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AMÉRIQUE LATINE - Trois orientations au sein de l’axe radical de la région

Claudio Katz

jeudi 23 mars 2023, par Françoise Couëdel

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27 février 2023 - Analyse minutieuse des principales polémiques et des orientations des processus politiques au Venezuela, en Bolivie et au Nicaragua. Parcours de leurs contradictions, de leurs opportunités et de leurs forces principales.

Le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua font figure d’axe radical, ce qui les différencie des gouvernements progressistes en raison de l’hostilité dont ils pâtissent de la part de l’impérialisme nord-américain. Les États-Unis cherchent à imposer leur loi aux gouvernements de ces trois pays qui refusent de s’y soumettre. Ils cherchent à soumettre leurs régimes pour faire un exemple dans toute la région, en recréant la crainte de la première puissance. Mais dans ces pays se déroulent des processus très différents qui demandent des évaluations spécifiques.

Le nouveau panorama du Venezuela

Dans la dernière décennie les États-Unis ont accumulé un record d’échecs lors de leurs conspirations contre le gouvernement chaviste. Ces revers ne les empêchent pas de continuer à fomenter des complots, en déployant des forces qui effectuent de nouvelles incursions. Mais les maigres résultats de ces opérations poussent Washington à repenser ses attaques. Il maintient la détention du diplomate Alex Saab, la rétention d’un avion irano-vénézuélien à Buenos Aires et la mainmise sur les réserves internationales d’or de Caracas.

Le sabotage économique a été l’instrument principal de l’agression impérialiste. Les États-Unis ont encouragé un manque d’approvisionnement sélectif de biens pour bloquer l’activité pétrolière. PDVSA n’a pas pu refinancer la dette, ni acquérir de pièces détachées et l’extraction du brut est descendue à un niveau qui a fait s’effondrer le commerce extérieur.

Une étude récente détaille les 763 mesures coercitives mises en place par le Département d’État pour infliger des pertes de 215 milliards de dollars au Venezuela. L’appropriation d’entreprise – comme CITGO – a engendré des dommages incommensurables au pays (López Blanch, 2023). Ce harcèlement a inclus la manipulation extérieure du taux de change et en conséquence la dépréciation de la monnaie ce qui a augmenté l’hyperinflation.

La Maison Blanche a misé toutes ses cartes sur cette stratégie destructrice, en supposant que l’étranglement économique ferait tomber le régime politique. Elle a entraîné un effondrement productif avec une grande hémorragie d’émigrants mais n’est pas parvenue à placer ses représentants à Miraflores.

Au terme de nombreux échecs, la défaite des escuálidos [1] est déjà indiscutable. Guaidó a perdu tous ses atouts et a été détrôné par ses complices. Les déclarations de Leopoldo López sont aussi tombées dans l’oubli. Les provocations à la frontière avec la Colombie ont été déjouées par les accords avec le nouveau gouvernement de Petro et les mercenaires diffèrent leurs tentatives d’invasion.

La droite a également été affectée au plan électoral. Elle n’est pas parvenue à boycotter les dernières élections, ni à empêcher la récupération de l’Assemblée nationale par une partie de l’officialisme. Elle a abandonné le contrôle de l’institution qu’elle a monopolisée pendant de nombreuses années et elle s’est fracturée en de nombreuses factions qui se disputent les offres séduisantes du financement nord-américain. Le gros de l’opposition reconnaît la défaite et cherche à se réinsérer dans le système politique, en misant sur la présentation d’une candidature commune pour les élections présidentielles de 2024. Biden soutient cette unification et espère obtenir par la voie électorale ce qu’il n’a pas pu obtenir par des coups de force.
Mais le président nord-américain négocie aussi l’annulation éventuelle des sanctions contre le Venezuela, pour faciliter le retour des entreprises états-uniennes dans l’exploitation du brut. Le premier pas de cette réconciliation a été l’octroi à Chevron de nouvelles licences d’extractions.

Le manque de combustible qu’a crée la guerre en Ukraine contraint Biden à l’urgence. Non seulement il doit augmenter la fourniture intérieure aux États-Unis mais aussi respecter son engagement de fourniture à l’Europe. Il s’est engagé à compenser les fournitures de brut, que le Vieux continent ne reçoit plus de la Russie, et le Venezuela en serait le fournisseur idéal. Il compte sur la possibilité qu’augmente rapidement la production si les installations extractives du combustible se normalisent.

Mais cet accord exige le déblocage préalable des comptes internationaux de Caracas, que Washington a fermé avec sa prépotence habituelle. Les deux chancelleries négocient avec de nombreuses hésitations cette régularisation possible.

Rétablissement économique et changement d’orientation politique

La catastrophe économique du Venezuela a touché le fond en 2021 et a été suivie par la récupération actuelle. Les indicateurs de l’amélioration sont visibles. Le PIB est remonté à 4,2%l’an dernier, en même temps qu’une reprise de l’investissement et une augmentation perceptible de la consommation. Des données multiples confirment la progression des chiffres et on estime que la croissance du dernier exercice a dépassé les 8% (Cazal, 2022) Cette reprise ne fait pas oublier l’enfer des neuf dernières années (et la dégradation de 70/% du PIB) mais inaugure un cycle plus prometteur.

