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EL SALVADOR - Les États-unis sont de retour

mardi 16 janvier 2001, par Dial

Depuis leur départ du canal de Panama, les États-Unis cherchent d’autres lieux d’implantation militaire en Amérique latine. Selon la doctrine de Monroe, rien ne doit se produire sur ce continent qui puisse être contraire à leurs intérêts. La raison généralement invoquée de nos jours pour ces implantations est la lutte contre la drogue. Dans le cas d’El Salvador, il est avant tout question officiellement de venir aider une police nationale désorganisée dans sa lutte contre les enlèvements. Il y a lieu de penser que cette intervention étasunienne créera des difficultés supplémentaires, comme c’est d’ailleurs le cas pour l’intervention en Colombie. Article paru dans Proceso, n° 912, 26 juillet 2000 (El Salvador).


Le gouvernement de Flores a annoncé l’arrivée au pays d’une équipe de policiers des États-Unis - qui serait complétée par des agents israéliens et des conseillers financés par l’Union européenne - et cela n’a presque pas provoqué de réactions ; d’une part, peut-être, parce que, selon la version officielle, ils viennent pour effectuer un bon travail : aider une police civile nationale débordée et désorganisée dans sa lutte contre une vague d’enlèvements et, d’autre part, parce que la société a peut-être déjà accepté le retour des gringos [1] en El Salvador, que ce soit en tant qu’enquêteurs pour mener des poursuites contre la pratique des enlèvements et autres variantes du crime organisé, en tant que militaires pour surveiller les narcotraficants, ou en tant qu’armée pour développer des opérations conjointes avec les forces armées salvadoriennes. Ce retour n’est pas l’effet du hasard, mais il semble correspondre à un plan qui ne prend pas en compte les expériences du passé proche.

L’installation d’une base militaire étasunienne sur l’aéroport international de Comalapa n’a pourtant pas été accueillie avec la même attitude passive. À l’Assemblée législative, seul le groupe de la droite a été d’accord avec la ratification du traité signé par les gouvernements des États-Unis et d’El Salvador. Le traité en question remet aux troupes étasuniennes des aéroports et des ports, l’espace aérien et maritime et, en cas de besoin, des installations gouvernementales non spécifiées avec une immunité diplomatique du plus haut niveau, pendant dix ans. Ce traité est complété par deux accords que le ministère des affaires étrangères salvadorien a sorti de sa manche, en plus de la collaboration des policiers mentionnés plus haut. L’un d’eux a le nom trompeur de Juventud sana (Jeunesse saine), mais il est destiné à l’entraînement de la police civile nationale par des militaires étasuniens dans la lutte contre le narcotrafic. Le second est en rapport avec des entraînements militaires dirigés par l’armée des États-Unis. Ainsi, la base militaire de Comalapa, à laquelle les autorités salvadoriennes n’auront pas accès, mènera des activités de conseil pour la police et un entraînement spécialisé pour l’armée salvadorienne.

L’ambassadrice des États-Unis a fait pression d’une manière qui n’avait jamais été vue depuis la guerre pour obtenir l’approbation de cette série d’accords qui a été révélée de manière progressive. L’initiative étasunienne s’est heurtée à l’opposition du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN), qui a exigé que soient consignées par écrit les conditions du fonctionnement de ladite base militaire, mais l’ambassade s’y est opposée, prétextant n’en avoir pas le temps. Suite à la discussion, le FMLN a fait remarquer à très juste titre que ce n’est pas d’aide militaire, comme celle qui est offerte par les États-Unis, dont El Salvador a besoin, mais d’assistance sociale et économique. Cependant, le groupe parlementaire de la droite, décidé d’approuver le traité à tout prix, a choisi de méconnaître son statut de traité en l’approuvant à la majorité simple.

Face aux remarques répétées sur l’inconstitutionnalité de l’approbation, certains de ces députés ont raillé la Constitution, en dégageant leur responsabilité dans la salle même de la Cour suprême de justice et ils se sont vantés de ne pas avoir respecté et de ne pas respecter les normes constitutionnelles. L’ambassade des États-Unis ne s’est pas risquée à se prononcer sur la procédure inconstitutionnelle de leurs alliés, ce qui non seulement enlève de la crédibilité à leur projet, mais, à la condition d’être mené à bien, contribue aussi à renforcer l’insécurité juridique existante.

