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DIAL 2654

GUATEMALA - Amer café. La situation précaire des petits producteurs continue

Maite Garmendia

mardi 1er juillet 2003, par Dial

La crise du café (cf DIAL D 2626) continue de se faire sentir avec violence sur les petits producteurs dont beaucoup sont réduits à la misère et à la faim. C’est le cas, entre autres, de milliers de paysans au Guatemala. L’article ci-dessous évoque la situation concrète à laquelle certains sont acculés et les obstacles qu’ils rencontrent pour obtenir un soutien. Texte de Maite Garmendia, paru dans La Prensa libre (Guatemala) le 11 mai 2003.


La préparation quotidienne de la nourriture dans la propriété La Florida de Colomba Costa Cuca, occupée par 50 familles depuis octobre, n’est pas aisée, faute d’aliments.

Quand une personne lève sa tasse de café et la porte à ses lèvres, elle ne peut imaginer toutes les histoires qui se cachent derrière cette gorgée.

Situations vécues si amères qui, comme cette boisson, ne sont pas faciles à adoucir aujourd’hui.

Dans le monde du café, la situation ne s’améliore pas : conditions de travail précaire, exploitations abandonnées, faim. ‘‘Le Plan d’attention social relatif à la crise du café et aux conflits du travail’’, approuvé par le gouvernement en février dernier et reconnu comme urgent, en coordination avec la plateforme agraire, n’avance pas comme il le devrait. « Nous sommes dans une situation difficile. Chaque jour nous devons improviser, parce que rien n’est sûr. Nous ne savons pas si nous trouverons quelque chose à manger. Et il n’y a même pas de travail », raconte Pedro Ariel Garcia, paysan de Génova Costa Cuca, Quetzaltenango, père de 5 enfants et ouvrier occasionnel dans cette région.

De ferme en ferme, les récits sont les mêmes. Les salaires en dessous du minimum légal, les journées de travail exténuantes et le manque de nourriture font partie du quotidien de ces petits agriculteurs.

En total abandon

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans la région de Colomba Costa Cuca, Quetzaltenango, existent 106 plantations de café. Durant les meilleures périodes, quelques 400 personnes travaillaient pour chacune d’entre elles.

Aujourd’hui il n’en est plus de même. 80 % de ces domaines sont abandonnés. Les mauvaises herbes recouvrent les plants qui fournissaient autrefois du café. Les ouvriers sont embauchés pour des durées limitées et avec des salaires qui ne dépassent pas souvent les 15 quetzals [1] par jour, explique Oscar Gómez, de la société civile de Colomba, Scideco.

Beaucoup de paysans de la région se trouvaient dans cette situation et ne l’ont pas supportée. Le 11 octobre de l’année passée, 50 familles sont venues occuper la propriété La Florida qui ne produisait plus de café depuis 5 ans.

Aujourd’hui ils espèrent que le gouvernement et la Bancafé, propriétaire du terrain qui leur permet d’y résider sans cultiver la terre, parviennent à un accord d’achat-vente en leur faveur.

La vie de la communauté

A la Florida, les activités commencent à 4 heures du matin pour les 2 hommes et la femme en charge, pour la journée, d’améliorer les maigres rations qu’ils trouveront.

Les enfants se lèvent un peu plus tard pour se rendre dans une petite école située au Paraíso, une propriété alentour. Au retour, ils s’ébattent et se divertissent en jouant avec les petits animaux qu’ils ont. Ce sont les plus grands qui trouvent les journées parfois interminables, parce qu’ils ne sortent pas de la propriété, afin d’éviter toute « trêve » dans leur revendication, mais aussi parce qu’ils n’ont pas grand chose pour leur remplir l’estomac.

Lorenzo Ajcá, 54 ans et ouvrier dans le café depuis plusieurs décennies, fait partie de ces familles qui vivent dans ces cabanes de bambous et plastique qu’ils ont eux-mêmes construites à La Florida.

« Les traitements reçus dans les propriétés n’étaient pas corrects. C’est pour cela que nous sommes venus. Nous luttons de manière pacifique, malgré la faim et les maladies » raconte Lorenzo, qui apprécie l’aide fournie par différentes institutions.