Les statistiques récentes rendent compte d’une reprise des dépense des foyers et un sursaut de la vie commerciale. On constate aussi une légère réduction de l’inflation qui se situe au plus bas niveau depuis 2015. La pénurie dépasse toujours la moyenne du niveau régional mais révèle une tendance décroissante.

L’affirmation généralisée de ce que « le Venezuela va mieux » revêt des significations très diverses. L’officialisme l’explique par une victoire définitive sur l’effondrement antérieur et l’opposition la confirme sur un mode sarcastique qui souligne le caractère limité du nouveau scenario. Mais personne ne rejette l’existence d’un changement de situation économique.

Comme cela a toujours été le cas au Venezuela la récupération se produit grâce à la reprise à la hausse du prix international du pétrole. Avec un prix en hausse du baril l’économie bénéficie d’une relance importante. Mais cette stimulation est aussi limitée par la baisse importante des volumes d’extraction. En 2021, la production prévue a doublé et on attend une reprise prochaine de même niveau, mais le chemin est encore long pour retrouver les chiffres moyens du passé.

Le retour du dollar a également été le facteur déterminant de ce rebond car il a permis l’ancrage de la double monnaie qui soutient la reprise commerciale. Cette récupération s’appuie sur l’utilisation des devises dans un grand nombre de transactions. La dépréciation de la monnaie nationale a imposé une dollarisation de fait pour contrer la dépréciation affolante, à des taux ahurissants, que le bolivar a enregistrée depuis 2013.

Les dollars qui relancent le fonctionnement de l’économie viennent aussi des remesas qui sont remontés à 35% après la pandémie par les envois de la population nombreuse d’émigrés vénézuéliens (entre 3 et 5 millions). Les grands groupes capitalistes aussi ont repris l’injection de devises pour stimuler la renaissance des affaires. Ce contexte entraîne, à son tour, la réintroduction progressive des dollars cachés de l’économie informelle.

En 2018 a débuté l’adoption du billet nord-américain pour les paiements courants dans de nombreux commerces. Ce système a été institutionnalisé par diverses normes officielles. La Banque centrale a légalisé l’usage du dollar pour des opérations financières entre des banques nationales, a approuvé l’ouverture de comptes et l’émission de cartes de crédit en devises.

À la fin de l’année 2021, 52,38% de tous les fonds déposés dans ces entités étaient enregistrés en dollars (Curcio, 2022a) et certaines évaluations estiment que le pourcentage de transactions dans cette valeur monétaire atteint jusqu’à 70% (Lozano, 2022). La dollarisation de facto conduit à utiliser cette valeur comme garantie de nouveaux contrats.

La principale conséquence sociale de la dollarisation est l’augmentation des inégalités. Ceux qui perçoivent ces devises comptent sur cette ressource pour garantir leur consommation alors que n’en bénéficient pas ceux qui perçoivent leurs revenus en bolivars. Cette différence est très visible entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public. La fracture n’est pas réduite par toutes les tentatives de compensation officielle à travers les mécanismes de l’imposition. La capacité de l’État pour rendre effective cette compensation est très limitée par l’affaiblissement de sa gestion, dans un contexte d’inflation élevée.

Il est vrai que les secteurs populaires privés de devises perçoivent des subsides significatifs pour payer les services et assurer leur alimentation. Mais ces subventions ne compensent pas l’énorme augmentation de l’injustice sociale.

La réactivation de l’économie et la défaite subie par l’opposition droitière ont consolidé le gouvernement. De nombreux analystes confirment cette donnée (Stefanoni, 2022). L’officialisme a conquis 20 des sièges départementaux en jeu lors des dernières élections et a bénéficié amplement de la crise migratoire qui a touché ses adversaires en terme de voix et de participation aux mobilisations. Maduro a fait preuve, en outre, d’une grande habileté pour diviser ses ennemis. « Cette réactivation n’efface pas l’enfer des neuf dernières années (et l’effondrement de 70% du PIB) mais ouvre un cycle plus prometteur ».

Les élections ont révélé les graves problèmes auxquels doit faire face le gouvernement. Il a relevé le défi électoral en dépit d’une large abstention et une perte significative de voix. La défaite symbolique dans le bastion de Barina – après 23 années consécutives de triomphe – a illustré cette adversité. Le parti officiel (PSUV) a ratifié l’efficacité de sa machine électorale. Mais nombreux sont les signes de perte de fidélité, d’enthousiasme et d’adhésion militante, à la fin d’une période de régression économique et sociale extrêmement dure (Iturriza, 2021).

Propositions économiques en débat

Il est évident que le gouvernement a été poussé à une dollarisation qu’il n’a jamais conçue comme une stratégie propre. Cette orientation est aux antipodes du projet de souveraineté qu’avait envisagé Chávez. Le Venezuela ne peut pas élaborer, sans une monnaie propre, un mécanisme soutenu de croissance et de redistribution.

Plusieurs années d’hyperinflation et d’effondrement productif ont amené l’officialisme à valider l’usage de la devise étasunienne, pour lutter contre les carences d’approvisionnement et relancer le commerce. Mais la grande interrogation est la pérennité de ce modèle. La dollarisation sera-t-elle remplacée quand l’économie se normalisera ? Ou, au contraire, restera-t-elle intégrée dans le nouveau schéma qu’encourage le secteur le plus conservateur du chavisme ? Si c’est cette seconde option qui prévaut, les groupes privilégiés renforceront leur pouvoir sur l’orientation de la gestion de l’État.

