d’éviter une contre-attaque venue du sud avant d’affronter le plus gros des forces espagnoles dans la ville clé qu’était Cuzco [34].
L’annonce de l’approche des rebelles a eu pour effet de pétrifier une grande partie de la population de la ville. Un commentateur a expliqué que l’arrivée des troupes royalistes n’a fait que confirmer les rumeurs entourant la puissance des forces adverses. Les autorités ont essayé de contrôler et limiter les informations qui circulaient à l’intérieur de Cuzco à propos des forces de Túpac Amaru [35]. Les forces royalistes n’étaient pas sans préparation. En décembre, Moscoso a réussi à lever des sommes importantes pour la défense de Cuzco. Les renforts arrivés d’Abancay et, surtout, une expédition bien armée venue de Lima, ont atteint Cuzco le 1er janvier [36]. De nombreux habitants ont demandé un règlement négocié du conflit, inquiets du sort des couches populaires dans le cas où la ville serait attaquée. Mais l’arrivée des renforts a fait pencher la balance en faveur des tenants de la ligne dure qui rejetaient l’idée de négociations.
Túpac Amaru entame le siège of Cuzco le 28 décembre. Il envisage initialement un mouvement d’encerclement mais il doit déchanter lorsque les colonnes commandées par Diego Cristóbal Túpac Amaru et Andrés Castelo sont stoppées avant d’atteindre la ville [37]. Il installe ses troupes sur une hauteur à l’ouest de la ville et envoie auprès du conseil municipal des négociateurs porteurs d’une lettre appelant à la reddition immédiate. Le document fait référence à son ascendance inca et aux actions qu’il a menées contre les corregidors. Il explique qu’il a l’intention de supprimer la charge de corregidor, de mettre fin au reparto, de nommer dans chaque province un maire indien et de créer une real audiencia [audience royale] à Cuzco [38]. Le conseil municipal et l’évêque Moscoso renverront ses envoyés.
Après plus d’une semaine de négociations infructueuses et d’accrochages, la vraie bataille de Cuzco a commencé le 8 janvier. Les forces rebelles ont cherché à assiéger la ville et à prendre le contrôle de l’entrée nord reliant Cuzco aux vallées céréalières de l’ouest et à Lima. Les troupes des milices, notamment le bataillon des marchands, sont montées à l’assaut des collines pentues entourant la ville pour faire front aux insurgés, et plusieurs compagnies ont arrêté les quelques charges lancées par les rebelles sur la ville. Des milliers d’Indiens loyaux de Paruro sont venus soutenir les forces royalistes. Les canons et l’artillerie utilisés par les rebelles manquaient fréquemment leur cible à cause de la perfidie, selon divers observateurs, de l’un des quelques Espagnols qui combattaient pour les rebelles, Juan Antonio de Figueroa. Le 10 janvier, les rebelles, au nombre de 30 000 selon un témoignage, ont battu en retraite. Les deux côtés ont essuyé des pertes légères. De nombreuses hypothèses ont été échafaudées au sujet de ce retournement de situation. Les royalistes avaient placé des milliers d’Indiens en première ligne, et Túpac Amaru a peut-être voulu éviter un bain de sang. Il souhaitait apparemment prendre la ville sans violence, et y entrer en triomphateur, ce qui était impossible à ce moment-là [39]. En outre, ses troupes manquaient dangereusement de nourriture, ce qui conduisait beaucoup de ses hommes à s’éclipser le soir venu [40]. Bien que la rébellion était loin d’être terminée, ce sont désormais les Espagnols qui menaient l’attaque.
La contre-attaque
Après le siège avorté de Cuzco, Diego Cristóbal Túpac Amaru lance une offensive dans le nord et l’est de Cuzco, vers Calca, Urubamba puis Paucartambo. Le cacique royaliste Mateo Garcia Pumacahua se lance à sa poursuite. José Gabriel retourne à Tungasuca, tandis que certains de ses plus fidèles commandants partent en campagne dans les hautes provinces du sud. À ce stade, des divisions dans les troupes de Túpac Amaru se font jour. À la fin de janvier, Micaela apprend que plusieurs villes de Chumbivilcas se sont retournées contre les rebelles. D’autres commandants lui envoient des prisonniers accusés d’espionner pour le gouvernement [41]. Diego Cristóbal se plaint des excès commis par ses troupes. Des sources officielles ne cachent pas leur joie d’annoncer des désertions en masse, notamment parmi les non-Indiens [42].
