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EUROPE - Fachosphère

Jorge Elbaum

mercredi 5 juin 2024, mis en ligne par Françoise Couëdel

14 mai 2024.

Du 6 au 9 juin prochain auront lieu les élections au Parlement européen et il y a de fortes probabilités que la droite et l’ultra droite d’origine fasciste obtiennent leur meilleur résultat électoral depuis qu’en 1979 a été instaurée l’élection au suffrage direct et universel. Le vote est généralement un thermomètre de l’orientation idéologique et de l’état d’esprit des presque 380 millions de personnes habilitées à voter pour élire les candidats aux 720 sièges. On suppose que les courants néolibéraux, identitaires, xénophobes, islamophobes, ennemis des diversités de genre et fières de leur passé (et présent) impérialiste, seront celles qui seront chargées d’orienter la politique communautaire dans le prochain lustre.

Les causes de cette dérive réactionnaire sont dues autant à l’échec du capitalisme financiarisé et prédateur qu’à la perte relative du centralisme hégémonique atlantiste face au pouvoir militaire russe et à l’émergence économique et productiviste chinoise. La tentative la plus récente pour empêcher la perte de centralité – que ces droites radicales prétendent garantir – s’opère par l’instauration d’algorithmes de contrôle et la prolifération d’une information confuse et déhiérarchisée. Cette opération prétend, en même temps, rompre les réseaux communautaires (tout type de lien ou de tissu social) et en même temps monétiser et manipuler les subjectivités.

Les droites conservatrices européennes ont muté, en réponse à ces défis : elles doivent faire face à des taux de natalité bas, à l’héritage colonial – avec ses conséquences migratoires – et la concentration croissante et monopolistique du capital. Le paradigme corporatif de l’étape réactionnaire actuelle sont les Fonds d’investissements (et les vautours) exigent des États forts pour pouvoir imposer des politiques de dérégulation, indispensables pour optimiser l’exploitation de la force de travail et imposer la marchandisation et le saccage de l’environnement.

Deux types de droite participeront aux élections européennes : les droites conservatrices radicalisées – qui promeuvent des politiques néolibérales basées sur la promotion de la dérégulation, de la privatisation, et de la flexibilisation – et les droites identitaires – qui soutiennent des politiques plus étatiques –. Toutes deux, néanmoins, convergent pour alimenter la théorie conspirationiste et paranoïaque du « Grand remplacement » qui voit les migrations des pays pauvres comme une opération destinée à supplanter la population blanche par des mécanismes démographiques.

La crise du modèle néolibéral, qui a détruit progressivement l’État providence a brisé aussi l’équilibre entre la démocratie sociale – soutenue par les syndicats – et les démocrates chrétiens, appuyés par les églises chrétiennes. Ces deux collectifs ont pactisé avec la logique financiariste et sont parvenus à affaiblir les syndicats en se servant des personnes migrantes comme des armées de chômeurs lucratifs, utiles pour affaiblir les travailleurs en dépréciant le coût du travail et détruisant les conventions collectives. La classe ouvrière, dans ce contexte, imagine qu’en se réfugiant dans les droites identitaires cela lui permettra, au moins, de défendre ses traditions.

La social-démocratie, Le christianisme social et la gauche européenne ont fini par être complices de la réaction identitaire : la classe ouvrière s’est droitisée tandis que le pacte néolibéral se chargeait de désindustrialiser, de précariser et de permettre une hausse exponentielle de la concentration de la richesse. Face à cette triple réalité – perte de l’hégémonie atlantiste, détérioration de la qualité de vie des secteurs populaires et instauration d’une culture xénophobe – la droite antisystème se présente sans complexe comme un paradigme de transformation d’un statu quo ankylosé.

Le sociologue Wilhelm Heitmeyer considère que cette situation de crise néolibérale facilite l’apparition d’une cruauté désinhibée qui encourage des formes de supériorité sur des migrants, des dissidents sexuels et des collectifs vulnérables. Ces pratiques légitiment un climat de darwinisme social qui fait appel à de fausses règles méritocratiques pour conforter l’exclusion, la ségrégation et le mépris. Dans ce climat de détérioration sociale, de frustration et de violence symbolique se distinguent des leaders néofascistes : Marine Le Pen en France, Giorgia Meloni en Italie, Geert Wilders aux Pays-Bas, Sebastian Kurz en Autriche, Santiago Abascal en Espagne, Alternative pour l’Allemagne, les Démocrates suédois, les Polonais de Loi y Justice, et le Parti populaire suisse, entre autres.

Donald Trump, Jair Bolsonaro et Javier Milei sont aussi tributaires de la frustration démocratique quand ils se positionnent en défense de gens normaux face aux castes, à l’État profond et aux mondialistes de Wall street. Ce sont les acteurs actuels de la fachosphère, chargée de tenter le sauvetage d’un capitalisme déprédateur, ennemi des travailleurs et des souverainetés nationales. Franco, Mussolini et Hitler ont tenté d’éviter les processus révolutionnaires postérieurs à 1917. La réaction actuelle se présente à nouveau comme salvatrice. Cela peut-il échouer ?


Jorge Elbaum est sociologue, docteur en sciences économiques, analyste senior du Centre latino-américain d’analyse stratégique (CLAE).

Traduction française de Françoise Couëdel.
Source originale (espagnol) : https://www.pagina12.com.ar/736445-fachosfera.

Texte original republié sur le site du CLAE : https://estrategia.la/2024/05/14/fachosfera/.

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