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DIAL 2469
MEXIQUE - Le vote du Sénat mexicain : un obstacle à la paix. Les raisons de la nouvelle rupture entre l’armée zapatiste et le gouvernement
Centre des droits de l’homme « Fray Bartolomé de Las Casas »
mardi 15 mai 2001, mis en ligne par
La résolution sur les droits et la culture indigène que le Sénat mexicain a approuvée, comporte un certain nombre de modifications par rapport aux Accords de San Andrés, qui signifient une restriction des droits indigènes initialement prévus. Suite à ce vote, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a décidé de suspendre tout contact avec le gouvernement. Un bulletin de presse du Centre des droits de l’homme « Fray Bartolomé de Las Casas », du 28 avril 2001 présente les modifications introduites par le Sénat, qui sont autant de raisons expliquant la nouvelle rupture décidée par l’EZLN.
Face à l’approbation par le Sénat de la République de la résolution sur les réformes constitutionnelles en matière indigène, le Centre de droits humains « Fray Bartolomé de las Casas » se joint aux diverses opinions critiques émises sur ce projet par des universitaires, législateurs, peuples indigènes, observateurs, organisations sociales, parmi d’autres secteurs de la société civile.
Nous sommes pleinement en accord sur le fait que la résolution réduit les droits indigènes reconnus dans le cadre des Accords de San Andrés, cette résolution étant une proposition qui ne réalise pas un progrès comme la société civile l’attendait du débat législatif, mais qui fait marche arrière.
La résolution du Sénat n’entraînerait pas une relation meilleure de l’État avec les peuples indigènes ; au contraire, on en revient à un État protectionniste et intégrationniste au préjudice des peuples indigènes.
Parmi les restrictions apportées aux droits indigènes dans la résolution du Sénat, on trouve les points suivants :
1. La proposition de la COCOPA [1] comprend la réforme des divers articles de la Constitution mexicaine car la reconnaissance des droits indigènes représente une vision intégrale et reconnaît, en différents domaines, le droit indigène comme composante essentielle de l’État mexicain. La résolution du Sénat propose un appendice constitutionnel pour les droits indigènes, laissant de côté une réforme intégrale de l’État où on reconnaisse les divers aspects du droit indigène en différents domaines.
2. Le paragraphe II de l’article second (rendre justice) ne reconnaît plus comme valides les déterminations indigènes prises selon leurs propres systèmes de normes, qui ne seront valides qu’après une procédure devant le juge ou le tribunal correspondant. Dans la proposition de la COCOPA, on considérait que ces déterminations étaient a priori valides et devaient seulement être ratifiées par les autorités juridictionnelles.
3. Dans le paragraphe VIII du même article second (plein accès à la juridiction de l’État) on a omis l’obligation pour l’État de prendre en compte les systèmes normatifs et les pratiques juridiques des peuples indigènes dans les procès et procédures judiciaires dans lesquels les indigènes sont partie, individuellement ou collectivement. On reconnaît seulement le concept limité de coutume.
4. Dans le paragraphe V du même article, on ne reconnaît plus aux peuples indigènes le droit au territoire, ce qui porte atteinte au respect des cultures indigènes.
5. Dans le dernier paragraphe de l’alinéa A de l’article second on omet de reconnaître les communautés comme des entités de droit public et on ne les reconnaît que comme des entités d’intérêt public. La différence entre les deux termes réside dans le fait que les entités de droit public ont une personnalité juridique propre, leurs déterminations sont juridiquement valides, elles ont le droit d’agir et sont des sujets émancipés. Les entités d’intérêt public sont sous tutelle, protégées et dépendantes de la bienveillance de l’État.
6. Dans l’alinéa B de l’article second (consultation des peuples), l’État ignore son obligation de consulter et d’obtenir l’approbation des peuples indigènes en ce qui concerne leur développement. Dans la première partie de cet alinéa, c’est la méconnaissance des communautés indigènes comme entités de droit public qui prend effet car elles ne seront consultées en ce qui concerne leur développement que par le biais des institutions municipales et les communautés n’administreront que les ressources destinées à des fins spécifiques.
7. Dans la partie VI du même paragraphe B de l’article second (moyens de communication), la résolution ne reconnaît pas que les peuples indigènes, dans l’exercice de la libre détermination et de l’autonomie, puissent acquérir, mettre en œuvre et administrer leurs propres moyens de communication, indiquant seulement que l’État sera dans l’obligation d’établir les conditions pour que les peuples et les communautés acquièrent, mettent en œuvre et administrent les moyens de communication. Le tort effectué s’enracine dans le fait que le droit est ignoré et que de nouveau agit le protectionnisme et la tutelle de l’État pour que soient mises en place les conditions requises.
En résumé, la résolution approuvée au Sénat ne permet pas d’aller dans le sens responsable d’une société équitable, démocratique et inclusive à l’intérieur d’un État de droit. Le pouvoir législatif, comme instance de l’État mexicain, a la responsabilité historique de résoudre par la voie pacifique les conflits politiques de la République, en garantissant par les lois la reconnaissance des peuples indigènes et de leurs composantes.
La résolution constitue un obstacle au processus de paix car le Sénat a refusé de reconnaître aux peuples indigènes les divers droits qui avaient déjà été acceptés par les parties en conflit.
Le processus profond de paix, qui garantit la continuité à long terme, ne sort pas renforcé avec la résolution du Sénat, ce qu’ont reflété les diverses réactions de critique et de refus.
Face à cela, le Centre des droits humains « Fray Bartolomé de Las Casas » considère que la résolution doit retrouver l’esprit originel de la proposition de la COCOPA dans les débats qui auront lieu à la Chambre des députés.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2469.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Centre des droits de l’homme « Fray Bartolomé de Las Casas », avril 2001.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] La COCOPA (Commission pour la concorde et la pacification) est une instance créée en 1995 et composée, entre autres, de certains membres du Congrès. En novembre 1996, la Cocopa avait rédigé un projet de réformes constitutionnelles sur les droits et la culture indigène, fondé sur les Accords de San Andrés (voir la traduction faite de ces accords dans DIAL D 2074, 2076, 2080, 2081, 2082) signés en février 1996 entre l’EZLN et le gouvernement mexicain, mais jamais appliqués par ce dernier (Note DIAL).