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DIAL 2519
AMÉRIQUE LATINE - Trente ans de combat de la revue Dial
Jacques Puissant
samedi 15 décembre 2001, mis en ligne par
À l’occasion des trente ans de la fondation de Dial, nous publions ci-dessous un article de Jacques Puissant paru dans la revue Espaces latinos (10, rue Lanterne - 69001 Lyon) en novembre 2001, qui exprime avec justesse l’histoire et les finalités poursuivis par Dial hier et aujourd’hui. Espaces latinos présente ainsi cet article : « Retour sur trente ans de combat pour une information sur le sous-continent américain ». Nous avons joint à cet article un éditorial de notre rédaction. Ces deux textes parlent également du Forum sur l’Amérique latine qui s’est tenu avec un incontestable succès à Lyon les 30 novembre et ler décembre à l’occasion de notre trentième anniversaire. Toutes les interventions sont disponibles sous forme de cassettes ou CD (voir ci-dessous en page 4).
Depuis le 15 avril 1971, date de parution de son premier numéro, Dial fait partie des incontournables dans le cercle restreint des médias francophones spécialisés sur l’Amérique latine. Cette association concentre ses activités autour de deux axes : d’une part la mise à disposition du public d’un riche fonds documentaire sur l’actualité récente de la région, d’autre part, et c’est là le volet majeur de son travail, la publication deux fois par mois de documents de fond en provenance d’Amérique latine. Son co-fondateur, le prêtre Charles Antoine, revient sur les conditions de création de cette véritable agence de presse latino-américaine : « Au départ, l’Amérique latine n’était pas prévue dans mon cursus », confie-t-il.
Ordonné prêtre en 1955, il exerce initialement dans sa région d’origine, à Belfort. Lorsque le pape d’alors Jean XXIII demande que des prêtres de paroisse s’installent en Amérique latine, où le nombre de prêtres est relativement faible en proportion de la popu lation, Charles Antoine se porte immédiatement candidat. Il débarque à São Paulo, au Brésil, en 1964, au moment même où les militaires arrivent au pouvoir. Pendant cinq ans, il est l’observateur privilégié de la mise en place de la dictature et de la répression, mais aussi de l’organisation de mouvements de résistance au sein des milieux ecclésiaux. Une expérience qui marquera définitivement le cours de sa vie : à son retour en France, il fonde avec l’aide de quelques amis l’association Dial. Conçue comme une véritable agence de presse, l’association donne rapidement naissance à la revue hebdomadaire du même nom. Dès le début, le choix est fait de laisser la parole à des Brésiliens installés sur place, car plus à même d’évoquer le quotidien sous la dictature, malgré les difficultés liées à la répression et au contrôle de l’information. Pour ce faire, Charles Antoine utilise les nombreux contacts qu’il a gardés de son séjour à São Paulo. Commence alors un travail énorme, ininterrompu depuis, de réception, lecture, sélection, traduction, et même d’impression, que Charles Antoine réalise seul pendant cinq ans - plus tard, l’équipe s’enrichit d’une secrétaire et de bénévoles. Un vrai travail d’artisan !
La publication se présente sous la forme d’articles fouillés, exigeants, sur des questions de fond, relatives à la situation brésilienne, précédés d’un chapeau explicatif rédigé par Charles Antoine lui-même. Très vite, l’extension des dictatures en Amérique latine conduit ce dernier à élargir progressivement l’activité de Dial à l’ensemble de la région, grâce à de nouveaux contacts. Les articles publiés, toujours en relation avec la double problématique initiale de la répression et de la résistance de l’Église catholique, demeurent exclusivement rédigés par des Latino-Américains : ce sera la marque de fabrique de Dial.
La formule plaît. Alors qu’au départ la revue est envoyée à une poignée d’abonnés, très vite le lectorat s’élargit, et atteint en 1983 le cap symbolique du premier millier de lecteurs. A ce propos, Charles Antoine remarque que si la revue a été très favorablement accueillie dans les milieux journalistiques, son impact auprès des politiques ou des syndicats est malheureusement resté assez faible.
Jusqu’en 1995, Charles Antoine poursuit inlassablement sa tâche, chaque semaine. Deux mille documents sont ainsi publiés : « Un travail lourd mais passionnant ». Il décide alors de mettre fin à ses activités à la tête de Dial pour se consacrer à l’exploitation des archives accumulées au cours des trente années précédentes [1].
