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DIAL 2452

AMÉRIQUE LATINE - Réforme de l’éducation. « Un revirement radical est nécessaire »

jeudi 1er mars 2001, mis en ligne par Dial

Au cours du Forum mondial de l’éducation qui s’est tenu à Dakar, Sénégal, du 26 au 28 avril 2000, il y eut une « Déclaration latino-américaine », à laquelle ont adhéré plusieurs centaines de personnes appartenant à un large éventail de pays et d’institutions. La vision de l’éducation transmise par ce document mérite de retenir l’attention. Texte publié dans Envío, septembre 2000 (Nicaragua).


(...) Les politiques recommandées et adoptées durant ces dernières années ne répondent pas de manière satisfaisante aux nécessités et aux attentes de la population latino-américaine, en particulier pour ce qui touche au système scolaire et aux enseignants, et elles n’ont pas eu les résultats escomptés. L’évaluation comparative réalisée en 1997 par UNESCO-OREALC dans 15 pays de la région et dans les domaines de la langue et des mathématiques parmi des élèves de troisième et quatrième d’établissements publics et privés, a révélé que Cuba est, dans le contexte latino-américain, le pays qui obtient les meilleurs rendements scolaires dans ces deux matières. Il s’agit précisément du seul pays qui n’a pas suivi les recommandations de politique éducative en vigueur dans les années 90 et le seul qui n’a pas eu recours à des prêts internationaux pour financer son système éducatif et sa réforme. Ces données sont suffisamment révélatrices pour imposer une réflexion de fond à propos des stratégies de changement dans le secteur de l’éducation, qui ont été mises à l’essai dans la région.

La situation de l’éducation primaire dans notre région et dans le monde nous conduit à proposer quelques modifications nécessaires qui, même si elles concernent directement l’Amérique latine, pourraient être prises en considération par d’autres régions qui auraient des inquiétudes similaires.

1. Les politiques qui régulent le développement éducatif doivent s’inspirer des valeurs humaines fondamentales, de sorte que l’éducation contribue à une meilleure réalisation des personnes et des sociétés. Les indicateurs actuellement utilisés pour évaluer ce développement, centrés sur la progression de la couverture et de l’efficacité des systèmes scolaires, ne montrent pas la contribution de l’éducation à ces valeurs fondamentales : le développement intégral des élèves, la formation de la conscience, l’exercice responsable de leur liberté, la capacité à établir des relations avec les autres et à les respecter tous. Ils ne révèlent pas non plus si les réponses que donnent les systèmes éducatifs aux besoins fondamentaux d’importants secteurs de la population sont les mieux adaptées et les plus significatives pour eux.

2. Ceux qui décident des politiques à suivre doivent placer leur travail sur le plan éthique, car les systèmes éducatifs ne sont pas seulement des éléments au service de l’économie, de la consommation et du progrès matériel, mais des moyens destinés à aider au développement intégral des potentialités humaines. En particulier, l’élargissement des connaissances qui caractérise l’entrée de l’humanité dans le troisième millénaire et qui a déjà des répercussions profondes sur les systèmes éducatifs, doit s’inscrire dans cet horizon d’intégralité et de responsabilité.

3. Ce qui a été réalisé n’est en aucun cas satisfaisant pour parvenir à une plus grande équité dans la répartition des opportunités d’accès, de maintien, de réussite, de passerelles vers d’autres niveaux éducatifs et, surtout, d’apprentissage. Seule la tendance à universaliser un niveau d’éducation, plus précisément le primaire, a eu pour conséquence de parvenir à une plus grande justice. Cela n’a cependant pas signifié que l’on mettait sur un pied d’égalité les résultats de l’apprentissage, qui sont la mesure véritable d’une politique de justice éducative. L’usage croissant des technologies de l’information et de la communication dans le champ éducatif menace de produire des inégalités encore plus profondes et graves, si nous continuons à déployer l’éducation de base sur les critères qui ont eu cours jusqu’à ce jour. Il faut, définitivement, s’attaquer au problème d’une autre manière. La société et les gouvernements, mais surtout les gouvernements, doivent consacrer les moyens et les efforts nécessaires à développer dans l’égalité les services proposés aux secteurs pauvres de la campagne et de la ville, aux secteurs indigènes et, en général, à tous les exclus des bénéfices de l’éducation primaire. Tant qu’on n’offrira pas une éducation de meilleure qualité à ceux qui ont le moins, tant qu’on n’assurera pas l’égalité de l’éducation entre les hommes et les femmes, nous ne pourrons avancer que difficilement vers le but à atteindre : l’équité dans l’éducation. Sans elle, nous n’atteindrons pas non plus la justice sociale.

