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DIAL 2328

AMÉRIQUE LATINE - Face à la pauvreté et aux inégalités : Les organismes financiers internationaux s’interrogent sur la politique qu’ils imposent aux pays pauvres

Andrés Gaudin

lundi 15 novembre 1999, par Dial

Il ne se passe pas de jour sans qu’on ne puisse lire dans la presse latino-américaine de vigoureuses dénonciations des politiques imposées par les organismes financiers internationaux, tout particulièrement le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. La persistance de la pauvreté et des inégalités viendra-t-elle à bout des théories néolibérales au nom desquelles on impose à ces pays des mesures qui retardent sans cesse les lendemains meilleurs qu’on leur annonce ? L’interrogation a désormais pénétré dans l’enceinte des organismes financiers internationaux, comme en témoigne l’article écrit de Buenos Aires par Andrés Gaudin, paru dans Noticias Aliadas, 27 septembre 1999.


Après une décennie où les pays sous-développés se sont vus imposer de rigoureuses politiques économiques néolibérales, les organismes internationaux de crédit se rendent compte aujourd’hui que l’extension de la pauvreté met un point final au modèle et que l’ajustement ne sera plus la formule du nouveau millénaire.

À partir de la révision que ses technocrates ont effectuée ces derniers mois, la consigne semble avoir changé de manière radicale : l’heure est venue de revaloriser le rôle de l’État et d’appliquer une distribution plus équitable du revenu.

La Banque mondiale (BM), comme la Banque interaméricaine de développement (BID) - qui ont promu les théories soutenues par les États-Unis et le Fonds monétaire international (FMI) - réagissent sans état d’âme, font leur mea culpa et changent rapidement de recettes.

À l’heure actuelle, leurs principaux porte-parole sillonnent le monde en prônant un ordre nouveau qui, comme le précédent, cherche à éliminer un peu les différences mais avec un but primordial : préserver les intérêts des grands groupes spéculateurs, ceux que l’on appelle généralement les « investisseurs ».

« De quel marché sommes-nous en train de parler si plus d’un tiers de la population latino-américaine est exclue par la pauvreté ? Aujourd’hui, le grand défi est d’incorporer les pauvres au marché. Si cette partie du monde ne veut pas rester avec un taux de croissance médiocre, comme ces dernières années, elle doit rapidement progresser dans la redistribution du revenu. »

La phrase est de l’économiste mexicaine Diana Alarcón, de l’Institut de développement économique et social (INDES) de la BID, chargée de diffuser les postulats théoriques des organismes multinationaux.

Alarcón s’est exprimée en ces termes pendant un séminaire qui a eu lieu à Cartagena de Indias, en Colombie, à la mi-juin, et elle a confirmé ses propos quelques jours plus tard à Buenos-Aires. Après avoir admis la nécessité de changements profonds dans les politiques imposées durant cette décennie, un journaliste d’un hebdomadaire argentin lui a demandé comment on pouvait expliquer qu’avec une croissance plus forte le nombre des pauvres ait augmenté.

« La pauvreté est tellement importante - a-t-elle répondu - que la croissance de l’économie ne suffit pas pour la combattre, avec ce fait aggravant que le type de croissance typique de l’Amérique latine, avec rotation du capital et demande de main-d’œuvre en baisse, engendre du chômage. »

À côté des déclarations de l’économiste mexicaine de la BID, on a appris qu’un bilan complétant ce raisonnement a été réalisé par le vice-président et économiste en chef de la BM, Joseph Stiglitz.

« La première génération de réformes a amélioré les conditions - a-t-il déclaré - mais beaucoup de pays n’atteindront pas les niveaux de croissance d’avant la crise de la dette extérieure qui a commencé dans les années 80, et la pauvreté n’a pas diminué. »

Le haut représentant a cité des statistiques de l’organisme et de la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) pour souligner que depuis le début de la décennie, il y a quatre millions de plus de pauvres et que le produit brut intérieur (PBI) de la région « croît depuis peu au rythme d’il y a dix ans. »

Dans L’ampleur des inégalités, une analyse récente de la BID qui vient d’être publiée, cet organisme déclare que « quelle que soit la méthode de calcul, l’Amérique latine apparaît comme la région la plus inégalitaire du monde, où la répartition du revenu ne s’est pas améliorée dans les années 90 et se retrouve à des niveaux inférieurs à ceux d’il y a deux décennies. »

