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ÉTATS-UNIS - Les sanctions contre le Venezuela et le pétrole
Lucas Estanislau
mercredi 7 septembre 2022, mis en ligne par
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26 juillet 2022 - Les conversations entre le gouvernement et l’opposition vénézuélienne sont suspendues depuis neuf mois ; pour un expert, la crise énergétique des États-Unis favorise la position de Caracas.
Paralysé depuis octobre de l’an dernier, le dialogue entre le gouvernement et l’opposition vénézuélienne, qui avait été amorcé au Mexique, prétendait progresser dans la résolution de questions fondamentales pour la vie politique et économique du pays, sur des sujets tels que la restitution des biens que se sont appropriés les forces d’opposition et la fin des sanctions imposées par les États-Unis contre le pays.
Au début de l’année, le gouvernement du président Nicolas Maduro a manifesté son intention de reprendre l’initiative peu après la visite d’une délégation états-unienne à Caracas. Pourtant, quatre mois après cette annonce le dialogue n’est toujours pas rétabli entre le gouvernement et l’opposition. Les représentants, bien qu’ils se soient dits favorables, n’ont pas encore entamé de véritables négociations.
Ces derniers mois, la reprise du dialogue a connu de nouveaux rebondissements en raison des problèmes énergétiques qui menacent l’Occident. À la recherche d’alternatives à la fourniture du combustible russe, interrompue par la guerre en Ukraine, les États-Unis ainsi que d’autres pays européens ont commencé à considérer le Venezuela comme source d’approvisionnement susceptible de répondre à la demande en pétrole.
L’analyste Ricardo Vaz explique que le dialogue entre le gouvernement et l’opposition au Venezuela est, en réalité, une négociation entre le gouvernement vénézuélien et le gouvernement des États-Unis. Cela serait dû au fait que les « opposants de droite sont des agents de Washington qui, dans leur majorité, ne vivent que pour leur propre intérêt, avec l’appui des États-Unis ». Pour cette raison la reprise des conversations s’oriente en fonction de la situation actuelle des puissances occidentales.
« Si nous regardons la situation de l’an dernier, quand les pourparlers ont commencé au milieu de l’année, et que nous voyons ce qui a changé depuis, nous voyons que ce sont les conditions extérieures. Le gouvernement vénézuélien souhaite dialoguer avec les États-Unis pour mettre fin aux sanctions, car la récupération économique ne sera pas soutenable si le blocus n’est pas levé. Mais actuellement, avec la conjoncture de l’augmentation des prix des combustibles et la guerre en Ukraine, la position du gouvernement dans les négociations est plus forte et, par conséquent, il n’agira pas de la même manière que précédemment », a déclaré Vaz.
Le scenario de la crise énergétique a conduit le président des États-Unis, Joe Biden, à envoyer en mars une délégation au Venezuela qui a rencontré Maduro et d’autres membres du gouvernement vénézuélien. Le geste, outre le fait que c’est un signe de rapprochement entre Washington et Caracas et une défaite diplomatique pour l’opposition, menée par l’ex député Juan Guaidó, a fait office de premier pas pour que gouvernement et opposition se montrent en faveur de la reprise des négociations, au Mexique, pays amphitryon des rencontres.
Après la rencontre, qualifiée de « respectueuse, cordiale et très diplomatique », Maduro a souligné la volonté de « renouer le dialogue avec tous les acteurs politiques et économiques » du pays. La décision a contribué à ce que le président de l’Assemblée nationale du Venezuela et le chef actuel de la délégation du Gouvernement à la table des négociations, Jorge Rodríguez, se réunissent en mai avec le représentant de l’opposition au dialogue, Gerardo Blyde. Un mois plus tard, en juin, tous deux ont aussi participé au forum d’Oslo, en Norvège, mais depuis lors les deux parties ne se sont plus rencontrées.
De la part des États-Unis, la suspension de certaines sanctions peu après la première réunion à Caracas, a permis à Chevron de renouer le dialogue avec la compagnie pétrolière de l’État, PDVSA, pour qu’elle reprenne ses opérations dans le pays. Bien que la levée totale du blocus contre le Venezuela n’ait pas été promise publiquement Washington a honoré à nouveau le pays quand il a envoyé une autre délégation à Caracas, pour la seconde fois depuis le début de l’année, en juin de cette année.
Pour Vaz, même si l’administration Biden ne le dit pas publiquement « des signes indiquent que la Maison-Blanche veut changer de politique envers le Venezuela, étant donné que la stratégie actuelle est un héritage de l’administration Trump et n’a pas d’utilité pour les États-Unis dans la conjoncture actuelle ». « Cependant le président états-unien doit opérer une série de calculs internes pour avancer, en prenant en considération le soutien des votants vénézuéliens résidant en Floride et de l’opposition républicaine. Le fait est que la situation actuelle favorise la position de Caracas et que la perception existe au sein du gouvernement de ce que la situation se dégradera plus vite pour l’opposition et, en conséquence, pour les États-Unis » a-t-il dit.
Le dialogue est un effet secondaire de la tension
Les objectifs des négociations et les demandes faites par le gouvernement de Maduro concernent l’escalade des hostilités de la part des États-Unis et de la droite vénézuélienne, au cours de ces dernières trois années. Orientés par la « politique de pression maximale » lancée par l’ex-président Trump, la Maison-Blanche et des secteurs de l’opposition n’ont pas réussi à reconnaître le second mandat de Maduro, réélu en 2018.
Les niveaux de tension sont montés en 2019, quand Juan Guaido, alors député, s’est autoproclamé président du pays et a reçu le plein soutien des États-Unis. C’est à cette période que Washington a accentué encore le blocus économique contre le Venezuela, touchant principalement l’industrie pétrolière et provoquant une des pires crises de productivité et de revenus dans l’histoire du pays.
