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DIAL 2653
HAÏTI - Inquiétudes diverses
Ronald Colbert
mardi 1er juillet 2003, mis en ligne par
Après avoir suscité les plus vives espérances lorsqu’il arriva pour la première fois au pouvoir le 16 décembre 1990, le président Aristide suscite désormais les plus grandes inquiétudes. La situation du pays continue de se dégrader. La violence est de plus en plus présente. Le président est lui-même l’objet des plus graves accusations. Extrait d’un texte de Ronald Colbert daté du 28 mai 2003, paru dans AlterPresse (Port-au Prince).
La question politique domine encore l’actualité dans la République d’Haïti. Les protagonistes de cette crise, en particulier le pouvoir lavalas, n’ont pas consacré d’efforts véritables pour normaliser la situation dans la république caraïbe, trois ans après les élections controversées de l’année 2000, estime l’organisation des Etats Américains (OEA) dans son dernier rapport sur Haïti rendu public le 22 mai 2003.
Après avoir focalisé l’attention sur ce qu’il appelle « restitution et réparation » de fonds versés à la France au titre de la « dette de l’Indépendance », le régime lavalas agite cette fois-ci la nécessité d’amender la Constitution du 29 mars 1987. Désormais, un chef d’Etat pourrait avoir un mandat de 10 ans, ce qui rappelle étrangement une tendance à une volonté de « garder le pouvoir à vie », style totalitarisme des Duvalier.
Entre-temps, les voyageurs clandestins dits boat people reprennent la mer de plus belle à partir d’Haïti, en direction des côtes des îles Bahamas et de la Floride aux Etats-Unis d’Amérique.
Droits humains, insécurité et laxisme des autorités
L’impunité, qui gangrène le système judiciaire en Haïti, est la cause principale des actes de violence et d’insécurité qui tendent à s’accroître de nouveau dans la zone métropolitaine de la capitale Port-au-Prince et dans plusieurs villes du pays.
C’est la lecture faite par différents organismes haïtiens de défense des droits humains face à la recrudescence des actes de banditisme dans plusieurs quartiers de Port-au-Prince et des conflits armés entre gangs rivaux dans la grande agglomération de Cité Soleil, à la sortie nord de la capitale. Depuis une semaine, les gangs s’affrontent à coups d’armes à feu et d’autres objets dans la cité Soleil. Aucun bilan officiel n’est venu jusqu’à présent faire le jour sur le nombre de personnes victimes des affrontements armés à Cité Soleil, où les membres de la Police Nationale d’Haïti (PNH), de par leur attitude passive, sont accusés d’avoir fourni des armes aux gangs et d’être de mèche avec les meneurs des gangs.
Le 10 mai 2003, au cours de l’émission très écoutée Ranmase (Synthèse) de la station privée Radio Caraïbes, un ancien inspecteur de la PNH en exil en République Dominicaine, Presler Toussaint, a dénoncé la présence d’une « personnalité douteuse », parmi les agents de sécurité du ministre de l’intérieur lavalas Jocelerme Privert. Cet agent de sécurité « douteux », qui serait lié aux groupes armés à Cité Soleil, serait impliqué, a dit Presler Toussaint, dans l’assassinat en 1995 de la policière Marie Christine Jeune. Le corps de la policière Jeune avait été retrouvé criblé de balles, peu de jours après qu’elle eut refusé, contrairement à la demande du président d’alors Jean-Bertrand Aristide, de donner l’accolade à des membres de l’« Armée rouge » de Cité Soleil qu’elle a estimés devoir être derrière les barreaux de la prison pour leur participation dans des actions malhonnêtes dans la cité.
A proximité de Cité Soleil, des gangs armés continuent, ces jours-ci, d’agir à visière levée en rançonnant chauffeurs et passagers des véhicules publics et privés qui osent s’aventurer sur « la route neuve », conduisant en direction du Nord d’Haïti. Depuis environ 3 ans, de nombreux forfaits sont perpétrés sur cette « route neuve », donnant accès par le Nord à Cité Soleil et qui a été construite sous l’administration de l’ex-président René Garcia Préval. Des victimes rapportent que la police leur a toujours affirmé n’avoir pas rencontré de bandits sur cette route, lorsqu’elle y va en patrouille.
C’est sur cette « route neuve » qu’un avion aurait débarqué, en début d’année 2003, une cargaison de drogue saisie par des hommes lourdement armés, dont des membres de la PNH qui auraient trempé dans l’opération, selon les informations circulant à l’époque à Port-au-Prince.
La Police nationale d’Haïti est sur la sellette : un inspecteur dénommé Frémont Ambroise, soupçonné d’avoir abattu un habitant, a été lynché par des habitants de Cavalier, localité de Côte de Fer, dans le Sud-Est d’Haïti. Une balle se serait échappée accidentellement de l’arme de l’inspecteur, tuant un habitant de Cavalier, a fait savoir à la station privée Radio Métropole Jean Robert Faveur, directeur départemental de la PNH qui a appelé la population à recourir aux institutions judiciaires pour réclamer justice. 4 arrestations ont été opérées en relation à cette affaire, a indiqué la presse. D’autre part, des membres de la PNH sont accusés d’avoir pris part à l’assassinat de 5 membres d’une même famille le vendredi 23 mai 2003 à Fort-Liberté, localité de Petit-Goâve, à 68 kilomètres au sud de la capitale. L’inspection générale de la PNH se trouvait sur place le lundi 26 mai 2003 pour enquête.