Flores Galindo a noté une incompatibilité croissante entre deux forces animant les rebelles : « le projet national de l’aristocratie indienne et le projet de classe (ou ethnique) qui est apparu au cours de la lutte menée par les rebelles ». Les différents usages qu’ils faisaient de la violence ont creusé ce fossé entre les commandants et le gros des troupes. Túpac Amaru et Micaela savaient que les assauts contre les créoles et en particulier contre les prêtres, les femmes et autres « non-combattants » inciteraient les non-Indiens à partir, ce qui rendrait impossible un mouvement multiethnique. Mais ils ont été incapables de garder la main sur les divers groupes qui agissaient sous leur bannière, faiblesse exploitée par le gouvernement [43]. Túpac Amaru, Micaela et les autres commandants étaient à la tête de forces qui exécutaient des autorités espagnoles, assiégeaient des haciendas et des fabriques de textile, et brutalisaient ceux qui essayaient de les arrêter. Des rituels comme l’exécution d’Arriaga mettaient en lumière le pouvoir régalien de Túpac Amaru. L’utilisation de la violence par les rebelles s’accordait avec le fait qu’ils présentaient le soulèvement comme une action contre des pratiques coloniales malveillantes, et leur colère n’avait pour cible que les Espagnols dévoyés. Or les masses indiennes employaient parfois une définition beaucoup plus large de l’ennemi, qui incluait quelquefois tous les non-Indiens. La violence elle-même allait donc au-delà de la simple extermination de l’ennemi.
Pour mieux comprendre la violence de la rébellion, il est nécessaire de revenir sur les affrontements militaires eux-mêmes. Malgré l’importance numérique des troupes de part et d’autre, les actes de guérilla ont été plus fréquents que les batailles à grande échelle. La topographie des Andes, avec leurs montagnes et leurs vallées étroites, aide à expliquer le faible nombre de combattants par affrontement. Les rebelles préféraient les défilés et pistes d’altitude, forts de leur connaissance du terrain et conscients de l’infériorité de leur armement [44]. Dans beaucoup de victoires qu’ils ont remportées, ils se sont emparés d’une ville, d’un domaine ou d’une fabrique sans rencontrer beaucoup d’opposition. Dans d’autres cas, ils ont lancé des attaques par vagues. Les récits d’Espagnols mettent en évidence la persévérance des attaquants rebelles, et les blessures douloureuses provoquées par leur arme principale, la fronde. Ils soulignent également l’importance prise par les femmes, qui ramassaient les pierres destinées à être jetées et qui freinaient la progression des royalistes à l’aide d’os d’animal aiguisés au cours de corps à corps acharnés [45]. Le commandant royaliste Pumacahua, le cacique de Chincheros qui devait se faire remarquer de nouveau en 1815, a aidé à faire tourner la chance aux dépens des rebelles en adoptant la stratégie de guérilla qu’ils avaient utilisé avec succès.
Même pendant la période grisante qui a précédé le siège de Cuzco, il est arrivé aux troupes de Túpac Amaru de lui désobéir lorsqu’il leur demandait d’être moins violentes. En novembre 1780, à la suite de la bataille de Sangarará, les Indiens de Papres, Quispicanchis, ont lapidé à mort le cacique de Rondocan bien qu’il ait soutenu les insurgés. Selon un rapport, ils l’auraient tué parce qu’il n’était pas indien [46]. Dans certaines zones aux mains des rebelles, le fait d’être vêtu à l’espagnole suffisait souvent pour être condamné à mort. Les partisans indiens de la rébellion proféraient des menaces contre tous les puka kunkas (rustres), surnom des Espagnols en langue quechua [47]. À la fin décembre, les troupes rebelles, parvenues à proximité de Cuzco et stoppées par les troupes du brillant Pumacahua, ont été accusées d’avoir commis des atrocités à Calca dans la Vallée sacrée. Aux dires d’un commentateur royaliste, « ils ont tué avec la plus grande cruauté tous les Espagnols, hommes et femmes, qu’ils trouvaient sur leur chemin, assimilant à des Espagnols ou des métis toutes les personnes vêtues d’une chemise ; et, pire encore, ils ont brutalement abusé de toutes les jolies femmes avant de les tuer et, dans un accès d’impiété extrême, ils ont eu des rapports sexuels avec les cadavres d’autres femmes. » [48]
En février, les forces de Túpac Amaru étaient sur la défensive dans la région voisine de Cuzco. L’inspecteur général José del Valle est arrivé à la fin du mois avec 200 soldats très entraînés du bataillon posté à Callao. Del Valle et le Visiteur général Areche ont tenté de calmer la population de Cuzco en abolissant le reparto et les bureaux des douanes et en offrant le pardon aux rebelles qui déposaient les armes immédiatement [49]. En mars, ils étaient à la tête de 15 000 hommes, divisés en six colonnes. La plupart d’entre eux étaient des Indiens [50]. Túpac Amaru faisait dès lors face non seulement à des troupes loyalistes beaucoup plus fortes et à des divisions dans ses propres rangs, mais également à des problèmes logistiques posés par l’approvisionnement en vêtements et en nourriture. Un commandant rebelle se plaignait de voir que ses troupes étaient « nues » [51].
