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DIAL 2575

AMÉRIQUE LATINE - Essor du travail informel

Eduardo Tamayo

mardi 16 juillet 2002, mis en ligne par Dial

L’évolution de l’économie ces dernières années a souvent eu un coût social important, particulièrement dans les pays en développement. La dégradation des conditions de travail est marquée notamment par la part croissante de l’activité économique réalisée en dehors des structures légales établies, dans ce qu’il est convenu d’appeler le secteur informel. Dans cet article diffusé par l’agence de presse Alai/América latina en movimiento (18 juin 2002), Eduardo Tamayo revient sur ce phénomène mondial préoccupant.


Croissance mondiale du travail informel

Il n’est plus possible de faire du travail informel un problème marginal ou temporaire étant donné qu’il touche actuellement la moitié de la population active mondiale. C’est un phénomène qui progresse rapidement dans tous les pays, mais spécialement dans les pays en développement. Le travail informel est synonyme d’absence de droits, de revenus incertains et d’une protection sociale inexistante, comme on peut le lire dans un rapport du Bureau international du travail (BIT). En Amérique latine, la part du secteur informel dans l’ensemble des emplois urbains est passée de 50 % en 1990 à 58 % en 1997. Les emplois nouvellement créés appartiennent en majorité au secteur informel et les travailleurs à leur compte représentent entre 25 et 40 % de l’emploi total, selon le document « travail décent et secteur informel ». Ce rapport a été débattu lors de la 90ème réunion de la Conférence internationale du travail où se réunirent 3 000 délégués représentant gouvernements, travailleurs et employeurs.

La plupart des personnes qui intègrent le secteur informel - secteur qui échappe au cadre légal et juridique - le font parce qu’elles ne peuvent trouver d’emploi dans le secteur formel et qu’elles ne peuvent pas non plus se permettre de rester complètement sans travail. La liste des travailleurs informels est longue : elle inclut les vendeurs ambulants, cireurs de chaussures, ramasseurs d’ordures, les ferrailleurs et chiffonniers, les domestiques, les travailleurs à domicile, les ouvriers exploités dans des usines, « ceux qui se font passer pour des travailleurs salariés » dans des chaînes de production, les travailleurs indépendants de micro-entreprises, etc.

Selon le rapport du BIT, « les travailleurs et les entrepreneurs du secteur informel sont l’objet de harcèlement, de chantage et d’extorsion de la part de fonctionnaires corrompus, outre qu’ils doivent faire face à des coûts prohibitifs et à des démarches extrêmement complexes pour créer et gérer une entreprise. D’autre part, il est à noter que les acteurs du secteur informel ne paient pas d’impôts directs ni de cotisations sociales ». Bien que minoritaire, le secteur informel est aussi présent dans les pays développés. Aux États-Unis, par exemple, les diverses formes d’emploi informel sont de plus en plus fréquentes dans des branches comme l’électronique et la confection, dont les employés venus d’Amérique latine et d’Asie, en majorité des femmes, sont fréquemment exploités par leur patron. Les émigrants originaires des pays du Sud qui arrivent dans les pays développés, notamment ceux qui ne parlent pas la langue, sont condamnés à entrer dans le secteur informel parce que peu d’emplois leur sont accessibles. Les immigrants clandestins, ajoute le rapport, sont ceux qui risquent le plus de se retrouver dans les usines qui exploitent les travailleurs du secteur informel et d’occuper des emplois qui n’attirent pas l’attention des pouvoirs publics. C’est pourquoi ils sont les plus sujets à l’exploitation et aux abus.

Un fait important, souligné par le BIT, réside dans le fait que les entreprises multinationales elles-mêmes encouragent l’économie informelle, poussées en cela par leurs politiques de concurrence, de réduction des coûts et d’augmentation des profits. Ces entreprises sont passées ou sont en train de passer d’un système de concentration de la production en une seule grande usine à une décentralisation de la production au nom du principe de la « flexibilité de la spécialisation », en créant des unités de production plus petites, dont certaines ne sont pas enregistrées ou restent informelles.