Une stabilisation de l’économie selon les modèles actuels accentuera la fracture sociale. La récupération de la croissance est indispensable, mais avec le modèle distributif en vigueur elle accentuera un modèle régressif (Curcio 2022b).

La loi antiblocage – qui propose d’échapper à l’asphyxie externe en limitant le contrôle des devises par l’État – consolide cette orientation, par le biais d’une séquence de privatisations. La modalité de ces transferts est pour l’instant peu transparente et on ignore si elle concernera les grandes ou les moyennes entreprises.

Cette initiative a été complétée par la promotion de Zones économiques spéciales (ZEE), ayant des normes spécifiques pour attirer l’investissement étranger. L’application de cette législation à de nouvelles exploitations pétrolières pourrait affecter la captation de l’État du revenu généré par cette activité (Mazzei, 2022). Le gouvernement devra définir qui en seront les bénéficiaires et ceux qui seront pénalisés par l’orientation économique en gestation.

Il ne fait aucun doute que la détérioration endurée les dernières années a été orchestrée par l’impérialisme et ses alliés locaux, mais accentuée aussi par l’improvisation, l’impuissance et la complicité de l’officialisme. C’est avec cette connivence que la décapitalisation gigantesque qui a entraîné la fuite de capitaux a été consommée. Cette hémorragie est passé de 49 milliards (2003) à 500 milliards de dollars (2016) et a précipité l’effondrement du PIB, dans le cadre d’une stagflation virulente.

Cette détérioration a contrasté avec l’enrichissement de cette même bolibourgeoisie (bourgeoisie bolivarienne) qui s’enrichit actuellement avec la récupération. Ce secteur a été particulièrement privilégié par le système d’assignation de devises qui régule l’économie vénézuélienne.

Comme l’important flux de dollars encaissés grâce à l’exportation du pétrole est géré par l’État, l’offre, le montant et le cours de cette devise ne sont assujettis à aucun modèle commercial. Les fonctionnaires assignent ce flux à des secteurs capitalistes associés, qui ont dilapidé cette ressource à une échelle jamais vue. En seulement deux ans (2011-2012) avec ce mécanisme se sont évaporés 64 milliards 400 millions de dollars (Boza, 2022a).

Une oligarchie intermédiaire s’est enrichie en gérant les importations et en utilisant la réception de dollars à bas coût que fournit l’État, pour opérer un recyclage caché de devises dans les circuits parallèles. Cette soustraction de fonds de l’activité économique formelle a privé de soutien la monnaie nationale et a élevé l’inflation à des taux inédits dont le Venezuela a souffert. Ce désastre économique n’a pas été occasionné seulement par l’agression impériale externe. C’est la politique de change soutenue par le gouvernement qui a aussi été déterminante.

La cause principale de l’hyperinflation n’a pas été l’excès d’émission mais le système officiel nocif de l’assignation des dollars. L’État subventionne un secteur capitaliste qui pille ces ressources. La thèse monétariste, qui situe le problème sur le terrain exclusif de l’offre excessive d’argent, n’a pas de base empirique et protège la persistance de la structure qui empêche l’usage productif de la rente pétrolière.

Le gouvernement n’a pas écouté pendant des années les propositions du chavisme critique d’introduire des contrôles sur les banque, de modifier l’assignation de devises au secteur privé et de pénaliser les corrompus qui surfacturent les importations ou s’enrichissent en spéculant sur le change. L’officialisme a forgé un parti politique fort, mais n’a pas progressé d’un millimètre dans la création d’une catégorie de fonctionnaires honnêtes et entraînés à la gestion efficace de l’assignation des devises.

La politique du change au service de la bolibourgeoisie n’a pas permis de développer un modèle économique semblable à celui qui a été mis en place en Bolivie. Au lieu d’élaborer un schéma d’orientation productive des devises, les ministres successifs de l’Économie ont dissimulé l’hémorragie de ces ressources. La protection et l’usage rentable des devises est toujours le principal instrument anti-inflation dont a besoin le Venezuela pour reformer sa politique économique (Boza, 2022b).

Les questionnements de la gauche

Le schéma économique actuel suscite de fortes objections de la gauche et du chavisme critique. Mais la division est claire entre un secteur qui attribue au gouvernement la responsabilité des malheurs auxquels a du faire face le pays et un autre segment qui les attribue surtout à l’impérialisme et à la droite.

Certains tenants du premier groupe ont recours à des qualificatifs violents contre Maduro. D’autres dénoncent la suprématie d’un régime maffieux, lumpen ou despotique. Ils attribuent à Chávez lui-même l’origine des malheurs actuels (Sutherland, 2022, 2023). Cette mise en accusation indiscriminée de tout le processus bolivarien présente des similitudes avec la critique de nombreux opposants de droite.

Cette conception perd de vue l’urgence qu’affronte la pays comme conséquence de l’agression impériale. Elle ne reconnaît pas le mérite d’avoir contenu – au prix d’un coût économique et social gigantesque – les incursions de Washington. Elle ignore aussi la dureté de la bataille internationale contre les moyens de communication qui présentent le chavisme comme l’incarnation du diable. Le progressisme inféodé a coutume de répéter ces infamies dans toute la région.

