Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2010-2019 > Année 2013 > Septembre 2013 > BRÉSIL - Lettre ouverte des peuples indiens à la présidente de la République (…)
DIAL 3250
BRÉSIL - Lettre ouverte des peuples indiens à la présidente de la République Dilma Roussef
mardi 10 septembre 2013, mis en ligne par
Les derniers mois ont été l’occasion de mobilisations multiples au Brésil. Deux textes de ce numéro cherchent à présenter plus en détails deux facettes de ces luttes en cours. Le premier est un entretien réalisé par Raúl Zibechi avec l’un des acteurs des mobilisations revendiquant la baisse du prix des transports. Le second, ci-dessous, est une traduction de la lettre ouverte présentée par les représentants des peuples indiens reçus par la présidente Dilma Roussef le 10 juillet 2013.
Brasilia, 10 juillet 2013.
Son Excellence,
Présidente estimée,
Nous leaders indiens de différents peuples et organisations indiennes des différentes régions du Brésil, sommes réunis en cette occasion historique avec votre excellence dans le Palais du gouvernement, en nombre réduit mais suffisamment informés et connaissant de manière approfondie, plus que quiconque, les problèmes, les souffrances, les besoins et les aspirations de nos peuples et communautés. Nous vous présentons sous cette forme, après une si longue attente, les considérations et revendications suivantes. Nous espérons qu’elles seront accueillies par votre gouvernement commençant ainsi à s’acquitter de la dette sociale de l’État brésilien a à notre égard, après des siècles d’une colonisation sans fin, marquée par des politiques et des pratiques de violence, de meurtre, de dépossession, de racisme, de préjugés et de discriminations.
Nous sommes ici, manifestation petite mais représentative de la diversité ethnique et culturelle du pays, composée de 305 peuples indiens différents parlant 274 langues distinctes avec une population d’environ 900 000 habitants d’après les données de l’IBGE [1]. Au nom de ces personnes :
– Nous réaffirmons notre rejet à l’accusation d’être des obstacles au développement du pays, dans un mépris total de notre contribution à la formation de l’État national brésilien, à la préservation d’un patrimoine naturel et socioculturel enviable, ce qui inclut les frontières actuelles du Brésil, dont nos ancêtres furent les gardiens-nés. Contrairement à ceux qui nous accusent de mettre en péril l’unité, l’intégrité territoriale et la souveraineté de notre pays.
– Nous refusons toute la série d’instruments politiques et administratifs, judiciaires, juridiques et législatifs, qui cherchent à détruire et anéantir nos droits conquis avec force luttes et sacrifices, il y a 25 ans, par les caciques et les leaders qui nous ont précédés, au cours de la période de la Constituante.
– Nous sommes totalement opposés à toute tentative de modification des modalités de la démarcation des terres indiennes qui sont actuellement parrainées par des secteurs de votre gouvernement, principalement par la Casa Civil [2] et le Procureur général de l’Union [3], en réponse aux pressions et intérêts des ennemis historiques de nos peuples, des envahisseurs de nos territoires, aujourd’hui spécialement représentés par l’agro-business, les grands propriétaires ruraux et leurs soutiens parlementaires, les compagnies minières et forestières, les entrepreneurs, entre autres.
– Nous n’accepterons pas de reculs dans la protection de nos droits par le biais d’initiatives législatives qui peuvent condamner nos peuples à des situations de misère indésirable, d’ethnocide et de conflits imprévisibles comme c’est déjà le cas dans toutes les régions du pays, et principalement dans le Sud et dans l’État du Mato Grosso do Sul.
– Nous rejetons la façon dont le gouvernement veut encourager un modèle de développement prioritaire, déployant quel qu’en soit le coût, sur nos territoires, des ouvrages d’infrastructure dans les secteurs des transports et de la production d’énergie, tels que les autoroutes, les voies ferrées, les voies navigables, ports, centrales électriques, lignes de transmission, sans respect de notre vision du monde, de notre forme particulière de relation avec la Mère Nature, de nos droits originaires et fondamentaux, garantis par la Constitution, la Convention 169 et la Déclaration des Nations unies.
