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DIAL 3596

MEXIQUE - Les femmes et la pandémie : plus de travail, moins d’emplois

Daniela Rea

mardi 30 novembre 2021, mis en ligne par Dial

Dans cet article publié le 18 novembre 2021 sur le site Pie de pagína, Daniela Rea brosse un portrait des conséquences de la pandémie de Covid 19 sur la vie des Mexicaines.


La pandémie a frappé plus durement le monde du travail des femmes. À la fin de la première année, deux personnes sur trois sorties de la population économiquement active du Mexique étaient des femmes licenciées ou qui avaient dû regagner leur foyer pour s’occuper de leurs proches.

México. Jenni Ramos, 35 ans, ingénieure industrielle, occupait un emploi régulier avant la pandémie. À cette époque, pendant que Jenni travaillait au bureau, sa fille était à la garderie, ses grands-parents la récupéraient, et Jenni passait la chercher après le travail.

Jenni est tombée enceinte au début de la pandémie, a accouché et, à la fin de son congé de maternité, on ne l’a pas autorisée à travailler de chez elle, ce qui fait qu’elle a dû revenir au bureau. Son mari s’occupait de la petite à la maison mais, peu de temps après, elle a été licenciée.

D’après les statistiques de l’Enquête nationale sur le travail et l’emploi de l’INEGI [1], au Mexique, entre le dernier trimestre 2019 et le dernier trimestre 2020, la population économiquement active du pays a diminué de 1,7 million d’individus, dont 1,1 million de femmes.

La Commission économique pour l’Amérique latine a indiqué qu’en 2020 la crise économique engendrée par la pandémie a provoqué « un exode massif des femmes hors du marché du travail », soit à la suite d’un licenciement, soit parce qu’elles ont dû regagner leur foyer pour s’occuper de leurs proches.

Avec deux filles à la maison, aujourd’hui âgées de cinq ans et un an et demi, il fallait que Jenni trouve un revenu. Une amie l’a appelée pour lui dire qu’un poste était à pourvoir dans l’entreprise où elle travaillait. Jenni a eu de la chance parce qu’il s’agissait d’un travail en ligne. Mais cela n’a duré que deux mois. Le patron n’a pas voulu s’adapter et a demandé à tous les employés de venir travailler sur place. Jenni s’est débrouillée pendant quelques mois, avec l’aide des grands-parents, qui veillaient sur ses filles avec son mari. Mais il n’a pas été possible de continuer et elle a quitté cet emploi.

L’INEGI indique que la population non économiquement active – c’est-à-dire les personnes de plus de 15 ans qui, au moment de l’enquête, n’exerçaient aucune activité économique et ne cherchaient pas de travail – a augmenté de 3,5 millions, dont 1,9 millions chez les femmes, soit 54%. Une interprétation que l’on pourrait donner de ce chiffre est que certaines de ces femmes ont dû rester chez elles pour s’occuper de leurs enfants et que, pour cette raison, elles n’ont pas pu chercher du travail bien qu’elles aient besoin d’argent. C’est le cas de Jenni qui, obligée de s’occuper de ses deux filles à la maison, n’a pas pu recommencer à effectuer une recherche formelle d’emploi.

Travail précaire

L’étude intitulée « Impactos diferenciados, esfectos de la pandemia de covid-19 en la situación laboral de las mujeres en México » [Impacts différenciés, effets de la pandémie de Covid 19 sur la situation professionnelle des femmes au Mexique], publiée par la Ville de México, montre que déjà, avant la pandémie, l’inégalité dans le travail des soins entre les femmes et les hommes était importante : les femmes consacraient en moyenne entre 19 et 22 heures de plus que les hommes au travail des soins. Dans le cas des femmes qui travaillent, l’écart s’élève à 19 heures tandis que pour les femmes qui ne sont pas sur le marché du travail il s’établit à 22 heures. D’autre part, si les femmes consacrent plus de temps au travail non rémunéré des soins, celles qui ont un emploi passent à leur poste en moyenne presque sept heures de moins que les hommes.

« C’est sur la base de ces écarts qu’il convient d’évaluer les effets de la crise sanitaire. Pour la population générale, la crise a réduit de 7% les chances de trouver un emploi. Pour ceux qui ont un emploi, la probabilité qu’il soit à plein temps a diminué de 4%. De même, le revenu du travail des personnes ayant un emploi a baissé de 5%. En résumé, la crise économique provoquée par la pandémie a entraîné une dégradation significative des conditions du marché du travail mexicain, tant sous l’angle de la perte d’emploi que sous la forme d’une détérioration des emplois subsistants », peut-on lire dans le rapport.