Le 9 mars, del Valle quitte Cuzco, où il laisse un petit contingent pour défendre la ville. À Cotabambas, dans le sud, la cinquième colonne l’emporte sur deux des meilleurs généraux de Túpac Amaru, Tomás Parvina et Felipe Bermúdez. Les deux créoles y perdent la vie. Le plus gros des troupes royalistes avance le long des pentes escarpées qui conduisent vers l’ouest de la vallée de Vilcamayo à la poursuite du chef de la rébellion. Le 21 mars, un traître s’éclipse du camp de Túpac Amaru pour avertir del Valle d’une attaque surprise imminente. Ses troupes changent de camp et repoussent à l’aube un assaut de l’ennemi. Selon del Valle, sans cet avertissement, ses troupes auraient réduites à néant et auraient connu « une autre catastrophe du genre de celle de Sangarará » [52]. Le 23 mars, le plus gros des troupes royalistes s’installe à l’extérieur de Tinta, près de Sangarará. Les jours suivants, les deux adversaires souffrent d’un manque de nourriture et de températures anormalement froides, avec la neige qui s’abat sur les soldats mal approvisionnés. Les troupes royalistes encerclent les rebelles qui campent à Tinta dans l’intention de les affamer. Le 15 avril, les rebelles tentent une percée, mais en vain. Túpac Amaru parvient à s’enfuir, traverse la rivière Combapata et gagne la ville de Langui, où il pense que le colonel Ventura Landaeta pourra le cacher. Mais des soldats alléchés par la prime de 20 000 pesos se lancent à sa poursuite et le capturent le 6 avril. Le 14 avril, des soldats fortement armés conduisent à Cuzco Túpac Amaru, Micaela, d’autres membres de sa famille et de nombreux chefs de la rébellion [53].
La capture de José Gabriel et de son premier cercle n’a pas mis un terme à la rébellion. Diego Cristóbal a pris le commandement de la rébellion en passant sur la rive sud du lac Titicaca et dans la région du Haut-Pérou. Andrés Túpac Amaru, neveu éloigné, a également commandé des forces importantes. Les déclarations de Diego Cristobal se sont révélées plus clairement anticoloniales que celles de José Gabriel. De même, les actions des rebelles se sont radicalisées en s’en prenant à des groupes non indiens largement épargnés pendant la phase Túpac Amaru. Les violences commises par les rebelles et les forces royalistes ont atteint de nouveaux sommets. Dans le Haut-Pérou, Julian Apasa a pris la tête de la rébellion de Katari après que Tomás Katari a été tué en janvier 1781. Bien que Kataristes et Tupamaristes aient conjugué leurs forces pour assiéger la ville de La Paz en juillet puis de nouveau en août 1781, les tensions existant entre eux ont empêché leur unification. Toutefois, l’insurrection s’est poursuivie en 1783 dans le Haut-Pérou et la région du lac Titicaca. Dans le secteur de Cuzco, en revanche, la capture et l’exécution des meneurs ont signifié la fin du soulèvement.
Importance du mouvement de Túpac Amaru
Ce texte a essayé de montrer que la rébellion a été un mouvement protonational visant à renverser le colonialisme des Bourbons. Si des divergences sont apparues entre la direction du mouvement et les masses, surtout visibles dans les différents usages qui ont été faits de la violence, les uns et les autres concordaient sur la nécessité d’attaquer ou d’expulser les autorités locales et régionales ainsi que les bénéficiaires du système, comme les grands propriétaires et les patrons des fabriques de textile, et d’abolir les principaux impôts coloniaux, notamment le reparto et la taxe sur les ventes. Leurs disparités ne doivent pas être exagérées. Túpac Amaru II a entamé son mouvement en exécutant en public un corregidor très connu (et détesté). Presque immédiatement après, les rebelles se sont lancés à l’attaque. Les meneurs n’ont pas voulu négocier une amélioration des relations avec l’État ; ils ont cherché à le renverser. Il ne faudrait pas négliger l’invocation du roi d’Espagne par José Gabriel et le projet qu’il avait de se déclarer nouvel empereur en les réduisant à une attitude rétrograde ou conservatrice. Mettre en doute la nature politique du mouvement simplement parce qu’il ne s’inscrivait pas dans une démarche républicaine constituerait un anachronisme. À cette époque, presque dix ans avant la Révolution française, le républicanisme faisait à peine son apparition dans le discours politique aux États-Unis [54]. Au Pérou, il n’a existé que dans les années 1820, après des décennies de lutte et d’un intense débat entre les forces qui combattaient les Espagnols, dont beaucoup étaient favorables à une forme de système monarchique pour succéder aux Bourbons. Pour compliquer la situation, les intellectuels créoles fermaient les yeux sur le « problème indien ». José Gabriel n’a pu trouver à Lima de courants intellectuels et politiques compatibles avec ses idées, ni de soutiens pour un mouvement anticolonial fondamentalement indien. Il n’y avait pas de projet postcolonial clairement défini en ce temps-là, de sorte que José Gabriel a cherché à en construire un.