L’autre point de vue critique sont les des objections à la gestion gouvernementale, sans perdre de vue les causes impérialistes de la crise. À partir de cette évaluation le ton des remises en question de l’officialisme est monté. L’éloignement du Parti communiste du bloc gouvernemental est révélateur de cette remise en question. Il dénonce la duplicité des fonctionnaires qui émettent des propos socialistes et appliquent des politiques néolibérales (PC, 2023). D’autres intellectuels soulignent l’énorme tournant qu’a opéré le gouvernement pour mettre en place un ajustement cruel au détriment du niveau de vie des masses populaires (Bonilla, 2021, 2023).

Diverses analyses attribuent l’origine de cette involution à l’affaiblissement des structures communales qui soutenaient le processus bolivarien. Certains estiment que cet affaissement s’est accompagné d’un important recul des mouvements sociaux. Ils considèrent que la régression politique en cours atteint un niveau équivalent à celui du Termidor qui, dans le passé, a brisé plusieurs processus révolutionnaires (Gilbert, 2021).

Un autre point de vue avance que cette érosion du soutien des communes a facilité l’avancée de l’option conservatrice du chavisme contre le secteur radical. Il suppose que ce virage engendre la primauté du clientélisme bureaucratique sur la participation populaire, mais considère aussi que cette involution n’est pas définitive. Il estime aussi qu’il est possible de relancer le processus bolivarien, grâce à une dynamique corrective guidée par le principe de « revenir à Chávez » (Iturriza ; Mazzeo, 2022). Cette vision propose un changement substantiel de modèle économique pour reconstituer les racines populaires du processus actuel. Elle conçoit ce tournant dans la continuité de la lutte que livre le gouvernement contre la droite et ses donneurs d’ordre de Washington.

Le test de la lutte sociale

Les débats sur le Venezuela ont pris un autre tournant depuis l’irruption d’une lutte sociale importante au début de 2023. Les demandes de nombreuses corporations se sont concentrées sur la mobilisation des enseignants qui réclament une augmentation de leurs salaires pour compenser leur détérioration engendrée par la pénurie.

Cette exigence s’est renforcée suite au non respect officiel de paiements dans d’autres secteurs. Les revendications se sont étendues à tout le territoire et fédèrent la mobilisation sociale la plus importante des dernières années.

Pour la première fois, adhérents et opposants au chavisme s’accordent sur une revendication salariale qui reflète la perception populaire du changement enregistré dans l’économie. La récupération de la production et de la consommation est une incitation à la demande d’amélioration des salaires (Camacho, 2023).

Le gouvernement ne donne pas de réponse précise. D’un côté il a envoyé des messages de confrontations en organisant des marches simultanées sous d’autres bannières, en suggérant aussi l’augmentation des enseignants compte tenu de leur responsabilité scolaire.

D’autre part, de nombreuses voix qui soutiennent le processus bolivarien appellent à apporter cette amélioration, indiquant que cela contribuerait à restaurer le pouvoir d’achat (Britto García, 2023). La proposition la plus radicale poursuit le même objectif d’indexer les salaires (Boza, 2021). L’augmentation salariale n’aurait pas l’effet redouté de l’inflation, ni n’impliquerait un débordement d’émission si elle se conjuguait avec la correction de la politique du change.

L’officialisme est sous les feux. Les groupes de privilégiés rejettent l’amélioration des salaires en agitant la menace monétariste d’un rebond de l’inflation. Mais en réalité, ils cherchent à consolider leur enrichissement en captant le gros de la rente au détriment des salariés. Dans l’autre camp se situent les secteurs partisans d’introduire une mesure de redistribution.

Le gouvernement pourrait faire sienne la demande du professorat et lancer une rectification générale, qui devrait inclure l’exemplarité des fonctionnaires. Les sacrifices qu’impose la rigueur économique doivent commencer par le sommet du système politique. Cette attitude revitaliserait le processus bolivarien. Accorder une amélioration des salaires, modifier le modèle économique et changer le comportement des fonctionnaires sont des décisions capitales pour empêcher la recomposition de la droite et de la faction conservatrice du chavisme. Il existe déjà une longue expérience historique de revendications sociales auprès des gouvernements progressistes dont l’indifférence a abouti à l’appropriation réactionnaire de ce malaise.

Dans les années 80, par exemple, le surgissement en Pologne d’un syndicat autonome soutenant des revendications ouvrières (Solidarnosk) fut criminalisé par un « gouvernement socialiste » . Cette contestation a favorisé le tournant régressif postérieur qui a entraîné la conversion du leader de ce mouvement (Walesa) en figure du néofascisme actuel. Plus récemment le Brésil a connu une expérience similaire. Là-bas les mobilisations de 2016 contre le manque de transport ont été ignorées par le PT et ont débouché sur l’émergence du bolsonarisme. Des antécédents de ce type représentent des signaux d’alerte pour le chavisme.

Les conditions sont réunies pour récupérer la convergence avec les revendications populaires et empêcher la recomposition de la droite. Le dénouement de ce scenario revêt une grande importance pour d’autres processus d’ajustement radical en Amérique latine.