L’ambassade étasunienne, le gouvernement salvadorien et le groupe parlementaire de la droite présentent ces accords comme la solution idéale pour arrêter le narcotrafic, en mettant en même temps l’accent sur la faiblesse des institutions salvadoriennes. Pour ce faire, une curieuse photographie y a contribué : celle d’une vedette qui se déplace soi-disant sur le cours d’eau Lempa et qui est supposée transporter de la drogue. Le procureur général, par exemple, arrive à cette conclusion en considérant la couleur de la peau de ses occupants. En réalité, la vedette aurait pu être interceptée par le même hélicoptère à partir duquel la photographie a été prise.

Pour enlever de l’importance à l’intervention de l’armée des États-Unis, l’ambassade de ce pays et les autorités salvadoriennes se refusent à appeler base militaire l’installation qu’ils vont établir à Comalapa ; à la place, ils préfèrent l’appeler station de monitorage.

Aux opposants qui parlent de violation de la souveraineté, le gouvernement salvadorien répond qu’il n’y a pas cession de territoire, ce qui, au sens littéral, est vrai, mais il livre quelque chose d’aussi important que le territoire. Avec ces traités, conseillers et collaborations, le gouvernement de Flores est en train de livrer à l’armée des États-Unis - un pouvoir étranger - plusieurs fonctions essentielles de l’État salvadorien : une partie importante de sa sécurité et de l’usage légitime de la force, tout cela sous le prétexte qu’El Salvador est incapable de s’en occuper lui-même.

L’expérience montre que ce genre d’interventions étasuniennes ne produit pas de résultats positifs. La faiblesse et la corruption de la police civile nationale ne font aucun doute, mais elles ne seront pas surmontées avec l’intervention de militaires étasuniens, au contraire, celle-ci va affaiblir encore davantage l’institution policière.

En Amérique du Sud, les opérations de l’armée des États-Unis n’ont pas réduit le narcotrafic, en revanche elles ont créé des difficultés supplémentaires. Le plan Colombie, avec tous ses millions, est une option militaire destinée à intensifier la guerre, ce qui freinera encore plus le développement de ce pays. Le plan a pour objet de réprimer les petits producteurs, mais oublie les causes structurelles qui favorisent la culture illégale de la drogue et fait abstraction du conflit colombien. De plus, le plan comprend une clause selon laquelle le président des États-Unis, « pour motifs d’intérêt national », peut suspendre le respect des droits humains en Colombie. Ce n’est pas un hasard si le nouveau poste de l’ancienne ambassadrice des États-Unis en El Salvador est la Colombie. Au début du siècle dernier, les États-Unis sont intervenus au Nicaragua pour mettre de l’ordre dans ce pays. Les troupes étasuniennes se sont emparées de l’économie, ont dicté la politique et ont déterminé dans une large mesure la culture du Nicaragua. Quand ils ont décidé d’abandonner le Nicaragua, au lieu de laisser la démocratie qu’ils croyaient construire, ils ont laissé une dictature qui a duré plus de trente ans. Au lieu de fortifier les institutions, les interventions des États-Unis les affaiblissent et laissent les pays dans des conditions pires que celles qu’ils avaient trouvées au départ.

Il est certain qu’El Salvador est un lieu de passage de la drogue et que la sécurité publique traverse l’une de ses pires crises. Mais la prochaine intervention étasunienne ne contribuera à résoudre aucun des deux problèmes. D’abord parce qu’elle propose une solution militaire à un problème qui est éminemment social et politique. Une vieille erreur qui a déjà été commise à la fin des années soixante-dix et pendant les années quatre-vingt. Ensuite parce que, alors que les États-Unis appliquent des mesures militaires hors de leurs frontières, à l’intérieur c’est une des nations les plus permissives quant au trafic, à la commercialisation et à l’usage de la drogue.

De même que pendant la guerre, quand El Salvador n’aura plus d’intérêt pour les militaires du Pentagone et les politiques du Département d’État, les troupes étasuniennes abandonneront le pays et son gouvernement à leur propre sort.

Les gringos, non seulement sont de retour en El Salvador, mais ils le font en commettant les mêmes erreurs.

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2441.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Proceso, juillet 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Mot fréquemment utilisé en Amérique latine pour désigner, avec une pointe péjorative, les Anglo-Saxons d’Amérique du Nord. C’est l’équivalent de Yankee (NdT).

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