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DIAL 2520

AMÉRIQUE LATINE - Mondialisation et néolibéralisme en Amérique latine

La Conférence inaugurale de Jacques Chonchol au Forum sur l’Amérique latine

dimanche 16 décembre 2001, mis en ligne par Dial

L’auteur, qui fut ministre de l’agriculture du gouvernement d’Allende, directeur de l’Institut des hautes études sur l’Amérique latine à Paris, et aujourd’hui professeur à l’Université ARCIS à Santiago, présente les conséquences du modèle néolibéral dans les différents pays d’Amérique latine, en insistant sur l’importance du coût social de la mondialisation actuellement en cours.

Texte intégral, dont la conférence donnée à Lyon le 30 novembre a présenté une synthèse.

Novembre, 2001


L’Amérique latine subit depuis deux décennies et pour certains pays comme le Chili depuis le milieu des années 1970, l’impact des politiques néo-libérales imposées partout sous l’emprise du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le résultat de ces politiques a été catastrophique du point de vue social, augmentant la pauvreté d’une large partie de la population et élargissant les inégalités économiques et sociales. Le chômage ouvert et le sous-emploi se sont aussi considérablement accrus. La désintégration sociale s’est accentuée et des crises politiques surgissent dans presque tous les pays.

Nous allons d’abord faire un parcours des principaux problèmes sociaux qui se présentent en ce début du XXIème siècle : l’impact de la pauvreté, les facteurs qui l’influencent, la situation de distribution des revenus, l’évolution de l’emploi productif et des rémunérations, le marché du travail dans les années 1990, l’intégration sociale et les facteurs limitant les opportunités des jeunes, puis nous finirons par un aperçu des tensions politiques qui sont la conséquence des évolutions économiques et sociales précédemment mentionnées.

L’Amérique latine au début du XXIème siècle

À la fin du XXème siècle, l’Amérique latine se trouve au milieu de graves difficultés économiques et sociales qui affectent négativement une proportion élevée de sa population.

La croissance de son économie a été très en dessous du taux estimé nécessaire pour dépasser les retards technologiques et les plus graves problèmes sociaux : pauvreté, chômage, sous-emploi et insuffisance d’intégration sociale. En effet le taux moyen de croissance de l’économie fut seulement de 3,2 % entre 1990 et 1999, ce qui est même inférieur au taux historique des années 1945-80 (5,5 % par an).

D’autre part la plupart des économies régionales montrent une grande vulnérabilité à des flux de capitaux très volatils qui ont aidé à financer les grands déficits du commerce extérieur. Les systèmes financiers latino-américains sont très fragiles et les crises internationales successives se sont gravement répercutées dans les économies avec un coût très élevé pour les finances publiques. Finalement les taux d’épargne et d’investissement ont sérieusement chuté après la crise des années 80, dont la récupération a été très lente dans les années 90.

L’hétérogénéité structurelle qui caractérise les systèmes productifs latino-américains s’est accentuée avec l’élargissement des différences de productivité entre les grandes entreprises qui conduisent le processus de modernisation et le large spectre de petites et moyennes unités où se concentre l’immense majorité de l’emploi. Cela constitue la base matérielle de grandes iniquités sociales du fait de l’accroissement des différences de revenus, mais aussi bloque les possibilités de croissance en limitant les interactions entre les différents systèmes productifs et la diffusion du progrès technologique.

L’impact de la pauvreté

Vers la fin des années 1990 36 % des Latino-américains vivaient en situation de pauvreté et 14 % étaient extrêmement pauvres ou indigents. Même s’il y a eu une certaine diminution de la situation de pauvreté entre 1990 et 1997, celle-ci s’aggrave de nouveau dans les années 1998-99 ce qui a eu comme conséquence qu’en nombre d’individus touchés par la pauvreté la situation est aujourd’hui pire que jamais. En effet 224 millions de Latino-Américains vivaient en situation de pauvreté en l’an 2000.

Dans seulement 2 des 17 pays étudiés par la CEPAL [Commission économique et sociale pour l’Amérique latine, qui est un organe de l’ONU] on observait moins de 15 % de foyers pauvres (Argentine et Uruguay) mais en Argentine la situation s’est considérablement aggravée avec la crise financière de 2001. On estime à la fin de 2001 qu’il y a 15 millions de pauvres sur une population totale de 36 millions. Dans quatre autres pays le niveau de pauvreté se situait entre 15 et 30 % des foyers (Brésil, Chili, Costa Rica et Panama). Un groupe de sept autres pays (Colombie, El Salvador, Mexique, Paraguay, République dominicaine et Venezuela) se plaçaient dans un niveau de 31 a 50 % de foyers pauvres. Finalement la Bolivie, l’Équateur, le Honduras et le Nicaragua présentaient un niveau très élevé de pauvreté avec plus de 50 % des foyers de chacun de ces pays vivant dans cette situation.

Entre 1980 et 1999 la population urbaine en situation de pauvreté augmente de 63 millions à 130 millions. Dans les régions rurales la croissance de cette population pauvre fut très inférieure : de 73 à un peu plus de 80 millions. Ce fait s’explique en partie par la poursuite du processus d’urbanisation et montre aussi la baisse de la qualité de vie dans beaucoup de villes d’Amérique latine. Donc, si aujourd’hui la gravité de la pauvreté est plus grande dans les régions rurales, le nombre des pauvres est beaucoup plus important dans les villes.