Il ne faudrait pas non plus présenter la majorité des combattants comme des nostalgiques de pratiques andines ancestrales ou des adeptes d’une violence « irrationnelle ». Leur combat s’expliquait par leur aversion tenace d’un colonialisme espagnol personnifié par le corregidor et d’autres autorités souvent attaquées par les rebelles. La désillusion des insurgés s’était amplifiée durant les années antérieures à la rébellion parce que l’État en demandait toujours plus en dépit de la stagnation économique qui régnait à Cuzco. Pour bien comprendre le comportement des rebelles, il convient d’examiner conflits et pratiques politiques locales [55] : les insurgés n’étaient pas des disciples bornés d’un leader charismatique. Néanmoins, bien que pas toujours d’accord, les meneurs du mouvement et les forces rebelles partageaient un même objectif : renverser le colonialisme espagnol.
Si chacune des trois interprétations du soulèvement exposées au début de ce texte en facilite la compréhension, il est en fait nécessaire de les combiner. L’analyse de la rébellion comme événement précurseur en fait, à juste titre, une réaction anticoloniale. Mais il faut noter que le Pérou comme l’Espagne ont changé radicalement entre 1780 et la période de l’indépendance, 1810-1825. En outre, il faut aussi tenir compte de la relation entre le soulèvement de Túpac Amaru et la longue campagne pour l’indépendance. Comme on peut le voir dans la suite du livre [dont ce texte est issu], la Grande Rébellion (le soulèvement de Túpac Amaru) a aggravé les tensions raciales au Pérou, rendant un mouvement multiethnique plus difficile. L’interprétation axée sur l’identité inca en fait, à raison, le symbole le plus important de la rébellion. Mais ce symbolisme doit être vu comme une « tradition inventée » et non comme une réminiscence primordiale. Les habitants de Cuzco se rappelaient et commémoraient les Incas de différentes façons et la référence aux Incas ne contredisait ni n’interdisait forcément un projet plus moderne, « national ». Enfin, il est juste de dire que la formule « Longue vie au roi » inscrit la rébellion de Túpac Amaru dans une tradition de droits négociés. Dans les années 1770, toutefois, alors que le Visiteur Areche mettait en pratique le régime de plus en plus draconien des Bourbons, cette stratégie avait atteint ses limites. En dépit du discours modéré et relativement confus qu’il tenait, Túpac Amaru n’a pas négocié avec l’État mais a tenté de le renverser. La rébellion de Túpac Amaru doit être comprise à la lumière de la culture politique du XVIIIe siècle : l’aggravation des tensions dont témoignait la multiplication des révoltes, les diverses invocations aux Incas et l’émergence de nouveaux courants idéologiques et politiques. Ce fut un mouvement protonational qui affronta les contradictions du colonialisme dans les Andes et fut miné par elles.
En quoi cette analyse aide-t-elle à comprendre ce nationalisme ? Tout d’abord, elle met en évidence la nécessité d’examiner la question sous plusieurs angles et de considérer les multiples nationalismes qui se recouvraient, se recoupaient et, parfois même, se combinaient. Dans l’Amérique hispanique, les bourgeois créoles n’étaient pas les seuls à pouvoir imaginer une alternative au colonialisme espagnol et à revendiquer leurs droits sous couvert de nationalisme [56]. Le mouvement de Túpac Amaru a donné naissance à un projet enraciné dans la culture andine et indienne qui n’a pas disparu avec la défaite de la rébellion. Des mouvements similaires ont surgi au cours des décennies suivantes, et les difficultés que le Pérou a rencontrées pour se doter d’une nation et d’un État ne peuvent être comprises sans examiner les rapports entre cette rébellion et celles des indépendantistes créoles finalement victorieux. L’application du concept de nationalisme (ou de protonationalisme) à la situation ne signifie pas que le mouvement de Túpac Amaru a été le signe avant-coureur de l’indépendance car il s’est produit à une époque différente, il a employé des moyens et une rhétorique différents et il poursuivait vraisemblablement des buts différents. Cependant, le mouvement de Túpac Amaru possédait une vision d’une société postcoloniale et a cherché à la faire advenir par le biais d’une révolution sociale. L’analyse de ce mouvement n’offre pas simplement une histoire sociale des perdants, condamnés e dernier ressort aux oubliettes de l’histoire. Le mouvement a radicalement transformé les relations sociales et même le cours de l’histoire du Pérou dans les décennies, voire les siècles qui ont suivi.
