Accueil > Français > Livres, documents, revues, vidéos & audios > RECENSION - La revolución india, de Fausto Reinaga

Guerre des races : ébauche de généalogie du concept

RECENSION - La revolución india, de Fausto Reinaga

Claude Bourguignon Rougier

lundi 7 février 2022, mis en ligne par Claude Bourguignon

 La Paz, Minka, [1970] 2010
 514 p.

Introduction

Le livre dont il sera question dans cet article, La revolución india a été écrit à la fin des années soixante. Il pose de façon extrêmement crue et violente la question de la décolonisation interne de la Bolivie. Le contexte mondial de l’époque est particulièrement brûlant. Aux États-Unis, le mouvement pour les droits civiques des noirs a pris une ampleur considérable et une radicalisation s’est produite avec le Black Power, l’idée du nationalisme noir, et des organisations comme les Black Panthers. En Afrique et en Asie, les luttes de libération nationale continuent et les questions relatives à la décolonisation s’aiguisent. Sur le continent sud-américain, après la révolution cubaine et l’extension du front de guérillas, le déploiement de stratégies contre insurrectionnelles et l’imposition de politiques de développement étasuniennes consacrent le continent comme une des principales scènes de la guerre froide. Durant cette période, le modèle guerrier est présent aussi bien chez les insurgés que chez les agents de la contre-insurrection.

C’est dans ce climat international extrêmement tendu que paraît, en 1969, dans une petite nation andine, l’œuvre d’un intellectuel indien aymara [1]. La revolución india n’est pas un livre universitaire, ni académique mais un ouvrage politique, engagé, un manifeste, en phase avec son temps. Il y est question de colonialisme, de nation, et d’anti-impérialisme. La problématique qui y est exposée ne renvoie pas seulement à la situation bolivienne mais aux questions fondamentales de cette fin de décennie évoquées plus haut. Critique de l’impérialisme et remise en question du pouvoir comme simple domination de classe pointent à la fois les espoirs et les impasses du mouvement social sur la planète.

L’auteur, Fausto Reinaga, de son vrai nom José Félix Reinaga, est né en Bolivie au tout début du XXe siècle [2]. Son œuvre, longtemps confidentielle, aujourd’hui reconnue et étudiée mais toujours disqualifiée par une grande partie du monde intellectuel et politique, marque une transition. Elle correspond au passage de l’indigénisme [3], un courant d’idées pro-indien paternaliste porté par les élites métisses, à l’indianisme, que l’on pourrait définir comme la prise en charge par les Indiens eux-mêmes des questions relatives à leur identité, leur inclusion dans l’État, et la détermination de leurs objectifs. Représentative de ce courant qui s’élabore au début des années soixante et se développera surtout dans les années soixante-dix, La revolución india marque donc une mutation.

À l’époque où le livre est écrit, la Bolivie est passée par une phase de gouvernement populiste. Les Indiens sont devenus depuis 1952, date de l’arrivée au pouvoir du Mouvement national révolutionnaire, des « camarades paysans » de la nation bolivienne. Reinaga se démarque de cette approche réductrice qui a longtemps été celle de la gauche latino-américaine et passe de l’idée de révolution au sens marxiste du terme à celle de révolution indienne. Il élabore une approche qui se veut décoloniale de la nation, dénonçant la continuité entre les États-nations latino-américains et les empires coloniaux, et faisant surgir de façon incontournable l’obscène actualité d’un racisme séculaire.

Le but de cet article sera de revenir sur une notion fondamentale du livre, l’idée de guerre des races et son corollaire, celle de nation. Nous proposerons une mise en contexte de sa parution et une ébauche de généalogie, bolivienne et américaine, du concept. Plus qu’un état des lieux, un travail d’historien restant à faire, c’est une amorce de réflexion sur l’itinéraire du concept qu’on trouvera ici.

La revolución india et le contexte de sa parution

La revolucíon india, qui paraît en 1970, pendant une phase où les militaires ont confisqué le pouvoir [4] est une virulente dénonciation de la domination subie par les autochtones depuis la Conquête de l’Amérique. Cette domination, loin de disparaître avec la fin du colonialisme espagnol (l’indépendance vis-à-vis l’Espagne est acquise en 1825), avait continué, s’aggravant même avec le nouvel état républicain. En effet, si les lois coloniales des Indes garantissaient une relative protection aux autochtones [5]en laissant en place leur organisation communautaire et la propriété collective des terres du moment que le tribut à la Couronne était payé ; avec la République, la situation change. Les grands propriétaires terriens, qui ont un relais dans les gouvernements, souhaitent détruire l’ayllu  [6] traditionnel pour repousser la frontière des haciendas ; mais détruire l’ayllu, dans un contexte où les revenus des mines d’argent ont terriblement baissé, c’est perdre le vieil impôt colonial qui va avec, un apport essentiel dans un contexte économique à reconstruire. C’est seulement à la fin du XIXe siècle, lorsque l’industrie minière reprend, que les gouvernements, sous prétexte de transformer le tributaire indien en citoyen moderne, vont lancer la loi d’Exvinculación (1874) [7]. Elle décrète la fin de l’ayllu, interdit la représentation des autorités ethniques, et, prétendant vouloir créer une classe de petits propriétaires, et en finir avec des structures coloniales archaïques, organise en fait la razzia des grands propriétaires terriens sur les terres jusque-là communales [8]. L’action combinée de ce groupe, de l’armée et de la police, permettra ainsi dans certaines régions de déposséder [9]” des deux tiers de leurs terres les communautés andines [10] ». Dans certaines régions comme le nord du Potosí, on observe à la fin du XIXe siècle, une véritable régression de formes d’économie communautaires vers des formes serviles de type colonial. Cela donne lieu à des résistances nombreuses, incessantes, qui vont souvent s’axer autour de la généalogie, de la recherche d’anciens titres de propriétés indiens coloniaux. Ces démarches légales, qui s’inscrivent dans la tradition de résistance évoquée plus haut, grâce auxquelles les Indiens arriveront parfois à conserver leurs terres, coexistent avec des révoltes. Dans les deux cas de figures, la réponse des pouvoirs sera la répression.

