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DIAL 3687
BRÉSIL - L’épuisement des femmes confrontées à une surcharge de travail à l’intérieur et à l’extérieur de leur foyer
Gabriel Brito
mercredi 31 janvier 2024, mis en ligne par
Gabriel Brito, journaliste du site Outra Saúde, propose dans ce texte une synthèse du rapport publié par l’ONG brésilienne Think Olga qui montre que la faiblesse des revenus et la surcharge de travail des femmes conduisent à une dégradation de leur santé mentale. Article publié sur le site Outra Saúde le 1er décembre 2023.
Un rapport de Think Olga analyse la santé mentale des femmes brésiliennes et met en garde : plus elles sont pauvres, plus elles sont surchargées. L’anxiété et la dépression touchent des millions d’entre elles. Le gouvernement commencera-t-il à apporter les changements nécessaires ?
Vers la fin de la première année du 3e gouvernement Lula, Brasília accueille des événements qui viseront à diffuser des directives importantes en matière de santé et de droits des femmes. Du 6 au 7 décembre, le ministère des femmes organise un séminaire sur la Politique nationale de soins. Du 11 au 14 décembre a lieu la 5e Conférence nationale sur la santé mentale.
Comme l’a documenté Think Olga, une ONG dont les recherches soutiennent l’élaboration de politiques d’équité de genre, la crise sociale et économique, accentuée par la pandémie de coronavirus, a atteint plus sévèrement les femmes. Le rapport Esgotadas : o empobrecimento, a sobrecarga de cuidado e o sofrimento psíquico das mulheres [« Épuisées : l’appauvrissement, la surcharge de soins et la souffrance psychologique des femmes »] apporte une série de données sur ces questions et souligne que près de 60 % d’entre elles estiment que leur santé mentale ne va pas bien.
« Le fait que 45 % des femmes relèvent d’un diagnostic d’anxiété ou de dépression est quelque chose qui nous a beaucoup choquées. Parce qu’il s’agit de près de la moitié des femmes brésiliennes. Il y a plusieurs facteurs qui conduisent à cette situation. En cartographiant ces données, nous avons vu que le premier facteur qui est source d’insatisfaction et qui aggrave la santé mentale des femmes, est la situation financière », nous a expliqué, Nana Lima, psychanalyste liée à Think Olga.
Comme le souligne Nana, il ne s’agit pas de simples troubles personnels. Il est de plus en plus courant de penser qu’il est vain de traiter la santé mentale en la dissociant des conditions objectives de la vie matérielle. Comme l’a déjà indiqué le psychiatre Paulo Amarante dans ses analyses, publiées sur notre site : nous ne pouvons pas faire face aux frustrations liées aux manques de reconnaissance, d’argent, d’emploi, de participation politique et d’accès à la citoyenneté comme s’il ne s’agissait que de problèmes psychiques.
« Il est important de comprendre que l’individu n’est pas en mesure de changer seul les problèmes structurels et systémiques, il est donc très positif de comprendre l’importance du soin de la santé mentale, mais le secteur public doit aussi jouer son rôle et se pencher davantage sur la prévention et pas seulement sur le remède. Il devrait élaborer et mettre en œuvre des politiques qui réduisent les inégalités de sexe et de race dans la répartition des revenus, l’accès à un travail décent et la lutte contre les disparités salariales. Ces données sont criantes au Brésil, de sorte que le secteur public et les services de santé peuvent travailler là-dessus, notamment sur la question de la prévention », ajoute Nana Lima.
En ce sens, une politique de soins est importante pour commencer à opérer à la base des changements de société qui prennent des années pour s’affirmer. Un gouvernement progressiste, face à l’instabilité nationale et mondiale dans laquelle nous nous trouvons, ne peut pas manquer l’occasion d’accélérer les efforts dans cette direction.
« Les inégalités sont accentuées et structurées par la race et la classe sociale pour les tâches quotidiennes, telles que la préparation des repas, le nettoyage, l’organisation de la maison, les soins directs aux personnes plus ou moins dépendantes, comme les enfants ou les personnes âgées », a affirmé la ministre de la condition féminine, Cida Gonçalves, lors du lancement du groupe de travail chargé de l’élaboration de la Politique nationale de soins, en mai 2023.
« Nous avons 11 millions de mères célibataires au Brésil, avec un seul revenu par ménage. C’est un revenu court et petit. Et les femmes doivent être capables de concilier le travail à la maison et le travail à l’extérieur. Notamment pour gagner ce revenu, qui n’est déjà pas suffisant », poursuit Nana. « De tels facteurs s’accumulent. Ensuite, il y a la question de la menace constante, de la violence sexiste, un autre facteur aggravant. Il y a une pression esthétique, en particulier chez les jeunes femmes, un autre élément qu’elles soulignent. C’est une accumulation de beaucoup de choses, mais ce que nous soulignons vraiment, c’est la situation financière combinée à la surcharge de travail des femmes dans leur foyer, à la prise en charge des enfants et de la famille, à l’environnement domestique, au fait de ne pas pouvoir renoncer à travailler aussi à l’extérieur de la maison pour obtenir ce revenu. »
Ce n’est pas un hasard si la Politique nationale de soins ambitionne de débattre de la question de la division du travail dans le pays, avec des membres des mouvements sociaux et populaires qui s’opposent de différentes manières aux sociabilités imposées par le capitalisme. Selon le rapport Esgotadas [Épuisées], les femmes travaillent au sein de leurs foyers 100 % de plus que les hommes ; ce type de tâches représente 22 heures par semaine pour les femmes contre 11 heures pour les hommes. Il sera donc nécessaire pour le gouvernement Lula et ses ministres de faire preuve de fermeté pour obtenir des avancées sur cette question, à l’intérieur et à l’extérieur du domaine de la santé.
« Il est nécessaire d’élargir cette offre de soins de santé mentale dans le SUS [1] et dans les réseaux nationaux d’aide sociale, de mettre sur pied une politique nationale de soins, d’aller de l’avant et de passer aussi aux choses sérieuses, car c’est très urgent. Il faut mettre en place et renforcer des politiques de transfert de revenus axées sur les femmes, car nous avons vu qu’il ne suffit pas de prendre soin, de traiter et de soigner les femmes, quand on sait que les facteurs d’aggravation de la santé mentale incluent aussi la situation financière », résume Nana.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3687.
– Traduction de Pedro Picho.
– Source (portugais du Brésil) : Outra Saúde, 1er décembre 2023.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Le Système unifié de santé publique (SUS), équivalent de notre Sécurité sociale mais totalement financé par l’État, a été institué par la Constitution fédérale de 1988, au sortir de la dictature – NdT.