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DIAL 3030 - Dossier L’autre côté de la lutte
BRÉSIL - Les mouvements sociaux dérangent l’entreprise VALE
Antônio Canuto
lundi 1er décembre 2008, mis en ligne par
Quand on parle de luttes sociales, on pense souvent d’abord aux mobilisations de mouvements sociaux, de syndicats ou d’organisations autour de revendications. Mais dans la lutte, par définition, il y a au moins deux acteurs, deux côtés. Dans ce dossier, constitué de deux textes sur le Brésil, nous vous proposons d’explorer l’autre côté de la lutte et les moyens de résistance mobilisés. Les deux articles sont issus du numéro 193 de la revue de la Commission pastorale de la terre (CPT) brésilienne, Pastoral da Terra (juillet-septembre 2008). Le premier, publié ci-dessous, a été rédigé par Antônio Canuto, qui fait partie du Secteur de la communication au Secrétariat national de la CPT. Il évoque l’arme que constituent les sondages pour imposer une problématique et des représentations [1]. Dans ce cas précis, il s’agit du lien entre mouvements sociaux et crime organisé. L’auteur du second texte, Jacques Távora Alfonsin, est avocat du MST. Procureur à la retraite de l’État du Rio Grande do Sul, il est aussi coordonnateur de l’ONG Acesso, Cidadania e Direitos Humanos (Accès, citoyenneté et droits humains). Il revient sur une autre arme de la lutte : l’instrumentalisation du pouvoir judiciaire.
Le 15 juin, le journal O Globo a rendu public les résultats d’une enquête réalisée par IBOPE [2] sur les mouvements sociaux. Cette enquête commandée par VALE [3] avait comme objectif de dessiner la représentation que se fait la population brésilienne des mouvements sociaux existant à l’échelle nationale, de leurs projets, leurs intérêts, leurs formes d’actions ainsi que des conséquences pour le pays.
L’enquête a été réalisée entre le 26 avril et le 6 mai. 2 100 personnes âgées de plus de 16 ans ont été interrogées : 1 204 personnes dans neuf villes et leurs banlieues (São Paulo, Rio, Belo Horizonte, Curitiba, Porto Alegre, le District fédéral [4], Salvador et Fortaleza) et le reste à Vitória (dans l’État de Espírito Santo ), São Luis (État du Maranhão), Imperatriz (État du Maranhão), Belém (État du Pará), Maraba (État du Pará), l’intérieur de la région du Minas Gerais, Vale do Ribeira (État de São Paulo), Cariré (État du Ceará) et Dourados (État du Mato Grosso du Sud).
L’entreprise Vale et l’Institut de sondage IBOPE ont choisi comme mouvement sociaux, représentatifs pour cette enquête, le Mouvement des travailleurs ruraux sans-terre (MST), Via Campesina, le Mouvement des personnes atteintes par les barrages (MAB), le Mouvement des quilombolas [5] et la Commission pastorale de la terre (CPT). Le choix de ces mouvements sociaux paraît assez clair. Ce sont ceux qui, d’une manière ou d’une autre, dérangent le plus l’entreprise VALE. En effet, le MAB lutte contre les barrages, or l’entreprise VALE est l’une des responsables de la construction du barrage dans la ville d’Estreito situé sur le fleuve Tocantins entre les États du Tocantins et du Maranhão. Le mouvement des quilombolas, de la ville de Jubuaçu (dans l’État du Pará), a réussi à résister face à l’autoritarisme de l’entreprise VALE. La CPT est concernée également parce qu’elle appuie les luttes de ces groupes et parce qu’elle a attaqué en justice l’entreprise VALE qui occupe arbitrairement les terres destinées à la réforme agraire. Via campesina, quant à elle, a adopté une posture de lutte contre le modèle de développement.
Cependant l’enquête se focalise sur le MST, rendu responsable de l’occupation des chemins de fer de l’entreprise VALE. Le MST est le seul mouvement dans la liste des institutions, des groupes et des personnalités proposé dans l’étude. L’enquêté devrait répondre si le MST lui inspire confiance ou non. Or il est positionné à l’avant avant dernière place dans la confiance des Brésiliens, juste avant le Congrès national et les partis politiques.