Au tournant du siècle, les libéraux, qui accèdent au pouvoir après une guerre civile gagnée grâce aux armées indiennes alliées, protégeront leur pré carré et répandront l’idée qu’il s’agit d’une race dangereuse et barbare, désireuse d’exterminer les blancs. Les théories racialistes de l’époque, qui faisaient de l’Indien un.e dégénéré.e, un.e alcoolique atavique, un.e criminel.le « né.e », incapable de faire fructifier ses terres, fourniront aux groupes au pouvoir, s’appuyant sur des élites adeptes du darwinisme social, une légitimation opportune pour cette mise à l’écart. Dans la république libérale qui commence, tournée vers le progrès et la modernité, il n’y a pas de place pour des vestiges du passé. Les « Indiens », comme tous les archaïsmes, toutes les monstrueuses excroissances du passé dans le présent, finiront bien par s’éteindre et disparaître du paysage national.

Une partie des élites métisses, au début du XXe siècle et plus particulièrement à partir du deuxième quart de ce dernier, va prendre acte de cette exclusion, et comprendre l’impossibilité de bâtir une nation sur la base du déni ou de la destruction de la plus grande partie de sa population. Elles vont s’ériger en protectrices des « Indiens », et élaborer un discours hégémonique à leur sujet, discours indigèniste qui inspirera les programmes d’assimilation de l’état bolivien [11]. L’indigénisme, c’est ce mouvement multiforme, qui, surtout en Amérique du Sud, prend forme d’abord dans la littérature, puis devient plus politique, parfois récupéré par les gouvernements, parfois en phase avec les courants révolutionnaires comme l’anarchisme, parfois articulé à un christianisme social. La littérature associée à ce mouvement, en Bolivie comme dans les autres pays, a puissamment contribué à diffuser l’image de la créature sans défense, victime du blanc, qu’il fallait aider et éduquer. Les indigénistes veulent sauver l’indigène et en bons rédempteurs, parlent à sa place. Car ils ne voient pas, n’entendent pas ce que montrent et disent pourtant clairement les autochtones lors de leurs nombreuses rebellions.

C’est ainsi qu’après avoir été, tout au long du XIXe siècle, les exclus, les invisibles, ou les ennemis intérieurs de la nation, à partir des années quarante, et plus particulièrement, avec la Révolution nationale de 1952, les « Indiens » deviennent ceux qu’il faut assimiler. Et civiliser. Car, s’il n’est plus question de les ignorer ou de les éliminer, la vieille problématique civilisation/barbarie qui avait inspiré les chefs d’État et l’oligarchie au XIXe n’est pas abandonnée. D’où l’importance qui sera donnée à l’éducation et aux campagnes d’alphabétisation destinées à les transformer en citoyens modernes. Éducation qui se gardera bien de reprendre les acquis des projets d’école indienne des années trente [12] un mouvement puissant et inspiré qui n’avait pas pu se développer à cause de l’opposition violente des propriétaires locaux. L’école de la Révolution nationale est une école qui hispanise, dispensée seulement en espagnol. Elle s’adresse à un citoyen abstrait et nie l’histoire et la culture propres aux Indiens.

Il va de soi que les principa.ux.les concerné.e.s ne sont ni consulté.e.s ni associé.e .s à ces projets et que la citoyenneté que l’on commence à leur faire miroiter appartient à un futur toujours plus lointain. Cette vision de l’intégration, de l’Indien.ne transformé.e en travailleu.r.se est partagée par les pouvoirs publics, les intellectuels indigénistes, les groupes révolutionnaires, très marqués par l’eurocentrisme, ou encore les organisations internationales qui vont intervenir dans le cadre de l’OIT [13] afin d’éduquer les Indiens. L’auteur de La révolution indienne lui-même, longtemps marxiste, participe à la Révolution nationale, et propose un plan de réforme agraire qui sera dédaigné. Certes, les populistes au pouvoir vont réaliser, mais partiellement seulement, la réforme agraire réclamée par les Indiens et ils aboliront le servage, le pongueaje. Ils réduisent leurs aspirations à une question de terres. Les Indiens peuvent désormais voter, mais pas présenter un candidat, par exemple. On les laisse parler à l’intérieur de la structure syndicale, un syndicalisme obligatoire imposé à tous les « camarades paysans » dans le cadre de la triade État-parti révolutionnaire-syndicat. Ce dernier instaure une relation de type paternaliste, clientéliste entre les Indiens et un état qui ne reconnaît pas leur spécificité. Voilà pourquoi Reinaga dira qu’ils sont devenus des « pongos políticos ».

