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DIAL 2451

BRÉSIL - Construire la démocratie. Le cas exemplaire du « budget participatif »

José Carlos Ferreira dos Reis

jeudi 1er mars 2001, mis en ligne par Dial

Le « budget participatif » a surtout été rendu célèbre par l’expérience menée dans la ville de Porto Alegre. Il s’agit d’un cas remarquable de démocratie participative et populaire. Dans un bref encadré, DIAL rappelle quelques modalités précises du fonctionnement de ce système et, dans l’article qu’il nous a transmis, José Carlos Ferreira dos Reis, économiste,chercheur en science politique et coordinateur adjoint du ministère des relations communautaires de l’État du Rio Grande do Sul, nous propose une évaluation de la mise en place de ce système démocratique original.


Le budget participatif est un instrument de démocratisation de la gestion publique et promeut la décentralisation des décisions politiques et économiques. Il s’appuie sur deux principes fondamentaux.

Le premier est le principe de la participation universelle et directe. Tout citoyen a le droit de débattre et de discuter les orientations de l’État. Ainsi, le plus modeste habitant de tel État ou commune a le droit de manifester son opinion, indépendamment de son appartenance à une institution, sans avoir à demander l’autorisation à un « coronel » ou un « patron », et en ayant les mêmes droits qu’un « doutor ». La participation populaire est exercée de façon directe, sans intermédiaire.

Le second principe qui fonde le processus concerne la présentation et la discussion de tout le budget public de l’État : le citoyen aura l’occasion de délibérer sur les diverses composantes de la dépense publique (salaires, coûts d’entretiens, de fonctionnement, d’investissements, charges financières et autres...) et de la recette publique.

Dans ce sens, ce processus mis en place au Brésil, principalement par les gouvernements démocratiques populaires et par les administrations populaires, représente une véritable rupture par rapport au modèle qu’Ágnes Heller et Ferenc Fehér ont appelé « la dictature assise sur les nécessités humaines ». Ce phénomène, selon ces deux auteurs, était une caractéristique du « socialisme réel », en contradiction avec une notion importante chez Marx - celle de la satisfaction des besoins humains -, et imposé par un régime autoritaire qui empêchait la libre élaboration, manifestation et satisfaction de ces besoins.

En permettant que tout un chacun, sans exclusion aucune, puisse participer aux assemblées, le budget participatif rompt avec l’héritage de l’Union soviétique, qui avait transformé la dictature du prolétariat en tant que classe en une dictature de la « nomenklatura » du parti stalinien. Il rompt par conséquent avec l’identification immédiate, automatique et asphyxiante entre parti et société, parce que les partis de gouvernement cessent d’être les seuls propriétaires des « véritables intérêts de la société », mais ils délèguent à l’ensemble de la population le droit d’être sujet direct dans le processus d’élaboration des décisions qui touchent à sa vie sur le plan politique et économique.

Dans ce sens, le budget participatif est exactement l’inverse de tout mouvement de division partisane où celui qui gouverne l’État identifie société et parti. Il s’agit de l’élaboration libre et de la reconnaissance des besoins humains, ce qui signifie non le système des partis mais le contrôle social sur les activités de l’État.

Outre ce contrôle social, le budget participatif favorise l’exercice d’une citoyenneté active, véritable force de proposition. Ainsi, le processus du budget participatif est un espace de formation et d’élaboration d’une éducation civique, un espace collectif où les individus s’approprient du savoir jusqu’à présent réservé, où ils n’attendent plus passivement que les gouvernants décident de l’attention à donner aux diverses demandes et où ils ne se soumettent plus aux pressions des fonctionnaires ou leurs intermédiaires. C’est donc une pratique qui rompt avec les politiques fondées sur le clientélisme, le paternalisme, le patrimonialisme, et avec le « donnant-donnant » qui a toujours régné dans la société brésilienne.

Par ailleurs, en donnant à davantage de personnes un accès aux informations et aux débats sur les ressources de l’État, le budget participatif permet que les gouvernements cessent d’être soumis au cercle des acteurs traditionnels de la société et aux « maîtres du savoir », qui ont toujours dirigé l’État en fonction des convenances de leurs groupes politiques et contre les intérêts de la majorité exclue des cercles du pouvoir. Ces secteurs-là sont ceux qui se sont toujours considérés comme les seuls autorisés à exercer une influence sur l’État.

Jusqu’alors, le budget public était entre les mains de quelques « politiciens et intellectuels régionaux » qui en tiraient des « bénéfices » pour leurs communes. Désormais il est élaboré par plusieurs partenaires.

L’essence du processus est celle-ci : le gouvernement cesse d’être soumis uniquement à la pression des groupes plus favorisés et éclairés, qui ont plus de possibilités d’accès aux agents publics et aux formateurs d’opinion. En s’adressant à toute la communauté, le gestionnaire des biens publics prend le risque d’accepter la participation de quiconque s’intéresse aux affaires de l’État. Plus encore, le citoyen est appelé à délibérer sur la nature et le volume des travaux publics et des services à fournir, et se trouve impliqué concrètement et directement dans l’optimisation des ressources publiques et dans l’efficacité des prestations de services. En définissant les priorités dans l’utilisation des ressources, l’individu qui intervient sur le budget participatif délibère sur le rôle de l’État. Dans une société où s’impose dans les médias et chez une grande partie des classes dominantes la conception néo-libérale d’un État minimal, il est important de constater que les citoyens qui interviennent sur le budget participatif décident en pratique le contraire de ce qui était imposé par l’idéologie ambiante. En d’autres termes, à chaque session de discussion annuelle, les participants attendent de l’État qu’il leur accorde plus d’attention et atténue les difficultés qu’ils rencontrent.