Facteurs qui influencent l’augmentation ou la réduction de la pauvreté

Les changements observés en Amérique latine pendant les années 90 dans la situation de pauvreté furent déterminés par un ensemble de facteurs qui ont eu des comportements variables selon les pays. Parmi eux il faut mentionner d’abord le taux de croissance de l’économie car on a observé un rapport évident entre l’augmentation du revenu par habitant et les variations de la pauvreté. Mais ceci ne doit pas faire oublier qu’un même taux de croissance peut avoir des effets différents selon la modalité de cette croissance et surtout selon son impact sur le marché du travail. Par exemple au Chili entre 1990 et 1998 un taux de croissance du PIB de 52 % impliqua une baisse de la pauvreté de 46 %, mais en Uruguay dans la même période un accroissement du PIB très inférieur (26 % par habitant) conduisit a une réduction de la pauvreté plus importante (50 %). La Bolivie et Panama pour leur part eurent dans cette période une croissance du PIB par habitant similaire (autour de 16 %) mais avec une diminution de la pauvreté urbaine très différente (4 % pour la Bolivie et 25 % pour le Panama).

Ceci montre que le rythme de diminution de la pauvreté dans les différents pays s’explique par l’inégale participation des groupes de faible revenu dans l’augmentation du PIB. Cette inégale participation dépend d’un ensemble d’autres facteurs parmi lesquels les plus importants sont : l’accroissement de l’emploi et la réduction du sous-emploi, la réduction du taux d’inflation, les changements dans les prix relatifs des biens et des services et l’augmentation des transferts sociaux.

Les changements dans la structure de l’emploi et des taux de chômage dans les années 90 indiquent que la diminution de la pauvreté a été le résultat de l’incorporation d’autres membres des foyers pauvres à la force de travail, même si dans la plupart des cas la participation du secteur informel dans l’emploi non agricole augmente et que persistent des taux relativement élevés de chômage.

La diminution du rythme d’inflation eut aussi une influence considérable dans la baisse de la pauvreté, particulièrement quand l’inflation rétrograde rapidement depuis des niveaux très élevés, comme ce fut le cas en Argentine, au Brésil et au Pérou et en moindre mesure au Chili, au Mexique et en Uruguay.

Un autre facteur qui contribue a réduire l’effet de la pauvreté est la réduction des prix relatifs des biens et des services, quand celle-ci implique un abaissement du coût de la corbeille de consommation des secteurs populaires. En général ces dernières années les prix des produits de consommation populaire, surtout des aliments, augmentant à un rythme inférieur à celui des autres biens et services, ce qui favorise les groupes à faible revenu.

Finalement il n’y a pas de doute que les transferts publics et privés, particulièrement les retraites et les pensions jouent un rôle considérable dans la réduction de la pauvreté pendant les années 90. L’importance relative de ces transferts dans les revenus des foyers varie considérablement selon les pays de la région. Dans les années 90 il faut mentionner le cas du Brésil où une politique de transferts massifs vers les secteurs de faible revenu des régions urbaines et rurales, surtout dans le période 1990-93, contribua d’une façon significative à la réduction de la pauvreté.

Parmi les facteurs qui influencent l’augmentation et la réduction de la pauvreté il faut signaler aussi ceux qui différencient la pauvreté urbaine de la pauvreté rurale.

Pauvreté urbaine

La considération des caractéristiques associées à la pauvreté indiquent que pour chaque dizaine de foyers urbains pauvres, sept se trouvent dans cette situation à cause des faibles revenus du travail, deux en conséquence du chômage de l’un des membres du foyer et un exclusivement à cause de la forte proportion de mineurs par rapport aux adultes en âge actif. Ceci permet d’affirmer que les politiques orientées vers l’augmentation de la productivité et des revenus du travail (politiques de salaires, de formation et de rééducation, d’appui aux micro-entreprises) contribueront significativement à améliorer la situation de près de 70 % des foyers urbains pauvres.

Même si elle est inférieure à celle qui existe parmi les salariés du secteur privé, l’incidence de la pauvreté parmi les fonctionnaires est aussi élevée même si dans la plupart des pays leurs rémunérations s’améliorent pendant les années 90. Parmi les strates à faible productivité l’insuffisance des revenus est plus fréquente parmi les salariés des micro-entreprises. Avec ceux qui sont occupés dans les services domestiques, ce sont ceux qui montrent les incidences les plus élevées de pauvreté urbaine.

On peut finalement affirmer qu’une proportion importante des salariés du secteur privé a eu une participation précaire au travail, ce qui ne leur a pas permis pas de se retrouver au dessus du seuil de pauvreté, même s’ils travaillent dans des entreprises moyennes ou grandes. De même, à cause des faibles revenus des fonctionnaires, une proportion significative d’entre eux se voit touchée par la pauvreté, ce qui est un obstacle au processus de modernisation et de réforme de l’État. Dans des pays comme la Bolivie, l’Équateur, le Honduras, la République dominicaine et le Venezuela, entre 20 et 40 % des fonctionnaires de l’État vivent sous le seuil de pauvreté. En El Salvador, au Mexique et au Paraguay, c’est le cas de près de 15 % des fonctionnaires.

Pauvreté rurale

Quant à la pauvreté rurale, même si la majorité des pauvres en Amérique latine habite aujourd’hui dans les villes, l’incidence relative de la pauvreté continue à être plus élevée dans les campagnes. Au Brésil, en Colombie, au Mexique et au Venezuela, près de la moitié de la population rurale vit sous le seuil de pauvreté et au Honduras ce pourcentage s’élève à 80 %.

D’autre part dans plusieurs pays la pauvreté est encore surtout rurale (Bolivie, Costa Rica, Équateur, El Salvador, Honduras, Nicaragua, Paraguay et Pérou) et dans d’autres comme la Colombie, le Mexique et la République dominicaine, près de 45 % des pauvres habitent les zones rurales. De plus, il faut signaler que l’extrême pauvreté ou l’indigence se concentre surtout dans les zones rurales.

