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DIAL 2692
EL SALVADOR - Les communautés ecclésiales de base
mardi 16 décembre 2003, mis en ligne par
Les communautés ecclésiales de base représentent un courant original au sein des Églises latino-américaines. Celles qui sont en El Salvador sont profondément marquées par le témoignage de Mgr Romero, évêque de San Salvador, exécuté par les forces de la répression en 1980. Elles témoignent d’une vie chrétienne profondément enracinée dans la réalité historique locale, pour lesquelles la lecture de la Bible et la célébration de Jésus-Christ sont inséparables de la lutte pour la justice sociale. Article en date du 9 octobre 2003, paru dans ADITAL (Agência de Informação Frei Tito para América Latina).
En El Salvador les communautés ecclésiales de base sont plus connues sous le nom de communautés chrétiennes. Voici ce qui caractérise ces communautés et les distingue des mouvements apostoliques à orientation spirituelle : la mémoire historique de Jésus de Nazareth (incarnation, mission, crucifixion et résurrection), la mémoire des hommes et femmes martyrs, la réflexion et l’engagement dans la réalité à la lumière de la Bible, et la lutte sociale pour la justice guidée par la foi en Jésus. C’est sur la base de ces quatre caractéristiques que se dessine l’identité des communautés chrétiennes d’El Salvador (…)
I - La célébration de la foi en Jésus mort et ressuscité
Les communautés ecclésiales de base se nourrissent de la célébration de l’Eucharistie. Depuis l’an 2000, la tombe de Mgr Romero, dans la crypte de la cathédrale de San Salvador, est devenue le lieu de rencontre des communautés ecclésiales de base. Chaque dimanche, diverses communautés chrétiennes se chargent à tour de rôle de préparer et d’animer la participation festive à l’Eucharistie selon la tradition des homélies de Mgr Romero (il s’agit de commenter chaque dimanche les faits les plus marquants de la réalité nationale à la lumière de la parole de Dieu, dans le but de se convertir personnellement et de changer les structures).
Les communautés ecclésiales de base ont leur martyrologe propre, fait de la longue liste de chrétiens et de chrétiennes poursuivis et assassinés au cours des années 70 et 80. Tous les ans un calendrier est publié où sont réunis les photos et les noms de ceux et celles qui sont « tombés » pour avoir suivi l’exemple de Jésus. Le 24 mars et le 16 novembre sont des temps forts de ce martyrologe salvadorien. Des communautés ecclésiales de base de tous les horizons du pays se réunissent dans la cathédrale ou à l’Université d’Amérique centrale José Simeón Cañas (UCA) pour se souvenir et commémorer la mémoire de Mgr Romero et des martyrs de l’UCA, et, à travers eux, la mémoire et le témoignage de tous les hommes et femmes martyrs du peuple salvadorien. On commémore les martyrs du massacre d’El Mozote à Morazán, ceux de la rivière Sumpul à Chalatenango, de la Quesera à Usulután. La revue Carta a las Iglesias (Lettre aux Églises) a publié un numéro sur « Fêtes paysannes à la mémoire du peuple martyr ». La célébration des martyrs est liée à l’art populaire : dans de nombreuses communautés on a réalisé des peintures murales à la mémoire des martyrs. Tout cela montre l’importance du témoignage sur les martyrs dans les communautés. Il ne s’agit pas de célébrations tournées vers la nostalgie du passé mais d’authentiques fêtes qui donnent du courage et incitent à continuer, dans le temps présent, à vivre l’Évangile.
