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DIAL 3593 - Les nuances dont personne ne parle mais qui ont une influence sur l’action
ARGENTINE - Ensemble, mais sans confusion : les différences entre les « Curés des villas » et ceux de l’« Option pour les pauvres »
Washington Uranga
dimanche 24 octobre 2021, mis en ligne par
Cet article de Washington Uranga [1], paru le 11 janvier 2021 dans Página 12, fait le point sur les origines, les similitudes et les différences entre deux mouvements de prêtres engagés auprès des secteurs populaires, les « Curés des villas » et ceux de l’« Option pour les pauvres ».
Les deux groupes ont en commun leur engagement auprès des secteurs populaires, mais ils se différencient dans leurs perspectives théologiques, pastorales et politiques. Médias et journalistes ont coutume de contourner ces divergences et les uniformisent.
Ce que nous nommons par habitude « l’Église catholique », que beaucoup voient comme une institution monolithique, présente en réalité de nombreux visages différents, des façons de se présenter et des attitudes parfois imperceptibles pour un observateur extérieur, mais qui existent et construisent progressivement le profil de cette communauté religieuse dans la société. La base commune de la foi – qui reste l’ordonnateur de l’expression religieuse – est très loin de constituer un cadre normatif unique et non modifiable. Même s’il existe des normes institutionnelles qui régissent, s’appliquent, incluent et excluent.
Cette diversité existe jusque dans le corps hiérarchique, parmi les évêques. Ils ne sont pas tous semblables ni ne pensent de façon identique. Mais par-delà la hiérarchie il y a aussi des différences entre ceux qui exercent divers ministères dans le cadre de l’Église comme c’est le cas pour les prêtres. Et, en particulier, parmi les prêtres dont l’engagement social auprès des pauvres et des exclus est le plus clair il y a aussi des comportements et des façons d’agir qui les différencient les uns des autres. Même si la chronique journalistique confond habituellement les « Curés des villas [2] » (CV) avec les « Curés de l’option pour les pauvres » (COPP), il s’agit en réalité de deux groupes différents, avec des racines communes, beaucoup de points communs, mais aussi des modulations qui les différencient. Il y a plus. Bien qu’en aucune façon on ne puisse parler de « fêlure » entre ces prêtres qui travaillent en milieu populaire et si nombre d’entre eux sourient et blaguent quand on parle de « factions », d’autres se formalisent lorsque la presse les confond ou les met sur un même plan. Il est certain aussi qu’il y a ceux qui s’identifient tout autant aux CV qu’aux COPP et ne rencontrent aucun problème majeur à être reconnus sous l’une ou l’autre des dénominations. L’important, disent ceux qui s’alignent sur cette position, c’est « la proximité avec le peuple et la proclamation de l’Évangile à partir des secteurs populaires et en communion avec eux. »
L’histoire
Une bonne référence historique pour rechercher l’origine de ces mouvements sacerdotaux renvoie aux années soixante-dix, après le Concile de Vatican II. Durant cette décennie, dans la totalité de l’espace latino-américain et nourris aussi par l’« option pour les pauvres » inspirée de la IIe Conférence générale de l’épiscopat latino-américain (Medellín, 1968), ont surgi des groupes de prêtres réunis autour de l’engagement social avec le peuple et avec la consigne claire de « la libération », ce qui est apparu également dans la pensée ecclésiastique – bien qu’avec des acceptions différentes – en tant que « théologie de la libération », un courant religieux né en Amérique latine.
En Argentine, cette forme d’expression sacerdotale a donné lieu à un regroupement sous le nom de Mouvement de prêtres pour le tiers monde (MPTM) dans le cadre duquel s’inscrivirent des personnalités d’un très important poids politique, social et religieux comme le prêtre Carlos Mugica, assassiné en 1974, et d’autres comme Alberto Carbone, Domingo Bresci, Rodolfo Ricciardelli, Jorge Vernazza, Rolando Concatti et Rubén Dri, pour ne citer que quelques noms. Il y a eu aussi des victimes de la dictature civico-militaire parmi les membres du MPTM.
