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DIAL 3558
NICARAGUA - « Après la résolution de l’OEA, il nous revient de faire pression tous les jours sur Ortega », première partie
Edgard Parrales
jeudi 17 décembre 2020, mis en ligne par
Ce texte, que nous publierons en deux fois, a paru dans le numéro 464 de la revue nicaraguayenne Envío (novembre 2020). Dans cette première partie, Edgard Parrales évoque son mandat d’ambassadeur du Nicaragua à l’Organisation des États américains (OEA) entre 1982 et 1986. Dans la seconde partie, qui sera publiée dans le numéro de janvier 2021, il revient sur la résolution adoptée le 21 octobre par l’OEA.
Edgard Parrales, représentant permanent du Nicaragua devant l’OEA durant quatre ans et demi (1982-1986), années de sanglante guerre civile dans notre pays, partage ses réflexions sur l’organisme régional et sur la résolution de l’OEA du 21 octobre, qui demande au gouvernement du Nicaragua de retrouver le chemin démocratique, dans une conversation avec Envío que nous transcrivons.
En 1979 j’étais prêtre et membre de ce qui s’est appelé le Groupe des douze, un groupe d’intellectuels, religieux, professionnels et entrepreneurs qui appuyions publiquement le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) à partir de différents espaces. Quand est arrivée la phase finale de la guerre insurrectionnelle et qu’une bonne partie du Nicaragua était déjà aux mains de la guerrilla, Fernando Cardenal et moi, les seuls du groupe qui étions à Managua, nous dûmes nous cacher. Les autres étaient au Costa Rica ou hors d’atteinte de la garde somoziste. Je suis resté quarante jours dans la main d’un ami. J’étais encore enfermé quand le 23 juin 1979, les ministres des affaires étrangères des pays américains, rassemblés lors de la 17e Réunion de consultation de l’OEA, condamnèrent le régime somoziste et demandèrent le remplacement immédiat de Somoza au gouvernement. La forme par laquelle ils le firent fut diplomatique, mais l’exigence de sa démission fut énergique. La guerre l’avait affaibli, la situation économique était insoutenable. Et Somoza comprit que c’était le moment de partir. Et en moins d’un mois il quitta le pays.
Je n’aurais jamais imaginé, en entendant cette nouvelle, que sous peu j’allais être ambassadeur à l’OEA du Nicaragua que nous avons commencé à construire après le départ de Somoza. Un jour de 1982, alors que j’étais ministre du bien-être social du gouvernement révolutionnaire, on m’appela du département des relations internationales du FSLN et on me dit : « Avec la guerre, nous entrons dans une phase de conflit diplomatique. Cet aspect de la lutte va être important dans les années à venir et cette lutte va se livrer à l’OEA. Nous considérons que tu es la personne adéquate pour cette tâche. Acceptes-tu ? » J’ai accepté. Il y a des diplomates de carrière. Je fus un diplomate à la course [1].
Je dois dire que, quand j’étais à l’OEA, on disait déjà dans les discussions de groupe que « l’OEA ne sert à rien ». En 1986, dans mon discours d’adieu à l’OEA, j’ai déclaré : « On dit que l’OEA ne sert à rien, mais je dois dire qu’elle sert à quelque chose ». Et ce en qui me concerne, elle m’a beaucoup servi. Ce fut un grand apprentissage. Elle m’a enseigné à combiner l’impatience prophétique avec la patience diplomatique, l’intransigeance prophétique face aux injustices avec l’habileté diplomatique pour obtenir des résultats.
Il y a beaucoup de gens qui disent que l’OEA doit disparaître. Et il y a des pays qui l’ont proposé. C’est une erreur, une idée qui n’est ni productive ni efficace. L’OEA est un espace d’échange. C’est le lieu où nous sommes assis nous les Latino-Américains avec les États-Unis et où nous pouvons leur dire ce que nous voulons. Par contre, dans la relation bilatérale on doit être plus circonspect et prudent. L’OEA est un espace où beaucoup de choses peuvent être dites, mais il faut apprendre à les dire. L’idée que l’OEA doit disparaître est une idée sans fondement. Comme l’est l’idée que les États-Unis n’aient pas une prédominance à l’OEA. C’est une réalité qu’ils ont parce que c’est le pays le plus grand et celui qui apporte le plus économiquement.
