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ARGENTINE - Malouines, impérialisme et « le nouvel ALCA »

Gonzalo Armúa

mardi 23 mai 2023, par Françoise Couëdel

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2 avril 2023 - La question des Malouines, 41 après la guerre, doit s’envisager en relation avec le « Nouvel ALCA » qui vise les intérêts géostratégiques de l’impérialisme sur les ressources naturelles du sud global et également sur l’Antarctique.

La question des îles Malouines et leur revendication de souveraineté contre le colonialisme britannique ne doit pas être envisagée comme une cause nationale argentine qui surgit régulièrement comme des élucubrations de ceux d’en bas – comme exercice d’anti-impérialisme populaire – mais doit être entendue comme la cause latino-américaine des générations présentes et futures. En raison de sa position géostratégique, leur possession illégitime fait des ces îles un nœud d’une grande importance au cœur de la stratégie militaire de l’impérialisme. Son occupation permet le contrôle des possessions communes maritimes de l’Atlantique sud, ainsi que la circulation interocéanique et garantit au Royaume Uni une situation privilégiée dans la course pour l’Antarctique, qui est déjà en marche.

Pour cette raison la question des Malouines n’est pas qu’un relent du colonialisme du XIXe siècle mais participe à ce que trame actuellement l’impérialisme et sa tentative de s’assurer le contrôle des biens communs de la région, en participant ainsi au conflit géopolitique dans un monde qui est, de fait, multipolaire.

Bases militaires et colonialisme en Amérique latine

Il existe actuellement, en Amérique latine et dans la Caraïbe, 72 bases militaires qui sont contrôlées par des forces militaires étasuniennes. À celles-ci s’ajoutent les bases britanniques de Port Stanley, Mount Pleasant et Mare Harbour situées dans les îles Malouines. Toutes ces bases militaires sont organisées dans le cadre du système de défense de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) qui, ces derniers temps, a été réactivé pour resserrer le bloc occidental et freiner le déclin relatif des États-Unis alors qu’a l’opposé se produit l’ascension de la Chine comme nouveau pôle de pouvoir mondial.

Ce n’est pas pour rien qu’en 2010 l’OTAN a modifié certains de ses objectifs stratégiques ajoutant celui de « l’usage de la force militaire pour la défense énergétique et climatique ». Ce qui signifie l’usage de la force pour le contrôle des ressources naturelles dans les régions que l’impérialisme ne contrôle pas directement. Cette question a, et aura, un rôle central dans le futur belliqueux de ce XXIe siècle surtout dans la région sud-américaine qui – en dehors d’être un réservoir de biodiversité, d’eau, de minéraux, de lithium, de combustibles et d’aliments – est devenue, au cours des dernières décennies, un laboratoire de projets contre l’hégémonie de l’impérialisme.

Pour cette raison il faut considérer les bases militaires situées dans les Malouines comme une partie du mécanisme intégral de domination. Un seul exemple, la RAF Mount Pleasant (base militaire de la Royal Air Force) est la plus grande base militaire permanente qui existe à l’extrémité Sud du monde ; elle compte 2000 militaires en permanence et une flotte de sous-marins nucléaires équipés de missiles capables d’atteindre des cibles à 2500 kilomètres de distance. Cela signifie la capacité de bombarder Buenos Aires, Asunción, La Paz, Brasilia et même Quito. En ce sens l’occupation coloniale des Malouines est en relation avec le réseau des bases militaires de l’OTAN, du nord au sud et d’est en ouest du continent. Cette caractéristique se répète sur d’autres territoires insulaires situés dans la mer des Caraïbe.

Pour ce qui est de la domination territoriale directe dans notre région, au premier rang se trouve le Royaume Uni. Outre les Îles Malouines, les Îles Sandwich et celles de la Géorgie du sud, il possède les « territoire ultramarins » d’ Anguilla, les Îles Caïmans, les Bermudes, les Îles Turks et Caïques, Montserrat et les Îles Vierges. Suivi par la France, avec presque quatre îles de plus dans la Caraïbe, auxquelles il faut ajouter le territoire continental de la Guyane française où est installée également une base militaire. De leur côté, les Pays Bas possèdent trois îles et « demie », Saint Martin (qu’elle partage avec la France) où, sur deux d’entre elles, sont installées des bases militaires nord-américaines : Aruba, Curaçao, comme par hasard à quelques kilomètres des côtes bolivariennes du Venezuela.

N’oublions pas que les États-Unis, possèdent deux territoires coloniaux en plein XXIe siècle : les îles Vierges et Porto Rico, occupé en 1898, après la guerre avec l’Espagne. Sous le statut d’« État libre associé » les portoricains sont considérés comme des citoyens de seconde zone, endurent tous les malheurs du capitalisme nord-américain sans aucun de ses avantages. Porto Rico a également une base militaire semblable à celle que l’armée nord-américaine possède encore à Guantanamo, territoire qu’elle occupe toujours sur le sol cubain.

Colonialisme intérieur

Revenons à l’Argentine. Il faut souligner que le pays ne souffre pas uniquement du « colonialisme offshore » ; au cours des dernières décennies le territoire de la Patagonie (dans le sud du pays) non seulement a été privatisé, mais a été concentré entre les mains de quelques holdings et chefs d’entreprises. Selon le Cadastre national des terres rurales (RNTR), l’Argentine est d’une superficie de 226.711.077 hectares, dont 5,02% sont la propriété d’étrangers. En outre, avec l’arrivée au pouvoir de Mauricio Macri les réglementations pour l’acquisition de terres par des étrangers se sont assouplies, grâce au Décret 820/2016 très contesté, et on a commencé à enregistrer des entreprises étrangères – compte tenu de leur nombre d’actionnaires – comme si elles étaient nationales. Cela fut le cas de Roemmers, Techint, Bulgheroni ou la Fondation Tompkins, propriétaires de terres rurales situées stratégiquement sur des réserves d’eau douce et avec accès direct à des plateformes maritimes en Amérique du sud.