Pour différentes raisons, parmi lesquelles la répression exercée par la dictature et le harcèlement institutionnel de la hiérarchie catholique, le MPTM décida de se dissoudre et en 1986 un groupe de ses anciens membres auquel vinrent se joindre d’autres plus jeunes, donna naissance à ce que l’on connaît aujourd’hui en tant que COPP. Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, ce nouveau groupe est resté actif, avec des rencontres annuelles, des activités, des déclarations et une présence constante dans la vie ecclésiastique, mais surtout sociale et politique du pays, en relation directe avec les quartiers, les mouvements populaires et les organisations de base.
À la même époque et sans relation directe avec les COPP se réunirent à Buenos Aires et dans le Grand Buenos Aires quelques prêtres qui se désignèrent comme « curés des villas » du fait qu’ils y vivaient et y pratiquaient leur travail pastoral. Au début de la gouvernance pastorale de Jorge Bergoglio dans l’archidiocèse de Buenos Aires (1998-2013), l’actuel Pape décida de la création de « la pastorale des villas » donnant ainsi un caractère institutionnel à un phénomène que l’on constatait dans une partie du clergé jeune : la décision des prêtres d’aller vivre dans les villas. Une pratique que, par ailleurs, Bergoglio lui-même encouragea. Le temps passant la Pastorale des villas donna lieu à ce que l’on connait aujourd’hui les « curés des villas » non seulement dans la capitale mais aussi dans d’autres diocèses de la ceinture urbaine.
Similitudes et différences
Ce qui sans doute met sur un même plan les deux groupes de prêtres c’est leur engagement auprès des pauvres même si cette vocation est assumée selon des caractéristiques et des modalités distinctes. Il y a aussi le fait que tous ces prêtres sont pauvres. Les fidèles avec lesquels ils vivent dans les quartiers le reconnaissent. Nombreux sont ceux parmi ces prêtres qui ont des activités rémunérées pour satisfaire leurs besoins basiques. La grande majorité des prêtres catholiques n’est pas riche en Argentine, bien qu’il y ait des exceptions. Cette réalité est différente dans d’autres endroits de l’Amérique latine.
Il y a aussi dans les deux groupes des racines politiques communes liées au péronisme, même si ce lien est beaucoup plus évident pour les COPP que pour les curés des villas. Les uns et les autres reconnaissent comme leur maître en théologie Lucio Gera (1924-2012), l’un des théologiens catholiques contemporains de l’Argentine les plus en vue qui a fait école en Amérique latine et a marqué plusieurs générations, même parmi les évêques, avec ce qu’on appelle la « théologie du peuple ». Gera fut aussi un membre actif du Mouvement des prêtres pour le tiers monde.
Au moment d’évoquer les différences on peut dire que, sans nier cette base commune, plusieurs éléments des COPP ont eu et maintiennent un dialogue plus rapproché et fréquent avec « la théologie de la libération » latino-américaine dont les principaux représentants ont été le Péruvien Gustavo Gutiérrez et le Brésilien Leonardo Boff, tandis que les curés des villas s’appuient plus directement sur la ligne pastorale et la religiosité populaire de Rafael Tello (1917-2002) et sur la tendance théologique du jésuite Juan Carlos Scannone (1931-2019), tous deux Argentins et, en ce qui concerne ce dernier, professeur aussi de Jorge Bergoglio.
Les COPP ont une présence nationale plus importante, ils sont répartis plus largement dans tout le pays. Il n’en est pas de même pour les curés des villas qui se concentrent essentiellement dans la capitale et dans quelques municipalités du Grand Buenos Aires.