Pour quelle raison les rebelles ont-ils été vaincus ? Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour répondre à cette question. Du point de vue strictement militaire, la supériorité de l’armement espagnol et l’hésitation de José Gabriel à attaquer Cuzco ont été déterminantes. Cependant, Flores Galindo s’est intéressé de près à des facteurs plus importants, notamment les divisions au sein de la société coloniale qui, si elles ont d’une certaine façon déclenché le soulèvement, en ont également provoqué la mort au bout du compte. La rébellion de Túpac Amaru n’a pu s’appuyer sur une majorité des caciques ni des Indiens de la région. L’opposition des caciques s’expliquait, entre autres, par leur antipathie à l’égard de Túpac Amaru et de sa famille élargie, la crainte de perdre leur statut privilégié dans la société coloniale, et les avantages et menaces que représentaient l’armée et l’État coloniaux. Il était extrêmement risqué de soutenir la rébellion, comme ont pu le constater de nombreuses autorités au cours des mois et des années qui ont suivi. Des facteurs comparables expliquent la réticence de la plupart des Indiens à soutenir la rébellion. Beaucoup ont été empêchés de se joindre aux rebelles par leur cacique ou le contremaître du domaine où ils travaillaient, et d’autres désapprouvaient simplement la rébellion ou avaient peur de se battre. Les Indiens ne constituaient pas un groupe homogène, loin de là : des conflits régionaux, ethniques et de classe les divisaient.
Malgré tous ses efforts, Túpac Amaru n’a jamais réussi à recruter en masse créoles, noirs et métis. Avec leurs réformes, les Bourbons s’étaient mis à dos un large éventail de la société, des plus opprimés aux plus fortunés. Les chefs rebelles reconnaissaient et partageaient la frustration de créoles et de métis marginalisés par le favoritisme envers les Espagnols ou écrasés par les réformes économiques. Pourtant, la rébellion n’est jamais devenue un mouvement multiethnique et anticolonial. On peut trouver beaucoup de causes à cet échec, mais les divisions favorisées par le colonialisme ont joué en soi un rôle important. Les membres des « classes moyennes », comme les marchands de province, bien que révoltés par les réformes des Bourbons, redoutaient un soulèvement de masse. Leur préoccupation était plus liée à la peur de perdre le statut social favorable qui était le leur qu’à celle d’une guerre de castes. Comme cela allait devenir évident lors de la longue Guerre d’indépendance, de vastes secteurs des groupes intermédiaires au rôle si important dans les luttes anticoloniales se sont trompés. Dans la société coloniale de la période avant l’indépendance, les divisions liées à la classe, à la race et à la géographie se sont conjuguées pour former ce que Flores Galindo appelle le « nœud colonial » [57]. Ainsi, bien que les Indiens n’aient jamais combattu à l’unisson, une telle éventualité effrayait les non-Indiens. Pendant le soulèvement, les tensions raciales ont affaibli la solidarité de classe, et les intérêts de classe ont détruit l’unité raciale. Dans sa propagande dirigée contre la rébellion, l’État espagnol claironnait ces divisions.
Les Espagnols savaient qu’ils avaient eu de la chance de capturer José Gabriel. Manuel Godoy, premier ministre et confident de Charles IV, a écrit dans ses mémoires que « personne n’ignore que nous avons été tout près de perdre le vice-royaume du Pérou en entier et une partie du Río de la Plata en 1781 et 1782 » [58]. Areche avait promis d’employer pour la condamnation et la punition des inculpés « toutes les formes de terreur nécessaires pour inspirer de la crainte et mettre en garde les gens » [59]. José Gabriel, Micaela, leur fils aîné Hipólito, l’oncle de José Gabriel et cinq associés ont été tirés par des chevaux jusqu’aux potences dressées sur la grande place de Cuzco. Le spectacle a commencé par cinq pendaisons. Ensuite, l’oncle et le fils de José Gabriel ont eu la langue tranchée avant de passer à la potence. Tomasa Condemayta est morte étouffée par l’infâme garrot, puis Micaela a eu la langue coupée. Le garrot n’ayant pas fonctionné à cause de la minceur de son cou, les bourreaux l’ont étranglée à l’aide d’une corde. Après avoir assisté à la mort des membres de sa famille et du cercle rapproché de son mouvement, Túpac Amaru a été emmené au centre de la place. Les bourreaux lui ont tranché la langue puis l’ont attaché à quatre chevaux pour l’écarteler. Devant l’impossibilité de séparer ses membres de son buste, Areche a ordonné sa décapitation. Sa tête a été exhibée à Tinta, son corps à Picchu — champ de bataille du siège de Cuzco —, où il a été brûlé, ses bras ont été exposés à Tungasuca et Carabaya, et ses jambes à Livitaca et Santa Rosa [60].