Une nouvelle formule
C’est le prêtre dominicain Alain Durand qui prendra la relève. De formation théologique et sociologique, le nouveau directeur n’est pas étranger au monde des médias. Il a déjà collaboré à de nombreuses publications aussi diverses que Lumière et Vie, revue théologique, Économie et Humanisme, publication à dominante socio-économique, un journal municipal grenoblois ou encore une revue d’entreprise au sein du groupe Accor.
De nombreux changements suivent son arrivée à la tête de Dial. À commencer par la localisation : l’association quitte son siège parisien de la rue de la Glacière pour s’installer à Lyon. Mais c’est surtout le lancement d’une nouvelle formule qui marque cette passation de pouvoirs. Une nouvelle présentation, plus conforme aux normes de la presse et à l’agrément du lectorat, est lancée. La publication de la revue change également de rythme : elle sera désormais bimensuelle. Enfin, les thèmes abordés s’élargissent : si le développement et la consolidation des démocraties restent des questions fondamentales, désormais les articles retenus mettent davantage l’accent sur les questions de pauvreté, d’inégalité sociale et d’exclusion, mais aussi sur les expériences alternatives de développement, notamment dans les communautés indiennes. Une réorientation qui correspond à la fois à une réalité socio-économique en Amérique latine, où le retour à la démocratie n’a pu inverser la dynamique de progression des écarts sociaux, problématique à nouveau centrale dans le quotidien latino-américain ; et au parcours d’Alain Durand, qui travaille depuis de longues années sur les questions de pauvreté dans le cadre d’une réflexion chrétienne sur le sujet [2].
La nouvelle formule est bien accueillie et le lectorat, malgré les difficultés (budgets publicitaires faibles, vente exclusivement par abonnement), s’accroît sensiblement. Une réussite qu’Alain Durand attribue aussi en grande partie à l’extraordinaire image de marque de Charles Antoine et à la reconnaissance de son travail de pionnier.
Ce succès ne remet cependant pas en cause la poursuite de la mission de l’association, bien au contraire. Pour Alain Durand, deux fac teurs rendent plus que jamais nécessaire le travail des médias spécialisés, en premier lieu la diminution considérable de la part de l’Amérique latine dans les grands médias français. M. Durand attribue ce phénomène avant tout à la normalisation progressive de la vie politique de la région - réduction de la violence rime souvent avec baisse de l’intérêt médiatique -. mais aussi à l’irruption des pavs de l’Est dans les préoccupations des nations européennes dans une perspective d’intégration prochaine à l’UE. Ainsi l’Amérique latine n’apparait plus que par pointillés, de façon souvent anecdotique. Si l’affaire Pinochet a suscité ces trois dernières années une nouvelle vague d’intérêt pour la région, Alain Durand regrette le manque d’approfondissement et de suivi des grands problèmes dans les médias généralistes.
L’autre danger, c’est la dérive folkloriste dans l’approche de l’Amérique latine, à l’heure où la circulation plus aisée des objets culturels permet un accès plus large aux cultures étrangères sans néanmoins en transmettre le fond ou le contexte. Une vision parcellaire parfaitement illustrée par la récurrence des modes latino et tout le romantisme réducteur qui les accompagne.
Ainsi, fournir une information globale et de qualité sur l’Amérique latine demeure une gageure d’actualité, un défi permanent auxquels s’attelle avec enthousiasme l’équipe de Dial. Dans cette perspective Dial organise un Forum à l’École normale supérieure de Lyon, du vendredi 30 novembre à 20 h jusqu’au lendemain soir. Pour Alain Durand, ce forum « est plutôt une occasion de parler de l’Amérique latine qu’une célébration de Dial ». Le but de cette rencontre : provoquer des débats entre des personnalités qualifiées et le public autour de questions significatives de la réalité latino-américaine d’aujourd’hui. Quatre thèmes ont été retenus : mondialisation et néolibéralisme, les problèmes de la terre, les peuples indigènes, enfin la situation et le rôle des Églises. De nombreuses personnalités participeront à cette rencontre, telles que Jacques Chonchol, ancien ministre de l’agriculture du gouvernement de Salvador Allende au Chili, Maurice Lemoine du Monde diplomatique, Chico Whitaker de Justice et Paix, mais aussi Charles Antoine et Alain Durand, entre autres. Après le forum qui concentrera toutes les attentions jusqu’à la fin du mois, d’autres projets sont à l’étude, tels que la tenue plus régulière de réunions et de rencontres, ou encore l’organisation de voyages pour découvrir sur le terrain les réalités latino-américaines.