II - Méditation de la parole de Dieu en relation avec la réalité
Une des caractéristiques les plus remarquables des communautés ecclésiales de base dans ces dernières années est la soif d’apprendre. Une des plus notables expériences de formation parmi celles qui sont parvenues à se maintenir sur plusieurs années est celle des Écoles de théologie pastorale que coordonne et anime le Centre Mgr Romero de l’UCA. Le programme d’études porte sur trois ans, les communautés se réunissent une fois par semaine pour étudier. Il y a 11 écoles dans différents départements du pays : Chalatenango, Usulután, La Paz, Sonsonate, La Libertad et San Salvador. Une rencontre annuelle de toutes les personnes qui participent à cette expérience a lieu. Cette année on a célébré la quatrième rencontre sur le thème : « Mgr Romero et l’engagement chrétien ».
Outre cette intéressante expérience, les communautés ecclésiales de base ont leurs propres processus de formation et de création de matériel éducatif : par exemple, les communautés ecclésiales de base de la zone Costa de Usulatán qui réalisent des ateliers de formation ont élaboré et publié un livret pédagogique qui s’intitule : Accompagnement à la vie. Réflexions et actions des communautés ecclésiales de base destinées au peuple de Dieu, à partir de la réalité et de l’histoire. Le livre renferme 30 thèmes pris dans la réalité, comme par exemple : les maladies, les désastres, l’autoritarisme, la privatisation, les ateliers de montage, etc. qui sont traités selon la méthode voir-juger-agir-célébrer. Différents organismes comme Le Groupe Maís, le Centre Bartolomé de las Casas, le Centre Mgr Romero de l’UCA, le Centre Paz y Bien de San Francisco Lempa à Chalatenango, la radio YSUCA aident et nourrissent ce processus de formation à travers leurs publications, ateliers et programmes.
III - Lutte pour la Justice
Les Accords de paix (1992) qui ont mis fin à la guerre n’ont pas évoqué le problème principal d’El Salvador : la situation de marginalisation et de pauvreté dans laquelle vit la majorité de la population d’El Salvador. Dix ans après la signature des Accords, la pauvreté s’est aggravée en El Salvador, il y a davantage de misère qu’avant et pendant la guerre. La moitié de la population (3 millions d’habitants) vit dans la pauvreté et l’extrême pauvreté. Cette situation contraste avec l’énorme concentration de richesse et accumulation de capital entre les mains de quelques familles qui se sont rendues pratiquement propriétaires du pays. Cet appauvrissement massif est la conséquence de plus de dix ans de politiques néolibérales (mesures d’ajustement structurel, privatisations, etc.) appliquées par les trois gouvernements successifs de l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA). Les communautés ecclésiales de base ne sont pas restées indifférentes à cette situation. Leur action va dans deux directions : lutte pour la survie et lutte pour la justice.
La lutte pour la survie est menée au niveau local, c’est la réponse des communautés chrétiennes pour résister et contrebalancer les effets négatifs des politiques néolibérales impulsées par le gouvernement. Dans les communautés de la zone Costa de Usulután face au problème d’alcoolisme une campagne pour la fermeture des débits d’alcool a été entreprise. Avec succès. Petite victoire, mais grande dans ses effets. Suite à la progressive privatisation du système de santé, ces communautés ont créé un Fond de secours d’urgence constitué par l’apport mensuel de 2 colons [1] par quelques deux mille familles ; ce fond commun est utilisé lorsque quelqu’un de la communauté a besoin d’une aide économique pour une opération chirurgicale ou quelque autre nécessité sanitaire. De la même façon, comme ces communautés de la zone Costa, d’autres communautés soutiennent divers projets destinés à faire face à la faim et la misère : coopératives agricoles, potagers familiaux…
À côté de cette lutte locale afin de pourvoir aux nécessités de base, il y a la lutte pour la justice dans le contexte national.
