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DIAL 3685

MEXIQUE - La communalité, le chemin anticapitaliste que l’EZLN revendique à l’occasion de son 30e anniversaire

Ángeles Mariscal

mercredi 31 janvier 2024, mis en ligne par Dial, Raúl Zibechi

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Après le texte de Raúl Zibechi paru dans le numéro de décembre 2023 [1], le numéro de janvier comprend deux articles évoquant la situation au Chiapas. Le premier, ci-dessous, décrit les célébrations organisées par l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN, pour son sigle en espagnol) à l’occasion des 30 ans du soulèvement du 1er janvier 1994. Article et photos d’Ángeles Mariscal publiées dans Chiapas paralelo le 1er janvier 2024.


Comment a survécu l’Armée zapatiste de libération nationale durant les 30 années qui se sont écoulées depuis qu’elle a déclaré la guerre au gouvernement mexicain ? A-t-elle survécue ? Les zapatistes existent-ils encore ? Qu’ont-ils accompli ? Qu’est-ce qui a changé ? Que proposent-ils maintenant ?

Collectifs et organisations de plus de 20 pays, journalistes et médias se sont rendus à la communauté Dolores Hidalgo, située dans la commune d’Ocosingo, dans la zone des ravines. Les médias attendaient un déploiement spectaculaire et un discours extraordinaire de la part du mouvement armé indien qui depuis trente ans défie les gouvernements du Mexique et du monde.

Les journalistes ont trouvé dans cette communauté rurale des gens simples et surtout des milliers de jeunes, de femmes et d’hommes zapatistes, certains en uniforme vert ou couleur café, qui portent toujours deux bâtons en guise d’armes – comme ils l’ont fait le 1er janvier 1994 – et qui, en guise de déploiement militaire, ont marché au rythme de cumbias.

Ils ont découvert en guise de scène une grande esplanade de terre et quelques constructions en bois aménagées en dortoirs collectifs, en cuisine ou en centre de santé.

Et en guise de discours politique, ils ont assisté à plusieurs pièces de théâtre jouées par de jeunes zapatistes. Au point du jour, ils ont entendu des paroles simples – d’abord en tseltal puis en espagnol – qui invitaient surtout ceux qui les écoutaient à voir les aspects de la réalité vécue dans toutes les régions du monde qui sont les conséquences du système économique qu’imposent les gouvernements des différentes nations.

Certains journalistes se sont sentis déçus, se sont plaints d’avoir dû parcourir des centaines, et pour certains jusqu’à des milliers de kilomètres pour arriver jusqu’à cet endroit, des chemins rustiques, des maisons en bois, des gens simples et pacifiques qui, en cas de conflit armé, seraient vraisemblablement battus en quelques heures.

Ici, pas de tanks, pas d’installations militaires, pas de bunkers, sont absents aussi les éléments que le modèle de développement capitaliste impose comme paramètres désirables et qui fonctionnent comme des marqueurs de ce qui est considéré comme pauvreté ou richesse.

Ici, pas de voitures de luxe, pas de maisons de deux étages ou plus, et pas même de propriété privée ; c’est là le pari zapatiste : ne pas vivre selon le système de développement capitaliste qui s’est imposé depuis cinq siècles dans le monde entier, qui pousse à l’accumulation de biens, à l’individualisme, à la réussite personnelle et qui a privé des millions de personnes de la terre pour se nourrir, les obligeant à émigrer ; en plus de la dégradation des écosystèmes.

Alors, si à la question de combien ils sont et quelles sont leurs réussites, on répond selon les paramètres qu’impose le système de développement capitaliste, la réponse est qu’ils sont peu nombreux, qu’ils sont toujours pauvres et qu’ils sont dans l’incapacité de gagner un conflit armé.

Mais si la question est comment, en étant « pauvres et peu nombreux », ils survécu 30 ans et comment ils continuent à être la référence qui attire des journalistes du monde entier, des intellectuels du monde entier – présents aussi pour la célébration du 30e anniversaire –, ainsi que des activistes du monde entier – eux aussi présents pour la célébration. La réponse est : c’est parce que les peuples zapatistes ont décidé de vivre d’une façon non capitaliste qui continue à défier les pouvoirs économiques et politiques mondiaux.

Ce processus, vieux de 40 ans depuis la fondation de l’EZLN et de 30 ans depuis le soulèvement armé, a eu des hauts et des bas, des inconsistances, des adhésions et des désertions, des incongruités reconnues dans les autocritiques (partielles, comme toutes les autocritiques). C’est avant tout un processus vivant qui continue à construire dans le domaine politique et dans la vie quotidienne.

La célébration du 30e anniversaire a eu lieu sur les terres récupérées de ce qui est connu désormais sous le nom de Dolores Hidalgo, des terres arrachées en 1994 aux grands propriétaires qui se sont enrichis pendant des siècles en exploitant les peuples originels et sur lesquelles grands-parents, arrières grand-parents et arrière-arrière-grand parents des jeunes aujourd’hui présents vivaient dans une situation de semi-esclavage.

Au cours de cette célébration il y a eu un repas collectif qui n’avait pas besoin d’être payé, et si, parmi les personnes invitées certaines voulaient manger davantage, il y avait des cantines où ils pouvaient acheter des compléments. La viande de bœuf du repas collectif était celle de bêtes élevées dans la communauté et faisait partie du partage, du don zapatiste.

Dans le programme politico-culturel qui se prolonge jusqu’au 2 janvier, toutes les personnes, zapatistes et non zapatistes, qui voulaient participer pouvaient le faire. Il y a eu des pièces de théâtre, des chansons, des expositions de peinture, de photographies et, dans tous les mises en scène, étaient présentées des luttes anticapitalistes et l’histoire des spoliations et des violences de ce système.

