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DIAL 3682

MEXIQUE - Vélos et zapatisme

Raúl Zibechi

vendredi 22 décembre 2023, mis en ligne par Dial, Raúl Zibechi

En octobre et novembre 2023, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a publié une série de communiqués [1], annonçant, entre autres choses, sa décision de mettre fin aux conseils de bon gouvernement et aux communes autonomes. Ce texte de l’Uruguayen Raúl Zibechi, « compagnon de route » des zapatistes, a été publié le 21 novembre par le site DesInformémonos pour lequel il rédige chaque mois une colonne d’opinion (« En movimiento »).


Quelle est cette armée qui célèbre son anniversaire en montrant des enfants à vélo [2] tandis que des femmes adolescentes essaient d’apprendre à en faire ?

L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) montre ainsi une partie de ce qu’elle a réussi à faire durant les 40 années écoulées depuis sa fondation et les 30 ans écoulés depuis son soulèvement (et non 40 comme l’a écrit par erreur un journaliste).

La récente vague de communiqués est une merveille, à de nombreux points de vue. La place centrale donnée aux filles et le pari qui est fait du temps long (sept générations) démontrent autant la cohérence de leur pensée et de leur action que l’impérieuse nécessité de lever les yeux lorsque les partis politiques ne font que se regarder le nombril et n’ont pas d’autre horizon que les prochaines élections.

Ils nous enseignent qu’ils ne se sont pas soulevés pour obtenir le pouvoir, un monument ou des récompenses, mais pour changer le monde, ce qui saute aux yeux quand on compare les images de 1994 avec celles d’aujourd’hui. Des enfants, garçons et filles, et des jeunes bien nourris et bien habillés, riches de connaissances nouvelles et très variées, modernes dirons-nous, qui ont choisi de continuer à tenir leurs engagements en tant que zapatistes.

Les uns et les autres vivent désormais dans un monde nouveau, différent, non capitaliste. Ce monde construit par des milliers de bases d’appui à travers la géographie zapatiste du Chiapas, après que l’EZLN a récupéré les terres. C’est ce monde qu’il convient de défendre et d’approfondir pour qu’il soit le mode de vie des enfants dans 120 ans.

Ce qui m’impressionne le plus dans le zapatisme, ce qui suscite en moi admiration et amour, c’est sa capacité de couper les ponts, de prendre ses distances avec ce que lui-même a créé. Le fait qu’il ait décidé de mettre fin aux conseils de bon gouvernement (JBG) et aux communes autonomes (MAREZ), application historique et exemplaire du principe « commander en obéissant », témoigne du caractère profondément transformateur de l’EZLN.

Tellement transformateur qu’ils peuvent mettre fin à ce qu’ils ont initié, non pas pour revenir en arrière mais pour approfondir ce qu’ils sont, en réfléchissant sur le long terme et en pensant aux nouvelles générations. Nous allons porter sur lui un autre regard. Quelle force politique dans le monde est capable d’en faire autant ? Une force qui s’accroche à ce qu’elle a construit est-elle une force rebelle, révolutionnaire ? Ne serait-ce pas plutôt là une attitude conservatrice et institutionnelle, incapable de continuer à transformer ?

Peut-être ne sommes-nous pas capables de comprendre ce que les zapatistes proposent pour l’avenir, mais ce qui a déjà été décidé doit être respecté pour son caractère profondément émancipateur. On pourrait dire qu’ils sont en train de s’émanciper de ce qu’ils ont créé pour s’émanciper, ce qui nous montre qu’il y a pas de formats définitifs et qu’il ne peut y en avoir quand on est dans ce cycle interminable de luttes, résistances et créations.

La question des pyramides, avec l’autocritique qui y est associée, est un autre signal fort auquel nous devrions réfléchir pour continuer d’apprendre.

L’autocritique dit beaucoup de choses, qui vont toutes à contre-courant de la gauche hégémonique.

La première est qu’il existe chez eux un désir de dépassement, qu’ils adoptent des pratiques abandonnées depuis longtemps par la gauche, qui se contente d’accuser de tous les maux l’impérialisme, les médias, la droite et tout ce qui lui sert d’excuse pour ne pas se regarder dans le miroir de ses déviations.

Être autocritiques nous rend meilleurs et, surtout, crédibles. C’est un acte de responsabilité qui doit être valorisé et respecté, parce que c’est un choix éthique incontournable qui nous fait croire en l’EZLN, et avoir confiance même si nous ne comprenons pas bien les choses pour le moment. Mais c’est aussi un signe clair de force, éthique, matérielle, spirituelle. Les faibles craignent la critique.

Enfin, pour le moment, se pose la question de la structure et du fonctionnement réel. On pourrait dire que el zapatisme place le comment se font les choses au-dessus de l’appareil. Il peut exister une forme d’organisation intéressante mais qui, dans sa pratique, finit par reproduire la culture de la pyramide, comme le fait remarquer le communiqué du sous-commandant Moisés.

Certains paragraphes sont vraiment forts : « Si le zapatisme se réduisait à l’EZLN, il serait facile de donner des ordres. Mais le gouvernement doit être civil, pas militaire. Le peuple doit donc chercher son chemin, sa manière et son tempo. Où, quand et quoi. Le militaire doit servir uniquement à la défense. La pyramide peut peut-être servir pour le militaire, mais pas pour le civil. C’est ce qu’on observons. »

C’est très fort. Mais, au-delà des problèmes de fonctionnement, les communiqués affirment que les MAREZ et les JBG, qui ont servi à apprendre à gouverner en autonomie, ne seront plus utiles pour affronter la tempête.

Cette partie, nous ne la connaissons pas encore. Mais ce qu’ils ont pensé et créé jusqu’à aujourd’hui nous fait ressentir toujours plus de fraternité pour le zapatisme.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3682.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : DesInformémonos, 21 novembre 2023.

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[1Voir http://enlacezapatista.ezln.org.mx/. Des traductions françaises sont disponibles sur ce même site pour chaque texte – note DIAL.

[2Voir http://enlacezapatista.ezln.org.mx/ – note DIAL.

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