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HAÏTI - Les duvaliéristes réhabilités

Ives Marie Chanel

dimanche 1er avril 2001, mis en ligne par Dial

Jean Bertrand Aristide, nouveau président de Haïti, a fait appel à quelques ex-duvaliéristes (du nom des anciens partisans du dictateur Jean Claude Duvalier, destitué en 1986) dans la composition de son gouvernement. Certains y voient un « signe d’ouverture »... D’autres dénoncent cette mesure comme un scandale incompatible avec les professions de foi démocratiques du nouveau président et la mémoire des victimes. Il faut également signaler que parmi l’opposition, regroupée dans Convergence démocratique, on compte aussi d’anciens duvaliéristes...

Article paru sous la signature de Ives Marie Chanel, dans Le Nouvelliste, 6 mars 2001 (Haïti)


Pour la première fois depuis la chute de la dictature il y a aujourd’hui 15 ans les Duvaliéristes sont de retour au pouvoir en Haïti.

Dans sa tentative de satisfaire la communauté internationale après les élections controversées de l’année 2000 le nouveau président haïtien Jean Bertrand Aristide investi le 7 février dernier a fait des ouvertures inespérées mais aussi problématique pour la plupart de ses partisans, qui au cours de la longue transition avaient adhéré à son discours anti- « macoute » (partisans de l’ancien régime).

Aristide qui n’a pas pu arriver à un accord politique avec l’opposition officielle de droite et de gauche socialiste regroupée au sein de la Convergence démocratique a choisi comme Premier Ministre Jean Marie Chérestal, un proche parent et un cadre qui lui aussi a travaillé sous la dictature.

Chérestal qui fut ministre au cours du précédent mandat d’Aristide a plaidé pour un gouvernement d’ouverture jeudi dernier lors de sa déclaration de politique générale.

« Nous avons opté pour un gouvernement d’ouverture, un gouvernement inclusif, qui rassemble, qui fédère, qui rallie et non qui rejette ou qui laisse de coté des secteurs de la société » a-t-il déclaré.

Le cabinet ministériel qui a été investi vendredi est constitué de 17 ministres et 4 Secrétaires d’État.

Trois de ministres sont recrutés au sein du secteur duvaliériste, les autres sont des personnalités proches du Président dont certains vivaient à l’étranger.

Aristide également confié la direction du Ministère de la Planification à Marc Louis Bazin, un économiste qui fut ministre des finances sous le gouvernement de Jean Claude Duvalier, principal rival d’Aristide aux élections de décembre 1990 et Premier Ministre de fait installé par les militaires qui avaient renversé Aristide en 1991.

Le gouvernement avait été à peine installé que la présidence avait annoncé la formation d’un nouveau conseil électoral avec la participation d’au moins 3 anciens barons duvaliéristes dont un membre fondateur du Parti du Ralliement National (PRAN) de tendance néo-duvaliériste.

Ce conseil électoral aura pour mission d’organiser des élections sénatoriales partielles prévues dans le cadre d’un accord bilatéral en 8 points obtenu entre l’ancien président américain Bill Clinton et Aristide alors président élu.

Selon cet accord, Aristide s’était engagé à corriger les irrégularités enregistrées lors des élections législatives et locales du 21 mai 2000, former un gouvernement d’ouverture avec la participation de l’opposition, empêcher que des parlementaires aient des influences sur la police, mettre des personnes compétentes et crédibles a la tête de la police.

Cet accord prévoit en outre, la présence en Haïti d’une mission d’observation des droits humains de l’Organisation des États américains (OEA), l’autorisation aux autorités américaines de rapatrier des illégaux haïtiens.

Ce dernier point est très controversé dans la population dont les intérêts sont lies à la présence de travailleurs haïtiens aux États-Unis. Les autorités n’ont pas fourni jusqu’à présent des éclaircissements sur ce point.

