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DIAL 3096

BRÉSIL - Lula est-il toujours l’homme providentiel ?

Monique Langevin

lundi 1er mars 2010, mis en ligne par Dial

Cet texte de Monique Langevin, membre de l’association luxembourgeoise ASTM (Action solidarité tiers monde) a été publié dans le numéro 253 de la revue Brennpunkt Drëtt Welt (décembre 2009). L’autrice y esquisse un bilan provisoire des 8 ans de présidence de Lula, alors que des élections sont prévues pour la fin de l’année.


Après 7 années de pouvoir, la cote de Lula atteint toujours des sommets que doivent lui envier bon nombre de nos dirigeants. Mais qui sont ces plus de 80% des Brésiliens qui lui accordent toujours leur confiance, alors que lors de notre récente mission au Brésil nous avons surtout vu beaucoup de désillusion chez les personnes que nous avons rencontrées ?

Nos amis du MST (Mouvement des sans-terre) dans l’État de Pernambuco ou les communautés populaires de l’ANACOP (Association nationale d’appui aux communautés populaires) reconnaissent que le gouvernement du Président Lula a apporté de sérieuses améliorations en ce qui concerne la situation économique des plus pauvres. Depuis 2005, le taux de la population vivant en-dessous du seuil de pauvreté est passé de 35% à 24% et la classe moyenne représente maintenant plus de 50% de la population. Lula a ouvert plusieurs millions de places dans les écoles, fourni des services de santé aux classes défavorisées, et a créé des emplois. Mais ils lui reprochent également de mener surtout des programmes d’assistance qui ne remettent pas en cause le système économique libéral et conduisent à une certaine démobilisation de la société civile.

La réforme agraire en panne sèche

Cette politique profite surtout aux grandes entreprises exportatrices. Si le Brésil est le 2ème producteur mondial de soja, c’est parce que le gouvernement actuel ainsi que les précédents ont misé essentiellement sur ce type de culture au détriment de celle des petits paysans. C’est le reproche principal que font nos amis au gouvernement de Lula. Ils avaient le rêve fou que Lula, membre du PT (Parti des travailleurs) et grand ami des paysans sans terre, allait permettre que la réforme agraire soit enfin mise en place. Or il n’en est rien. Comme nous l’avons dénoncé à plusieurs reprises dans des articles du Brennpunkt, la réforme agraire s’est transformée en un simple discours. En même temps, les grandes entreprises nationales et internationales ont monopolisé de plus en plus de terre pour les monocultures d’exportation (canne à sucre, eucalyptus, soja, etc.) sans parler des grandes surfaces consacrées aux expérimentations de cultures transgéniques de soja et de maïs, tout cela appuyé par des aides fiscales. Face à cet échec, le MST est en train d’élaborer un nouveau type de réforme agraire, la « réforme agraire populaire ». Celle-ci ne se préoccupe pas seulement de la propriété de la terre, mais, entre autres, également de la défense de la souveraineté alimentaire et de la conservation de la biodiversité.

Une violence croissante

La négation du droit à la terre, garanti par la Constitution, est la principale violence dont souffrent les paysans sans terre. Ceux qui, comme les paysans du MST, luttent pour que ce droit soit reconnu, sont soumis à la violence des forces répressives de l’État. Nos amis ont dénoncé cette violence institutionnelle et celles des milices armées privées dont souffrent à présent les mouvements sociaux. Les massacres de paysans sont fréquents : dans un des « assentamentos » que nous avons visité, 6 paysans avaient été assassinés quelques semaines auparavant. Les enquêtes de police ne donnent généralement rien et la presse (la quasi totalité des journaux et chaînes de télévision sont aux mains de quelques familles brésiliennes richissimes) présentent ces meurtres comme des règlements de compte entre paysans. Cela engendre actuellement une criminalisation des mouvements sociaux et de leurs dirigeants.

Quid de la protection de l’environnement ?

Celle-ci est bien mise à mal en raison de la déforestation de l’Amazonie. Mais à quelques jours du sommet de Copenhague [1], Lula ne ménage pas ses efforts afin que le Brésil y joue un rôle de premier plan. Lors de la visite au Brésil de Nicolas Sarkozy, les deux Présidents français et brésilien ont annoncé qu’ils défendraient une position commune lors du sommet de Copenhague. Le Brésil se propose d’être « un pont entre pays industrialisés et en développement ».

Mais il a une attitude plus qu’ambiguë vis-à-vis de la préservation de la forêt amazonienne et du climat [2]. D’un côté le gouvernement brésilien a promis de réduire de 72% le déboisement de l’Amazonie d’ici 2018, mais un rapport de Greenpeace France prouve clairement que « 90% de la déforestation annuelle en Amazonie est illégale, tandis que des lois régularisant de facto des terres accaparées illégalement pour l’élevage ont été adoptées récemment. Le gouvernement est l’un des principaux bailleurs de fonds et actionnaires du secteur de l’élevage en Amazonie, ce qui fait de lui un véritable promoteur de la déforestation amazonienne. L’élevage est responsable à 80% de la déforestation amazonienne, ce qui représente 14% de la déforestation annuelle de la planète. La destruction progressive de la forêt amazonienne, par abattage et brûlis, fait du Brésil le 4ème émetteur mondial de gaz à effet de serre. Mais il est le premier exportateur mondial de bœuf et de cuir et son gouvernement entend voir sa part sur le marché mondial doubler d’ici à 2018 ». Cela va être très difficile de concilier ces deux exigences.