Toutefois si les uns et les autres sont en relation permanente avec le monde politique et les organisations qui en font partie, les COPP ont une attitude plus frontale et directe pour prendre en charge des thèmes discutés dans la sphère politique, tandis que les CV se montrent plus distants et prudents lorsqu’ils abordent des questions impliquant une prise de position partisane. Les deux groupes maintiennent un dialogue fluide avec les dirigeants politiques au niveau local comme national, ce dont les COPP ne se cachent pas : ils ont même l’habitude d’apparaître publiquement dans des manifestations politiques partisanes, tandis que les CV sont beaucoup plus discrets et réticents vis-à-vis de ce genre d’apparition publique.
La relation avec l’institution ecclésiastique
On retrouve derrière cette différence la relation que les deux groupes entretiennent avec l’institution ecclésiastique, et en particulier, avec les évêques. Les curés des villas bénéficient de la reconnaissance de la hiérarchie et de son soutien, ce qui limite en même temps leur marge de manœuvre sur certains sujets. On imagine mal une déclaration des CV qui entrerait en contradiction avec la pensée de la hiérarchie catholique et, dans certains cas, ces curés se font les porte-voix de l’épiscopat lorsque les impératifs institutionnels le réclament.
Les COPP, par contre, agissent en relative autonomie vis-à-vis des évêques, même s’ils font tous l’objet d’un encadrement « légal » au sein de leurs diocèses et de l’Église argentine. Mais il s’agit de liens plus autonomes, généralement via la médiation des évêques locaux, dont certains sont plutôt proches du mouvement tandis que d’autres tolèrent à peine son existence. C’est aussi ce qui fait que l’agenda des COPP est beaucoup plus proche des débats politiques (par exemple : la revendication pour la libération des prisonniers politiques) que celui des CV qui, en général, s’alignent sur l’épiscopat (par exemple sur le sujet de l’avortement).
Bien que les deux groupes valorisent l’horizontalité, circonstances et demandes médiatiques contribuent à faire apparaître des personnes référentes. Ainsi, au sein des curés des villas on entend souvent l’évêque Gustavo Carrara (qui est aussi responsable de la Pastorale des villas de l’Archidiocèse de Buenos Aires) et le prêtre José María « Pepe » Di Paola. Les deux hommes concentrent l’attention des médias et des journalistes, de même que Eduardo de la Serna et Francisco « Paco » Olveira sont régulièrement sollicités comme porte-voix des COPP, même si d’autres personnes sont actuellement responsables de la coordination.
Pour dissiper d’éventuels doutes il faut noter qu’il n’existe entre les deux groupes ni « fossé » ni affrontements, quand bien même des deux côtés on marque les différences. Entre eux et avec un brin d’ironie ils ont coutume de se qualifier de « cousins germains ». Quelqu’un a récemment tenté d’expliquer à Alberto Fernández [3] les raisons de ces différences et, comme le raconte un témoin, le Président fit, diplomatiquement, un pas de côté refusant d’écouter semblables éclaircissements : « j’ai déjà assez à faire avec celles au sein du péronisme. ».
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3593.
– Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
– Source (espagnol) : Página 12, 11 janvier 2021.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Contact : wuranga chez pagina12.com.ar.
[2] Les villas argentines sont des quartiers nés de l’installation de familles pauvres sur un terrain alors vaquant, souvent en périphérie des villes – note DIAL.
[3] L’actuel président de la République argentin – note DIAL.
Messages
1. ARGENTINE - Ensemble, mais sans confusion : les différences entre les « Curés des villas » et ceux de l’« Option pour les pauvres », 25 octobre 2021, 11:54, mis en ligne par FROMY Paul
Mission Ouvrière et Pastorale en Monde Populaire
En France existent également deux courants, qui ne se contredisent pas, ni ne s’affrontent, mais qui ont chacun leurs caractéristiques propres.
La Mission Ouvrière, c’est l’ensemble de corps constitués : ACO, JOC, ACE, frères et sœurs en monde ouvrier (FEDEAR), PO, le GREPO.
La Pastorale en monde populaire c’est un souci des gens du monde populaire qui ne sont pas en lien avec l’un des groupes précédents.