Jusqu’à aujourd’hui, pourtant, les actions publiques engagées pour aider les femmes en activité dans les situations qui sont les leurs ont été très limitées. À México, par exemple, pour les femmes travailleuses du sexe, employées de maison et chefs de famille exposées au risque de la précarité et de la violence domestique, l’administration a débloqué trois allocations de 2 170 pesos [88 €] chacune, sans dire toutefois combien de femmes en ont bénéficié. Par ailleurs, l’arrondissement de Tlalpan a lancé un programme de soutien aux femmes ayant à leur charge des enfants de zéro à cinq ans, et versé au total 3 686 pesos [150 €] à 790 femmes pendant deux mois.

Nous ne pouvons pas attendre

Jenni avait besoin d’un revenu, mais elle ne pouvait se mettre en quête d’un emploi tant qu’elle ne parvenait pas à concilier les temps et les espaces consacrés à ses tâches de soins et à son activité professionnelle. Et c’est ainsi qu’elle a commencé à réfléchir à la création d’une microentreprise avec des connaissances, des camarades, des mères elles aussi licenciées ou obligées de laisser leur travail pour s’occuper de personnes à la maison.

L’entreprise est en gestation. Elles cherchent à vendre des aliments en gros depuis chez elles. Elles communiquent par whatsapp ou visioconférences et elles sont actives très tôt (quand leurs enfants dorment) ou très tard (quand leurs enfants sont couchés).

« Je ne veux pas passer à côté de l’enfance de mes filles, je veux être avec elles, mais je veux aussi m’épanouir sur le plan professionnel. Et, un jour que je discutais avec une amie, l’idée nous est venue de fonder notre propre entreprise, une entreprise souple, faite pour tous, qui nous apporte une qualité de vie, qui puisse se gérer à la maison.

Je m’occupe de mes filles et je travaille à monter cette affaire, pour qu’elle grossisse peu à peu, cela me permettrait d’avoir un revenu, de me développer professionnellement et d’avoir du temps avec mes filles.

– Comment avez-vous vécu les choses ?

– Physiquement et affectivement, cela a été épuisant parce qu’à la fin il n’y a pas de conciliation possible sur la question du travail. Il n’y a qu’une issue : quelqu’un doit arrêter de travailler. Dans le temps, on nous apprenait à devenir des mères de famille mais, aujourd’hui, je suis une personne qui veut apprendre, s’épanouir dans ma vie professionnelle et ne dépendre de personne. Je veux être un exemple pour mes filles.

– Qu’est-ce que vous aimeriez leur apprendre ?

– Que tout est possible, qu’elles soient des femmes indépendantes, qu’elles rompent avec un système qui, dans notre pays, signifie une concurrence permanente des salaires, une discrimination dès l’université jusqu’au marché du travail où il est impossible de gagner plus ou de devenir cadre parce que vous êtes une femme, alors même que nous en sommes tout à fait capables. On est encore à des années-lumière du 100%, mais mes filles doivent avoir la conviction qu’elles peuvent réussir à obtenir ce qu’elles souhaitent.

–Selon vous, que devrait faire l’État pour aider au soin ?

– Je crois qu’il faudrait changer la législation du travail, assouplir les choses, les entreprises doivent nous aider à pouvoir nous occuper de nos enfants. Il faut une réforme du travail. La première année, nous ne pouvons prendre que six jours de vacances… Je ne veux pas vivre pour travailler…

Jenni. »

La CEPAL a adressé des recommandations aux gouvernements pour qu’elles remédient aux conséquences de la pandémie sur les femmes :

 Il faut prendre des mesures pour amortir et compenser les effets de la crise sur l’emploi, les revenus et la charge de travail des soins des femmes ainsi que la dégradation de leur niveau de bien-être.
 Les politiques de relance doivent réintégrer des critères de genre dans la sélection stratégique des secteurs, les mécanismes et instruments fiscaux, et la réorientation des mesures incitatives.
 Il faut mettre sur pied un pacte fiscal et d’égalité entre les sexes visant explicitement à éviter que ne s’aggravent les inégalités de genre dans l’accès au financement et à consacrer des fonds aux politiques d’égalité de genre et de protection des droits des femmes.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3596.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : Pie de pagína, 18 novembre 2021.

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[1Institut national de statistique et de géographie – note DIAL.

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