Il est convaincu que cette lutte sera plus efficace dans le temps que de travailler dans une plantation pour 250 quetzals [2] pour 15 jours. « Qu’est-ce que cela représente pour faire vivre une famille de 6 personnes ? » se demande-t-il.

Pendant ses explications, apparaissent les yeux attentifs de Henry García. Même s’il n’a que 12 ans, cet enfant a déjà beaucoup vécu. De la propriété de Soledad, en passant à la San Vicente, de là jusqu’à El Retiro, puis à La Merced. Finalement il est arrivé à La Florida avec ses parents et ses frères « pour lutter et gagner la terre », comme il le dit lui-même.

Pour le moment, l’aide « promise » par le gouvernement n’est pas complètement arrivée dans cette région. A Colomba, il y a eu 1 300 familles qui se sont enregistrées pour obtenir une aide alimentaire pour 6 mois, mais seulement 500 d’entre elles l’ont reçue, et une seule fois.
« Nous avons besoin de nourriture et de subventions pour la location des terres. Nous demandons l’application immédiate de ce qui a été convenu », rapporte Esteban Pérez, un paysan local.

Conflit du travail

Dans d’autres lieux, le problème central réside dans les conflits relatifs au travail. Á quelques kilomètres de La Florida se trouve la propriété María Lourdes, à Génova.

« Nous sommes suspendus parce que nous sommes organisés. Nous ne trouvons pas de travail ici ni ailleurs, ils ne veulent pas nous en donner sous prétexte que nous sommes des rebelles », signale Juan José Mota, secrétaire général du syndicat de María Lourdes.

Les problèmes ont commencé en 1992, quand s’est mise en place l’organisation syndicale. Onze ans plus tard, Juan José est un véritable expert, circonstances obligent, en arrêts judiciaires, en expulsions, licenciements et poursuites pénales.

Dans cette propriété, signale Juan José, il y a 46 personnes qui devraient toucher plusieurs années de salaires. Entre les salaires en attente et les retards, nous avons calculé que cela représente plus de 3 millions de quetzals. Et ils espèrent toujours. « Nous n’abandonnerons pas les lieux. Si nous le faisons, nous perdons la bataille » dit-il.

On est pas encore sorti de cette situation pour trouver une issue. En effet, les décisions du juge ne sont pas effectives et les résolutions des conflits prévues par la Plan d’attention sociale ne sont pas appliquées. « Aucune table ronde locale n’ a été créée pour ici, et certains problèmes remontent à plus de 5 ans », indique le syndicaliste.

Certaines personnes de la Chambre d’agriculture ont une opinion différente et avancent que tous les employés ont été payés, à l’exception de ce groupe parce qu’il ne montre aucune bonne volonté.

Plus que de trouver une solution à ces « vieux » problèmes, une des plus importantes préoccupations actuelles des paysans de Génova Costa Cuca est le retard des subsides pour la location des terres et les cultures prochaines, envisagés dans la stratégie gouvernementale.
« La saison des pluies approche et si nous ne semons pas dans les prochaines semaines il n’y aura plus rien à faire » soutient Pedro Ariel.

Le thème en cours

Aides alimentaires, semences ou retours à l’emploi sont dans l’esprit de milliers de petits agriculteurs. Mais leurs rêves sont pour la plupart des « solutions temporaires », comme le dit Rosaura Mejía, agricultrice de 35 ans de Colomba.

Une réforme agraire intégrale et l’accès à la terre font partie de leurs espérances. « Nous devons assurer un futur à nos enfants », affirme-t-elle.

« En train de travailler »

« Tout arrive en son temps », fut la réponse de Carlos Sett, ministre de l’agriculture, face aux retards d’exécutions du Plan d’attention social relatif à la crise du café. Le fonctionnaire insiste aussi sur le fait qu’il est en train de travailler pour trouver les ressources nécessaires.