Informer à temps et à contre-temps
Dial a célébré son trentième anniversaire en organisant à Lyon un Forum sur l’Amérique latine. Le succès fut réel, au-delà de ce que nous pouvions espérer : quelque 250 personnes assistèrent à la conférence inaugurale du vendredi 30 novembre et 200 personnes furent présentes à l’ensemble des débats pendant toute la journée du samedi 1er décembre. Il faut signaler la qualité des diverses interventions qui eurent lieu, dont la quasi-totalité était le fait de Latino-Américains conformément à la tradition éditoriale de Dial. Un climat de grande sympathie et un plaisir évident de se retrouver ensemble autour des questions de l’Amérique latine ont caractérisé cette assemblée. Enfin, cette rencontre a également été celle de générations différentes, puisqu’il y avait le public attendu des " militants " mais aussi une présence remarquée de la nouvelle génération. Dial exprime sa reconnaissance à toutes les personnes qui ont contribué à ce succès, y compris à toutes les institutions qui, comme le Secours Catholique et le CCFD - mais d’autres aussi - ont financièrement soutenu cette rencontre.
La réussite du Forum est à la fois un encouragement et une confirmation pour ceux qui, au quotidien, travaillent à la publication de Dial. Depuis six ans en effet, après la longue période courageusement couverte par Charles Antoine1, un effort important de renouvellement a été accompli, tant sur la forme que sur le fond. Il s’en est suivi un rajeunissement des lecteurs, une croissance du nombre des abonnés, une diversification des questions traitées. Une plus grande insistance a été mise sur les situations relatives aux droits économiques et sociaux, après la période qui avait privilégié à juste titre l’attention aux droits politiques gravement violés par les dictatures en place. Aujourd’hui, ce sont les situations de pauvreté et d’inégalité qui représentent le défi majeur. En ce qui concerne les droits culturels, ils sont pris en compte avec une insistance particulière lorsqu’ils concernent les peuples indigènes, les femmes et les enfants. Quant aux informations sur les positions et la vie des Églises, notamment en matière de solidarité avec les pauvres, elles gardent une place d’autant plus indispensable que Dial reste le dernier périodique français à parler régulièrement de l’Église en Amérique latine. Dial entend bien poursuivre l’effort accompli, car une bonne information reste la condition préalable à toute défense de la dignité humaine. À vrai dire, informer est le premier pas d’une telle démarche. Le travail accompli par Dial est d’autant plus nécessaire que l’information sur l’Amérique latine, dans quelque domaine que ce soit, hormis peut-être ceux de la littérature, du cinéma et de la musique, est devenue excessivement parcimonieuse dans les médias.
Enfin, Dial ne serait rien sans ses lecteurs : c’est donc aussi sur vous tous que nous comptons pour assurer l’avenir. Ce soutien peut se réaliser de diverses façons : par la fidélité de votre abonnement (elle est déjà tout à fait remarquable puisque le taux de réabonnement avoisine les 90 %), par votre souci de mieux faire connaître notre publication et de susciter de nouveaux abonnés, par votre participation au fond de solidarité en faveur des personnes qui ne peuvent pas payer leur abonnement. Pour ceux qui vivent en Amérique latine, leur soutien peut se manifester de façon privilégiée en nous faisant parvenir des informations qui resteraient méconnues dans les pays francophones sans leur initiative.
À tous, merci.
Dial
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2519.
– Source (français) : Espaces latinos , novembre 2001.
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Derniers ouvrages de Charles Antoine : Guerre froide et Église catholique. Le chapitre Amérique latine. Éditions du Cerf, 1999 ; Le Sang des justes. Mgr Romero, les jésuites et l’Amérique latine, Éditions Desclée de Brouwer, 2000.
[2] Derniers ouvrages d’AIain Durand : J’avais faim. Une théologie à l’épreuve des pauvres, Éditions Desclée de Brouwer, 1995 ; La cause des pauvres. Société, éthique et foi, Editions du Cerf, nouvelle édition en 1996.