Le régime lavalas, par la voix du secrétaire d’Etat à la communication Mario Dupuy, n’a pas hésité à pointer du doigt la presse indépendante qui aurait fait preuve de « sensationnalisme » dans la couverture des faits d’insécurité « en négligeant d’évoquer les saisies d’armes illégales » faites par la PNH. Des habitants de la capitale, interrogés par la presse, se sont inscrits en faux contre cette accusation et ont rappelé que la presse indépendante s’évertue à informer honnêtement l’opinion des faits d’intérêt public.
Le même Mario Dupuy a annoncé que le régime lavalas compte attaquer en diffamation quiconque s’avise d’associer le nom du président du 26 novembre Jean-Bertrand Aristide dans la question de banqueroute de la banque privée dominicaine Baninter. Un des manitous de cette banque, l’ancien ambassadeur de la République Dominicaine à Paris Luis Alvarez Meza, aurait entretenu des relations serrées avec Aristide, aurait prêté à ce dernier son avion personnel et l’aurait visité plusieurs fois à Port-au-Prince, selon le Monde Diplomatique qui a évoqué la banqueroute financière de Baninter.
10 ans au lieu de 5, comme mandat présidentiel ?
De nombreux citoyens d’Haïti, dont d’anciens constituants, ont élevé la voix contre le projet du régime lavalas de procéder à un amendement de la Constitution du 29 mars 1987.
Au nombre des changements envisagés, les membres lavalas, comme le sénateur contesté Jean-Claude Délissé, ont proposé, entre autres, de porter à dix ans au lieu de cinq le mandat présidentiel, qui serait renouvelé au gré de la décision populaire. Le mode de renouvellement du mandat présidentiel n’est pas clair dans la proposition de Délissé, semblant identifier de nouvelles formes de désignation de responsables qui seraient proches du referendum, interdit par la Constitution du 29 mars 1987, aux yeux des observateurs.
D’aucuns soupçonnent le régime lavalas de vouloir restaurer la présidence à vie, sous une autre forme. Plusieurs membres lavalas ont, en maintes fois, indiqué qu’à partir des élections de l’année 2000, ils s’étaient accaparés du pouvoir pour au moins 50 ans, à l’instar du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui a gardé le pouvoir pendant plus de 60 ans au Mexique.
Des partisans lavalas, non seulement dans des interventions publiques, mais aussi dans des slogans qu’ils affichent sur les murs, n’ont pas cessé de réclamer une « présidence à vie » pour leur chef qu’ils tentent d’élever sur un piédestal proche de la divinité. Le 7 avril 2003, à l’occasion du 200ème anniversaire de la mort du précurseur de l’Indépendance d’Haïti Toussaint Louverture, des affiches du pouvoir lavalas à l’effigie de Jean-Bertrand Aristide et de Toussaint Louverture mentionnaient que le président du 26 novembre serait l’égal du premier des Noirs : « Deux hommes, deux siècles, une même vision ».
Toujours est-il que le régime lavalas continue d’avancer inexorablement dans « ses projets », sans crier gare et sans craindre aucune contestation, sur la base de ce que ses membres auraient été investis d’un « mandat populaire » qui leur donne droit d’appliquer leur « plan pour Haïti ».
« Il n’y a pas de fumée sans feu », selon un proverbe haïtien qui se vérifie régulièrement dans la réalité quotidienne.
Les voyageurs clandestins reprennent la mer
Plus de 240 personnes ont été rapatriées dans le pays en l’espace de quelques jours par les garde-côtes des États-Unis d’Amérique, qui les ont interceptées en haute mer sur de frêles embarcations en direction de terres hospitalières.
« Nous ne voulons pas fuir Haïti, mais nous voulons nous échapper de la misère qui nous frappe. Même lorsque nous investissons pour faire des passeports, nous n’arrivons pas à obtenir des visas pour voyager à l’étranger. Quoi qu’il en soit, nous allons tenter à nouveau l’expérience de la mer, dans la mesure du possible.. », a déclaré le dernier groupe de 48 boat people ramenés au pays le 26 mai 2003.
Cette vague de voyages clandestins en mer survient dans un contexte où le régime lavalas vient de conclure, le 23 mai 2003, avec le gouvernement des îles Bahamas - qui renvoient de temps à autre des compatriotes en Haïti, malgré la présence de nombreux ressortissants du pays dans ces îles – un projet conjoint d’accord-cadre de coopération qui devra orienter les relations entre Haïti et les Bahamas dans des domaines prioritaires, dont la question migratoire. Ces derniers jours, les Bahamas ont refoulé à Port-au-Prince de nombreux sans-papiers haïtiens.
Considérant que la question migratoire a toujours été une pierre d’achoppement dans les relations bilatérales, Fredrick Michel, ministre des affaires étrangères des Bahamas, qui se trouvait en Haïti les 22 et 23 mai 2003, a souhaité la poursuite des négociations entre les deux gouvernements.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2653.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : AlterPresse, 28 mai 2003.
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