Reconnaissance impossible car la politique de l’État révolutionnaire repose sur l’affirmation du métissage. Pas le métissage idéal auquel avaient rêvé les élites blanches libérales du XIXe siècle, qui aurait blanchi le peuple, mais le métissage réel. Le mythe du métissage-chaudron où bouillonnent les « races » et dans lequel se dissout l’autochtone, est alors puissant et partagé. Dans le nouveau discours national, le citoyen, c’est le métis. Il n’y a pas de place pour une spécificité indienne dans une nation unie. Pour l’État, pour les intellectuels indigénistes, pour les révolutionnaires et pour les organisations internationales qui commencent à promouvoir des politiques de développement, il n’est pas question de libérer les Indiens mais d’utiliser des ressources humaines encore frustes pour en faire des travailleurs modernes et d’en finir avec la « question indienne » [14]. À la fin du XIXe, l’Indien devait disparaître [15] ; au XXe, il doit s’assimiler au métis, et disparaître en tant qu’Indien [16].

Le projet alternatif de Fausto Reinaga

Fausto Reinaga, qui a été un marxiste-léniniste enthousiaste, avant de découvrir la réalité du socialisme russe, qui a embrassé la cause de la révolution nationaliste, et soutenu le MNR [17], va être profondément déçu par cette manipulation des élites. Cet homme qui a beaucoup voyagé, connaît très bien les penseurs européens. Il a accédé à une formation culturelle improbable dans le milieu dont il était issu, et s’est d’une certaine façon métissé culturellement, intégrant au début de sa vie ce mépris pour « l’Indien » propre aux blancs et aux métis. Dans le courant des années soixante, il va se « ré-indianiser », se revendiquer Indien, et rompre avec l’approche indigéniste qui visait l’intégration d’un Indien acculturé à la nation bolivienne. Pour cela, il écrit la première histoire qu’on pourrait dire décoloniale de la nation bolivienne. À cette époque, en Amérique latine, rares sont ceux qui sont capables d’analyser la continuité entre l’État républicain issu des indépendances et l’empire colonial. Reinaga dénonce cette continuité trop longtemps dissimulée, se situant ainsi dans la lignée de ceux qui ont déjà pointé la persistance de structures coloniales dans les États latino-américains. L’anthropologue mexicain González Casanova, en 1964, avec son ouvrage sur le colonialisme interne, ou le Colombien Fals Borda, dénonçant l’imposition des cadres d’analyse nord américains sur les sciences sociales latino-américaines en formation, font partie de ces exceptions. La révolucion india est un manifeste qui s’adresse à un public indien. Son but est de faire apparaître l’existence en continu d’une domination de type colonial sur les vaincus de la Conquête et de montrer que cette domination se fonde sur le mythe du métissage. Le roman national du métissage reconfigure simplement un racisme qui n’a pas disparu, n’en déplaise à l’idearium égalitaire mis en avant par les gouvernements progressistes comme celui de 1952.

Mais Reinaga, s’il critique violemment le mouvement de révolution nationale, ne renonce pas pour autant à l’État-nation, il continue à s’inscrire dans cette problématique, en proposant une transformation révolutionnaire de la nation. Il voit cette dernière comme une fiction reposant sur un mythe du métissage. Il a organisé en fait l’expulsion symbolique et juridique de ceux et celles que l’auteur nomme Indien.ne.s, se réappropriant un terme créé par les colonisateurs et inversant la valeur qui lui était donnée depuis des siècles. La révolution indienne est un texte qui cherche la sortie d’une impasse : celle d’un indigénisme qui tout en prétendant défendre la cause indienne, a surtout été surtout le moyen pour une élite métisse de se donner identité et pouvoir. Elle rend compte de la désillusion de celui qui par deux fois, en 1944 avec le gouvernement indianiste de Gualberto Villaroel, et en 1952 avec la Révolution nationale a cru possible une transformation en profondeur des structures racistes du pays. Reinaga comprend l’articulation du mythe du métissage et de l’indigénisme, qui permet de confisquer la nation. Il affirme alors qu’il faut remplacer cette nation bolivienne privée d’un fondement populaire authentique, qui finalement, ne représente en fait que les intérêts d’une oligarchie de blancs et de métis, par la nation authentique, la nation indienne. Les Indiens constituent le gros de la classe des travailleurs, ils font vivre le pays, ils sont les vrais citoyens du pays. La nation indienne, affirme Reinaga, est réelle parce qu’elle s’enracine dans l’histoire [18], une histoire en acte bien avant que les peuples européens sortent de leur phase proto-nationale.