4. Étant donné l’énorme diversité culturelle qui caractérise les peuples latino-américains, la qualité de l’éducation implique la reconnaissance d’une nécessaire diversification de l’offre éducative dans le but d’assurer non seulement le respect mais aussi le renforcement des différentes cultures. Chaque groupe détenteur a un apport culturel à faire pour l’éducation de tous. Gouvernements et sociétés, nous nous devons d’empêcher que la diversification des services de l’enseignement primaire destiné aux groupes culturels minoritaires ne cache une offre appauvrie, et que l’on ne profite du peu de moyens qu’ont ces groupes pour exiger des niveaux adéquats de qualité du service et de ses résultats.

5. Il faut en revenir à la façon dont le problème était posé à l’origine dans le programme « Éducation pour tous » et à la « vision élargie de l’éducation de base » qu’il proposait : une éducation capable de satisfaire les besoins fondamentaux d’apprentissage de tous (enfants, jeunes et adultes), dans et hors du système scolaire (famille, communauté, lieu de travail, bibliothèques et centres culturels, moyens de communication, accès aux technologies modernes, etc.), et cela tout au long de la vie. Il est indispensable de récupérer une vision multisectorielle pour l’éducation et pour la politique éducative, en comprenant bien que les problèmes ne s’expliquent ni ne se résolvent exclusivement à partir du domaine éducatif, mais à partir d’une politique économique et sociale qui prend en charge le bien-être de la majorité ; la vision de système dépassant une vision parcellaire et fragmentée selon les âges, les niveaux, les composantes ou les modalités ; et la vision à long terme dépassant le court terme immédiat imposé souvent par les logiques de la politique et du financement international. L’accent mis sur l’enseignement primaire dans les années 1990, certes très important, l’a été au prix d’un ajournement de la problématique de l’enseignement secondaire et universitaire, et de l’abandon presque total de l’éducation et de la formation des jeunes et des adultes.

Préserver certaines valeurs

Dans le contexte actuel de globalisation nous voulons préserver certaines valeurs qui sont essentielles à l’identité latino-américaine :

 La valeur suprême de la personne et la recherche du sens de l’existence humaine. Au-dessus du progrès matériel exclusivement basé sur l’augmentation de la consommation et du confort, nous plaçons le respect de la personne et de son développement. Nous croyons qu’il est important de créer les conditions nécessaires à ce que chaque personne trouve un sens à sa vie et des réponses à ses interrogations existentielles.

 Le sens communautaire de la vie, caractéristique de nos cultures et particulièrement des cultures indigènes : partager et rendre service, être solidaires plutôt que compétitifs, savoir vivre ensemble en privilégiant le bien-être collectif, respecter les différences contre les tendances à l’exclusion et prendre soin des plus faibles et des déshérités.

 Le multiculturalisme et l’interculturalisme. Nos nations sont des « peuples de peuples », engendrés à travers des processus de métissage biologique et culturel. C’est pourquoi l’ouverture à la pluralité des races, des ethnies et des cultures est essentielle à notre identité et est une valeur qui doit être réaffirmée par l’éducation.

 L’ouverture et la mise en valeur des formes de connaissance et d’approche de la réalité qui transcendent la rationalité instrumentale : les langages symboliques, l’intuition, la sensibilité à la vulnérabilité humaine, la récupération créative de la tradition et la considération pour l’esthétique.

 La liberté, comprise - selon la tradition si pertinemment recueillie par Paulo Freire - comme un triomphe sur nos égoïsmes et ceux des autres, comme la construction de l’autonomie de la personne et de son sens de la responsabilité, comme le dépassement de toutes les oppressions moyennant la compréhension de l’oppresseur et l’aptitude à partager la construction d’un monde pour tous.

 Le travail en tant que moyen de réalisation de la personne et, de ce fait, comme un droit fondamental, non pas comme une subordination sans critique aux intérêts du capital ni comme un moyen de recherche efficace du profit maximal.