Analogies et différences avec la Bolivie

La Bolivie subit, comme le Venezuela, l’hostilité constante de l’impérialisme. Les États-Unis ont encouragé tous les coups d’État perpétrés (ou tentés) contre le gouvernement du MAS. Leur implication dans les évènements de 2008 a été si scandaleuse qu’Evo Morales décréta l’expulsion de l’ambassadeur Philip Golberg. Le complot allait jusqu’à une tentative de magnicide qui échoua au terme d’un dur affrontement de la rue contre l’officialisme.

La seconde attaque de 2019 a été à nouveau supervisée par le Département d’État, en liaison étroite avec les présidents Bolsonaro et Macri. Cette attaque s’est produite sous la forme d’un coup d’État classique et opérée sous le haut commandement de l’armée, avec le soutien de l’Église et de l’entreprenariat.

À la différence du Venezuela, en cette occasion les droites sont parvenues à paralyser le gouvernement et prendre les commandes pour une courte durée. Añez a obtenu pour un bref moment ce que Guaidó n’est jamais parvenu à faire. Elle s’est emparée de l’État grâce à l’important déploiement de milices néofascistes mais n’a pas réussi à prolonger son administration pathétique. La résistance populaire a débouché sur une forte rébellion qui a obtenu le départ de l’équipe dictatoriale. Avec ce dénouement La Paz s’est retrouvée en harmonie avec Caracas qui avait neutralisé les escuálidos [2].

La troisième tentative est partie à nouveau de la région de Santa Cruz. L’ultra droite ne s’est pas avouée vaincue et le soulèvement contre le gouvernement d’Arce a débuté avec une tentative de grèves en Orient. Les groupes de choc contre les organisations sociales ont été mobilisés et ont fomenté des émeutes au début de 2023.

Le prétexte a été la date du recensement qui devait définir la distribution des ressources et des charges pour les prochaines élections. Sous ce prétexte, les bandes réactionnaires ont organisé le même chaos que celui qui avait précédé les soulèvements antérieurs. Elles ont encouragé les paramilitaires, terrorisé les sympathisants du gouvernement, ont envahi les quartiers populaires et y ont assassiné un certain nombre de personnes.
Mais ce troisième soulèvement a échoué, tout comme ce fut le cas pour les partisans de droite au Venezuela. Au terme de plusieurs semaines le coup d’État fut mis en échec, en raison de l’isolement régional et d’une paralysie du commerce qui entraîna le rejet de la population.

L’extrême droite bolivienne marche sur la voie de ses semblables caribéens avec ses particularités spécifiques. Ses actions se concentrent géographiquement surtout sur Santa Cruz, elle brandit une menace de sécession qui n’est pas celle des réactionnaires du Venezuela. Cette demande régionaliste manque de fondement historique et n’a pas le moindre soupçon de légitimité nationale. Elle révèle simplement le souhait ancien de l’oligarchie de gérer les ressources d’une province sans coordination avec le reste du pays.

Mais la stratégie des putschistes de Santa Cruz offre de nombreuses similitudes avec les visées des escuálidos. Dans les deux cas elle ambitionne de partager les revenus juteux que génèrent les ressources naturelles avec les associés états-uniens. Le contrôle du lithium est convoité en Bolivie avec la même avidité que celui du pétrole au Venezuela. Comme ce précieux minerai ne se trouve pas à Santa Cruz mais à Potosí, l’extrême droite a ouvert une succursale dans la région (COMCIPO). Elle fait pression pour privatiser la gestion de cette richesse sous les ordres directs de plusieurs compagnies nord-américaines (Nacif, 2022) . Elle n’est pas parvenue à ce jour à constituer cette association en raison de la viabilité limitée du projet sécessionniste. La droite de Santa Cruz a cherché également des associés extérieurs au Chili, au Brésil et avec l’assentiment indispensable de Washington (Amusquivar, 2022). Mais leur aventure séparatiste exige des financements, des mercenaires et des soutiens diplomatiques qui manquent pour l’instant.

Le Département d’État exprime son hostilité contre le gouvernement du MAS, mais n’a jamais perdu de vue que la Bolivie n’est pas le Venezuela. Il a toujours toléré une influence décroissante dans l’Altiplano plus que la perte de la principale réserve pétrolière de l’hémisphère.

Le nouveau contexte politique régional affecte aussi les deux projets orientés à droite. Caracas a rétabli des relations avec Bogotá, Brasilia et toutes les capitales de la nouvelle carte progressiste. Les insurgés boliviens pâtissent aussi de ce déclin de la restauration conservatrice. Macri a suspendu sa fourniture d’armes et le soutien qu’apportait Bolsonaro s’est interrompu. Ils conservent le soutien du trumpisme et de ses partisans mais Biden a entériné l’échec d’Añez.

Un certain nombre de similitudes et de différences existent entre le Venezuela et la Bolivie pour ce qui est de la résistance dont ont fait preuve les deux gouvernements contre les insurgés. Le chavisme a toujours eu une riposte frontale contre ses ennemis. Le MAS n’a pas fait preuve de la même radicalité mais quand il en a pris la décision il a obtenu les mêmes succès que ses homologues bolivariens.

