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DIAL 3512

ÉQUATEUR - Lettre ouverte de la CONAIE au Fonds monétaire international

jeudi 28 novembre 2019, mis en ligne par Dial

Cette lettre de la Confédération des nationalités indiennes de l’Équateur (CONAIE), qui regroupe les trois confédérations indiennes de l’Amazonie (CONFENIAE), de la partie andine (ECUARUNARI) et de la côte (COICE) a été envoyé au Fonds monétaire international (FMI) quelques jours après l’annulation par le président Lenín Moreno du décret 883 qui avait provoqué le soulèvement de secteurs importants de la population équatorienne début octobre [1].


Quito, 21 octobre 2019.

Madame Kristalina Georgieva,
Directrice du Fonds monétaire international (FMI)

Nous sommes les responsables élus et représentants de 18 peuples, 15 nationalités, 52 fédérations provinciales et 10 000 communautés de base qui constituent la Confédération des nationalités indiennes de l’Équateur (CONAIE) regroupant la Confédération des nationalités indiennes de l’Amazonie équatorienne (CONFENIAE), la Confédération des peuples indiens kichwa de l’Équateur (ECUARUNARI) et la Confédération des nationalités et populations indiennes de la côte équatorienne (CONAICE). La grave situation de l’Équateur, membre du FMI, nous conduit à vous adresser en leur nom une lettre d’intention, différente, donc, de celles que vous recevez habituellement. Notre intention est de vous inviter à la réflexion et à l’empathie avec la souffrance de notre peuple.

D’une part, les problèmes structuraux d’inégalité et de dépendance économique qui pèsent sur notre pays, sont venus s’ajouter à des difficultés sans fin liées à l’application rigide et insistante de politiques d’austérité qui, non seulement méconnaissent les réalités complexes de nos peuples, mais ignorent en outre superbement nos priorités. Envers et contre tout, les politiques que vous recommandez nous imposent une idée de « développement » qui ne répond pas à nos nécessités concrètes et semblent s’efforcer de « résoudre » des problèmes qui ne sont pas les nôtres.

Il y a des choses qui semblent évidentes

Un bon conseiller financier nous dirait qu’avant d’aller demander des prêts, il faut arrêter de gaspiller l’argent. Et cependant, il y a quelques mois – alors qu’en tant que Fonds monétaire international vous conseilliez déjà le gouvernement – 214 groupes économiques ont été exemptés de payer 987 millions de dollars qu’ils devaient à l’État. Et aujourd’hui encore, il existe une dette impayée concentrée sur les mêmes grandes entreprises qui atteint les 4 milliards de dollars, sanc compter tous les milliards non récupérables d’argent mal acquis par la corruption… Avant de demander des prêts, de lever des impôts, nous pourrions commencer par recouvrer les dettes, cela permettrait pensons-nous d’assainir l’économie.

En outre la logique voudrait que l’on cherche d’abord des financements auprès des banques qui proposent de faibles taux d’intérêts parce que les prêts que vous proposez s’approchent beaucoup de ce que nous appelons des « arnaques ». Dans ce contexte, sans que l’on sache pourquoi on a enlevé à la Banque centrale la possibilité de proposer des financements et d’intervenir pour stabiliser l’économie nationale, l’Équateur se voit pratiquement « obligé » d’avoir recours à des institutions financières internationales, avec lesquelles nous avions décidé il y a déjà longtemps de ne plus vouloir avoir de relations d’affaires.

Par ailleurs nous ne comprenons pas où est l’urgence

Les finances publiques, certes dans une situation difficile, ne souffrent pas de déficits qui justifient d’aussi violents ajustements. Nous ne comprenons pas non plus pourquoi il faut souscrire autant de crédits pour augmente les réserves internationales alors que l’économie nationale est dollarisée et n’a pas besoin de protéger sa monnaie locale. Donc si l’Équateur n’a pas de problèmes d’inflation, pourquoi rechercher à tout prix la stabilisation ? La question est même plus concrète : cela a-t-il un sens d’appliquer les mesures typiques de l’ajustement structurel dans un pays dollarisé ?

Si, par ailleurs, l’objectif est la croissance économique, pourquoi s’entêter à faire des ajustements qui frappent aussi durement les plus pauvres et la compétitivité-même de la production. Nous ne comprenons pas comment on décide une augmentation brutale et sans condition du prix des carburants, décidée sans aucun critère social, écologique ou productif, à la seule fin de rétablir l’équilibre des comptes. N’est-ce pas un contresens de présenter l’élimination des subventions sur les carburants comme une soi-disant mesure écologique alors que simultanément on encourage des extractivismes destructeurs de la vie auxquels nous nous sommes historiquement opposés.

Nous ne comprenons pas comment la flexibilisation du travail et de la protection environnementale pourrait améliorer la compétitivité à long terme, alors que les résultats connus de mesures semblables sont des dégâts environnementaux qui nous poursuivent sur plusieurs générations, et la détérioration, non seulement de notre qualité de vie, nous qui par notre travail soutenons l’économie, mais aussi de notre capacité à consommer. Nous affirmons que cela paralyse l’économie et ne lui fait aucun bien.

L’objectif de l’économie n’est-il pas de garantir le bien-être humain et celui de nos foyers en harmonie étroite avec la Terre Mère ? – C’est du moins ce que dit notre Constitution, et cela suppose, pensons-nous, que les mesures de politique économique devraient être guidées par ces principes.

Nous considérons que tout changement et toute politique doivent être menés en accord avec les peuples et non dans leur dos. Il y a des alternatives, vous le savez, et leur mise en application réclame créativité et volonté politique : pourquoi n’est-ce pas les bénéficiaires historiques d’une société structurellement injuste qui font les sacrifices ?

Ce que nous venons de vivre en Équateur a des racines profondes. Mais les politiques imposées au prétexte de la récente lettre d’intention signée par le gouvernement du pays nous ont conduit à une explosion sociale. Le bilan est regrettable, et non pour des pertes économiques récupérables. La violence et la répression ont laissé derrière elles : 8 morts, 1340 blessés et 1192 détenus – ces chiffres augurent d’un futur sombre.

En définitive, Messieurs du FMI, l’intention de cette lettre est d’exiger que vous cessiez les pressions pour que soient signées des lettres, des traités, des conventions qui ne sont pas favorables au peuple équatorien – le mécontentement manifesté dans la rue par le mouvement indien et le peuple équatorien l’a clairement montré. Dans le cas contraire, les gouvernants et les groupes de pouvoir que vous favorisez et qui vous soutiennent, vous le FMI, devront assumer les conséquences de l’application d’une politique économique orthodoxe, complice, servile et antidémocratique qui porte atteinte à nos droits et à ceux de la Terre Mère.

Veuillez agréer nos salutations distinguées,

Marlon Vargas, président de la CONFENIAE
Jaime Vargas, président de la CONAIE
Nayra Chalán, vice-présidente d’ECUARUNARI


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3512.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : lettre originale diffusée sur internet, 21 octobre 2019.

En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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