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DIAL 3210
GUATEMALA - Doña Crisanta, figure de la résistance contre l’exploitation minière
Grégory Lassalle
vendredi 5 octobre 2012, mis en ligne par
Nous reprenons dans ce numéro deux textes sur le Guatemala publiés dans Solidarité Guatemala, n° 199 (juillet-août 2012), la lettre d’information du collectif Guatemala. Celui-ci, très court, dresse le portrait d’une figure de la résistance à l’exploitation minière au Guatemala, Doña Crisanta Pérez Bamaca. Nous avions évoqué brièvement les hauts et les bas de la lutte des communautés maya mam contre la multinationale Goldcorp dans les points de repère de juillet 2010 et de septembre 2010 [1] ; cet article retrace l’histoire du conflit à partir de l’histoire d’une de ses protagonistes. Nous profitons de l’occasion pour signaler que le collectif Guatemala vient de publier un numéro très riche retraçant l’histoire du collectif, fondé à Paris en 1976 (numéro spécial 200, septembre-octobre 2012).
Doña Crisanta Pérez Bamaca habite dans la communauté maya mam d’Agel, à San Miguel, située à moins de 500 mètres à vol d’oiseau de l’entrée de la mine Marlin.
En 2004, contre une somme d’argent dérisoire, elle accepte que la multinationale Goldcorp Inc. installe un poteau électrique sur son terrain pour permettre l’acheminement en énergie de la mine d’or. Elle ne pensait pas qu’il serait si près de sa maison, si imposant et avec autant de câbles. Elle entame alors un dialogue stérile avec l’entreprise qui refuse de le retirer.
En 2006, des paysans bloquent l’entrée de la mine. Ils disent avoir été trompés lors de la vente de leur terre et sollicitent une renégociation. L’entreprise refuse et demande l’intervention des forces de l’ordre. La police déloge les paysans et la justice émet des mandats d’arrêt contre sept paysans.
En 2007, dans un climat social de plus en plus tendu, Crisanta décide de passer, elle aussi, aux actes. Elle jette un câble sur les fils électriques au-dessus de chez elle, coupant ainsi l’approvisionnement en électricité de l’entreprise qui est obligée d’arrêter ses activités pendant plusieurs semaines. Les actionnaires de la multinationale s’inquiètent. Goldcorp porte plainte. La police intervient. Entre temps, les femmes d’Agel se sont solidarisées et empêchent les forces de l’ordre de rentrer chez Crisanta. La justice émet un mandat d’arrêt à l’encontre de huit femmes accusées de « terrorisme ».
En 2009, un nouveau conflit éclate. La compagnie minière veut étendre ses activités dans la communauté voisine de Saqmuj. Crisanta, dont la famille possède des terres dans cette commune, prend la tête de la lutte. Avec son enfant dans les bras, elle campe devant les chantiers de l’entreprise : « C’est facile pour vous. Vous buvez de l’eau en bouteille alors que nous, nous vivons de nos sources d’eau. Si la mine continue à exploiter, nous n’aurons plus d’eau ». La tension monte. L’entreprise ne veut pas négocier. Une de ses voitures est brûlée par des centaines de villageois. Crisanta, absente au moment des faits, est malgré tout accusée. Le lendemain, le ministère public, accompagné des avocats de Goldcorp et de policiers, vient la capturer. Mais Crisanta est déjà partie se cacher.
Son exil durera plusieurs mois. Éloignée de sa maison, de sa famille et de ses enfants, elle supporte mal la distance. Enceinte de 8 mois, elle décide finalement de venir accoucher chez elle, auprès des siens. Quelques jours après la naissance, un de ses frères, proche de l’entreprise, appelle la police et la dénonce. Des policiers viennent la capturer dans la nuit et l’emmènent au tribunal de San Marcos. Sur le chemin, des villageois sont prévenus de l’arrestation de Crisanta et décident de bloquer la route. La voiture de police est stoppée par les paysans, Crisanta et son bébé libérés. Des actes de solidarité se multiplient dans le département, mais aussi au niveau national et international.
Crisanta devient une des principales figures de la résistance contre l’activité minière au Guatemala, mais fragilisée, elle souhaite avant tout reprendre une vie normale, dans son village. Un temps éloignée de la lutte, elle est approchée par la multinationale qui lui propose un poste et une forte rémunération, mais elle refuse. Sollicitée ensuite par des ONG, elle préfère s’engager dans la politique locale en participant au comité civique lors des dernières élections.
Le 18 mai 2012, un tribunal guatémaltèque ordonne le retrait du poteau électrique de son terrain et annule le mandat d’arrêt contre elle et les sept autres femmes. Cette victoire, symbolique mais importante, débute la récupération du territoire d’Agel par ses habitants. Elle signifie aussi l’échec de la stratégie de criminalisation et de persécution de la deuxième multinationale aurifère mondiale. Certes, l’exploitation de la mine durera jusqu’en 2017 et les conséquences sociales et environnementales de sa présence se feront encore sentir pendant longtemps. Cependant, les communautés de San Miguel ont prouvé par leur lutte, que les multinationales aussi puissantes soient-elles, rencontreront toujours sur leur chemin des hommes et des femmes aussi déterminés que Crisanta pour défendre leurs droits.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3210.
– Source (français) : Solidarité Guatemala, n° 199, juillet-août 2012.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française originale (Solidarité Guatemala n° 199) et l’adresse internet de l’article.
[1] Un texte de 2007 propose aussi un point plus général de la situation. Voir DIAL 2946 - « GUATEMALA - Les mines de métaux menacent la citoyenneté ».