« Les objectifs des négociations et les requêtes du gouvernement de Maduro concernent l’escalade des hostilités qu’ont adopté les États-Unis et la droite vénézuélienne les trois dernières années. »
L’opposition dirigée par Guaidó, de son côté, a continué à demander davantage de sanctions et de soutien aux Etats-Unis et aux pays voisins pour tenter de renverser le gouvernement vénézuélien, ce qui est allé de la tentative de faire un coup d’Etat à embaucher des mercenaires pour envahir le Venezuela.
Dans ce contexte, en 2019, gouvernement et opposition ont entamé une première négociation avec la médiation de la Norvège, tentative qui a fini par échouer après que Washington ait approuvé un nouveau paquet de sanctions.
Pour le sociologue vénézuélien Lirio Reyes, c’est durant cette période que le secteur de l’opposition de droite qui appuie l’auto-proclamation de Guaidó a cherché à construire un récit politique contre le Venezuela, affirmant qu’il lutte pour « restaurer la démocratie et l’indépendance et le système de la justice. »
« Cette opposition se base sur des principes tels que rendre la démocratie au Venezuela et sauver les tribunaux indépendants, mais ce récit n’a pas été suivi. Le Venezuela est un des pays les plus démocratiques de la région, avec toutes les garanties électorales, mais peu importe à ce secteur de l’opposition car fondamentalement il n’a pas intérêt à disputer le champ électoral » dit-il.
En 2021, avec Biden à la Maison-Blanche, gouvernement et opposition ont repris les négociations, cette fois-ci avec la médiation du Mexique et de la Norvège. En septembre de l’an dernier a été signé un protocole d’accord mais, un mois plus tard, les conversations ont été suspendues en raison de l’extradition d’Alex Saab par les États-Unis. Le gouvernement vénézuélien, qui considère que Saab est un diplomate arrêté illégalement par Interpol au Cap Vert, a qualifié cet acte de « séquestre » et, dès lors, a inclus sa libération dans la liste des conditions à la reprise du dialogue.
Les principales requêtes des chavistes sont la fin du blocus et la restitution des biens de l’État à l’extérieur que l’opposition s’est appropriée. Le cas le plus emblématique, en plus de l’or vénézuélien dans la Banque d’Angleterre et l’usine de fertilisants Monomeros en Colombie, c’est le réseau des raffineries Citgo, situé aux États-Unis qui appartient à la compagnie pétrolière de l’État vénézuélien, PDVSA. Depuis 2017 l’entreprise est soumise à des sanctions, mais c’est après l’auto-proclamation de Guaidó qu’elle est passée sous le contrôle des opposants avec l’assentiment de la justice étatsunienne. L’entreprise est estimée à 8 milliards de dollars. Au cours des années où elle a été sous le contrôle de l’opposition elle a été menacée d’être vendue pour solder les dettes de PDVSA auprès des créanciers internationaux.
Vaz dit que, en raison de la crise énergétique, il est possible que « soit autorisé un certain échange avec Citgo, car il possède des raffineries adaptées au brut extra lourd vénézuélien » mais estime improbable le retour total de l’entreprise au Venezuela.
« Il est possible qu’il y ait un accord de levée des sanctions très limité qui permettrait seulement à Citgo d’acheter ou de recevoir du pétrole vénézuélien, en l’échangeant peut-être contre de l’essence, mais je crois que cela se ferait de façon très ponctuelle et isolée. Je pense qu’il est compliqué, du moins dans ce contexte, que Citgo revienne sous le contrôle de l’État vénézuélien » a-t-il déclaré.
La décadence de Guaidó et de l’opposition ?
Après plus de trois ans de tentative de construire une présidence fictive, l’ex-député Juan Guaidó, perd de plus en plus l’appui international et celui de la droite vénézuélienne elle-même. Outre le fait que Biden ait envoyé des délégations pour dialoguer directement avec Maduro, il est probable que ce représentant de la droite perde l’appui de la Colombie, un de ses principaux alliés régionaux sous le gouvernement d’Ivan Duque. Le président élu Gustavo Petro prend ses fonctions le 7 août et a déjà promis de rétablir les relations avec le gouvernement vénézuélien.
Au sein des partis de l’opposition apparaissent des querelles internes et des accusations de corruption pour des contrôles d’actifs à l’extérieur, ce qui conduit certains secteurs à remettre en question le leadership de l’ex-député.
La situation récente de Guaidó, marquée par des scandales et des alignements inconditionnels sur les États-Unis a suscité le rejet des citoyens. Selon une enquête réalisée en juillet par l’entreprise Delphos, plus de 55% des personnes interrogées ont déclaré qu’« il n’existe pas » ou qu’ils « ne savent pas » qui est le leader de l’opposition au Venezuela. En outre, selon cette même enquête, plus de 64% des personnes interrogées s’est montré contre les sanctions imposées par les États-Unis et que Guaidó encourage.
Pour Reyes, la situation actuelle d’urgence énergétique que vivent les États-Unis devrait affaiblir davantage ce secteur de la droite vénézuélienne et la tendance indique que « l’opposition se manifeste de moins en moins ».
« Le conflit politique engendré au Venezuela est celui du pays avec les États-Unis. Depuis des années nous ne luttons pas contre l’opposition, car ce qu’a été cette offre politique est une sorte de marionnette servant les objectifs de Washington qui, en dernière instance, veut s’approprier nos ressources, l’or, l’eau et le pétrole » dit-il.
Traduction française de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : https://www.alai.info/lo-que-falta-para-que-gobierno-y-oposicion-venezolana-retomen-los-dialogos.