Les principaux facteurs qui déterminent les situations de pauvreté dans les campagnes sont le manque d’accès à la terre, le taux élevé d’analphabétisme et le faible niveau d’éducation, l’isolement géographique et le manque d’accès aux communications, des technologies inappropriées, la mauvaise qualité des terres cultivées par un grand nombre de petits agriculteurs, la dégradation du milieu et le difficile accès au crédit, aux ressources hydrauliques et aux marchés. Il faudrait ajouter aussi que la croissance démographique d’une population qui dispose de peu de terres et souvent de mauvaise qualité aggrave la prolifération des minifundios et contribue à la poussée migratoire vers d’autres régions ou vers les villes.

Un phénomène qui se fait sentir depuis un certain nombre d’années dans l’aggravation de la pauvreté rurale est la transformation de beaucoup d’emplois permanents en emplois temporaires qui sont particulièrement demandés au moment des récoltes des plantations tropicales ou tempérées mais qui diminuent considérablement dans le restant de l’année. Ceci a produit dans beaucoup de pays une transformation significative du marché du travail rural au détriment des emplois permanents (cas de boias-frias au Brésil par exemple). L’agriculture est aujourd’hui en Amérique latine le secteur de l’économie où l’on retrouve les plus fortes proportion de travaux précaires. Parmi les travailleurs ruraux se retrouvent les taux les plus élevés de travailleurs sans contrat ni sécurité sociale.

D’autre part dans un grand nombre des pays latino-américains pour lesquels on dispose de données, il y a eu dans les années 1990 une augmentation de travail rural non agricole mais lié à d’autres activités (commerce, artisanat, distribution, petite manufacture, services sociaux).

Finalement il faut signaler que malgré les efforts de réforme agraire faits pendant le XXème siècle, la plupart des pays latino-américains montrent encore des taux très élevés de concentration de la terre. L’Amérique latine est la région du monde où la concentration de ce facteur fondamental de la production agricole est le plus élevé. On peut distinguer trois groupes de pays à ce sujet. Un premier groupe est celui qui montre les indicateurs de concentration les plus élevés (Mexique, Chili, Paraguay). Un deuxième groupe montre un degré de concentration un peu moins élevé (Colombie, Costa Rica, Venezuela, Brésil, Argentine, El Salvador et Panama). Le troisième groupe est constitué par l’Uruguay, la République dominicaine, Puerto Rico, la Jamaïque et l’Honduras, avec des indicateurs de concentration un peu plus faibles.

Si dans les décennies de 1960 et 1970 on observe dans la région des efforts de redistribution de terres par des processus de réforme agraire dans lesquels les États jouent un rôle fondamental, ceci disparaît plus tard et on insiste maintenant sur les réformes structurelles par la voie du marché. En fait l’expérience montre que les réformes agraires par la voie du marché ne vont pas au profit des paysans les plus démunis et permettent seulement une redistribution des terre entre producteurs des mêmes strates sociales.

La distribution des revenus

La distribution des revenus n’a pas montré en Amérique latine de changement significatifs ces dernières décennies. Presque tous les pays présentent des degrés très élevés d’inégalité et plusieurs d’entre eux se retrouvent parmi les plus inégalitaires au niveau mondial. Les inégalités n’ont pas diminué même là où le taux de croissance économique a été très élevé (comme au Chili).

La difficulté pour diminuer les inégalités et l’aggravation de celles-ci pendant les périodes de crise a été l’une des caractéristiques permanentes de l’Amérique latine depuis le fin des années 1970.

L’examen des variations dans la distribution des revenus entre 1986 et 1997 montre qu’en quatre pays de la région l’inégalité dans la distribution des revenus de la population urbaine augmente, en quatre autres il n’y a pas eu de changement et dans un cas seulement (l’Uruguay) l’inégalité diminue de façon significative.

L’observation des changements dans la participation au PNB du 10 % des plus riches et du 40 % des plus pauvres a permis d’observer qu’à l’exception de l’Uruguay, les pays qui réussissent à augmenter leur PNB d’une façon significative après la crise et pendant des périodes plus ou moins prolongées, ne diminuent pas les inégalités précédentes. Même en Argentine, au Mexique, au Panama et au Venezuela, s’observe un recul considérable dans la situation de distribution des revenus. Au Brésil, au Chili, au Costa Rica et au Paraguay les différences entre les hauts et les bas revenus furent maintenus.

La croyance que la récupération des nivaux de production ou le début d’une nouvelle période de croissance allait permettre de corriger l’aggravation dans la distribution des revenus pendant les années 1980, ne fut pas confirmée par les faits. Le dynamisme économique enregistré par certains pays latino-américains dans la première partie des années 90 n’a pas signifié une amélioration dans la distribution des revenus. Parmi les 5 pays qui maintiennent un taux de croissance annuel de l’ordre de 5 % ou plus, pour deux d’entre eux la concentration des revenus augmente (ce fut le cas de l’Argentine et du Costa Rica), pour deux autres un degré élevé d’inégalité s’est maintenu (Chili et Panama) et c’est seulement dans le cas de l’Uruguay que se produit une déconcentration du revenu.

Les changements dans la distribution des revenus des foyers urbains tout au long de la décennie des années 1990, montrent une augmentation importante de l’inégalité dans six pays (Argentine, Colombie, Costa Rica, Panama, Paraguay et Venezuela) une augmentation moins importante ou le maintien de l’inégalité dans trois pays (Brésil, Chili et Équateur) et une diminution dans quatre pays (Bolivie, Honduras, Mexique et Uruguay).