La communauté internationale réclame depuis les élections législatives et locales de mai ne révision par les autorités haïtiennes des résultats des sénatoriales. Une mission d’observation électorale de l’OEA a mis en question la méthode de calcul utilisée par le Conseil Électoral Provisoire (CEP) chargé d’organiser ces élections. Selon la Mission d’observation au moins 10 sénateurs du parti d’Aristide n’étaient pas élus au premier tour comme l’avait annoncé le CEP.

L’opposition officielle continue de rejeter la validité de toutes ces élections. Elle demande leur annulation et l’organisation d’élections générales. La Convergence qui a investi parallèlement le 7 février un « Président provisoire » dont le mandat est d’organiser de nouvelles élections générales a rejeté la proposition d’Aristide concernant l’octroi à ce regroupement de 4 postes ministériels [1].

Sauveur Pierre Étienne, un porte-parole de la Convergence démocratique, a indiqué que la proposition de postes ministériels était irrecevable en dehors d’un accord politique qui tiendrait compte de tous les aspects de la crise politique qui perdure.

La stratégie d’Aristide est perçue différemment dans l’opinion.

Joseph Jasmin, un ancien député proche d’une organisation Pro-Aristide, a indiqué qu’Aristide a voulu neutraliser et marginaliser la Convergence démocratique et montrer à la communauté internationale qu’il était ouvert à la participation de l’opposition en recrutant ceux vis à vis de qui il était jadis le plus virulent opposant avec un discours excluant toute participation des Néo-duvaliéristes dans les affaires publiques.

Certains chefs d’organisations populaires proches d’Aristide ont indiqué samedi que le geste d’Aristide démontre une vision d’ouverture. Mais dans la réalité certains militants politiques de la gauche n’ont pas digéré la décision de remettre en selle les duvaliéristes.

« Il faut s’attendre au retour de Jean Claude Duvalier. En fait, il n’y avait aucune raison que des gens se soient faits tuer pour le renversement de la dictature si les Duvaliéristes sont au pouvoir aujourd’hui. Que fait-on de la mémoire des morts ? », s’interroge un militant politique qui a requis l’anonymat.

Les analystes politiques estiment ici qu’avec ces dernières décisions, Aristide a réduit les marges de manoeuvre de l’opposition officielle réuni au sein de la Convergence démocratique mais entame du même coup la destruction du mythe crée par son opposition farouche à la dictature.

Aristide semble gagner virtuellement une première manche mais ne résout pas la crise engendrée par ces élections contestées.

L’incapacité des nouvelles forces politiques à gérer la transition démocratique et à proposer un nouveau modèle dans ce pays a rendu incontournable l’utilisation des services des cadres et politiciens de la dictature.

L’opposition qui regroupe aussi dans son sein des partis néo-duvaliéristes n’a pas critiqué le fait que Aristide ait choisi des Duvaliéristes pour faire partie du Conseil électoral mais a plutôt dénoncé ce qu’elle appelle « les conditions et circonstances dans lesquelles ils ont été appelés ».

L’opposition qui appelle à la mobilisation ne semble pas avoir les moyens de sa politique.

Jonas Petit, un cadre du parti La Fanmi Lavalas, estime que ce secteur de l’opposition avait refusé le dialogue préférant se réfugier derrière l’option zéro qui prévoit l’organisation des élections générales.

« La Convergence démocratique avait déclaré qu’elle ne participerait pas au gouvernement. Aristide a dialogué avec un secteur plus large de l’opposition qui le voulait. Il existe encore des possibilités de dialogue avec la Convergence mais une majorité de 8 millions de personnes ne peuvent souffrir pour une minorité » a-t-il fait remarquer.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2460.
 Traduction Dial.
 Source (français) : Le Nouvelliste, mars 2001.
 
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[1Depuis lors, J.B. Aristide a obtenu la démission de six sénateurs de son parti, afin de libérer des places pour l’opposition lors de prochaines élections. (Note Dial)

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