Dans la chaîne de production transnationale, orientée vers les besoins des consommateurs des pays du Nord, le producteur final se trouve dans un pays en développement et, de plus en plus, dans un pays en transition (de l’ancien bloc socialiste), où quelques sous-traitants recourent au travail informel, qui est caractérisé par des salaires de misère, l’interdiction de se syndiquer, l’instabilité de l’emploi et de mauvaises conditions de travail.

Quelques causes

L’expansion du secteur informel a été favorisée, dans les années 80 et 90, par les politiques d’ajustement structurel et de stabilisation qui, dans beaucoup de pays, ont engendré une aggravation de la pauvreté, du chômage et du sous-emploi. La crise financière asiatique survenue au milieu des années 90 a provoqué une accélération du développement des activités économiques marginales.

L’Argentine est un pays dans lequel le travail informel est depuis peu en plein essor. Après plus d’une décennie marquée par la mise en œuvre des politiques du FMI, les privatisations et la corruption rampante, la moitié de la population économiquement active est sans emploi ou connaît des problèmes d’emploi. Quelque 3,5 millions d’Argentins sont sans travail et ils sont aussi nombreux à occuper un emploi précaire ou temporaire dont la durée n’atteint pas le minimum d’heures hebdomadaires indispensable pour assurer leur subsistance.

La pauvreté est l’un des facteurs à l’origine du développement du secteur informel. Selon le rapport, c’est la pauvreté qui force la majorité des personnes à accepter des emplois peu attrayants dans le secteur informel. Les bas salaires générés par ces emplois créent une spirale de la pauvreté. Néanmoins, le travail informel n’est pas toujours synonyme de pauvreté. Il existe des travailleurs, notamment à leur compte, qui gagnent plus que les employés peu qualifiés du secteur formel. Mais c’est l’exception : le secteur informel concentre les travailleurs les plus pauvres, en particulier ceux des zones rurales.

Au-delà de la distinction entre travail formel et travail informel, le déficit d’emplois décents caractérise l’économie mondialisée. A l’aube de la décennie où nous nous trouvons, 160 millions de personnes n’ont pas de travail et un tiers des 3 milliards de personnes actives qu’il y a dans le monde sont sans emploi, sous-employées ou gagnent des salaires insuffisants pour faire vivre une famille. Selon l’étude du BIT, l’essor du secteur informel dans les pays en développement est lié à des facteurs démographiques comme l’excédent de main-d’œuvre, de sorte qu’il est important de prendre en compte les flux migratoires de la campagne à la ville, les migrations transfrontalières et la place croissante des femmes dans les activités économiques. « Que ce soit par choix ou par nécessité, de plus en plus de femmes entrent sur le marché du travail, mais on leur confie très souvent des travaux situés au bas de l’échelle de l’économie informelle parce qu’elles ont généralement suivi des études et une formation insuffisantes et qu’elles ont moins facilement accès aux différentes ressources existantes. Elles doivent en outre faire face à diverses formes directes ou indirectes de discrimination et assumer leurs charges de famille ». Le développement du secteur des « technologies de pointe » et, par suite, la croissance de la demande de personnel hautement spécialisé relègue dans le secteur informel les personnes non qualifiées qui cherchent du travail.

D’autre part, les salaires dans le secteur public de nombreux pays en développement sont insuffisants pour faire vivre une famille, de sorte que les employés ou leur conjoint sont obligés de chercher un emploi dans le secteur informel. Enfin, la persistance d’un modèle de croissance économique pour lequel l’emploi n’est pas la priorité a eu pour effet d’intensifier le travail informel. Dans ce contexte ont été mises en œuvre des politiques qui ont tendance à favoriser l’investissement étranger, ainsi que les grandes entreprises manufacturières, au détriment du secteur agricole dont dépend la majorité des habitants des pays du Sud.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2574.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Alai/América latina en movimiento, 18 juin 2002.

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