Emploi productif et rémunérations

La croissance économique de l’Amérique latine dans les années 1990, bien qu’elle fût plus élevée que dans les années 1980, ne fut pas suffisante pour améliorer les emplois et les salaires. À plus forte raison après la chute de cette croissance dans les années 1998-1999 suite à la crise asiatique. Cette crise fut à l’origine d’une diminution des emplois dans de nombreux pays latino-américains, ce qui rendit la fin de la décennie très négative du point de vue de l’emploi. Le chômage total dans les zones urbaines ne diminue pas jusqu’en 1997, mais continue à augmenter à la fin de la décennie. D’autre part l’emploi dans les secteurs de faible productivité augmente plus rapidement que l’emploi dans le secteur formel, et sur 10 postes de travail créés dans cette période, 7 se trouvent dans le secteur informel. En même temps, dans la plupart des cas, les salaires augmentent moins que la productivité moyenne et les disparités entre les revenus des personnes occupées dans les secteurs formel et informel augmentent.

La situation de l’emploi dans l’économie des années 1990 fut aussi fortement conditionnée par l’augmentation de la force de travail qui fut de l’ordre de 3 % par an, déterminée par l’accroissement de la population en âge de travail et la plus grande intégration des femmes dans les activités économiques.

L’accroissement de l’emploi informel fut le résultat de l’expansion de l’emploi dans les micro-entreprises et dans la catégorie des travailleurs indépendants non qualifiés dans le commerce et les services. Ces augmentations furent aussi accompagnées d’un certain accroissement de l’emploi dans les services domestiques qui tout au long de la décennie continuent à absorber une partie de la rapide ascension de l’emploi féminin. Une estimation de l’emploi faite par la CEPAL montre que sur une augmentation totale de 17,8 millions des personnes employées, 12,4 millions furent incorporées dans le secteur informel.

En bref, au niveau régional, le fonctionnement du marché du travail dans les années 1990 se caractérise par une augmentation du chômage urbain, surtout à la fin de la période, accompagnée dans la majorité des pays par une plus grande importance de l’emploi dans le secteur informel. La diminution des emplois dans le secteur formel fut la conséquence de la diminution des emplois dans le secteur public et d’une croissance lente de la demande de main-d’œuvre de la part des entreprises privées, particulièrement des moyennes et des grandes entreprises.

Évolution des rémunérations

La situation des revenus du travail se caractérise par de bas salaires et un différenciation croissante. Même si, dans les sept premières années de la décennie, il y eut des améliorations dans les revenus moyens de ceux qui étaient occupés dans les régions urbaines, neuf pays sur onze montraient encore en 1997 un retard dans les rémunérations moyennes par rapport aux niveaux de 1980. En Argentine, Bolivie, Brésil, Colombie, Costa Rica, Mexique, Honduras, Uruguay, Venezuela, le revenu moyen par personne employée en 1997 était entre 11 et 50 % plus faible qu’au début des années 1980.

L’amélioration des revenus moyens au début de la décennie fut surtout liée à la réduction du taux d’inflation. Mais à partir de 1996 cet effet favorable fut réduit et à partir de 1998, avec la crise asiatique et ses effets négatifs, la situation des salariés se dégrade bien que l’inflation continue à être très faible.

En bref, le panorama prédominant dans la région au sujet des revenus du travail se caractérise par de lentes améliorations inférieures au rythme de croissance du PNB par habitant et dans la plupart des pays insuffisantes pour récupérer les niveaux existant dans les années 1980. En plus les améliorations enregistrées furent presque sans exception le résultat de l’association de fortes augmentations des rémunérations de ceux qui étaient occupés dans les activités plus dynamiques du secteur moderne, avec une lente croissance et quelquefois une diminution des rémunérations de ceux qui étaient occupés dans le reste du secteur urbain.

Le marché du travail dans les années 1990

Si on fait un bilan général du fonctionnement du marché du travail en Amérique latine pendant les années 1990 on remarque d’abord que la persistance du chômage et l’importance de l’emploi informel montrent d’une façon évidente l’incapacité des économies de la région à absorber ceux qui arrivent sur le marché du travail et en même temps à créer des emplois dans les secteurs à forte productivité et à revenu plus élevé.

Chômage et travail informel

Dans 8 des 16 pays étudiés, le chômage urbain augmente et dans les 8 autres le chômage urbain diminue à cause d’une croissance économique supérieure à la moyenne de la région. Au Chili, au Panama et en El Salvador la croissance du PIB fut supérieure à 5 % par an, ce qui contribue d’une façon évidente à la diminution du chômage. D’autre part 10 des 16 pays maintiennent une augmentation de la population occupée dans le secteur informel, dans trois autres elle reste au même niveau et dans un cas seulement il y a une diminution. Mais tout cela correspond à la période 1990-98. Après, avec les impacts de la crise asiatique, la situation se dégrade encore plus.

La force de travail latino-américaine qui était de l’ordre de 212 millions de personnes à la fin des années 90 avait augmenté de 44 millions de personnes pendant la décennie et représentait en 1999 42 % de la population totale.

En termes absolus la majorité de cet accroissement de la force de travail se trouve aujourd’hui dans les milieux urbains. En effet, des 44 millions additionnels, 93 % se trouve dans les villes. La conséquence en est que les trois quarts de la force de travail régionale (76,3 %) est aujourd’hui urbaine. Dans cette force de travail la proportion des femmes a augmenté, même si elles continuent à être largement minoritaires.