Au coup d’État de 2019 Evo a répondu par des concessions et des hésitations qui ont facilité l’insurrection droitière. Arce, face aux provocations de Santa Cruz a fait preuve de la même indécision jusqu’à ce qu’elle prenne la décision audacieuse d’arrêter Camacho et de le transférer à La Paz. Cette manœuvre a provoqué une forte contre-offensive et la victoire sur les insurgés qui s’en est suivi. Ce type de manœuvre ressemble fort à la politique active qu’applique le chavisme pour neutraliser les escuálidos. Avec l’arrestation de Camacho, le gouvernement du MAS peut faire aboutir les procès des responsables des massacres perpétrés par l’armée en 2019. Les tribunaux ont déjà infligé une peine de 10 ans de prison à Añez. C’est de cette manière que pourrait s’opérer l’épuration des forces armées et s’instaurer le principe de « Jamais plus » contre toute tentative de coup d’État, ce qui en Argentine a fait taire ces séditions.

Contrepoints en économie

La Bolivie n’a pas subi la catastrophe économique dont a souffert le Venezuela. Au contraire, dans ce domaine elle a connu des réussites inégalées dans le reste de la région. Elle a instauré un modèle qui a permis la dé-dollarisation rapide avec l’augmentation de la consommation qui en a découlé et l’accroissement de l’investissement. L’extrême pauvreté a diminué de 38,2% (en2005) à 15,2% (en 2018) et le PIB per capita est passé de 1.037 à 3.390 dollars. Les revenus des secteurs intermédiaires ont augmenté ainsi que le pouvoir d’achat, grâce à une politique basée sur la nationalisation du pétrole (Katz, 2021).

Arce a fait ses débuts avec ces indices favorables, en lançant un impôt annuel sur les grandes fortunes. Il est très symptomatique que l’énorme tension politique du pays n’altère pas la stabilité de son économie. La croissance persiste avec un excédent commercial et une inflation basse. La convergence traditionnelle des soubresauts politiques et économiques a été pour l’instant neutralisé par la solidité du modèle qui s’est maintenu.

La Bolivie a mis en place une procédure qui est à l’opposé de celle qu’applique le Venezuela en donnant la priorité à l’usage productif du revenu. Au lieu d’entériner le gaspillage ou le flux de l’excédent vers l’extérieur, elle a établi une gouvernance étatique très efficace de cette ressource. L’État a monopolisé et recyclé 80% du revenu et a imposé aux banques l’obligation d’orienter 60% de leurs investissements vers des activités productives. Cette orientation de la croissance et de la redistribution du revenu a mis le pays sur la voie de l’expansion avec des améliorations sociales. Le secret de ce résultat a été l’étatisation des ressources naturelles, dans le cadre d’une stabilité macroéconomique et de la coexistence des secteurs privés et des secteurs informels.

La poursuite de ce modèle doit actuellement relever de sérieux défis car les réserves de gaz qui en assurent la base affichent une chute importante. Les revenus que génère la vente de combustible au Brésil et à l’Argentine tendent à décliner en raison de l’épuisement de 80% des gisements connus (Céspedes, 2022).
Il existe un certain nombre de projets pour produire 75% de l’énergie locale grâce à des ressources non polluantes et pour transformer le lithium en une source de revenus de substitution. L’initiative la plus prometteuse est le projet d’associations avec les acheteurs de ce minerai, assorties d’un engagement d’industrialisation locale (Nacif, 2023).

Mais cette orientation exige de recréer la cohésion politique du MAS qui s’est imposée sous les mandats d’Evo et qui actuellement doit faire face à une érosion sérieuse. Les disputes entre Evistas et Renovadores ont déjà eu une incidence grave lors des dernières élections départementales et ont engendré une multiplication de listes qui a nui à l’officialisme. Ces dissidences tournent autour de la définition des candidatures présidentielles de 2025 mais supposent en outre un choc important entre les orientations indigénistes et celles des officialistes (Zapata, 2022).

L’origine de ces tensions a été explicitée. Certains analystes estiment que rivalisent l’attirance vers l’opposition conservatrice, le rejet de l’ « embourgeoisement » des dirigeants du MAS et la critique d’une technocratie privilégiée, (Bautista, 2022). Mais cette hypothèse coexiste avec d’autre interprétations de ce qui est en train de se produire. Il est important d’élucider ces polémiques car la Bolivie a mis en place un processus radical qui suscite des orientations du même type. Cette exemplarité s’étend au troisième pays dont il va être question.

Les dualités du Nicaragua

Le Nicaragua fait partie de l’axe radical mais selon une trajectoire très différente. Il ne partage avec ce bloc que la forte hostilité de l’impérialisme états-unien à l’égard de son gouvernement. Washington a à son actif une longue histoire d’agression contre le sandinisme. Pour éviter que l’option prise par Cuba ne se propage il déploya une attaque en règle et inclut le pays dans la guerre chaude que le Pentagone livra en Amérique centrale. Certaines estimations évaluent à 300 000 victimes et un million de réfugiés les conséquences de cette opération impérialiste entre 1975 et 1991(Anderson, 2013 : 111).