La répression ne s’est pas achevée lors des châtiments corporels infligés aux rebelles. L’État a lancé une campagne d’éradication de tous les éléments culturels du nationalisme néo-inca qui avaient fait leur apparition au XVIIIe siècle. Avant la capture de José Gabriel, l’évêque Moscoso avait adressé une série de recommandations au Visiteur Areche en avril, dont la plupart ont été appliquées. Il réclamait la destruction de toutes les représentations des Incas et l’interdiction des vêtements associés à leur culture, ainsi que de certaines danses, de l’utilisation du nom ou du titre « Inca », des écrits qui remettaient en question les droits légitimes de la monarchie espagnole aux Amériques (interdiction assortie d’une sévère punition pour les lecteurs de documents subversifs) et du droit coutumier. Par ailleurs, Moscoso a censuré à l’envi l’œuvre de Garcilaso de la Vega [61]. Ces mesures, parmi d’autres comme la restriction de l’emploi du quechua, sont entrées en vigueur dans les années qui ont suivi.
L’exécution brutale des chefs de la rébellion, la répression généralisée de la culture andine et le mépris des Indiens ouvertement affiché par de grands idéologues dans les années postérieures au soulèvement de Túpac Amaru laissaient présager des temps extrêmement pénibles pour la paysannerie andine. Dans le sud des Andes, cette dernière — dont la rébellion avait été matée après qu’elle eut infligé de graves pertes et même une humiliation à l’État colonial — allait faire face à la haine sans retenue et à la soif de vengeance de l’État et de secteurs de l’élite. Malgré tout, dans les décennies qui ont suivi la rébellion de Túpac Amaru, c’est-à-dire les 40 dernières années du régime colonial, les Espagnols n’ont pas été capables d’empêcher de nouveaux soulèvements, de mettre un terme à l’autonomie politique des Indiens, ni même d’augmenter les impôts et d’autres prélèvements autant qu’ils l’auraient souhaité. Après la défaite des rébellions de Túpac Amaru et Túpac Katari, la reconquête des Andes n’a pas eu lieu. Par ailleurs, la volonté de bâtir un mouvement anticolonial enraciné dans les Andes est restée vivace. […] [62]
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3271.
– Traduction de Gilles Renaud pour Dial. Traduction autorisée par l’auteur.
– Source (anglais) : Charles Walker, Smoldering Ashes : Cuzco and the Creation of Republican Peru, 1780-1840, Durham, NC, Duke University Press, « Latin America Otherwise : Languages, Empires, Nations », 1999, chapitre 2 - « The Tupac Amaru Rebellion : Protonationalism and Inca Revivalism », p. 16-18, 22-54.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Le passage coupé (de la page 18 à la page 22) est intitulé « Précurseur, Inca ou traditionaliste ? Túpac Amaru et les historiens » et traite des différentes interprétations historiographiques de la rébellion.
[2] Lewin prétend que Túpac Amaru s’est adressé en ces termes aux Indiens, tandis qu’il s’est présenté aux Européens comme un Inca d’ascendance royale (La rebelión, p.414-15. Leon G. Campbell fait remarquer l’imprécision des déclarations de cette première période. « Ideology and Factionalism during the Great Rebellion, 1780-1782 », in Stern [dir.], Resistance, p. 122-25.
[3] Luis Durand Flórez, « La formulación nacional de (en) los bandos de Túpac Amaru », in Durand Flórez [dir.], La revolución, p. 29-49 ; Flores Galindo, Buscando, p. 138-41. Durand Flórez a relevé une diminution du nombre de fois où le roi d’Espagne est cité dans les édits de Túpac Amaru en novembre et décembre.
[4] Florencia Mallon, Peas-ant and Nation : The Making of Postcolonial Mexico and Peru (Berkeley and Los Angeles : University of California Press, 1995) ; Gyan Prakash, « Introduction » à Gyan Prakash [dir.], After Colo¬nialism : Imperial Histories and Postcolonial Displacements (Princeton : Princeton University Press, 1995) ; William Roseberry, « Hegemony and the Language of Contention », in Gilbert M. Joseph et Daniel Nugent [dir.], Everyday Forms of State Formation : Revolution and the Negotiation of Rule in Modern Mexico (Durham, N.C. : Duke University Press, 1994), p. 355-66.
[5] Cité par Durand Flórez, « La formulación », p. 35.
[6] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 272.
