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L’économie en 2022 : plus de nuages que d’éclaircies

Juan Torres López

mardi 18 janvier 2022, par Françoise Couëdel

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4 janvier 2022 - Je crains que la dégradation progressive, l’instabilité, le désarroi et l’aggravation des problèmes soient ce qui a la plus grande probabilité de se produire alors que ne changent ni les principes ni l’environnement général dans lequel évolue l’économie.

La majorité des économistes et des organismes internationaux ont pensé que 2022 serait l’année de la normalisation définitive de l’économie internationale après la pandémie, après une récupération qui s’annonçait puissante et sans obstacles majeurs alors qu’elle est sur le point de se figer.

Au vu de la façon dont ont évolué les circonstances, tout indique qu’ils se trompaient assez lourdement et que 2022 peut être une autre année riche en imprévus et en difficultés économiques.

Comme on pouvait le supposer dès le moment où les pays riches ont stocké des vaccins en en privant les pays pauvres, la pandémie ne peut pas prendre fin. Les reprises successives de la pandémie ont supposé des sursauts continuels qui freinent l’activité économique et augmentent la vulnérabilité, non seulement économique mais aussi sociale et politique dans presque tous les pays. Tant que ne changera pas la stratégie globale de vaccination il n’y aura pas de récupération définitive possible. Tant que les variants du virus continueront à circuler les économies souffriront à nouveau de l’incertitude, des tensions et des coups d’arrêt qu’engendre le Covid19 comme nous l’avons déjà constaté.

Loin de se résoudre en 2022, les déséquilibres entre l’offre et la demande s’accentueront dans toutes les économies, pour trois raisons simples. Parce qu’ils ne sont pas, comme on le dit, simplement conjoncturels ou le fruit de la pandémie mais parce qu’ils étaient déjà annoncés antérieurement ; parce que pratiquement les gouvernements ne proposent aucun type de réponse, tandis que les grandes corporations accentuent les comportements qui ont engendré le problème et, finalement, parce qu’il s’agit de dérèglements qui s’autoalimentent, provoquant des incertitudes et des coûts qui obligent à modifier constamment les prévisions et les expectatives et rendent difficile la consolidation de stratégies à moyen ou court terme et parce qu’ils encouragent – comme mécanisme de défense – la concentration entrepreneuriale qui désorganise les marchés.

Ce qui se produit, en réalité, est que la mondialisation des dernières quarante années bat de l’aile et personne n’ose tirer le signal d’alarme : la Chine change son modèle et sa stratégie pour garantir sa propre autonomie et les États-Unis s’efforcent de consolider et d’accentuer leur domination impériale alors que s’affaiblit leur hégémonie économique ; tandis que le Royaume-Uni, le Japon, l’Union européenne ou la Russie tentent de ne pas être entrainés dans la tourmente. Tout semble indiquer que 2022 peut être le point de départ définitif d’une nouvelle étape de guerre froide, dont un des effets sera inévitablement la tension croissante géopolitique qui troublera et affaiblira chaque jour davantage les économies du monde entier.

L’industrie mondiale était en crise dès avant la pandémie ; les systèmes logistiques et d’approvisionnement étaient en train de se restructurer quand le confinement et ses séquelles les ont plongés dans un authentique chaos ; les marchés des matières premières continuent à être objets de spéculation, exacerbée quand la situation, comme en ce moment, devient plus instable : les prix de l’énergie montent en flèche en raison de l’épuisement séculaire de l’offre, des conflits politiques et de l’énorme pouvoir concédé aux oligopoles qui dominent la production et la distribution ; et le changement climatique, les catastrophes et les menaces de chocs systémiques de plus en plus présents et graves, obligeront à assumer des coûts extraordinaires, qu’on le veuille ou non, pour pallier leurs effets.

Pour toutes ces raisons, les prix ne vont pas se modérer en 2022 et cela supposera une source additionnelle de difficultés économiques. En premier lieu, leur croissance ne va pas être freinée parce que ne vont pas disparaitre les conflits d’intérêts et l’asymétrie de pouvoirs sur les marchés qui engendrent leur hausse au milieu des dérèglements et des tensions de tous ordres que je viens de mentionner ; en second lieu parce que les banques centrales n’ont pas d’instruments pour lutter contre ce type d’inflation qui monte en flèche ; et, finalement parce que une fois enclenché le détonateur et les attentes d’inflation créés, pour n’avoir pas été combattues à la racine, les hausses des prix s’autoalimentent sans remède. Quand les prix industriels augmentent dans certains pays d’environ 35%, il est chimérique de penser que la hausse pourra cesser dans quelques mois.