Dans l’une des pièces de théâtre, de jeunes zapatistes ont représenté ces violences, avec la plus récente, celle du crime organisé qui impacte leurs communautés et au sujet de laquelle ils dénoncent la complicité des institutions de l’État avec les groupes armés.

Ils ont donné aussi une représentation évoquant la destruction et la spoliation de leurs territoires par des projets tels que le train transisthmique, le train maya [2] et l’extraction minière.

Ils ont mis en scène leur propre processus de lutte, qui va de la création de l’EZLN en 1983 au soulèvement armé de 1994 et à leur projet de construction de nouvelles formes de vie et d’autogouvernement, avec le travail commun comme colonne vertébrale et force d’un collectif toujours dans un processus de construction et qui maintenant crée de nouvelles alliances avec des peuples non zapatistes.

Peu avant minuit, Moisés, sous-commandant et porte-parole du mouvement, a prononcé une déclaration qui a débuté par l’évocation des mères et des pères à la recherche de personnes disparus, des milliers de disparus du fait de la violence, des prisonnières et prisonniers politiques et des personnes assassinées.

Sous le kiosque qui a servi de scène, ils ont installé un autel où étaient placées les photographies de la Commandante Ramona, du Commandant Pedro et de tous les zapatistes tombés durant ces années.

« Nos ancêtres, ceux qui ont lutté il y a plus de 500 ans ne sont plus là non plus. Comme aussi nos camarades tombés qui ont déjà accompli leur devoir. Nous sommes ici aujourd’hui non pas pour évoquer les camarades tombés il y a 40 ans, il y a trente ans, nous sommes ici, camarades zapatistes, pour garder présent le devoir qui est le nôtre, et qui était aussi celui de ces camarades », a déclaré le porte-parole du mouvement.

Moisés a interpellé les analyses et les critiques adressées au mouvement zapatiste par quelques secteurs universitaires. « Nous n’avons pas besoin qu’ils viennent nous donner des explications, des cours ou des ateliers politiques comment est le système. On voit très facilement et simplement comment est le système capitaliste […]. Pourquoi voudrions nous des cours sur ce sujet, il suffit de voir. ».

Il a annoncé que dans ce contexte l’option de l’EZLN pour les années à venir est la construction communautaire. « Il y a là deux choses : la propriété doit être du peuple, et commune, et le peuple doit se gouverner lui-même ».

« C’est au peuple de savoir se gouverner, camarades zapatistes. C’est ce que nous démontrons depuis 30 ans […] nous devons le faire par la pratique, nous n’avons pas de manuel, nous n’avons pas de livre »

« Il n’y a pas de livre où trouver cela, le livre, c’est celui que vous nous avez montré sur nos arrière-grand-pères et arrière-arrière-grand-pères, c’est ça le livre commun. »

Moisés a expliqué qu’ils échangent constamment des idées pour « trouver celles qui sont les meilleures pour vivre ». Ce qui est déjà un fait, a-t-il dit, dans la pratique : « Celui qui travaille mange, celui qui ne travaille pas, qu’il mange ses billets et qu’il mange sa monnaie – on verra s’il calme ainsi sa faim ».

Il a annoncé que dans les années à venir ils travailleront au renforcement de la « communalité [3] », ce qui n’est pas la même chose que la propriété collective, car il s’agit plutôt d’une non-propriété, « mais pour cela il faut une organisation, il faut agir concrètement », a-t-il dit.

Il a expliqué que dans le processus qui est le leur, l’usage des armes n’est pas nécessaire mais que si les peuples zapatistes sont agressés, « nous allons nous défendre », « Nous allons continuer ce chemin et nous allons nous défendre. Nous n’avons pas besoin de tuer les soldats et les mauvais gouvernements mais s’ils viennent, nous nous défendrons »

« C’est ce que nous allons faire dans les années à venir. Le peuple commande et le gouvernement obéit, les moyens de production sont en commun et c’est le peuple qui les gère. Merci beaucoup, c’est tout ce que nous voulions dire »

Au cours des jours précédant la célébration, l’EZLN a expliqué par le biais de divers communiqués que, dans le cadre des processus de restructuration, allaient disparaître les Conseils de bon gouvernement qui opéraient au niveau régional, et qu’ils allaient créer de nouveaux Gouvernements Autonomes Locaux (GAL).

Les GAL ont le pouvoir de décision pour ce qui est de leurs alliances avec d’autres peuples, y compris non zapatistes. Il incombe aussi à ces gouvernements locaux de décider d’actions de défense contre les menaces, entre autres celles des groupes du crime organisé.

La célébration des 30 ans avait aussi des absents. Les commandants Tacho, David, Zebedeo, qui ont été des pierres angulaires de l’élan zapatiste dans différentes régions du Chiapas, étaient absents.

Il manquait aussi le drapeau noir avec son étoile rouge, symbole de l’EZLN. Lors de la cérémonie civico-militaire on n’a pas chanté l’hymne zapatiste, on n’a pas rendu les honneurs aux drapeaux, ni fait le salut avec la main gauche. Et le commandement général de l’EZLN n’a pas été mentionné.

Ce qu’il y a eu, en revanche ce sont des milliers de jeunes zapatistes, certains aux visages enfantins. Des jeunes femmes aux corps minces qui sont déjà des miliciennes entraînées de l’EZLN. « Comment peuvent continuer à surgir autant de zapatistes à chaque anniversaire ? », commente un collègue qui vient chaque année assister aux célébrations.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3685.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : Chiapas paralelo, 1er janvier 2024.

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