Parce qu’il ne veut pas ou plus souscrire à ce mythe, Reinaga va opposer de façon radicale le monde indien et celui des métis, ces métis au pouvoir qui parlent à la place des Indiens, qui leur volent leur identité pour s’en créer une, qui existent à travers le discours qu’ils tiennent sur l’Indien à civiliser, alphabétiser, moderniser, etc. Le terme métis, que nous employons ici ne correspond que partiellement a celui qui est employé par l’auteur. Dans La revolución india il utilise le mot cholo terme dépréciatif qui désigne l’Indien métissé et « blanchi ». Il emploie pour designer le groupe des métis le terme cholaje avec des valeurs qui semblent variables ; parfois, le métissage au sens large du terme, il désigne alors la classe politique ou les élites, formées de métis et des blancs, parfois, il qualifie une couche plus populaire, ces métis qui rejettent leur part indienne. Le cholo, chez lui ne renvoie pas au sens commun de l’époque, il n’est pas une catégorie raciale ; ni même sociologique, mais un des pôles d’une paire dialectique dont l’autre pôle est l’indien. Comme le remarque un des analystes de Reinaga, Gustavo Cruz, pour lui, l’Indien est une création historique, un produit de la Conquête. Cholo et indio sont des identités transitoires avant la libération. Après la libération, il n’y aura d’indio, plus de cholo, mais des Inkas, dans un monde indianisé. La « race » indienne régulièrement opposée à celle des blancs et des métis, n’est pas une race au sens biologique, mais un peuple et une nation, et la nation chola, dont l’universalisme est toujours démenti dans la pratique, une classe politique qui a confisqué l’histoire du pays, l’a trahi et l’a conduit à la catastrophe. Quand il parle de la « race » indienne, il faut se rappeler ce qu’il dit : « No soy indio, carajo, ustedes han hecho de mi un indio [19]. » La race indienne est le résultat d’un processus d’identité assignée avec laquelle les autochtones ont dû négocier depuis la Conquête, parfois en l’acceptant, parfois en la contournant, parfois en la revendiquant. Processus qui s’est déroulé dans un continent où le projet des Conquérants passait par la séparation des races : République d’Espagnols d’un côté, République d’Indiens de l’autre. Il y a eu des va-et-vient entre ce type particulier de formation de subjectivité qui s’est produit en Amérique et qui a abouti à ce que l’on nomme l’Indien, processus qui s’est produit comme domination et acculturation [20], et l’élaboration qu’on fait de leur côté les autochtones et qui a débouché par exemple, à la fin du XXe siècle, aux mouvements hâtivement définis comme identitaires. La guerre des races serait donc cette histoire qui a commencé avec l’irruption européenne dans l’Abya Yala, nom indien du continent. Elle est celle de la nation clandestine en guerre avec la nation dominante, qui est minoritaire, incompétente et illégitime. Et elle s’exprime dans des histoires clandestines. Elle oppose deux nations, deux peuples. Ce constat l’amène à reconstruire l’histoire de la nation depuis la Conquête. Insistant sur l’affrontement permanent entre les deux races, il fait apparaître ce qui était occulté, donnant à « l’épopée indienne », à la résistance indienne aux pouvoirs coloniaux, puis républicains, une place qu’elle n’avait jamais eue dans l’historiographie nationale. Il élabore en fait un nouveau récit national, indien [21].

La revolución india, est aussi un authentique travail de reconstruction de la dignité indienne. La réhabilitation du passé précolombien, et plus particulièrement de l’empire inca, le sauvetage des héros de la résistance à la domination espagnole puis créole, ne sont pas l’œuvre d’un érudit, ils s’inscrivent dans la perspective d’une réappropriation. C’est dans le cadre de cette réappropriation qu’il faut comprendre l’assomption du terme « Indien » et celle de « guerre de races », deux termes jusque-là employés contre les Indiens pour les rabaisser ou pour les accuser. Il élabore sa théorie et son programme à partir de son idée de la guerre des races, guerre de deux peuples, deux nations. L’expérience et la mémoire de la domination et de l’écrasement d’un groupe par un autre vont donc l’amener à fourbir le concept de guerre des races qui est de fait une mise en question de l’idée d’universel. La haine du pouvoir blanc et le mépris des métis qui caractérisent l’ouvrage sont impressionnantes, l’abomination des blancs et des métis s’exprime de façon récurrente dans une langue à tonalité prophétique. Mais cette haine est à la mesure de l’expérience du groupe auquel il s’identifie et elle vise des effets politiques. Elle veut en finir avec l’évacuation de la question raciale, occultée par celle de la lutte de classe. Et s’adresse aux « Indiens » pour les pousser à la révolte.

La guerre des races, va et vient d’un concept

Ceux qui s’étonnent et s’offusquent lorsque Reinaga invite ses compagnons indiens à en finir avec les blancs, à mener une guerre des races sans concessions, oublient que ce ton virulent, ils l’ont déjà rencontré. Cette violence, ils auraient tort de l’attribuer à des penseurs marqués par leur appartenance raciale, aigris par le ressentiment et cherchant à prendre une revanche, dans une perspective finalement raciste, une critique qui a régulièrement été faite à Reinaga. Pour nombre de ces critiques, l’intellectuel réitère avec La revolución india, le geste haineux des insurgés quechuas ou aymaras de 1781, lors de la révolte de Tupac Amaru et Tupac Katari, et leur chasse aux K’aras [22],ou celui des révolutionnaires haïtiens en 1804, résolus à exterminer les blancs pour gagner leur liberté.

Pourtant, les groupes racisés, noirs ou indiens, n’ont pas l’exclusivité du discours ou de la pratique de la guerre des races. Ils ne l’ont pas inventé. On sait qu’en Europe, à la charnière du XVIIe et XVIIIe siècle, un Français comme Boulainvilliers élabora un discours qui opposait deux races entre elles, deux races, dont l’une avait vaincu l’autre, lui imposant tout au long des siècles, une domination inacceptable. L’aristocrate en lutte avec le pouvoir royal conçut l’idée d’une guerre de races à l’œuvre depuis que les Francs, nation originelle, avait été conquis pas d’autres peuples. Chez lui, la race, c’est le peuple, comme chez Reinaga.