[7] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 432. Selon Lewin, le sentiment anti-européen « était une simplification accessible aux masses du problème sociopolitique le plus important de la colonie : celui posé par le chapetón, le calomniateur des Indiens et le détenteur exclusif du pouvoir et de l’économie ». Lewin, La rebelión, p. 404.
[8] Voir Szeminski, Utopia, et « Why Kill the Spaniard ? New Perspectives on Andean Insurrectionary Ideology in the 18th Century », in Stern [dir.], Resistance, p. 166-92.
[9] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 442.
[10] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 458. L’auteur déplore en outre le comportement puéril de la population non indienne.
[11] Sur l’importance des muletiers, voir Mörner, Perfil, p. 119-22 ; Vega, José Gabriel ; Flores Galindo, Buscando, p. 111-12. Sur la façon dont la nouvelle des soulèvements s’est répandue à travers le continent, voir O’Phelan Godoy, « Rebe¬liones andinas anticoloniales : Nueva Granada, Perú y Charcas entre el siglo XVIII y XIX » Anuario de Estudios Americanos 49 (1993), p. 438.
[12] Parmi les études sur le rôle des chicherías, lire notamment celle de Jorge Hidalgo Lehuede, « Amarus y cataris : Aspectos mesiánicos de la rebelión indígena de 1781 en Cuzco, Chayanta, La Paz y Arica », Chungará 10 (1983), p. 117-38, et Scarlett O’Phelan Godoy, « Coca, licor y textiles : El calendario rituálico de la gran rebelión », in O’Phelan Godoy, La gran rebelión en los Andes : De Túpac Amaru a Túpac Catari (Cuzco : Centro Bartolomé de Las Casas, 1995), p. 139-85.
[13] Flores Galindo, Buscando, p. 115-17.
[14] Túpac Amaru y la iglesia, p. 204-5, document du 19 mai 1781.
[15] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 329-30. Dans une autre lettre, elle lançait l’avertissement suivant : « À force de traîner les pieds, nous allons nous embourber » (p. 331).
[16] Elle sera exécutée en même temps que José Gabriel et Micaela : Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 341. Au sujet d’Ana Tomasa Condemayta Hurtado de Mendoza, voir Juan José Vega, Túpac Amaru y sus compañeros, vol. 2, p. 409-12. Son procès est relaté dans Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, III, p. 487-517.
[17] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 363 et 371.
[18] 80 pour cent des accusés étaient originaires de la province de Canas et Canchis : O’Phelan Godoy, Un siglo, p. 228.
[19] Flores Galindo, Buscando, p. 112-13. Lire aussi Magnus Mörner et Efrain Trelles, « A Test of Causal Interpretations of the Túpac Amaru Rebellion », in Stern [dir.], Resistance, p. 94-109.
[20] Mörner et Trelles, « A Test », p. 102, reprennent l’analyse d’O’Phelan Godoy, « La rebelión de Túpac Amaru, organización interna, dirigencia y alianzas », Histórica 3, n° 2 (1979), p. 89-121, ainsi que celle de Leon G. Campbell, « Recent Research on Andean Peasant Revolts, 1750-1820 », Latin American Research Review 14, n°1 (1979), p. 3-49.
[21] O’Phelan Godoy, Un siglo, p. 268. Voir également Leon G. Campbell, « Social Structure of the Túpac Amaru Army in Cuzco, 1780-81 », Hispanic American Historical Review 61, n° 4 (1981), p. 675-93.
[22] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 460 ; Lewin, La rebelión, p. 404, pour les activités contre les Espagnols.
[23] O’Phelan Godoy, Un siglo, p. 277. Lire aussi Jan Szeminski, « La insurrección de Túpac Amaru II : ¿Guerra de independencia o revolución ? » in Flores Galindo [dir.], Túpac Amaru II, p. 201-28.
[24] Mörner et Trelles, « A Test » ; Flores Galindo, Buscando, p. 108-14 ; Leon G. Campbell, « Women and the Great Rebellion in Peru, 1780-1783 », The Americas 42, n° 2 (1985), p. 163-96.
[25] Archivo Departamental del Cuzco, Corregimiento, Causas Comunes, Legajo 61, 1780.
[26] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 279.
[27] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 282-83. Concernant la fragilité de la défense de Cuzco à ce moment-là, voir Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 440 et 484. On se rappellera que Moscoso était accusé de soutenir les rebelles, d’où le ton particulièrement véhément que l’on trouve dans les lettres adressées à ses supérieurs. Son mépris des Indiens, toutefois, sonne juste compte tenu de l’époque.
[28] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 484 ; au sujet de la panique qui a saisi Cuzco, voir Leon G. Campbell, The Military and Society in Colonial Peru, 1750-1810 (Philadelphie : American Philosophical Society, 1978), p. 107-12.
[29] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 470-89 ; Abancay, p. 486.