 La recherche de « l’autre » dans la construction d’un « nous » qui soit la base du sens éthique de la vie humaine, et la présence constante de l’utopie et de l’espoir.

Nous souhaitons préserver dans notre système éducatif ces valeurs qui font notre identité et à partir de celles-ci conquérir la paix fondée sur la justice et le respect de tous. Nous souhaitons que ces valeurs s’étendent au vivre-ensemble quotidien, aux médias, aux lois, aux philosophies qui orientent l’éducation et, en général, à tous les espaces de la culture. Dans le cadre des systèmes éducatifs nous souhaitons qu’elles inspirent la formation des éducateurs et des élèves, les contenus des cursus et les méthodes d’enseignement, les modalités d’organisation et le climat humain dans les écoles, la répartition des moyens, les critères de planification et d’évaluation, et les relations interpersonnelles entre nous tous qui intervenons dans l’éducation.

Nous affirmons la nécessité de la participation de la société non seulement à la mise en pratique des politiques et des programmes mais aussi à leur formulation et discussion. L’éducation est une affaire publique et doit, par conséquent, inclure tous les acteurs sociaux et les inciter à une participation responsable. Cela est tout particulièrement certain et nécessaire pour les enseignants, personnages-clés de l’éducation et de sa réforme. Il ne suffit pas de proclamer la participation, voire de s’y montrer favorable. Encore faut-il définir et habiliter des moments et des lieux, des critères et des mécanismes concrets pour qu’une telle participation soit effective, et apparaisse comme un dispositif régulier dans les processus éducatifs depuis le niveau local jusqu’au niveau global, depuis l’école jusqu’aux instances ministérielles et intergouvernementales où se définit et se détermine l’éducation. En ce sens, il est nécessaire de renforcer et de multiplier quelques initiatives de très grande valeur en matière de participation des citoyens à l’éducation, qui sont apparues au cours de ces dernières années dans divers pays de la région.

Nous lançons un appel à nos gouvernements et à nos sociétés, ainsi qu’aux organismes internationaux de coopération pour qu’ils redoublent d’efforts en faveur de l’équité, en privilégiant les groupes les plus marginalisés et en articulant les programmes éducatifs avec des programmes politiques plus vastes qui visent à la justice économique et sociale.

Sauvegarder la diversité culturelle

Nous nous prononçons en faveur de la sauvegarde de la diversité culturelle et éducative propre aux régions, aux pays et aux groupes culturels à l’intérieur de chaque pays, et contre une globalisation hégémonique et uniformisatrice.

Nous demandons aux organismes internationaux de revoir leur rôle dans la définition des politiques éducatives et dans leur mise en pratique au niveau régional et national. Nous sommes préoccupés par le protagonisme croissant de ces organismes, en particulier de la banque internationale, non seulement en tant qu’organismes de financement mais aussi de conseil technique, de recherche, de monitorat et d’évaluation. Ce qui nous préoccupe c’est « la pensée unique » installée dans l’éducation ces dernières années, le fort caractère économiciste et le poids du secteur administratif comme composant central de la réforme éducative. La nécessité de revoir le modèle traditionnel de la coopération internationale, tout particulièrement dans le domaine de l’éducation, est mise en évidence par des chercheurs et des spécialistes du monde entier, y compris par les organismes de coopération eux-mêmes. Son rôle doit consister à impulser, faciliter, informer et catalyser.

Nous appelons nos gouvernements et nos sociétés nationales à reprendre la direction et l’initiative dans le domaine de l’éducation, à développer une « masse critique » de professionnels et de spécialistes de la plus haute qualité, et à consolider une citoyenneté informée et capable de participer de façon significative au débat et à l’action dans le secteur de l’éducation. Après une période marquée par une forte uniformisation de la politique éducative et une simplification des processus éducatifs, il est indispensable de retrouver la capacité de penser et d’agir en s’appuyant sur ce qu’il y a de meilleur dans les connaissances accumulées et sur les spécificités de chaque contexte national et local.

Nous invitons la communauté éducative internationale et plus particulièrement les participants au Forum de Dakar à examiner ces réflexions que, fraternellement, nous voudrions partager avec eux.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2452.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Envío, septembre 2000.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 
 

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