Reagan perfectionna cette machine de la terreur grâce au financement du narcotrafic pour soutenir « la Contra », imposer l’armistice au Salvador et maintenir la dictature au Guatemala. Il n’est pas parvenu à renverser le sandinisme mais a créé les conditions de sa défaite électorale de 1989. Le FSLN a traversé ensuite une période d’alternance et est revenu au gouvernement, suscitant de ce fait le grand mécontentement de ses adversaires conservateurs.

Ce retour s’est effectué avec une modification substantielle du format révolutionnaire initial de cette force. L’ortéguisme a remplacé le sandinisme, avec une nouvelle structure calquée sur le capitalisme. Il a noué des alliances stratégiques avec l’ entreprenariat, a adopté les mesures exigées par le FMI et renforcé les liens avec l’Église, en interdisant l’avortement.

Avec ce retournement s’est constituée une bureaucratie qui a consolidé la dynamique préalable de l’appropriation des biens publics. Le système politique a soutenu un modèle clientéliste et la vieille symbolique révolutionnaire s’est maintenue sans le contenu qui l’avait fait naître (Katz, 2018). Cette régression définit le gouvernement d’Ortega allié aux élites du pays et la relation amicale qu’il a maintenue avec les États-Unis jusqu’en 2017.

Les manifestations de 2018 ont suscité un changement substantiel dans ce scénario. Le gouvernement a répondu avec une férocité injustifiée au mécontentement engendré par la hausse des cotisations de la sécurité sociale. Il a eu recours a des tirs à bout portant de la police contre des manifestants désarmés et à une chasse à l’homme qui s’est soldée par quelques 200 morts.

L’ortéguisme a usé de la violence d’État dans cette répression, sans que des indices crédibles de conspiration justifient une telle riposte. Les manifestations ont exprimé le malaise d’un mouvement de faible niveau de politisation et de profond mécontentement de la situation sociale. Cette réaction inadmissible différencie le gouvernement du Nicaragua de ses pairs de Cuba, du Venezuela et de la Bolivie.

Cet événement a débouché sur une grande crise. La vieille droite a pris à nouveau ses distances avec Ortega pour capter le malaise populaire et assurer son retour au gouvernement. Les États-Unis ont soutenu cette orientation et Trump a marché dans les traces de Reagan. Il a placé à nouveau le Nicaragua dans « l’axe du mal » et soutenu toutes les initiatives des conservateurs.

Reagan a perfectionné cette machine de la terreur avec des fonds émanant du narcotrafic pour soutenir la « Contra », obliger le Salvador à signer l’armistice et maintenir la dictature au Guatemala. Il n’est pas parvenu à renverser le sandinisme mais a crée les conditions pour la défaite électorale de 1989.

Biden a maintenu ce nouveau mode de confrontation et a promulgué une loi qui rend possible de nombreuses sanctions contre ce pays. En réalité il est devenu le directeur des forces d’opposition. Avec des fonds de l’USAID il finance les principaux partisans de cette tendance et orchestre la mise en place d’un seul bloc anti-ortéguiste, constitué des différents partis qui se disputent la direction de ce front. Les ONG et les fondations nord-américaines (ou européennes) complètent ce travail par une obscure gestion de fonds, ce qui a affaibli le mouvement de protestation qui s’est créé depuis 2018 (Chavarría, 2022). Cette manipulation venant de l’extérieur a renforcé le démembrement de l’opposition qui a perdu sa capacité de réaction face à la forte persécution que le gouvernement orchestre. Ortega a tout simplement imposé la détention des principaux candidats qui ont tenté de le défier lors des élections de l’an dernier. Il est même allé jusqu’à mettre en prison sept aspirants à la présidence tandis qu’il décidait l’annulation de trois partis et l’emprisonnement de 39 adversaires. Les élections qui ont entériné la continuité de son mandat se sont déroulées dans une situation totalement anormale.

L’ortéguisme a créé un scénario peu fréquent en Amérique latine mais très habituel dans d’autres parties du monde. Un gouvernement violemment opposé aux États-Unis agit en même temps avec une violence ouverte contre d’importants secteurs de sa propre population. Il utilise la force de l’État pour contrer les opposants et emprisonner de nombreux démocrates et militants sociaux.

C’est un contexte semblable à celui qui a prévalu avec Hussein en Irak et Assad en Syrie. Ces prédécesseurs partagent avec Ortega la même filiation politique sur la pente du progressisme. Le précédent classique de cette combinaison de choc avec Washington et de terreur intérieure a toujours été incarné par la figure de Staline. Ce type de situation suscite de vives polémiques.

La gauche face au Nicaragua

Deux faits certains se confirment au Nicaragua : les États-Unis cherchent à renverser Ortega et ce mandataire s’est éloigné du sandinisme d’origine (Brieger, 2021). Oublier ces présupposés empêche de lui attribuer une posture de gauche face à la situation complexe de ce pays.

Certains nient (ou relativisent) le conflit avec le Département d’État, en citant d’anciennes confluences ou de nouvelles convergences d’intérêt. Ils estiment aussi que les classes dominantes locales profitent de la préservation du régime actuel (Rodríguez ; Lefevre, 2021) et cherchent à se réconcilier avec le Nord.
Mais ces accommodements capitalistes de l’ortéguisme n’atténuent pas l’intensité du conflit avec les États-Unis. Les invasions, dévastations et occupations perpétrées par les marines en diverses parties du monde ne se sont jamais limitées à des ennemis exclusivement socialistes.