Ce discours de la guerre des races, Reinaga ne l’a pas élaboré à partir de rien. Il renvoie à une histoire personnelle et à une autre histoire, plus générale, celle de son pays, de son continent, et des Caraïbes. L’histoire de la guerre des races pendant les guerres indépendance américaine, pendant la grande rébellion de Tupac Amaru, et celle de Pablo Wilka Zarate, pendant la guerre civile de 1899. Reinaga, qui était né en 1906, sept ans après la rébellion de Pablo Zarate Wilka, et dont la mère, Aleja Katari, avait combattu aux côtés du Zarate, ne pouvait pas ignorer l’histoire de ce leader indien. Une histoire occultée pendant plus de soixante ans, et qui avait resurgi sous la plume de l’historien Ramiro Condarco Morales, en 1966 [23], livre qu’un homme aussi cultivé que Reinaga avait certainement lu. En 1966, c’était la première fois qu’était abordée une question cruciale, soigneusement ignorée par l’historiographie nationale : le rôle des « Indiens » dans la formation de la République, et le caractère stratégique de la répression qui avait réduit à néant leur désir d’acquérir un statut de citoyen et de revendiquer leurs droits. On connaît aujourd’hui l’histoire : à la fin du XIXe siècle, les libéraux boliviens, en guerre ouverte avec les conservateurs, avaient rallié les Indiens aymaras à leur cause, leur promettant de prendre en compte leurs revendications, et grâce à eux, avaient remporté la victoire. Mais cette victoire ne déboucha pas sur le fédéralisme avec lequel ils s’étaient gagné l’adhésion des classes populaires ni sur l’inclusion des Indiens en tant que citoyens. Au contraire, profitant du massacre perpétré sur un bataillon libéral arrogant par une troupe indienne alliée, les libéraux se saisirent de l’événement pour disqualifier les Indiens en général. Ils n’honorèrent pas leurs engagements et accusèrent l’ensemble de l’armée indienne de trahison et de sauvagerie. Les libéraux, qui n’auraient pas pu gagner sans les Indiens, utilisèrent l’argument de la guerre des races pour se débarrasser d’encombrants alliés, qu’ils éliminèrent physiquement, ou politiquement [24]. Si les historiens ne s’accordent pas sur l’agenda indien de l’époque, les uns prétendant qu’il y avait dès le début une totale autonomie chez ceux qui voulaient reconstruire le Collasuyo, d’autres considérant que ce plan n’avait jamais existé et que les Indiens avaient voulu simplement renégocier leur place dans l’État bolivien, tous s’accordent sur le fait que l’idée de guerre des races fut manipulée par les blancs.

Or, Reinaga, dans la partie de son livre consacrée à l’épopée indienne, fait une place à Wilka Zarate après le récit de la rébellion de Tupac Amaru et Tupac Katari. Il souscrit finalement à cette idée de guerre des races. On pourrait s’en étonner, remarquer que c’est une manipulation des élites blanches, destinée à barrer aux Indiens l’accès à la vie politique. Pourquoi se retrouve-t-il d’accord avec le chef des libéraux, le général Pando, lorsque celui-ci écrivait que les Indiens « depuis toujours tapis dans l’ombre attendent de pouvoir massacrer les blancs » ? Ne tombe-t-il pas dans son piège ?

Ce serait oublier qu’avec Reinaga, le terme de guerre des races quitte le camp des blancs pour devenir un instrument de guerre, une arme dans le cadre de ce qu’on pourrait voir comme l’essentialisme stratégique de Reinaga, son cheval de Troie idéologique. L’auteur ne se contente pas de dire que le massacre de Mohosa et la république indienne qui a fonctionné brièvement à Peñas rendent compte d’un moment de la guerre des races. Il affirme que toute l’histoire de la Bolivie est traversée par la guerre des races, que les Indiens doivent l’assumer car seule la poursuite de cette guerre permettra d’en finir avec le pouvoir blanc.

Le concept de guerre des races a été mobilisé antérieurement, dans un autre moment déterminant de l’histoire latino-américaine : lors des guerres d’Indépendance. Et il est d’autant plus justifié de revenir sur cette période dans un article dont le sujet est le racisme et la guerre des races que, d’après l’historienne colombienne Marixa Lasso :

« Les guerres révolutionnaires ont été cruciales pour la construction de ces différents imaginaires raciaux nationaux, et que toute analyse historique et comparative des relations raciales dans les Amériques doit tenir compte du rôle décisif joué par les luttes anticoloniales dans la formation des relations et des identités raciales modernes dans les Amériques [25]. »

On le retrouve chez Bolívar, chez les pères fondateurs des nations modernes d’Amérique du Sud, chez les patriotes. C’est le discours invectivant les Espagnols, discours de la guerre totale, de la guerre sans droit, guerre où seule l’extermination de l’adversaire permettra de passer à un autre monde, et laissera place à l’autre race, le peuple des criollos. L’historien Clément Thibaut, à partir de l’étude des cas colombiens et vénézuéliens, nous montre que la guerre des races, en Amérique latine, fut à la fois la terreur des blancs, qu’ils soient Espagnols ou créoles, et le principe qui permit la radicalisation et le succès des guerres d’indépendance. Terreur des blancs, parce avec la révolution haïtienne, les noirs libres ayant obtenu la citoyenneté, puis l’esclavage ayant été aboli, les colons des Antilles espagnoles avaient eu peur : ils redoutaient la propagation de cette vague libertaire à toutes les Antilles et à la Terre ferme. En 1804, la déclaration d’indépendance de ce qui devenait Haïti et le massacre de blancs qui l’avait scellée, avait été vécue par les colons mais aussi par les créoles comme le terrifiant moment de revanche des noirs. Cependant cette crainte, dans les Antilles espagnoles, du fait de l’alliance des pardos, les mulâtres, avec les créoles blancs s’avéra infondée.