Selon une enquête réalisée en 2021, par l’Institut d’Études et de Formation (IEF) de la CTA autonome (Centrale des travailleurs argentins), les grands propriétaires terriens étrangers de la Patagonie sont : le groupe Benetton (Italie) avec 900mille hectares, situés à Neuquén, Rio Negro, Chubut, et Santa Cruz ; le Groupe Heilongjiang Beidahuang (Chine) avec 330 mille ; Somuncura Patagonia SA (France), avec 155 mille ; Rabino Elimeir Libersohn (U.S.A) avec 140 mille ; Gold Corp (Canada)avec 130 mille ; Trillum Corporation (U.S.A) avec 125 mille ; Roberto Hiriart (Chili) avec 100 mille ; Anglo Ashanti Gold (Afrique du Sud) avec 50 mille ; Grupo Burco (Belgique) avec 85 mille ; Ted Turner (U.S.A) avec 56 mille y le magnat anglais Joe Lewis avec 38 mille. Ce dernier est connu pour s’être approprié le Lago Escondido et avoir frappé brutalement ceux qui on tenté de pénétrer jusqu’à ce miroir d’eau pour revendiquer leurs droits. Moins connue que sa demeure est la piste d’atterrissage gigantesque qu’il a fait construire sur les rives de l’Atlantique. Cette piste a été l’objet de dénonciations pour avoir permis des vols clandestins depuis et vers les Malouines.

Biens communs, points stratégiques et dispute sur l’Antarctique

L’importance stratégique de posséder une base militaire à l’extrême sud de l’Amérique non seulement est en rapport avec le contrôle et la menace latente actuelle ; il faut aussi envisager le rôle qu’aura le continent antarctique dans les rivalités futures concernant l’accès aux biens naturels, de plus en plus rares et nécessaires pour le système économique mondial, tels que le pétrole, l’uranium, et l’eau potable. Pour 70% les réserves d’eau potable se trouvent comme par hasard dans l’Antarctique.

La possession des Îles Malouines permet à la Grande Bretagne de réclamer des droits souverains sur plus d’un million de kilomètres carrés de l’Antarctique, territoire qui correspond à la surface réclamée par l’Argentine et le Chili dans la zone polaire. Cela fera de cette contestation, dans les décennies à venir, non seulement une revendication de souveraineté de la part de l’Argentine mais une question stratégique pour toute l’Amérique latine. Même si le Protocole sur la Protection de l’environnement interdit toute activité non scientifique en lien avec l’exploitation des ressources de l’Antarctique, en 2048, s’ouvrira la période au cours de laquelle le Traité sur l’Antarctique (et toutes ses normes) pourrait faire l’objet d’une révision à la demande de quelconque de ses Parties consultatives, au nombre desquelles se trouvent les principales puissances actuelles.

En outre deux zones permettent le passage entre l’océan Atlantique et le Pacifique le long du continent américain : le canal de Panama – situé en Amérique centrale – et, au sud, les passages naturels du Détroit de Magellan, le canal de Beagle, et le Passage de Drake. Ce dernier permet de relier non pas les deux mais les trois principales zones océaniques (Atlantique, Pacifique et Océan indien) grâce au courant Circumpolaire Antarctique. Cette zone d’une grande importance stratégique pour le transport des marchandises et la navigation militaire aura de plus en plus d’importance dans la mesure où la Chine et l’Eurasie accroitront leur importance en tant que pôles économiques et pouvoir mondial. Face à ce scenario, les Malouines sont fondamentales pour le contrôle réel de ces passages interocéaniques.

C’est en partant de ces données que nous définissons le « Nouvel ALCA » comme la stratégie impérialiste qui a pour objectif de garder notre Eau, notre Lithium, nos Combustibles, nos Aliments (auxquels nous pourrions ajouter le « A » de Antarctique). Pour cette raison la récupération pleine, légitime et imprescriptible de la souveraineté sur les Îles Malouines, la Géorgie du sud, les Îles Sandwich du sud et les espaces maritimes et insulaires correspondants, est une question stratégique pour le peuple argentin et les peuples d’Amérique latine à la recherche de la Grande patrie, avec le plein contrôle sur ses océans et une projection vers l’Antarctique, à court ou moyen terme. Si nous ne le comprenons pas rapidement, ce 1% du Nord jouira des biens qui reviennent aux majorités, sans équilibre ni respect de la maison commune ni des quelques réserves naturelles, comme l’Antarctique, qu’il nous reste encore sur la planète.

La question des Malouines est la cause que nous, les nouvelles générations, devons défendre. Au nom des jeunes qui y ont sacrifié leur vie mais aussi de ceux à venir et qui méritent une patrie, juste, libre et souveraine.


Gonzalo Armúa est diplômé en en communication sociale (UNlaM), enseignant et journaliste (Argentine). Il est coordinateur des internationales du Frente Patria Grande et membre du secrétariat de l’ALBA.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alai.info/malvinas-imperialismo-y-el-nuevo-alca/.

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