Revendications
Dans ce manifeste, nous exprimons les revendications suivantes :
1.- L’action du gouvernement, en lien avec sa base, pour abandonner les Propositions d’amendement à la Constitution (PEC, en portugais) 038 et 215 qui prétendent transférer au Sénat et au Congrès national, respectivement, la capacité de délimiter les terres indiennes, usurpant une prérogative constitutionnelle de l’exécutif.
2.- Nous revendiquons la même action concernant la PEC 237/13 qui vise à légaliser la location de nos terres, le Projet de loi (PL) 1610-1696 sur l’exploitation minière en terres indiennes, le PL 227/12 qui modifie la démarcation des terres indiennes, parmi beaucoup d’autres initiatives visant à annihiler nos droits constitutionnels.
3.- Le gouvernement devrait renforcer et donner toutes les conditions nécessaires pour que la Fondation nationale des Indiens (FUNAI) remplisse comme il convient son rôle de démarcation, de protection et de surveillance de toutes les terres indiennes, dont la tâche est encore immense dans toutes les régions du pays, et même en Amazonie où le problème est soi-disant résolu. Nous n’admettons pas que la FUNAI soit mise à l’écart ni que l’EMBRAPA [4], le ministère de l’agriculture et d’autres organismes, connaissant mal les questions indiennes, puissent évaluer et, soi-disant, contribuer aux études anthropologiques réalisées par la Fondation, dans le seul but de répondre aux intérêts politiques et économiques, comme l’a fait le dernier gouvernement militaire en instituant l’infâme « groupe » du MIRAD, pour « discipliner » la FUNAI et « évaluer » les revendications indiennes.
4.- Pour la démarcation des terres indiennes, nous proposons la création d’un groupe de travail, avec la participation des peuples et organisations indiennes dans le cadre du ministère de la Justice et de la FUNAI pour faire une cartographie, définir des priorités et des objectifs concrets de démarcation.
5.- Nous n’acceptons pas la proposition de création d’un Secrétariat réunissant la FUNAI avec le Service spécial de santé indienne (SESAI en portugais), portant préjudice au rôle spécifique de chaque organisme.
6.- Nous exigeons l’abrogation de toutes les ordonnances et décrets qui menacent nos droits originaires et l’intégrité de nos territoires, la vie et la culture de nos peuples et communautés :
6.1.- Ordonnance 303 du 17 juillet 2012, à l’initiative de l’exécutif, par le biais du Procureur général (AGU) qui étend à tort à une application à toutes les terres l’applicabilité des conditions établies par le Tribunal fédéral suprême (STF, en portugais) lors du verdict rendu pour l’affaire Raposa Serra do Sol (Pétition 3.388/RR), affaire qui n’a pas encore été jugée.
6.2.- Ordonnance 2498 du 31 octobre 2011, qui oblige les organismes fédéraux à participer aux procédures d’identification et de délimitation des terres indiennes, au vu que le Décret 1.775/96 établit déjà le droit inverse.
6.3.- Ordonnance 419 interministérielle du 28 octobre 2011, qui restreint le délai pour les agences et les organismes de l’administration publique accélère les procédures d’autorisation environnementale pour les projets d’infrastructures qui affectent les terres indiennes.
7.- Décret 7.957 du 13 mars 2013. Il créé le Bureau permanent de gestion intégrée pour la protection de l’environnement, réglemente les activités des forces armées en matière de protection de l’environnement et modifie le Décret 5.289, du 29 novembre 2004. Avec ce décret, « de caractère préventif ou répressif », a été créée la Compagnie d’opérations environnementales de la Force nationale de sécurité publique, dont l’une de ses fonctions est d’« aider à réaliser les enquêtes et les rapports techniques sur les impacts négatifs sur l’environnement ». En pratique, cela signifie qu’est créé un organisme étatique pour la répression militarisée de toute et n’importe quelle action de la part des peuples indiens, des communautés, des organisations et mouvements sociaux qui décident de s’opposer à des projets ayant un impact sur leur territoire.