En considérant l’augmentation de la force de travail occupée dans le secteur informel et dans des emplois de faible productivité, l’instabilité dans le travail s’est accrue pendant la décennie. Depuis 1990, le pourcentage des emplois informels dans les régions urbaines a augmenté de 5 points, ce qui représente aujourd’hui près de 20 millions d’individus. Le pourcentage de nouveaux emplois dans le secteur informel a encore augmenté passant de 67 % en 1990-94 à 71 % en 1997-99.

La constante augmentation de la population économiquement active a engendré une très forte pression pour la création de nouveaux emplois. Mais comme la demande de nouveaux emplois n’a pas augmenté d’une façon conséquente le chômage augmente considérablement particulièrement dans les années 1997-1999. Ainsi durant la décennie, 10 millions de nouveaux chômeurs augmentèrent les rangs des non-employés. Ceux-ci représentent 8,6 % de la force de travail totale en 1999 contre 4,6 % en 1990. Cette augmentation du chômage fut particulièrement importante dans les villes où elle passe de 5,5 % à 10,8 % pour l’ensemble de la région pour les mêmes années.

Ce nouveau chômage fut particulièrement grave dans les pays d’Amérique du Sud. En Argentine, Brésil et Colombie, parmi les pays les plus peuplés d’Amérique latine, le chômage augmente considérablement. Il augmente aussi en moindre proportion en Bolivie, au Chili, en Équateur, au Paraguay, en Uruguay et au Venezuela. Au Mexique et dans la plupart des pays d’Amérique centrale par contre, le chômage diminue.

Le manque de dynamisme du marché du travail s’explique en partie par la réduction du rôle de l’État dans la création d’emplois directs et d’autre part par la restructuration du système de production. La participation des secteurs primaire et secondaire dans l’appareil de production a perdu de l’importance au détriment des services du tertiaire. Et dans ce dernier secteur la modernisation technologique de beaucoup de ces services a limité la capacité de créer des emplois.

Chômage et pauvreté

Le chômage continue a être très élevé parmi les couches à faible revenu. Le taux de chômage des 20 % des foyers les plus pauvres est le double du taux de chômage moyen (22,3 % contre 10,6 % en 1999). Ceci contribue d’une façon déterminante aux situations de pauvreté et d’inégalité que nous avons signalées précédemment. Mais l’accroissement du chômage à la fin des années 1990 touche aussi considérablement les classes moyennes. D’autre part la situation de chômage est particulièrement grave parmi les jeunes de 15 à 24 ans qui représentent entre un quart et un cinquième de la force de travail en Amérique latine. Le chômage parmi ces jeunes est le double du taux moyen de chômage (en 1997, 18,5 % contre 9,1 %).

D’autre part dans quelques pays étudiés on observe un prolongement de la période de chômage. On remarque également que le niveau des salaires des personnes qui reprennent le travail après une période plus étendue de chômage diminue par rapport à celui qu’elles avaient auparavant. Dans le cas de l’Uruguay ces diminutions oscillent entre 23 % et 34 %.

Au début du nouveau siècle (2001) les taux de chômage risquent de rester très élevés à cause du ralentissement de la croissance économique.

Rémunération et protection sociale

Quant aux rémunérations pendant la décennie des années 1990, si on prend comme base le salaire minimum de 7 des 16 pays étudiés il y a eu une dégradation, et en 4 d’entre eux (le Mexique, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela) la perte du pouvoir d’achat de ce salaire fut considérable : plus de 20 %. Dans d’autres pays on observe une certaine récupération de ce pouvoir d’achat.

Quant à la protection par la sécurité sociale des travailleurs occupés le résultat de la décennie fut particulièrement négatif. Dans 9 des 10 pays pour lesquels on dispose d’information la proportion des travailleurs non protégés par cette sécurité augmente. Cette augmentation du manque de protection est l’une des caractéristiques de la flexibilisation de l’emploi liée aux réformes des systèmes de travail. L’augmentation des emplois saisonniers ou temporaires implique la perte de la protection sociale et la diminution des niveaux de revenus.

Un dernier aspect à signaler dans la situation du marché de travail dans les années 1990 est l’augmentation des disparités des revenus. La différence entre les revenus des professionnels et des techniciens d’une part et des salariés des entreprises du secteur formel d’autre part augmente dans la plupart des pays, et en moyenne dans la région cet écart augmente de 24 % entre 1990 et 1997. De même, l’écart entre les revenus des salariés plus qualifiés et ceux des micro-entreprises s’est élargi de 28 % pour la même période.

La comparaison entre les revenus du secteur formel et informel au long de la décennie indique que les disparités s’accentuèrent dans les pays qui montraient des taux de croissance économique plus élevés, tandis que ces écarts diminuent dans ceux où le revenu moyen des occupés urbains diminue.

Dans les pays où le taux de croissance fut faible le maintien ou l’augmentation des disparités dans la distribution des revenus ne fut pas le résultat de plus grandes différences entre les revenus des secteurs formel et informel, mais de l’augmentation du chômage, de la diminution des salaires et de la capacité que montrèrent les groupes à hauts revenus, dans la plupart des cas des employeurs, à conserver leur participation dans le revenu global.

Intégration sociale

Dans les années 1970 le discours sur le développement et la modernisation impliquait un processus par lequel les différents groupes sociaux pourraient accéder progressivement aux bienfaits du progrès par leur participation à des emplois modernes plus productifs et avec des salaires plus élevés. En même temps, ils recevraient une meilleure éducation et augmenteraient ainsi leur consommation de biens et de services sociaux qui se diversifieraient constamment. Ce phénomène en lui-même serait incitatif pour une plus grande participation politique. En bref la société moderne de masse impliquait une synchronie entre l’élargissement de la consommation matérielle et l’intégration symbolique des citoyens.