Le mouvement social en El Salvador s’est amplifié et unifié petit à petit pour affronter les différentes mesures néolibérales mises en route par le gouvernement et protester contre elles. Les dernières luttes ont été des manifestations visant la construction du périphérique (réseau routier autour de San Salvador et des communes limitrophes) dont les conséquences sur l’environnement sont très nuisibles. Ces manifestations consistent à interrompre la circulation sur les routes, s’enchaîner aux arbres pour en empêcher l’abattage, former des chaînes humaines dans les endroits qui ont commencé à être détruits. Les mêmes choses se sont produites lors des luttes les plus récentes contre le décret qui laissait la voie libre à la privatisation du système de santé [2]. Les médecins, hommes et femmes, de la sécurité sociale se sont mis à la tête de cette lutte, tout comme les travailleurs et les travailleuses de cette institution. Les communautés ecclésiales de base ont été présentes dans les manifestations de masse, les « marches blanches » organisées à San Salvador pour s’opposer à la privatisation du système de santé. Mais, parfois, leur présence s’est retrouvée très diluée dans l’ensemble du mouvement social.
IV – Les communautés chrétiennes dans la communication sociale
Le 11 novembre 2002, la radio de l’Université centraméricaine José Simeón Cañas, YSUCA, a fêté l’anniversaire de ses 11ans de diffusion, passés à donner corps aux rêves de son recteur martyr, le père Ignacio Ellacuría : « Que le peuple fasse entendre sa voix, que le peuple réflechisse... Qu’il réflechisse à la situation du pays, qu’il exige d’être bien informé, qu’il fasse comprendre à quel point un développement économique profond du pays est nécessaire le plus
tôt possible, à quel point il est nécessaire que le problème de l’injustice y soit résolu, que le peuple d’El Salvador fasse entendre sa voix . »
Ce défi, YSUCA l’a rendu historique à travers trois engagements concrets :
En premier lieu, en prenant au sérieux la vérité de la réalité, c’est-à-dire en allant à l’encontre des habituelles dissimulations, des silences grossiers, de la manipulation du passé, de l’indifférence devant le mal qui frappe la grande majorité et de la tendance à l’oubli.
L’inspiration des communautés chrétiennes suscite, à travers une façon spécifique de concevoir la communication sociale, la dimension prophétique sous sa forme de conscience critique. En El Salvador, Mgr Romero et Ignacio Ellacuría sont des figures emblématiques de ce point de vue.
En second lieu, en donnant la parole à ceux qui souffrent, ce qui revient à faire exister des millions de personnes exclues de l’éducation, du travail, de la santé, du logement, du développement humain. Faire que les regards des médias se portent sur la réalité là où elle est la plus crue, la plus souffrante et la plus douloureuse, c’est-à-dire sur les pauvres de ce monde.
En cela on suit la tradition établie par Mgr Romero : être la voix des sans-voix, même si cette tradition dérange ceux qui ont trop de voix.
En troisième lieu, prendre au sérieux la parole de Dieu. Cela signifie faire de la parole de Dieu quelque chose de sacré, ayant une valeur ultime, qui nous emporte vers la conversion et l’engagement. Prendre au sérieux la parole de Dieu est une caractéristique des communautés ecclésiales de base. Dans la communication sociale, les médias d’inspiration chrétienne trouvent dans cet exemple un réfèrent pour transmettre la Bonne Nouvelle de telle sorte qu’elle approfondisse la foi chrétienne et dépasse les tendances à l’expression superficielle et à son infantilisation.
A titre de conclusion, il nous semble pertinent de citer des paroles du Père Rogelio Ponssele des communautés ecclésiales de base du nord de Morazán, prononcées lors de la IVème Rencontre des Écoles de théologie pastorale le 9 novembre 2002 : « Actuellement, dans la situation dans laquelle nous vivons, il nous incombe de résister. La résistance consiste à mes yeux à demeurer fidèle à la source d’inspiration qu’a été Mgr Romero. Résister signifie ne pas abandonner nos principes et ne jamais nous conformer à la dynamique néolibérale. Plus encore, résister n’est pas rester immobile, bras croisés, à attendre le moment opportun, cela veut dire créer progressivement les bases en matière de conscience et organisation, pour les luttes à venir. »
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2692.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : ADITAL, 9 octobre 2003.
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.