Principe de terreur mais aussi, principe de radicalisation : à partir de 1812, après la chute des Provinces unies du Venezuela, un changement se produisit. Les créoles commencèrent à s’intéresser moins à un changement de régime et à la question de la constitution fondatrice qu’à une guerre vue comme épisode fondateur des nouvelles nations. Plus qu’une guerre de champ de bataille, c’était une guerre juste, une croisade, une guerre à mort, qui pour l’historien fut conçue sur le modèle de la guerre des races. La question n’était plus d’opposer un régime politique à un autre mais une race, c’est-à-dire un peuple, à un autre. « Se trataba de exterminar a un enemigo injusto con el fin de borrar tres siglos de opresión y de ignominia [26]. » Selon l’auteur, un retournement se produit partir de ce moment-là : Haïti, d’épouvantail, devint modèle. Massacrer l’ennemi ouvrait le temps de la liberté et fermait l’ère de l’esclavage, écrit-il. Cet ennemi, c’était l’Espagnol colon. Le Plan du député de Merida Briceño pour libérer le Venezuela, signé par Bolivar disait expressément :

« Comme cette guerre a pour premier et principal but de détruire au Venezuela la race maudite des Espagnols Européens, parmi lesquels on doit compter les Canariens, il est par conséquent exclu de les admettre dans les rangs de l’expédition, aussi bons patriotes qu’ils puissent sembler, car il ne doit en rester aucun vivant, et ils seront repoussés sans aucune exception. On n’admettra pas non plus d’officiers anglais, sinon avec le consentement de la majorité du corps des officiers, car ils sont les alliés des Espagnols. [27]. »

Certes Bolivar corrigea les « excès » de ce plan, mais il l’approuva. Lui-même comparait les Espagnols du Venezuela aux « premiers monstres qui firent disparaître d’Amérique sa race originelle ». L’extermination des Espagnols mettait fin dans le sang à l’ignominie de la Conquête ; mais la race, chez Bolivar, ne renvoyait pas à une notion biologique.

Contrairement au projet de Briceño, le « décret » de guerre à mort ouvrait pourtant la porte à l’Espagnol qui renonçait à l’arbitraire, et soutenait la cause de la liberté. Dans ce cas, il serait tenu pour Américain. Manière de dire que le sang n’avait pas de signification biologique, ni même généalogique à proprement parler. Il désignait plutôt d’une histoire figurant la continuité d’une domination despotique exercée par un peuple et qui était susceptible d’être régénérée individuellement ou collectivement par le retour aux droits naturels [28].

Conclusion

Certes, avec cette ébauche de généalogie sud américaine de la guerre des races chez Reinaga, nous n’avons entrevu qu’une des strates de l’histoire. Il faudrait continuer le travail commencé par un auteur tel que Gustavo Cruz [29] sur le rôle des luttes des Afro-Américains des États-Unis dans la pensée de l’intellectuel aymara. Cet auteur retrace l’influence des Black Panthers pour l’élaboration de la pensée révolutionnaire reinaguienne, mentionnant les citations de l’écrit de Stokely Carmichael, Black Power. D’ailleurs La révolution indienne, lorsqu’elle est sortie aurait dû être traduite en anglais par les Black Panthers. Mais il faudrait également revenir sur l’influence de la Caraïbe, celle de Fanon, la plus évidente, très précisément documentée par Gustavo Cruz, et celle de la révolution haïtienne. S’il est facile de retrouver dans La revolución india des citations ou allusions à Fanon, l’influence de la révolution haïtienne est plus souterraine. Pourtant, l’idée d’indianisation de la nation pourrait se voir comme une variation sur le motif révolutionnaire haïtien, lorsque Dessalines déclara que dans l’empire qu’il venait de fonder tous les citoyens étaient noirs, quelle que soit leur couleur de peau [30].

Retracer le trajet de ce concept nous a amené à entrevoir ce qui est occulté par les histoires nationales, par exemple la présence déterminante des Indiens et des noirs dans les luttes d’indépendance, d’abord, puis dans les différents conflits entre républiques. Une importance qui fut longtemps passée sous silence par l’historiographie. Reinaga, en 1969, dans son livre-manifeste, a fait preuve d’une clairvoyance historique assez remarquable en notant le lien entre la Grande Rébellion indienne de 1781 et la guerre d’indépendance quelques décennies plus tard ; il a également su voir que la guerre civile de 1898 constitue la matrice de la république bolivienne. Son schéma de la guerre des races repose sur l’exhumation de données très souvent occultées.

On a dit de lui qu’avec ce concept, il pratiquait un racisme inversé. En fait, le retour sur la généalogie de cette idée, ses changements de camp, la modification du sens qu’il prend en fonction de qui l’utilise, tout cela a quelque chose d’assez vertigineux, et un jugement aussi péremptoire sur l’auteur semble surtout rapide. Analyser les multiples manipulations de ce concept, dans leur rapport au déploiement de l’idée d’égalité raciale serait sans doute plus instructif pour avancer sur la question des liens entre race et nation. On citera ici à ce sujet une anecdote propre à l’histoire du Venezuela, cette nation exemplaire des guerres d’indépendance. Lorsque l’indépendance fut acquise, le nouveau gouvernement décréta l’égalité raciale. Et un passage, il accapara la définition de ce qui pouvait être qualifié comme tel. En effet, dès que les pardos, les mulâtres, constatant qu’ils continuaient à souffrir de leur condition de caste, protestèrent pour obtenir la fin de la ségrégation ou des traitements discriminatoires, ils furent durement réprimés. On leur reprocha leur malveillance envers les blancs qu’ils incriminaient. Et voilà que resurgissait, contre les mulâtres, le schéma de la guerre des races, mobilisé antérieurement contre des blancs.