D’un autre côté, il y a beaucoup de gens qui ont trop d’expectatives concernant l’OEA, oubliant que c’est un organisme aux multiples divergences internes de tout type : politiques, sociales, économiques, et même culturelles. Dans l’OEA la prédominance des États-Unis est indiscutable. Et c’est logique : l’OEA est à Washington et ce sont les États-Unis qui paient 60% du budget de l’OEA. Les 40% restants sont répartis entre les 33 autres membres, parmi lesquels quelques-uns ne paient même pas les parts qui leur reviennent, même quand ce ne représente qu’une bagatelle, car les parts sont calculées en fonction du poids économique de chaque pays. La part du Brésil est ainsi bien supérieure à celle des Bahamas ou du Nicaragua. Le Nicaragua ne paie pas… Quand j’étais ambassadeur là-bas, il m’est arrivé une fois de payer trois ans de retard.
Le pays qui peut faire disparaître l’OEA c’est les États-Unis. Si les États-Unis cessaient de payer leur contribution, l’OEA disparaîtrait. À l’époque d’Obama, ces 60% de l’apport états-unien représentaient 48 512 700 dollars annuels. Et au Congrès il a été question de diminuer la contribution états-unienne. Les États-Unis sont l’État qui peut tuer l’OEA. Il le ferait simplement en ne payant pas. Je crois que ce serait une erreur parce que nous avons tous intérêt à ce que l’OEA existe. C’est un forum de discussion, de dialogue, de rapprochement des cultures, chacune avec ses particularités. C’est l’espace qui nous donne l’opportunité de chercher et trouver des consensus.
Quand je suis arrivé à l’OEA, Ronald Reagan gouvernait, un ennemi du gouvernement que je venais moi représenter. J’ai dû me creuser la tête. Depuis peu avait débuté la guerre pour les Îles Malouines. L’Argentine les avait occupées et la Grande-Bretagne allait les reconquérir. Le conflit arriva à l’OEA. Au début, les États-Unis jouèrent le rôle de médiateur pour éviter la guerre, mais très vite ils abandonnèrent ce rôle et la neutralité et facilitèrent l’arrivée des bateaux anglais dans les îles. À ce moment-là, l’Argentine soutenait les États-Unis dans leur guerre contre le Nicaragua et avait même une mission de conseil technique militaire au Honduras pour l’entraînement de la contre-révolution.
Ce fut dans ce contexte que je fis mon premier travail diplomatique. Quand arriva à l’OEA la nouvelle que dans les contingents britanniques que Londres envoyait pour reconquérir les Malouines se trouvaient des centaines de Gurkhas, des mercenaires népalais experts en têtes coupées, j’ai pensé « À moi de jouer ! » Au cours du débat au Conseil permanent j’ai fait saovir au représentant de l’Argentine qu’il pouvait compter sur l’appui du Nicaragua dans ce conflit. Et j’ai ajouté : que pour lutter contre les fameux Gurkhas, nous, les Nicaraguayens, nous leur offrions les Indiens aguerris de Monimbó ! Je lui ai dit que nous enverrions des contingents d’Indiens monimbosiens pour stopper les Gurkhas. Cet homme s’est senti extrêmement reconnaissant de mon appui, si éloquent… qui, naturellement, n’eut jamais l’opportunité de se concrétiser.
Après, lors d’une conversation privée, il m’a expliqué que la mission militaire états-unienne en Argentine opérait au quatrième étage de l’immeuble de l’armée argentine. Je l’ai averti que, comme les États-Unis agissaient en tant qu’alliés de la Grande-Bretagne, il était délicat de les avoir en ce lieu, parce que les militaires états-uniens, utilisant des technologies sophistiquées seraient au courant de la stratégie militaire de l’Argentine et transmettraient l’information aux Britanniques sur ce que l’Argentine était en train de faire. Peu de jours après, il me raconta qu’ils avaient décidé de retirer du Honduras les conseillers militaires argentins et qu’ils avaient supprimé l’assistance militaire à la contre-révolution. Et il me demanda de l’aide parce que le ministre des affaires étrangères argentin voulait se rendre à Cuba. Nous lui avons facilité le voyage depuis Managua. Nous sommes ainsi devenus très amis. Et pendant les quatre ans et demi que je fus à l’OEA le vote de l’Argentine fut toujours inconditionnel en faveur du Nicaragua. Et à l’OEA les amitiés comptent. Voilà comment j’ai commencé mon travail à l’OEA.
Le problème qui bloque beaucoup de choses à l’OEA c’est que cet organisme réunit 34 pays très différents – à mon époque ils étaient 33, parce que le Canada n’en était pas encore membre, il était seulement observateur. Il y a là les États-Unis avec leur prédominance, il y a les pays de la Caraïbe anglophone et il y a les pays d’Amérique Latine qui ont entre eux des divergences, qui s’accentuent ou diminuent selon qui arrive au pouvoir. Un exemple actuel est le Mexique, un pays toujours progressiste en politique internationale, qui a cessé de l’être avec la présidence de López Obrador.