Dans les années postérieures de nouveaux aspects enrichirent le concept d’intégration, parmi lesquels on peut citer l’affirmation culturelle des minorités ethniques, la variable du genre, le problème des nouvelles générations et le renforcement du capital social.

Aujourd’hui il ne semble pas probable que l’informalité puisse disparaître par la génération d’emplois dans le secteur moderne. D’autre part, avec la mondialisation, l’informalité et la précarité d’un grand nombre d’emplois semblent augmenter.

L’information

Les moyens modernes d’information et de communication sont en expansion permanente, ce qui permet une meilleure information de l’ensemble de la population, en même temps que s’accroît l’informalité du travail. En même temps, le niveau élevé d’éducation est récompensé tandis que ceux qui rentrent sur le marché du travail avec une faible éducation restent chômeurs ou ne peuvent accéder qu’à des emplois de faible qualité. Cette dichotomie augmente l’écart des revenus. Finalement le secteur rural traditionnel devient de plus en plus marginal. Tout cela conduit à une plus grande fragmentation sociale.

Certains proposent de rechercher l’intégration par la mobilisation du capital social d’acteurs qui possèdent des traditions communautaires, en augmentant aussi bien la cohésion interne des groupes que leur accès à des biens et des services, ou par la poursuite d’une intégration symbolique par une plus grande intensité des pratiques de communication entre les différents groupes par le biais des nouvelles technologies de l’information. Mais on observe aussi que sur ce plan existe une nouvelle segmentation du champ des communications : l’accès à la télévision internationale par câble et à internet est en train de créer une nouvelle brèche d’information qui s’ajoute à celles qui existent au niveau de l’éducation, des emplois productifs et des revenus.

La consommation

Cette distance entre la consommation symbolique et la consommation matérielle affecte négativement l’intégration sociale. Dans la mesure où la segmentation sociale coexiste avec un élargissement de l’espace communicationnel, les expectatives et les modèles de comportement se trouvent modifiés. Un secteur important de la population incorpore comme scénario quotidien la dissociation entre les meilleures opportunités de consommation et l’accès plus restreint au progrès matériel. En ce sens il est difficile de réconcilier l’intégration matérielle par la redistribution des bienfaits de la croissance avec l’intégration symbolique obtenue par la voie de l’éducation et des moyens de communication de masse.

Si nous considérons la période 1970-1997, on observe une augmentation considérable du nombre de téléviseurs pour 1 000 habitants, une augmentation géométrique des heures de programmation télévisée, en même temps que la population jeune accroît son niveau éducatif en moins de quatre ans. Mais les indicateurs de pauvreté resteront au même niveau qu’au début des années 1980 et les revenus réels de la population urbaine augmenteront modestement dans quelques foyers et diminueront dans d’autres. Ainsi l’accès à la connaissance et à l’information ainsi qu’à la publicité augmente à un rythme tout à fait asymétrique par rapport à celui de l’accès à de meilleurs revenus, plus de consommation et un plus grand bien-être. En bref la brèche entre l’intégration symbolique et la consommation matérielle devient de plus en plus considérable et ceci augmente la frustration des expectatives surtout parmi les jeunes.

Des facteurs de désintégration

D’autres facteurs jouent aussi contre l’intégration sociale, parmi lesquels nous pouvons mentionner la persistance d’importants noyaux de pauvreté coriace parmi des groupes qui manquent des habilités nécessaires pour accéder au travail productif et participer activement à l’échange général de la société, ne disposant pas non plus des réseaux d’appui et des ressources culturelles pour corriger cette situation.

À ceux-ci il faut ajouter les groupes particulièrement d’origine indigène qui souffrent de la discrimination ethnique et qui constituent 8 % de la population de la région, quelque 33 à 35 millions de personnes. Il faudrait aussi ajouter à ces population indigènes, dans beaucoup de pays, des groupes d’origine africaine car il existe d’importantes différences dans les revenus auxquels peuvent accéder les Noirs et les mulâtres par rapport aux population d’origine plus européenne.

Un autre facteur de désintégration est la qualité du chef de famille. En général, quand le niveau d’éducation de celui-ci est faible, les fils ont tendance à reproduire cette situation en perpétuant le cercle vicieux de la pauvreté. De même les familles dont le chef du foyer est une femme tendent à reproduire l’exclusion et les inégalités à cause du manque de sécurité, de protection et de la faiblesse des revenus.

Finalement, à tout ce qui vient d’être signalé il faudrait ajouter comme obstacle à une plus grande intégration la persistance d’un taux de chômage élevé, l’insuffisance de participation à la vie politique et la fragmentation urbaine et rurale avec la forte ségrégation résidentielle qui caractérise encore l’Amérique latine et qui conduit souvent a l’existence d’une violence urbaine considérable.

Facteurs limitant les opportunités de bien-être des jeunes Latino-Américains

Les possibilités de bien-être de la population dépendent d’une façon importante du développement des enfants et des jeunes qui sont à leur tour conditionnés par la situation nutritionnelle et de santé générale, par les conditions de logements, par la capacité économique du foyer, le milieu éducatif et le type de famille à l’intérieur de laquelle ils se développent et spécialement par la possibilités d’accès au système éducationnel.

Mais en Amérique latine on observe aujourd’hui quelques facteurs économiques et sociaux qui limitent depuis l’adolescence les possibilités de bien-être des futurs citoyens. Ceux-ci déterminent d’une façon significative les possibilités d’accès et les résultats de l’éducation primaire, ils influencent le travail des enfants et des adolescents, définissent de bonne heure les futures possibilités de travail et, dans le cas des filles, influencent les perspectives de vie par des maternités précoces.