Les mouvements et la criminalité
Cependant, c’est dans la dernière partie de l’enquête, intitulée « test d’arguments », que l’on voit le réel intérêt de cette étude. La première question de ce « test » est de savoir si les mouvements aident ou gênent l’économie du pays ; la deuxième souhaite savoir si les mouvements aident l’organisation et la conscientisation des travailleurs ou s’ils les manipulent, procédant à une sorte de « lavage de cerveau » (sic) ; la troisième question cherche à savoir si les mouvements surgissent de la nécessité des travailleurs ou s’ils naissent des intérêts de tierces personnes, comme les partis politiques, les ONG, les églises, etc. C’est la dernière question qui interpelle le plus. Elle établit un lien entre mouvements sociaux et criminalité. Voici son énoncé : « Certaines personnes disent que ces mouvements agraires/ sociaux adoptent des méthodes d’actions illégales et pour cette raison ils finissent par être intimement liés au crime organisé et même au narcotrafic. D’autres personnes croient à l’inverse que ces mouvements agraires/sociaux se doivent d’être radicaux dans leurs actions mais ne veulent et ne permettent en aucun cas un rapprochement avec la criminalité. De laquelle de ces deux propositions vous sentez-vous personnellement le plus proche ? » Environ 60% des opinions sont négatives à l’égard des mouvements. Est-ce que la relation entre les mouvements sociaux, le crime organisé et le narcotrafic serait apparue si elle n’avait pas été évoquée dans la question ?
Le résultat à cette question est prévisible lorsque l’on connaît la source d’information qui évoque les mouvements et leurs actions. Pour plus de 90% de la population c’est la télévision qui informe, 30% sont au courant par les journaux, 24% par la radio et 18% par internet. Ces chiffres font apparaître la manière dont se fait la transmission des informations par la presse en ce qui concerne les actions des mouvements sociaux, même si la moitié des personnes interrogées croient en la neutralité de la presse.
Pour le professeur Carlos Walter Porto Gonçalves, qui l’écrit dans un texte inédit à ce jour, l’enquête « doit être comprise dans le contexte politique dans laquelle elle a été faite… Elle fait partie des luttes sociales, dans lesquelles elle est insérée, et elle a pour objectif de fournir des informations pour que le secteur de l’entreprise, dans ce cas-là représenté par VALE, établisse des stratégies politiques en phase avec la croissance des mouvements sociaux de notre pays ». Un des points de l’enquête montre que selon 81% des personnes interrogées les mouvements sociaux augmentent leur présence dans le pays, et selon 69% ils gagnent en force.
MST, une des institutions nationales
Par ailleurs, l’enquête apporte quelques précieuses informations. Environ 97% de la population brésilienne connaît le MST. Cette donnée a encouragé l’IBOPE à reconnaître dans ses conclusions que « le MST est un mouvement qui est déjà considéré par la société comme l’une des institutions brésiliennes ». Le MAB, la CPT et les mouvements quilombolas sont déjà connus par pratiquement un tiers de la population. Toujours selon l’enquête, 46% des personnes interrogées sont favorables au MST. Plus de 50% des interrogés connaissent le MAB, la CPT et les quilombolas. Quant à l’indice qui mesure les affinités – c’est-à-dire l’approbation de l’objectif des mouvements –, malgré le fait que nombre des personnes interrogées croient qu’ils sont en train de dévier de leur objectif, il atteint pratiquement les deux tiers de la population. Cela montre le niveau élevé d’acceptation, et d’autant plus que ces mouvements connaissent de nombreuses difficultés pour être réellement connus.
Cet article n’est qu’une ébauche d’analyse. L’ensemble de l’enquête mériterait une étude plus approfondie, et notamment le fait que pour 54% des personnes interrogées, ce sont les pauvres qui pâtissent le plus de l’action des mouvements sociaux.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3030.
– Traduction de Sandra Gassin pour Dial.
– Source (portugais du Brésil) : Pastoral da Terra, n° 193, juillet-septembre 2008.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Voir aussi : Bourdieu, Pierre. « L’opinion publique n’existe pas ». Dans Questions de sociologie, p. 222-235. Paris, Minuit, 1984.
[2] L’Institut brésilien de l’opinion publique et des statistiques (IBOPE) est un institut de sondage.
[3] Entreprise minière brésilienne.
[4] Le District fédéral a un statut spécial contrairement aux autres États fédérés. Sa capitale est Brasilia.
[5] Les quilombolas sont à l’origine les esclaves fugitifs réfugiés dans de petites communautés, les quilombos. Cela désigne désormais les habitants de ces villages, descendants des premiers quilombolas.