Durant les années de la Révolution, le Nicaragua jouissait d’un appui pratiquement inconditionnel de tous les pays. Des uns, ouvertement, et des autres, discrètement, parce qu’ils ne voulaient pas s’attirer la colère du Grand Frère. Dans cette situation, ma stratégie dans ces années-là ne pouvait être d’obtenir des votes favorables, parce que les pays n’auraient pas voulu s’opposer aux États-Unis. Ma stratégie fut d’obtenir des abstentions, et plus il y en avait mieux c’était. Parce que l’abstention majoritaire annulait n’importe quelle résolution contraire au Nicaragua. Durant les quatre années et demie où je fus à l’OEA, aucune des tentatives des États-Unis et de leurs alliés pour obtenir une résolution contre le Nicaragua n’eut de succès.
Je consacrais tous mes efforts à promouvoir les abstentions. Quand arriva un nouvel ambassadeur du Paraguay devant l’OEA, représentant du dictateur Stroessner, allié des États-Unis et opposé au Nicaragua, en écoutant son discours de présentation, plein de termes thomistes et aristotéliques, je me suis dit : je connais ce langage… C’est en ces termes que j’avais reçu la formation que j’ai eue pour être prêtre. Je sautais sur l’opportunité. Je me suis approché de lui, l’ai félicité pour sa nomination et lui ai demandé s’il n’avait pas été un temps au séminaire. Il m’a répondu que oui. Je lui ai dit que j’étais prêtre, que j’avais étudié à Rome et que j’avais eu des camarades paraguayens. Je lui mentionnai les noms de quelques-uns d’entre eux et il me répondit qu’il les connaissait parfaitement. Ce fut ainsi que nous avons commencé notre amitié. Et à l’OEA, je le répète, les amitiés comptent.
À partir de ce moment-là, quand se présentait une résolution des États-Unis contre le Nicaragua, je l’approchais et lui demandais de voter contre la résolution. Il me répondait toujours qu’il ne pouvait pas parce qu’« il n’avait pas d’instructions ». Je lui disais alors : « Parfait ! Si tu ne les as pas, tu t’abstiens ! » Voilà comment j’obtenais les abstentions. C’est ainsi également que je les obtenais de l’ambassadrice du Chili, nièce de Pinochet, qui avait été ministre de l’éducation et ministre de la justice, avec qui j’ai développé une grande amitié à l’OEA.
À l’OEA il y a toujours des sessions préliminaires internes pour « dessiner le cadre » de ce qui va se faire en session publique. Il s’agit d’éviter des discussions fortes en public. Généralement, les votes ou les abstentions ne s’obtiennent pas dans les sessions publiques. Ils s’obtiennent à l’extérieur, durant des échanges personnels, et même en jouant au tennis avec quelques ambassadeurs ou quelques conseillers des missions diplomatiques. Je travaillais ces amitiés pour éviter les votes contre le Nicaragua et bloquer les résolutions qui se présentaient contre lui. Je cherchais à garantir une majorité d’abstentions.
À une autre occasion, alors qu’était déjà formé le Groupe de Contadora, qu’intégrèrent le Mexique, Panamá, la Colombie et le Venezuela, le Costa Rica présenta un projet de résolution qui nous portait un lourd préjudice. À cette occasion, je militais pour l’élaboration d’une proposition de résolution alternative et le groupe de Contadora m’appuyait dans cette stratégie. Mais, du côté du ministère des affaires étrangères à Managua, on m’incitait à présenter un projet de résolution agressive et de confrontation avec le Costa Rica. Aussi bien le directeur des Organismes multilatéraux du ministère, Alejandro Bendaña, que le vice-ministre, Victor Hugo Tinoco, insistaient pour que nous utilisions un langage de confrontation. Je savais pourtant, et ceux de Contadora étaient d’accord avec moi, que c’était un chemin erroné qui nous porterait préjudice. Mais je n’arrivais pas à échanger avec le ministre Miguel D’Escoto. Avec les quatre de Contadora nous avons demandé une suspension des séances afin de gagner du temps dans l’espoir d’entrer en contact avec lui. Jusqu’à ce que finalement je parle avec D’Escoto et qu’il me donne raison. Et nous avons proposé une résolution, non en tant que Nicaragua, mais comme Groupe de Contadora, qui à ce moment-là disposait de beaucoup de prestige et d’influence. Finalement, le vote fut favorable au Nicaragua : les États-Unis s’abstinrent, le Costa Rica vota contre et tous les autres votes furent en faveur de la résolution conciliatrice que nous avions présentée.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3558.
– Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
– Source (espagnol) : revue Envío, n° 464, novembre 2020.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Jeu de mots entre de carrera et en carrera, intraduisible en français – note DIAL.