Les exemples d’agressions frontales de Washington sont aussi nombreux que les réactions de Managua. Le Nicaragua s’est retiré de l’OEA, a annoncé la non reconnaissance des lettres de créance du nouvel ambassadeur yanqui et a haussé le ton de sa critique à l’égard des gouvernements latino-américains qui s’adaptent à l’offensive nord-américaine.

Certaines prises de position insistent sur cette tension avec les États-Unis pour nier la rupture de l’ortéguisme d’avec le sandinisme. Elles indiquent comme preuve de cette continuité la persistance de la même équipe dirigeante. Mais les partisans du premier FSLN, qui ont suivi la trajectoire sinueuse de son responsable actuel (ou y sont revenus après s’en être écarté longtemps), s’associent aux oppositions de figures éminentes qui dénoncent le travestissement de Ortega.

Ce qui en tout cas est inadmissible est la persécution de héros reconnus et de partisans de la révolution sandiniste, tels que Dora María Téllez et Óscar René Vargas (qui endurent de rudes condition d’emprisonnement) ) ou de Hugo Torres (qui est mort en prison).

Il est certain que les tentatives diverses pour élaborer une rénovation du sandinisme en dehors de l’axe officiel (MPRS, MRS) n’ont pas prospéré ou ont abouti à une convergence suspecte avec l’opposition. Les présentations unilatérales du régime actuel ont aussi été insensées, celle d’une « dictature néolibérale » ou l’espoir dans l’OEA et dans un processus de démocratisation externe du pays. Aucune de ces divergences ne justifie la répression qu’exerce l’officialisme.

La virulence de cette action explique la division que l’ortéguisme a engendré au sein de la gauche latino-américaine. Des courants et des personnalités qui maintiennent une forte solidarité avec Cuba et le Venezuela ont haussé le ton, contre la criminilisation des postures discordantes au sein du Nicaragua (Clacso, 2022). Qu’Ortega ait gagné la partie jusqu’à maintenant et que son gouvernement compte sur l’appui effectif d’une proportion significative de la population ne modifie pas le caractère inadmissible de ses persécutions.

La libération récente de 222 prisonniers politiques confirme cette critique car ces condamnés ont décrit les conditions terribles de leur emprisonnement. Bien qu’ils aient été privés de leur nationalité et de leurs droits politiques, leur libération a représenté une avancée démocratique. Les États-Unis ont encouragé cette libération pour se repositionner en Amérique centrale, renforcer leur manipulation de l’opposition droitière et masquer leur soutien habituel aux tentatives de coup d’État (actuellement au Pérou). Ortega a cherché à atténuer les pressions des dirigeants de la CELAC et à réduire les conséquences économiques des sanctions.

Il est important de souligner que la dénonciation des violations commises par l’officialisme ne justifie pas de donner l’absolution à l’impérialisme qui continue à être l’ennemi principal de tous les peuples. De cette double constatation découle le besoin de faire précéder toute critique du gouvernement nicaraguayen d’une remise en question sérieuse de l’agression états-unienne.

Les deux options doivent être concomitantes et il faut distinguer catégoriquement les exigences de démocratie à l’encontre de l’ortéguisme des provocations de l’empire contre le Nicaragua. Dénoncer l’inconduite du gouvernement en omettant de mentionner le harcèlement impérialiste est une erreur fréquente dans de nombreuses déclarations de la gauche.

Le gouvernement de ce pays a, par exemple, le droit d’exiger la transparence pour ce qui est du financement externe des activités politiques. Ortega a exigé cette régulation en copiant la modalité qui est la règle aux États-Unis et en Europe. Une grande part de la bellicosité impériale a été déclenchée par l’application de cette norme. Si la gauche ne se désolidarise pas des manœuvres impériales elle sera prise dans les filets des manipulations opérées par Washington.

Il en va de même pour l’OEA qui opère comme un puissant tremplin pour installer un président de droite au Nicaragua. Les clins d’œil complices d’ex sandinistes à l’intention de cet organisme conduisent au remplacement d’Ortega par quelque clone du vieux somozisme. Il ne fait aucun doute que ce remède serait pire que le mal. Le gouvernement actuel se maintient en faisant de ses opposants des proscrits mais les remplaçants possibles, que manipulent les États-Unis, ont un passif et des positions beaucoup plus obscures.
Le scenario politique au Nicaragua diffère donc de façon substantielle de ceux du Venezuela et de la Bolivie. Mais ces trois tenants de l’axe radical conservent en commun une étroite relation avec Cuba qui continue à être la principale référence révolutionnaire de l’Amérique latine. Nous analyserons le contexte actuel de ce pays dans notre prochain article.


Claudio Katz est professeur à l’Université de Buenos Aires et chercheur au CONICET. Il est membre du réseau des Économistes de gauche. Son dernier ouvrage La teoría de la dependencia, 50 años después a reçu le prix Libertador de la pensée critique.

Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alai.info/tres-rumbos-en-el-eje-radical-de-america-latina/.

responsabilite


[1Opposants au chavisme ‑ Ndlt.

[2les opposants à Hugo Chávez

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