Pour conclure, nous nous contenterons de suggérer que si on peut émettre des doutes sur l’utilité politique du concept de la guerre des races, c’est d’une stratégie qu’il est question, celle du retournement de ses armes contre l’ennemi. On pourrait dire avec Mbembe, évoquant les guerres de libération nationales en Afrique, que « la conception de la lutte (raciale) pour la vie n’était que reprise, sur un mode mimétique, de l’idéologie coloniale, en d’autres termes, racisme inversé [31] ». Mais on peut aussi réfléchir à ce que Matthieu Renault écrit à propos de Fanon. Celui-ci « n’entend pas opposer au racisme colonial un contre-racisme, mais subvertir le racisme biologico-social en puisant à ses sources mêmes, dans ce schéma de la lutte des races qui n’assigne pas encore à la notion de race de sens biologique stable [32] ». Foucault l’avait dit déjà, pour la France ; différenciant la guerre des races, plurielle, et le racisme, singulier. Son analyse peut aussi, me semble-t-il, s’appliquer au penseur indien [33].

Les opinions exprimées dans les articles et les commentaires sont de la seule responsabilité de leurs auteurs ou autrices. Elles ne reflètent pas nécessairement celles des rédactions de Dial ou Alterinfos. Tout commentaire injurieux ou insultant sera supprimé sans préavis. AlterInfos est un média pluriel, avec une sensibilité de gauche. Il cherche à se faire l’écho de projets et de luttes émancipatrices. Les commentaires dont la perspective semble aller dans le sens contraire de cet objectif ne seront pas publiés ici, mais ils trouveront sûrement un autre espace pour le faire sur la toile.


[1L’origine de Fausto Reinaga reste mystérieuse, il revendique son ascendance aymara mais semble plutôt avoir été quechuaphone ; l’essentiel étant d’ailleurs pour lui d’être « Indien ».

[2Les polémiques portant sur l’indianité réelle ou prétendue de Reinaga rendent compte d’une perspective de l’indianité incapable de se dégager de ses soubassements racistes.

[3Traduire les termes « indio » et « indígena » pose un problème dans la mesure où les mots existent en français comme en espagnol mais ne recouvrent pas les mêmes notions. Cela tient aux différences des histoires coloniales espagnole et française.
Le mot « indio » est apparu dans une histoire coloniale spécifique – la colonisation espagnole de l’Amérique – pour désigner les habitants du Nouveau Monde, avec l’erreur de Colomb. Il s’est implanté et a très vite pris une connotation négative. C’est aussi le terme qui était employé dans le cadre de l’administration impériale, par exemple dans les lois des Indes, pour désigner ceux qui étaient considérés comme des mineurs du point de vue juridique.
Le terme « indígena » n’a jamais eu la connotation négative du terme « indio », et c’est sans doute ce qui explique qu’il ait été choisi pour désigner le courant littéraire puis social soucieux d’une revalorisation des autochtones. Dans les années 1920, c’est l’intellectuel péruvien José Carlos Mariátegui qui introduisit le terme « indigénisme » pour définir l’avant-garde latino-américaine dans les domaines politiques, littéraires, artistiques.
Mais en France le terme « indigène », renvoie à la colonisation française du XIXe siècle, en Afrique et en Asie. Il était employé par l’administration coloniale, puisqu’il existait un code de « l’indigénat », ce qui renvoyait à un statut inférieur, comme c’était le cas pour le terme « indio » dans l’Amérique coloniale espagnole. D’autre part, au XXIe siècle, le terme indigène commence à être employé par des populations françaises d’origine coloniale, qui décident de s’appliquer le terme pour rendre compte de la discrimination néo-coloniale dont elles sont victimes. Enfin, en réponse à cet emploi, certains secteurs intellectuels et politiques réactionnaires se mettent à parler d’indigénisme pour désigner par exemple les Indigènes de a République, le terme prenant dans leur bouche une valeur particulièrement négative.
Nous observons donc sur les deux continents à des époques différentes des emplois complètement antagoniques du terme « indigène ». Dans le cadre de cet article, nous avons traduit « indigenismo » par « indigénisme » puisque c’est le terme qu’emploient en français les spécialistes de ce « champ de recherche ».

[4Le pacte militaire-paysan date de 1964. Il n’a pas grand-chose d’un pacte, c’est plutôt la formalisation d’un coup d’État et un instrument de contention des luttes indiennes.

[5Avec toute la différence qui existe entre la loi et son application. Les archives coloniales débordent de plaintes d’autochtones dépouillés de leurs terres.

[6Très ancien mode de propriété et usage de la terre, en fonction du lignage, basée sur les communs et le travail partagé, inséparable d’une cosmogonie, propre à tous les pays de la zone andine.

[7Voir Silvia Rivera Cusicanqui. Oprimidos pero no vencidos. Luchas del campesinado aymara y qhechwa 1900-1980. La Paz. Hisbol - CSUTCB, 1984. Chapitre 1.

[8La loi d’Exvinculación « permettait “aux Indiens, grâce à l’abolition de la propriété communale et la parcellisation et distribution de titres privés de propriété, de vendre leurs terres. En principe un impôt moderne devait remplacer l’ancien impôt colonial que payaient les Indiens et qui avait été la principale source de revenus jusqu’à la guerre du Pacifique. Dans la réalité, les deux impôts se superposèrent

[9Chose importante dans le cadre de ce qui nous intéresse ici, une partie de la population métisse profite de l’imposition de la propriété privée pour légaliser les terres acquises frauduleusement auparavant sur les ayllus, et accroître ainsi la pression extractive sur les Indiens, ce qui est en fait complètement en contradiction avec la liberté que prétendait apporter le nouveau régime

[10Silvia Rivera Cusicanqui. Violencias (re) encubiertas en Bolivia. Editorial Piedra Rota. La Paz. p. 207.