« Il y a des démarches à faire avec le ministre des finances publiques pour obtenir les fonds. Leur transfert prend du temps, mais nous espérons l’attribution dans les jours qui viennent » signale-t-il.

Face à la préoccupation des paysans quant au retard des subventions, tant pour les terres que pour les semences nécessaires avant l’arrivée des pluies, le fonctionnaire indique que « les aides arriveront ».

Le processus le plus lent sera celui de l’achat des propriétés garantissant ainsi l’accès à la terre des petits agriculteurs, selon ce que prévoit le plan. « Nous avons formulé un appel d’offre en avril, pour que les propriétaires fassent leurs propositions. Maintenant il convient de former une équipe qualifiée avec des représentants de la plateforme agraire, du ministère et de la partie financière, pour évaluer ce qu’ils proposent. Après interviendra la vente. »

Comme avancée de ce projet, Sett a indiqué que plus de 8 000 familles ont reçu des sacs avec des haricots, de l’huile et du maïs.

« Il n’y a pas d’abus »

Parlant de la situation dans le camp, Patricia Monge, directrice exécutive de la Chambre d’agriculture, a signalé qu’il n’y avait aucune pratique institutionnelle allant à l’encontre des paysans et de leurs droits au travail.

« La Chambre d’agriculture n’a à aucun moment une pratique institutionnelle contre l’organisation des travailleurs. Nous rejetons ce qui est présenté à l’opinion publique, à savoir qu’on ne paye pas le salaires minimum dans la campagne » a exprimé Monge.

Pour la direction, ce qui se passe est qu’il y a « une crise du café qui a généré du chômage, entraînant une plus grande offre de main d’œuvre, alors que la demande se maintient ou se réduit . »

Sur le Plan d’attention sociale relatif à la crise du café, Monge a exprimé ses doutes : « c’est pratiquement irréalisable parce que les actions ont toujours lieu après coup. »

Le point relatif à l’achat des propriétés, envisagé par le projet, génère le plus de désaccords : « pour cette finalité, il existe une institution, le ‘‘Fond sur les terres’’ qui doit être renforcé, il ne faut pas créer d’autres mécanismes. »

Monge a signalé que la Chambre d’agriculture a présenté cette semaine une proposition de politique agraire visant à améliorer la situation dans la campagne. Elle a précisé : « Ce qui est important c’est le maintien des ressources naturelles, des bases juridiques solides, le développement productif et compétitif. »


La crise du café en Amérique centrale et dans les Caraïbes

Selon Adolfo Franco, administrateur adjoint pour l’Amérique centrale et les Caraïbes de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), au cours de la seule année passée, « les producteurs de café centraméricains ont perdu environ 1,5 milliard de dollars et quelque 600 000 travailleurs du café se sont retrouvés sans emploi ».

Le prix du café atteint un niveau record de baisse ; la surproduction mondiale a entraîné l’accumulation de réserves et la concurrence s’intensifie. Bien que les prix d’aujourd’hui soient plus élevés que ceux de 2002, les perspectives à long terme pour que le café récupère son prix ne sont pas très encourageantes. De plus, la crise actuelle semble de nature structurelle et se transforme avec les changements dans l’offre et la demande. Les prix sont en-dessous des coûts de production pour la grande majorité des producteurs. Cette situation est particulièrement grave étant donné que la majorité des cultivateurs de café sont de petits propriétaires qui vivent dans des régions rurales éloignées et qui, pour survivre, dépendent beaucoup des revenus monétaires effectivement touchés en provenance de leurs cultures et de leur travail temporaire pour la récolte. Une crise dans ce secteur provoque une perte des moyens de vivre, des déséquilibres sociaux, une migration accélérée vers les zones urbaines et de l’instabilité. Ce phénomène est très visible par exemple en Amérique centrale et aux Caraïbes, dont les économies sont très dépendantes du café. Les pays d’Amérique centrale ont connu une chute de leurs revenus provenant de l’exportation du café de plus de 1 400 milliard de dollars au cours des deux dernières années.

ADITAL, 26 juin 2003


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2654.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : La Prensa libre (Guatemala) le 11 mai 2003.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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