7.- Nous demandons également au gouvernement brésilien des politiques publiques spécifiques, efficaces et de qualité, dignes de nos peuples qui depuis des temps immémoriaux exercent un rôle stratégique dans la protection de la Mère Nature, en contenant la déforestation, en préservant les forêts et la biodiversité, et bien d’autres richesses qu’abritent les territoires indiens.
– En matière de santé : rendre effectifs le Secrétariat spécial de santé indienne et les Districts sanitaires indiens spéciaux, afin de surmonter les différents problèmes de gestion, le manque de personnels qualifiés, l’absence d’un concours spécifique pour les Indiens, d’un organigramme des fonctions et des salaires, le manque des soins de base dans les villages, entre autres.
– Dans l’enseignement : la législation qui garantit une éducation spécifique et différenciée doit être respectée et mise en œuvre, avec des moyens suffisants à cette fin ; la Loi 11.645, qui rend obligatoire l’enseignement de la diversité dans les écoles, doit être immédiatement appliquée.
– Dans le domaine du développement durable : mise sur pied du Comité de pilotage de la Politique nationale de gestion territoriale et environnementale des terres indiennes (PNGATI, en portugais) et d’autres programmes spécifiquement destinés à nos peuples, avec budget propre.
– Pour la mise aux normes, la coordination, la supervision et la mise en œuvre d’autres politiques qui nous concernent : création immédiate du Conseil national de politique indianiste (CNPA), dont le projet de loi (3.571/08) n’a pas été jusqu’ici adopté par la Chambre des députés.
8.- Nous revendiquons toujours que le gouvernement respecte les accords et les engagements pris en lien avec la Commission nationale sur la politique indianiste (CNPA) concernant le lancement de la procédure d’examen et l’approbation du Statut des peuples indiens au Congrès national.
9.- Considérant que la présente réunion avec Votre Excellence se passe dans le contexte de nombreuses autres manifestations dans tout le pays, nous exprimons notre solidarité avec d’autres luttes et causes sociales et populaires qui, comme nous, aspirent à un pays différent, pluriel et véritablement juste et démocratique. Nous pensons aussi à la réglementation et à la protection des terres des quilombos, des territoires de pêche et d’autres communautés traditionnelles, et à l’absence d’urgence du projet de loi sur un nouveau cadre réglementaire pour l’exploitation minière, afin d’assurer la participation de la société civile dans le débat sur ce sujet si délicat et stratégique pour la nation brésilienne.
10.- Pour toutes ces raisons, nous réaffirmons notre détermination à renforcer nos luttes, à continuer à être vigilants et prêts à l’affrontement politique, même au risque de nos vies. Mais nous réitérons également que nous sommes disponibles pour un dialogue ouvert, franc et sincère, pour la défense de nos territoires, de la Mère Nature et le bien de nos générations actuelles et futures autour d’un plan gouvernemental pour les peuples indiens, avec des priorités et des objectifs concrets définis en accord avec nous.
11.- Nous appelons, enfin, nos parents, leaders, peuples et organisations, alliés de toutes parts, à s’unir avec nous pour éviter, ensemble, que l’extinction programmée de nos peuples survienne.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3250.
– Traduction de la Maison des droits de l’homme (Limoges), revue par Dial.
– Source originale (portugais du Brésil) : Conselho Indigenista Missionário (CIMI), 10 juillet 2013.
– Source pour la traduction française : Maison des droits de l’homme (Limoges), 23 juillet 2013.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, les traducteurs, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] L’IBGE est mis pour « Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística » (Institut brésilien de géographie et statistique) – note DIAL.
[2] La Casa Civil est un organe du pouvoir exécutif qui seconde la présidence, un peu comme le Premier ministre dans d’autres types d’organisation institutionnelle– note DIAL.
[3] « Advocacia Geral da União », AGU en portugais – note DIAL.
[4] L’Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária (Entreprise brésilienne de recherche agronomique et d’élevage, en français) est une entreprise d’État spécialisée dans l’agronomie – note DIAL.