Cet ensemble de facteurs est à l’origine de la reproduction intergénérationnelle des inégalités. Voyons d’abord les insuffisances et inégalités dans l’acquisition du capital éducatif.

Le problème de l’éducation

Dans les années 1990 les pays latino-américains ont obtenu des niveaux très élevés d’accès à l’éducation primaire et d’achèvement de ce cycle d’études. Malgré cela d’importants retards persistent et notamment dans les régions rurales. En effet dans la plupart des pays entre 5 et 10 % des enfants mineurs des régions rurales ont un accès tardif à l’éducation primaire ou en sont exclus. Dans les régions urbaines par contre l’accès est de plus en plus universel et autour de 70 % des enfants finissent le cycle primaire.

Persistent nonobstant des insuffisances du point de vue de l’acquisition du capital éducatif qui augmente au fur et à mesure que s’élève le degré d’éducation : un pourcentage élevé d’enfants doivent redoubler les deux premiers degrés d’éducation primaire et une plus forte proportion ne finit pas les quatre premiers degrés. En moyenne 13 % des enfants urbains et 33 % des ruraux ont deux années de retard à la fin du second degré de l’école primaire. Ceci est particulièrement visible parmi les familles les plus pauvres. Dans les 25 % des foyers les plus pauvres, le taux de redoublement est six fois plus élevé que dans les 25 % des foyers les plus riches. Voyons ensuite l’impact du travail des enfants dans la définition des futures possibilités.

Le travail des enfants

Dans la plupart des cas le travail des enfants trouve son origine dans les situations de pauvreté vécues par des segments importants de la population. Parmi ses causes fondamentales il faut signaler le chômage et le sous-emploi, la précarité des revenus et l’inégale distribution des biens et des services sociaux, ce qui détériore la qualité de vie des familles.

À l’origine le travail des enfants était associé aux économies agricoles de subsistance dans lesquelles il représentait une contribution complémentaire au revenu familial. Avec le progrès de l’urbanisation cette modalité de travail familial a été à l’origine de nouvelles formes de travail liées aux opportunités d’emploi en dehors du foyer, d’une façon permanente ou ponctuelle. La modalité la plus négative pour l’avenir des enfants est le travail salarié dans lequel ils sont employés comme main-d’œuvre bon marché à la place des adultes.

Malgré le fait que pour des raisons légales ou culturelles le travail des enfants est souvent caché, en 1997 on estimait que 22 % des enfants adolescents entre 13 et 17 ans étaient occupés dans des activités rémunérées, ce qui leur faisait abandonner les études. Comme l’importance de ce phénomène augmente avec l’âge des enfants, le pourcentage de ceux qui travaillent s’élèvera à 27 % pour ceux qui sont âgés de 15 à 17 ans.

Le travail des enfants constitue un apport important dans le cas des foyers les plus pauvres. Pour les 25 % des foyers de moindre revenu il représente près de 30 % du revenu familial.

En règle générale la rentrée précoce des enfants sur le marché du travail implique l’abandon de système éducatif et cela se paie plus tard quant à la qualité des futurs emplois. Par ailleurs, les nouveaux foyers que créeront ces enfants se caractérisent par un climat éducatif déficient, des familles nombreuses et des revenus du travail insuffisants ; il s’en suit que les opportunités éducationnelles de leurs enfants seront de moindre qualité.

Un troisième facteur limitant les opportunités de bien-être des jeunes latino-americains est la maternité des adolescentes.

La maternité des adolescentes

Un facteur largement reconnu comme facteur de reproduction de la pauvreté, d’aggravation des conditions de vie et de limitation des opportunités de futur bien-être, est celui de la maternité des adolescentes. Ce phénomène est le résultat de comportements sexuels liés a un déficit de conditions économiques, sociales, éducationnelles et psychologiques et conduit normalement à quatre situations, chacune avec ses conséquences : l’avortement, la condition de mère célibataire, le mariage forcé ou l’abandon des nouveaux nés. N’importe laquelle de ces situations conduit à des risques biologiques connexes : les adolescentes sont plus vulnérables aux complications de la grossesse, à une naissance prématurée, à des enfants de faible poids à la naissance et à une plus grande morbidité et mortalité de la mère ou du fœtus. L’enfant nouveau né est davantage menacé de sous-nutrition et son développement après la naissance est un processus à haut risque.

La maternité des adolescentes est accompagnée aussi de risques sociaux : avortement et abandon des enfants, manque d’accès au contrôle prénatal, abandon des études, incorporation précoce au marché du travail, situation familiale instable et déficits dans le processus de socialisation des enfants.

Dans tous les pays où le phénomène a été étudié on observe une tendance évidente à ce que la maternité des adolescentes soit proportionnellement plus élevée dans les groupes de faible revenus. Ceci contribue à la reproduction des inégalités intergénérationnelles.

Tensions politiques et sociales qui sont la conséquence des évolutions économiques et sociales analysées

Tout ce qui a été signalé précédemment : l’évolution négative de l’emploi productif et des rémunérations, la dégradation du marché du travail, l’accroissement des inégalités et l’aggravation de la pauvreté, a été subi par la population d’Amérique latine dans un climat de luttes sociales et politiques d’intensité diverse selon les pays et les régions. Ces luttes ont engagé différentes catégories de la population : les secteurs indigènes dans certains pays, la paysannerie dans d’autres, les populations urbaines et les forces syndicales ailleurs. Il serait interminable d’essayer de revoir toutes les réactions qui ont affecté à différents moments les populations de divers pays : l’Argentine, la Bolivie, l’Équateur, le Pérou, le Venezuela, le Paraguay, l’Uruguay, la Colombie, le Mexique, les pays d’Amérique centrale, le Brésil, le Chili, etc. Nous nous bornerons à citer quelques exemples.