[30] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, III, p. 78-79.
[31] L’évêque Moscoso déplorait que « pour cette raison, nous nous trouvons dans le plus grand chaos parce qu’il est difficile de prévoir quoi que ce soit sans connaître la situation de l’ennemi ». Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 363.
[32] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 372.
[33] Moscoso a justifié la « victoire incomplète » d’Ocongate par la rapidité de la retraite des rebelles : « généralement, lorsque les rebelles se retrouvent sans chef, comme ce fut le cas lors de ces escarmouches, ils ne restent pas unis. Ils se ruent à l’attaque et, au premier homme tombé, ils s’enfuient dans les collines ». Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 373.
[34] Campbell, The Military, p. 117-20, et Campbell, « Ideology », p. 127 ; Lewin, La rebelión, p. 453-54. Je remercie John Rowe de ses explications sur les aspects militaires du soulèvement.
[35] Entre autres mesures, les rassemblements d’Indiens étaient interdits. Luis Antonio Eguiguren, Guerra separatista : Rebeliones de Indios en Sur América, la sublevación de Túpac Amaru. Crónica de Melchor de Paz, 2 vol. (Lima : n.p., 1952), vol. 1, p. 252.
[36] Campbell, « Ideology », p. 115-16.
[37] Campbell, « Ideology », p. 128.
[38] Lewin, La rebelión, p. 456-57.
[39] « Ils se sont retirés de la ville de Cuzco parce que les Indiens avaient été placés aux premières lignes ennemies, et les rebelles ne voulaient pas leur causer du tort, et parce que les métis qui s’occupaient des mousquets avaient pris peur ». Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 468 ; Lewin, La rebelión, p. 461. On trouvera un résumé documenté de la bataille chez Seraylán Leiva, Campañas militares, p. 621-26.
[40] Sur la faim parmi les troupes comme dans la ville, voir Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 432-33. Beaucoup s’inquiétait d’une mauvaise récolte cette année-là due en grande partie aux destructions et aux perturbations du travail agricole occasionnées par la rébellion.
[41] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 464 et 465.
[42] Campbell, « Ideology », p. 126.
[43] Flores Galindo, Buscando, p. 123.
[44] Iván Hinojosa, « El nudo colonial : La violencia en el movimiento tupamarista », Pasado y Presente 2-3 (Lima) (1989), p. 73-82.
[45] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 413-16.
[46] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 433-34.
[47] Szeminski, « Why Kill », p. 171.
[48] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 426 et 434.
[49] Lewin, La rebelión, p. 458-60.
[50] Campbell, The Military, p. 128-33.
[51] Colección Documental de la Independencia Peruana, II, 2, p. 466.
[52] Comisión Nacional del Bicentenario de la Rebelión Emancipadora de Túpac Amaru, I, p. 537-39. La citation est tirée de Lewin, La rebelión, p. 469.
[53] Sur la capture, lire L. E. Fisher, The Last Inca Revolt, 1780-1783 (Norman : University of Oklahoma Press, 1966), p. 212-41 ; Lewin, La rebelión, p. 468-72.
[54] Richard L. Bushman, King and People in Provincial Massachusetts (Chapel Hill, NC. : Institute of Early American History and Culture, et University of North Carolina Press, 1985) ; Joyce Appleby, Capitalism and a New Social Order : The Republican Vision of the 1790s (New York : New York University Press, 1984).
[55] Nous utilisons ici la règle, courante en latin mais peu usitée en français contemporaine, de l’accord de proximité — note DIAL.
[56] Pour des nationalismes alternatifs, voir Florencia Mallon, Peasant ; Peter Guardino, Peasants, Politics and the Formation of Mexico’s National State : Guerrero, 1800-1857 (Stanford, CA. : Stanford University Press, 1996) et Nelson Manrique, Campesinado y nación : Las guerril¬las indígenas en la guerra con Chile (Lima : C.I.C.- Ital Perú, S.A., 1981) — qui commencent tous avec le mot paysan.
[57] Cité par Hinojosa, « El nudo », p. 79.
[58] Cité par Lewin, La rebelión, p. 413.
[59] Cité par Leon G. Campbell, « Crime and Punishment in the Túpac Amaru Rebellion in Peru », Criminal Justice History 5 (1984), p. 58.
[60] Un document fait état du projet consistant à lui faire porter une couronne avec des pointes acérées qui lui perceraient la peau et de « trois piques de fer brûlantes qui lui transperceront le crâne et lui ressortiront par les yeux et la bouche ». Túpac Amaru y la iglesia, p. 204, document du 3 mai 1781.
[61] Túpac Amaru y la iglesia, p. 270-78.
[62] La phrase d’introduction du chapitre suivant de l’ouvrage a été omise — note DIAL.