Afin de rallier les huit États signataires du Traité de coopération de l’Amazonie (Brésil, Venezuela, Colombie, Pérou, Bolivie, Équateur, Surinam et le Guyana) au texte cosigné par les présidents français et brésilien le 14 novembre à Paris, Lula avait organisé le 26 novembre dernier à Manaus une réunion des huit chefs d’État. Mais cette rencontre n’a pas eu le succès escompté car on a dû noter l’absence du président vénézuélien Hugo Chávez, de son rival colombien Álvaro Uribe et du président bolivien Evo Morales.

Pourquoi le Brésil se renforce-t-il militairement ?

Alors que le Brésil a une tradition pacifiste nous nous sommes étonnées lors de nos rencontres de la « militarisation » du pays et de ces pourparlers de contrats militaires de plus de 9 milliards d’euros entre le Brésil et la France (contrats non encore signés à l’heure actuelle). D’après nos partenaires, Lula justifie ces dépenses par la nécessité de protéger l’immense territoire brésilien, notamment l’Amazonie, région de grande importance géostratégique, et de surveiller les côtes, surtout celles voisines des nouveaux gisements de pétrole. Seule une partie des réserves se trouve dans les eaux territoriales. Celles qui sont situées dans les eaux internationales commencent à aiguiser l’intérêt de certains pays, notamment des États-Unis qui sont en train de poster leur flotte au large du Brésil.

Mais le Brésil veut également jouer un rôle politique de premier ordre. L’accueil du président déchu du Honduras, Manuel Zelaya, par l’ambassade du Brésil dans la capitale hondurienne Tegucigalpa montre bien le rôle important qu’il veut jouer dans la région. Actuellement, trois courants y coexistent. Lula est en quelque sorte le chef de file du courant qui regroupe le Brésil, l’Argentine, le Chili et l’Uruguay. Les deux autres étant celui d’Uribe avec la Colombie et le Pérou et celui de Chávez avec l’Équateur, la Bolivie et le Venezuela.

La campagne pour les présidentielles en 2010 est ouverte

C’est dans ce contexte que vont se jouer les prochaines élections présidentielles en novembre 2010. Lula ne peut pas se représenter car d’après la Constitution, seulement deux mandats de 4 ans sont possibles. Trois femmes qui ont été ministres sous Lula se disputent d’ores et déjà sa succession. Toutes les trois sont des femmes remarquables à bien des titres. La première est Marina Silva, une femme née dans l’État d’Acre en Amazonie où, enfant, elle récolta avec son père le caoutchouc des hévéas. Âgée de 51 ans, elle fut ministre de l’environnement. Quand Lula la nomma à la tête du ministère de l’environnement en 2002, sa réputation a dépassé les frontières. Elle apparaît à l’étranger comme la garante de l’intégrité de l’Amazonie, la « caution verte » du gouvernement brésilien. Marina conçoit un plan national de lutte contre la déforestation et crée des zones immenses sanctuarisées pour les populations indiennes.

La seconde est Heloísa Helena, 47 ans, née dans l’État d’Alagoas, dans le nord-est du pays. Cette infirmière devenue professeur d’épidémiologie se lance très jeune dans les actions sociales en faveur des plus défavorisés. Elle conteste, après la première élection de Lula, l’orientation qu’elle juge « néolibérale » de sa politique économique. Elle est expulsée du Parti en 2003.

La troisième, enfin, est la candidate désignée par Lula, Dilma Rousseff, ministre en chef de la « Maison civile », une sorte de secrétariat général de la présidence. Elle a 62 ans et est originaire de Belo Horizonte dans le Minas Gérais. Dilma veut lutter contre la pauvreté, accélérer la croissance du Brésil et son développement pour que le pays puisse enfin sortir la majorité de ses habitants de la misère, ce en favorisant l’extension des cultures exportatrices comme le soja et les projets d’infrastructure, tels que la construction de routes et de centrales électriques. Ces propositions ne sont pas du goût de tout le monde.

Lula a rempli une partie de son contrat en ayant gagné le pari de la réduction de la pauvreté mais d’ici un an, regagnera t-il la confiance de ses amis du MST en répondant à leurs attentes quant à la mise en place d’une vraie réforme agraire ?


Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3096.
 Source (français) : revue Brennpunkt Drëtt Welt, n° 253, décembre 2009.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la source originale (revue Brennpunkt Drëtt Welt), et l’adresse internet de l’article.

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[1L’article a été rédigé début décembre 2009.

[2Voir DIAL 3085 - « BRÉSIL - Face au changement climatique ».

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