[11Comme des États nationaux équatoriens, boliviens ou péruviens. C’est la même chose qui se passe dans tous les pays d’Amérique du Sud où la population d’origine autochtone est importante à partir des années quarante

[12L’école Warisata fut fondée dans les années 1930 en Bolivie. Destinée aux communautés autochtones, et basée sur les traditions et coutumes communautaires, elle était aux antipodes de la pédagogie officielle de l’époque. Le projet éducatif de l’école fut conçu comme un processus d’entraînement à la résistance contre la grande propriété foncière, la discrimination raciale et les formes d’éducation esclavagiste des populations indiennes. Voir Arturo Vilchis Cedillo. « La Escuela–Ayllu de Warisata, Bolivia y sus relaciones con México » dans De Raíz Diversa, vol. 1, núm. 1, abril-septiembre 2014.

[13Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis commencent à exporter leurs politiques de développement. La Mission andine, qui interviendrait dans des zones rurales, serait un des axes de cette politique avec la collaboration de l’Organisation internationale du travail. Voir le travail de Mercedes Prieto. El Programa Indigenista Andino, 1951-1973. Las mujeres en los ensambleas estatales del desarrollo. Quito. Editorial Flacso. 2017.

[14C’est ainsi que les États andins ont abordé la prise en compte de ceux qui étaient souvent majoritaires dans leur pays.

[15La disparition programmée des « Indiens » est présente y compris dans la littérature qui semble prendre leur défense. Voir Claude Bourguignon Rougier. « Biopolitica y gran relato nacional. Presencia espectral del mundo indígena en tres novelas de la selva ». Revista Kipus. Quito. 2014.

[16Pour Reinaga, en 1952, avec une réforme agraire qui fait de la terre la propriété de l’État, les choses n’ont pas changé « En el primer caso, al integrarse, al asimilarse en otra sociedad, el indio como indio desaparece ; y si vuelven, si tornan los terratenientes, y si es restablecido el latifundio, el indio será exterminado ». Dans La revolución india, p. 305.

[17Dans les années quarante il fut député pour le MNR.

[18Seule leur nation est authentique car elle renvoie à une histoire indienne glorieuse, entre autres, celle du Tawantinsuyu, l’empire inca, modèle quasiment socialiste de justice sociale, détruit par la Conquête mais qui peut revivre. Certaines de ses structures, celles de l’ayllu pré-colombien et pré-incaique, n’ont jamais disparu.

[19« Je ne suis pas indien, bordel, c’est vous qui avez fait de moi un Indien. »

[20Acculturation qu’il faut saisir comme processus, pas comme table rase.

[21Il faut à ce sujet remarquer, qu’avant que des historiens, péruviens, comme Alberto Flores Galindo, ou des anthropologues équatoriens, comme Segundo Moreno Yáñez inventorient les révoltes en région andine, leur importance avait été minorée ou ignorée par les historiographies nationales.

[22Blancs en aymara.

[23Ramiro Condarco Morales. Zárate, el temible Willka : historia de la rebelión indígena de 1899. La Paz, 1966

[24Pourtant ce massacre, qui est devenu une sorte de métaphore de la violence barbare indienne, les métis locaux y ont participé, comme le démontre l’historienne Pilar Mendieta dans Entre la alianza y la confrontacion. Pablo Zarate Wilka y la rebelión indígena de 1899. Institut français d’études andines. 2016.

[25Marixa Lasso. « Los grupos afro-descendientes y la independencia. ¿Un nuevo paradigme histórico ? » Dans L’Atlantique révolutionnaire. Une pespective ibéro-américaine. Sous la direction de Clément Thibaut. Éditions les Perséides. 2013.

[26Thibaut, Clément. « La ley y la sangre. La “guerra de razas” y la constitución en la América Bolivariana », Almanack, Universidade de Sao Paulo, n° 1, mai 2011, p. 17. http://www.almanack.unifesp.br/index.php/almanack/article/view/711.

[27Lettre d’Antonio Nicolás Briceño à Manuel del Castillo, sur ses exécutions, folio. 57.

[28Thibaud, Clément. « La loi et le sang. “Guerre des races” et constitution dans l’Amérique bolivarienne ». La Révolution française [En ligne], « Les massacres aux temps des Révolutions ». URL : http://journals.openedition.org/lrf/233.

[29Cruz, Gustavo. Los senderos de Fausto Reinaga. Filosofía de un pensamiento indio. Plural editores. La Paz. 2013.

[30« Le massacre des blancs par Dessalines, au moment de l’entrée en vigueur de l’accord de paix, au moment de la déclaration d’indépendance en 1804, incarne la revanche de la race opprimée », écrit Clément Thibaut dans « La ley y la sangre. La “guerra de razas” y la constitución en la América Bolivariana », Almanack, Universidade de Sao Paulo, n° 1, mai 2011, http://www.almanack.unifesp.br/index.php/almanack/article/view/711.

[31Matthieu Renault. « Frantz Fanon et les langages décoloniaux. Contribution à une généalogie de la critique postcoloniale ». Thèse de doctorat. 2011.

[32Idem.

[33Pour des analyses revenant sur l’analyse foucaldienne de la guerre des races dans ses liens avec celle de Reinaga, voir Claude Bourguignon Rougier. « Nation, utopie andine et exteriorité ». Intervention dans le cadre d’Europhilosophies à l’Université Jean Jaurès. Toulouse. 2016. Et Raúl Prada Alcoreza. « La revolución india. La guerra de razas ». Rebelión. 2014. https://rebelion.org/la-guerra-de-razas/.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

>> PDF Formato PDF