D’autre part, il est très difficile que les économies s’améliorent substantiellement l’année prochaine alors que ni les gouvernements, ni les banques centrales qui mettent en œuvre les politiques, ni les économistes du courant majoritaire qui les inspirent ou qui proposent leurs doctrines, ne savent clairement ce qu’il faut faire, ni pour quoi ils le font.

Des politiques fiscale et monétaire de notre époque on peut dire comme dans la chanson : ni avec toi, ni sans toi, mes maux n’ont de remède. Comme l’a écrit il y a quelques jours Robert Skildesky, les politiques monétaires fonctionnent en théorie mais pas en pratique et les politiques fiscales fonctionnent dans la pratique mais pas en théorie. Le résultat c’est l’improvisation, le choc les unes contre les autres et des réponses de court terme, bien qu’avec un double effet certain : l’augmentation de la dette en faveur du système bancaire et la concentration de richesse dans les mains d’un petit nombre.

Ceux qui gouvernent les économies le font avec des instruments dont ils méconnaissent le manuel de fonctionnement ou qui répondent à des modèles, des situations ou des problèmes antérieurs, et ce serait un authentique miracle qu’on puisse ainsi disposer de réponses et de stratégies qui garantissent la stabilité, pas même à court terme, et la sécurité ou la certitude dont a besoin la vie économique pour évoluer sans effondrements constants.

À tout cela il faut ajouter le problème ancien de la vulnérabilité extrême du système financier international, toujours plus concentré et exposé à des niveaux de risque systémique extraordinaires qui se répercutent sur l’appareil productif, les entreprises et les foyers sous la forme de surcoût, d’endettement inutile et de manque d’assistance financière. Un processus qui non seulement n’est pas freiné mais qui est permis, est financé et encouragé et qui sera un handicap supplémentaire qui empêchera la récupération économique généralisée en 2022.

Je ne pense pas que je fasse une analyse pessimiste. Il apparait que le monde est mal en point, comme le disait Saramago, dont la naissance, certes, remontera à un siècle en novembre de l’année qui commence.

Il est plus mal en point encore car ni nous n’avons appris du passé ni nous ne semblons disposés à le faire.

Au cas où ce ne serait pas clair, la pandémie a mis en évidence que la vie sur la planète est fragile, que perturber les lois de la nature a des conséquences tragiques et que ni les marchés ni l’appât du gain comme unique objectif de l’activité économique ne peuvent apporter de solutions adaptées aux problèmes vraiment graves de l’humanité.

Nous avons pu constater que, de toute évidence, la coopération, la solidarité et la protection prioritaire de l’intérêt commun ne sont pas une simple option morale mais bien la stratégie la plus pragmatique de survie. On a démontré que l’intervention de l’État, l’échange de connaissances et le financement adéquat des services publiques essentiels sont la seule manière de garantir le bienêtre de l’humanité et aussi l’efficacité ou même la vie même de l’entreprise et le capital privé.

Et nous constatons avec la sixième vague, comme celle du coronavirus, que de ne pas agir en respectant ces principes nous rend à nouveau vulnérables et nous expose à de nouveaux risques.

Mais d’avoir ces évidences sous les yeux ne nous a même pas servi à améliorer les choses.

Nos continuons à laisser les mains libres à ceux qui sèment le désordre ; il faut reconnaître que les gouvernements et les grandes institutions s’impliquent davantage, allant même jusqu’à renier leurs propres doctrines précédentes, comme je l’ai dit, mais ils ne cessent de pousser l’économie vers la même pente qui détruit la planète et accentue les inégalités. On permet que les institutions qui doivent nous défendre et – soyons clair une fois pour toutes ! – on encourage l’usage du mensonge et l’affrontement civil comme instrument de plus pour consolider le pouvoir économique et financier qui domine le monde.

Les choses n’étant jamais totalement blanches ou noires, nous aurons des tendances économiques contraires et complexes en 2022, car ni tous les gouvernements ne se ressemblent ni tous les sujets ou groupes sociaux dotés de plus ou moins de pouvoir économique ne s’orientent dans la même direction ou n’ont les mêmes intérêts. Mais je crains que la dégradation progressive, l’instabilité, le désordre et l’aggravation des problèmes soit ce qui va se produire le plus probablement si ne changent ni les principes généraux ni le cadre général dans lequel évolue l’économie.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Texte original (espagnol) publié sur le site NuevaTribuna.es (Público) : https://www.nuevatribuna.es/articulo/actualidad/economia-2022-nubes-claros-neoliberalismo-bancos/20220104141923194187.html.

Texte paru aussi sur le blog de l’auteur : https://juantorreslopez.com/la-economia-en-2022-mas-nubes-que-claros/.

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