Dans cette étude, les analystes de la BID font apparaître que le quart de la richesse latino-américaine appartient à moins de 5 % de la population, tandis que les 30 % les plus pauvres en reçoivent seulement 7,5 %. Le Brésil, le Chili, le Guatemala, l’Èquateur, le Mexique, le Panama et le Paraguay « apparaissent comme les nations où il y a un excès d’inégalité. »

Cette analyse établit qu’une telle concentration s’explique en partie « par l’existence d’un abîme » entre la frange la plus riche et le reste de la société, contrairement à la situation habituelle dans le Premier monde. Au Canada et en Suède, ceux qui sont au sommet de la pyramide sociale gagnent entre 20 et 30 % de plus que l’échelon immédiatement inférieur. Au Chili et en République dominicaine, les 10 % les plus riches gagnent 300 % de plus que les 10 % de la population qui les suivent immédiatement dans l’échelle sociale.

Froidement, la BID déclare qu’une telle répartition entraîne l’extrême pauvreté : « Plus de 150 millions de Latino-Américains - plus de 30 % de la population - a des revenus inférieurs aux deux dollars quotidiens nécessaires aux besoins de base. »

Alarcón et Stiglitz ne sont pas les seuls à noter les inégalités et à projeter le retour à un État moins vide et plus réel, engagé dans le progrès social et moins servile à l’égard des groupes investisseurs. Fin juillet, dans un séminaire à Buenos-Aires, Michael Walton, un des directeurs de la BM, a déclaré que, loin du rejet complet de l’État imposé aux pays qui ont participé à l’ajustement pendant les deux dernières décennies, la recette pour le prochain millénaire comprend une revalorisation du rôle de l’État.

« Il y a une nouvelle théorie sur le monde - dit-il - qui complète la précédente : la stabilité macro-économique et l’intégration au marché sont toujours nécessaires pour combattre la pauvreté, mais dorénavant - à la lumière des expériences du Sud-Est asiatique, de la Russie et du Brésil - les programmes internationaux de sauvetage financier devront être plus équilibrés pour protéger les pauvres des pires effets de la crise. »

A l’étonnement des universitaires réunis dans la rencontre organisée par la Faculté latino-américaine des sciences sociales (FLACSO), Walton a pris un texte du président de la BM, James Wolfensohn, et a commencé à lire des extraits du texte : « La première chose que les gouvernements des marchés émergents doivent apprendre, c’est qu’il est nécessaire d’éviter la détérioration irréversible du bien-être social de la population. » Puis il a continué : « Si nous voulons une société plus équitable, l’État doit jouer un autre rôle : aider les foyers à gérer les risques présents dans les marchés. »

Jusqu’au début de l’année, les technocrates du néolibéralisme soutenaient qu’une plus grande concentration du revenu permettrait à une petite partie de la société d’épargner et que cela stimulerait la croissance. Après seulement, disaient-ils, on pourrait penser à la redistribution du revenu. La marginalisation accélérée a prouvé la fausseté de la théorie.

« L’expérience au niveau international ne justifie plus cette théorie (plus d’épargne, plus de croissance). Au contraire, les études comparatives démontrent que les pays avec un revenu moins concentré tendent à se développer plus rapidement », conclut le document cité et commenté par Alarcon comme exemple pour montrer que « nos analystes sont disposés à réviser ce qu’on a fait jusqu’à présent. »

Par exemple, « il n’y a pas de programme qui arrive à réduire la pauvreté, parce qu’elle est aussi manque d’opportunités et d’emploi »,a déclaré la porte-parole de la BID.

Alarcón, Stiglitz et Walton voient de la même manière le modèle du troisième millénaire :

• Il est obligatoire de réguler les systèmes financiers. La libéralisation accroît les possibilités de crise et donc de croissance réduite.

• Il ne faut pas privatiser les monopoles d’État sans un système adéquat de régulation qui garantisse la concurrence (on ne dit rien sur les garanties de la qualité des prestations).

• Il ne faut pas admettre qu’une entreprise possédant un marché ait un pouvoir total sur celui-ci.

• Il faut un investissement important de l’État dans l’éducation publique et dans les technologies, parce que le marché n’y investit pas suffisamment faute de rentabilité immédiate.

Le mea culpa et ses résultats ont un côté positif, selon de nombreux économistes qui ont participé au séminaire donné par Walton, celui de généraliser un débat qui avait lieu ces derniers temps seulement chez ceux qu’on appelait avec mépris « les nostalgiques de l’histoire » : promouvoir la reconstruction de l’État, mettre en évidence que les crises sont inévitables quand les finalités sociales capitulent devant les moyens économiques.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2328.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, septembre 1999.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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