Il convient de signaler deux limites qui sont en train d’être discutées ces derniers temps, notamment à propos de l’expérience de budget participatif menée depuis douze ans à Porto Alegre. En premier lieu, si le budget participatif s’est révélé comme un puissant moyen pour attirer les secteurs organisés de la société, il est encore difficile d’y faire participer les individus exclus économiquement et socialement de la cité. En deuxième lieu, on constate une tendance marquée à la prédominance de l’intérêt immédiat et local, au détriment d’un débat plus général, à moyen et à long terme. Ce qui attire les gens aux assemblées du budget participatif, c’est la possibilité de discuter sur leur rue, l’école de leur enfant, la place de leur quartier, plusieurs fois au détriment d’un débat sur les orientations à prendre pour la ville.

Grâce à cet instrument de démocratie directe, le citoyen obtient le moyen d’exercer la plénitude de sa citoyenneté, et pas seulement son devoir d’électeur une fois tous les quatre ans puisqu’il acquiert le droit d’exercer sa citoyenneté pendant toute la durée du mandat, en contrôlant et en intervenant dans les actions du gouvernement.

Le renforcement de la démocratie, favorisé par la participation populaire, directe et universelle par le biais du budget participatif, dérange ceux qui se sont engagés en faveur de l’institutionnalisation du pouvoir contre toute forme de démocratie populaire.

Par suite, les arguments utilisés par l’opposition et les secteurs traditionnels, selon lesquels « le budget participatif est un espace partisan », ne sont qu’une invention astucieuse avec laquelle ils cherchent à leurrer leurs communautés, puisqu’ils ne peuvent pas afficher clairement le fondement corporatif de leurs intérêts. En vérité ce n’est pas le côté partisan du budget participatif qui dérange ceux qui le critiquent, mais la démocratisation sociale des décisions qu’il favorise. Ils perçoivent qu’ils perdent ainsi leur influence sur l’appareil d’État, ne pouvant plus diriger le gouvernement par les circuits bureaucratiques de l’Assemblée législative, ni par les chantages du pouvoir économique, ni par la grande presse.

À ceux qui ironisent en disant que ce processus recrée une nouvelle commune de soviets, on peut rappeler ce que disait Rousseau - qui n’était pas du tout un communiste mais un penseur bourgeois - quand il enseignait que le peuple ne doit jamais créer un État séparé de lui et ne doit jamais abandonner sa souveraineté dont l’expression suprême réside dans les assemblées. Or Rousseau était un grand défenseur de la démocratie populaire. Un de ceux qui trouverait outrageant que quiconque s’arroge le droit d’utiliser le mot démocratie pour dissimuler dans le discours nébuleux la nature particulière de ses propres intérêts.

Mais il arrivera le jour où le lamentable « politicien de clocher » se décidera à éclairer son esprit par la lecture d’un auteur comme Rousseau.

NB : Ce texte a été élaboré à partir des textes : A Conquista da Participação Popular (La conquête de la participation populaire) et Democracia Participativa versus Poder Paroquial (Démocratie participative contre pouvoir de clocher) de Paulo Denizar Vasconcelos Fraga ; et Adeus ao Poder Paroquial (Adieu au pouvoir de clocher) de José Carlos Reis, Paulo Denizar V. Fraga et Marcel Frisson.


Qu’est-ce que le budget participatif ?

L’expérience la plus célèbre et la mieux réussie de « budget participatif » au Brésil est celle de Porto Alegre, ville de 1,3 million d’habitants située à l’extrême sud du pays dans l’État de Rio Grande Do Sul. Tout a commencé en 1989. Le but poursuivi est essentiellement de faire en sorte que la population participe activement à l’élaboration et au suivi de la politique municipale qui la concerne.

La participation s’opère d’abord sur une base territoriale : la ville est divisée en 16 secteurs. Toute la population est invitée à préciser ses besoins et à établir des priorités (habitat, éducation, santé…) au cours de réunions publiques de ce secteur. À cela s’ajoute une participation construite sur une base thématique permettant la prise en compte d’une vision plus globale de la ville : elle inclut différents secteurs sociaux (syndicats, entrepreneurs, agriculteurs, étudiants, mouvements communautaires, etc.) et donne lieu à cinq commissions thématiques (transport, éducation, développement économique, etc.).

Enfin, la municipalité représente évidemment le troisième acteur du budget participatif. Elle est présente dans les réunions de secteurs et réunions thématiques pour fournir des informations techniques, légales ou financières et fait des propositions.

Finalement, chaque secteur et chaque commission thématique présentent ses priorités au Cabinet de planification. Les choix effectués précédemment sont à la base de l’élaboration du projet de budget et du travail effectué par le Cabinet de planification. Après divers circuits complémentaires dans des commissions au sein desquelles les secteurs et les commissions thématiques ont leurs délégués, le budget est finalement présenté et voté par la Chambre des élus municipaux.

Au cours de réunions diverses, la population évalue la réalisation des travaux et services prévus dans le budget participatif de l’année précédente.

Note DIAL

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2451.

 Traduction Dial.

 Source (portugais) : José Carlos Ferreira dos Reis, février 2001.

 
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