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DIAL 3638

La disparition de la religion institutionnelle

Diego Pereira Ríos

vendredi 25 novembre 2022, mis en ligne par Dial

Le laïc uruguayen Diego Pereira Ríos [1] pose un regard lucide sur la crise institutionnelle que traverse l’église et sur son avenir. Texte publié sur le site Amerindia le 20 novembre 2022.


Le problème de Dieu continue d’être un défi, peut-être pas pour tout le monde, mais pour ceux d’entre nous qui croient en lui, peut-être surtout pour nous. Croire en un Dieu qui est amour, qui donne tout pour les autres, qui renonce à sa toute-puissance pour ne faire plus qu’un avec ceux qui souffrent le plus au monde – selon la théologie chrétienne –, il est de plus en plus difficile d’en témoigner. Beaucoup de personnes qui essaient de le vivre au quotidien, en particulier nous les laïcs et laïques dans nos lieux de travail, dans nos familles, au contact des autres personnes rencontrées dans la société auxquelles nous voudrions communiquer notre foi et notre espérance, nous sommes souvent stupéfaits et ébranlés par le poids de l’institutionnalisation de la religion. La sécularisation et la postmodernité, qui ont engendré un manque de confiance dans les institutions sociales, continuent d’affecter la façon dont on peut croire en Dieu aujourd’hui, mais l’institution elle-même continue de donner des raisons pour être disqualifiée. S’il s’agit seulement d’obéissance, de rituels, de coutumes ou de traditions, de « nettoyage des consciences », la religion, de plus en plus, poursuivra ce processus de disparition.

Le discours apologétique selon lequel « sans communauté il n’y a pas de foi solide » n’a pas de sens s’il ne s’agit que de défendre l’institutionalisation ou s’il s’agit seulement de continuer à soutenir une hiérarchie qui a besoin de fidèles pour survivre. La hiérarchie et la fidélité des croyants se combinent de façon vicieuse pour générer le mal du cléricalisme tant combattu par le pape François. S’il y a une caste qui se croit supérieure à l’ensemble de l’Église, c’est parce que cette majorité recrée en elle-même cette nécessité. Mais comme on le dit, si on regarde ce que les gens nous montrent, il y a de plus en plus de gens qui ne croient pas en Dieu à cause des scandales de l’institution ecclésiale. J’insiste : nous sommes en train de disparaître. Quand je dis que nous sommes « stupéfaits et ébranlés » par ce qui nous arrive en tant qu’institution ecclésiale, je ne fais pas seulement référence aux abus sexuels (qui sont ce qu’il y a de plus connu). Nous devons aussi porter un regard critique sur le chemin suivi par l’Église, ainsi que sur l’ouverture supposée à une mentalité plus démocratique, plus égalitaire, plus équitable, qui est ce que nous recherchons aujourd’hui avec la synodalité.

Personnellement, telle que l’Église existe aujourd’hui, je pense que la meilleure chose qui puisse nous arriver est qu’elle disparaisse. La structure médiévale, classiste, sexiste, homophobe, en quête de pouvoir doit sans aucun doute disparaître. Beaucoup penseront que ces choses n’arrivent que dans les pays où l’Église est plus nombreuse, pas en Uruguay. Mais pour ceux d’entre nous qui font partie du Peuple de Dieu, qui sont au sein de l’Église, il suffit de se rapprocher des communautés ou des groupes paroissiaux, pour percevoir rapidement tout ce que je dis. De plus : je suis sûr que beaucoup d’entre nous sont conscients de tout cela, mais nous avons toujours deux sortes de peurs. La première est que, si nous dénonçons cela et le faisons connaître, nous serons sûrement expulsés ou « marqués » pour n’avoir pas respecté l’ordre établi (même si ce ne sont que des normes humaines) car en tant que laïcs notre voix n’a toujours pas de poids dans les décisions ecclésiales. La seconde est que nous sommes tellement formatés par une idéologie hiérarchique qui nous a rendus très dépendants des prêtres que cela nous empêche de marcher dans la vérité et la liberté. C’est ainsi que nous, les laïcs, ne nous sentons pas capables de faire connaître notre opinion face à diverses situations. C’est la pire des peurs.

Pour cette raison, tant que rien ne change, et tant que la proposition du Pape de reconvertir l’Église en une Église synodale, où nous sommes tous égaux, où nous pouvons tous nous sentir co-responsables du salut des autres, la méfiance dans l’institution ne cessera de croître et le nombre de fidèles de diminuer. Est-ce la meilleure chose qui puisse nous arriver ? Je ne sais pas, je sais seulement que beaucoup de catholiques se refroidissent de plus en plus, leur cœur ne vibre pas devant la proclamation de l’Évangile, beaucoup suivent la logique capitaliste de la recherche du succès, du bien-être matériel et économique, du travail pour obtenir les moyens d’acheter du plaisir. Beaucoup de catholiques qui ont un bon bagage économique continuent d’envoyer leurs enfants poursuivre une carrière qui leur garantira une vie de luxe. S’il y a des missionnaires engagés, c’est une étape de jeunesse, quelque chose de temporaire, quelques signes solidaires d’actions concrètes sans réflexion ni intériorisation. Et tout continue d’être avalisé par la hiérarchie. Tant que le vide intérieur continuera à être rempli de tout ce qui n’est pas Dieu, la foi sera un sentiment passager. Il est triste que ceux qui font tant pour vivre une foi mûre et engagée continuent d’être disqualifiés et non pris en compte. C’est pour ça que ce type d’église institutionnelle doit disparaître pour refleurir. C’est notre foi et notre espérance.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3638.
 Traduction d’Alain Durand pour Dial.
 Source (espagnol) : Amerindia, 20 novembre 2022.

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[1Diego Pereira Ríos est professeur de philosophie et de religion, inscrit en Master de théologie latinoaméricaine (UCA). Il est membre d’Amerindia Uruguay et de RED CREA-Cómplices Pedagógicos para America Latina. Ses recherches se situent à la rencontre de la réflexion philosophique, théologique et pédagogique dans une perspective libératrice.

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