Argentine

L’un des pays les plus touchés par la crise économique et sociale est l’Argentine qui était autrefois le pays le plus riche et de plus grand bien-être pour l’ensemble de sa population de toute l’Amérique latine. Un rapport de la Banque mondiale de mars 1999 indique que 36 % des Argentins (13 357 000 personnes) n’avaient pas de revenus leur permettant d’acheter un panier alimentaire minimum et que 8,6 % (3 180 000 personnes) étaient indigents et ne disposaient même pas du minimum de calories indispensables. Les pourcentages de population avec des revenus insuffisants étaient de 30 % dans le Grand Buenos Aires, de 48 % dans les régions de Mendoza et San Juan, de 56 % dans la région Nord-Ouest et de 57 % dans la région Nord-Est. Le rapport signalait aussi que dans les cinq dernières années précédant 1999, le nombre de pauvres avait augmenté de 4,1 millions de personnes tandis que celui des indigents de 1,5 million.

Jamais auparavant l’Argentine n’avait reçu autant de investissements étrangers directs, jamais la dette externe de l’État n’avait été aussi élevée, jamais les dépenses publiques n’avaient été aussi considérables, jamais la productivité n’avait autant augmenté, jamais les récoltes et les produits de base ne furent aussi abondants, et pourtant jamais le nombre des pauvres n’a été aussi élevé.

En 1996, la dette extérieure de l’Argentine représentait 40 % du PIB (105 000 millions de dollars) et pour la fin 2001 elle est estimée à 53 % du PIB (170 000 millions de dollars).

En novembre 2000, les centrales syndicales appellent à une grève générale qui paralyse une grande partie du pays pour 36 heures pour protester contre la politique d’austérité imposée par le gouvernement du président De la Rua à la demande du FMI. Ceci au moment même où l’on trouvait 4 millions de chômeurs et quelque 15 millions de pauvres sur une population de 37 million d’habitants.

En août 2001 les ouvriers, les chômeurs et les fonctionnaires installèrent des campements sur les différentes routes d’Argentine qui furent bloquées pendant 3 jours pour protester de nouveau contre les politiques économiques gouvernementales. Ces mobilisations coïncident avec des grèves de fonctionnaires et d’enseignants demandant que les revenus des fonctionnaires et des retraités ne soient pas amputés de 13 %.

Dans le Grand Buenos Aires où vivaient en 2000 12 millions de personnes (33 % de la population du pays), entre mai 1999 et mai 2000 la pauvreté a augmenté de 27 à 31 %, touchant 500 000 personnes de plus. On estime que cette augmentation de la pauvreté affecte surtout les classes moyennes qui s’appauvrissent rapidement.

Les réformes économiques néolibérales ont déclenché en Argentine comme dans d’autres pays de la région une puissante vague d’émigration. On estime que, dans les six premiers mois de 2001, 60 000 Argentins sont arrivés à Miami et plus de la moitié d’entre eux ne sont pas allés faire du tourisme. Tous les jours Buenos Aires se réveille avec, devant les ambassades européennes, de longues files de jeunes argentins voulant émigrer. Pendant la grande période de migration comprise entre 1821 et 1932 l’Argentine a accueilli pratiquement la moitié des 12 millions de d’Européens qui avaient choisi l’Amérique latine. Aujourd’hui le mouvement se fait en sens inverse.

La nouvelle économie néolibérale a produit en Argentine une énorme dégradation de la classe moyenne. Pendant les dix dernières années quelque 35 000 petites et moyennes entreprises du secteur industriel et agricole ont été contraintes de mettre un terme à leurs activités. D’autre part les privatisations des secteurs de l’électricité, de la téléphonie et du système de santé, ont supprimé des milliers de postes de travail de niveau moyen et le pourcentage de leurs revenus que les familles argentines doivent payer pour leurs services de base a doublé.

L’instabilité et la crise économique et sociale touche aussi sérieusement aujourd’hui les pays andins : Venezuela, Colombie, Équateur, Pérou et Bolivie. Des institutions démocratiques fragiles, une considérable inégalité sociale, des réformes économiques qui n’ont pas été couronnées de succès et la perte de crédit de la classe politique sont des caractéristiques qui se répètent avec plus ou moins d’intensité dans chacun de ces pays. Si on ajoute à cela le rôle des Forces armés sur le plan politique, l’existence d’une contestation significative, le trafic de la drogue, la corruption des pouvoirs publics, la violence urbaine et rurale et la faiblesse des partis politiques, la situation devient très explosive.

Équateur

Les révoltes indigènes en Équateur en avril 2000 furent un pâle reflet des événement de janvier quand fut renversé le président Jamil Mahuad par un coup d’État propulsé par le mécontentement de la population indigène et des groupes militaires face à l’imminente dollarisation de l’économie. La conséquence de cela fut l’établissement d’une démocratie très faible avec un président – l’ancien vice-président de Mahuad, - Gustavo Noboa, sous tutelle des militaires et une crise économique non résolue.

En février 2001 des millions d’indigènes se mobilisèrent pour demander un changement de la politique économique. Le détonateur fut la hausse de 25 % du prix de l’essence, de 100 % de celui du gaz liquide et de 75 % du prix des transports publics décrétées par le gouvernement afin de renégocier la dette avec le FMI et la Banque mondiale. Les mesures recommandées par ces deux institutions étaient considérées comme le seule solution à la crise économique existante avec une inflation de 91 % et un déficit fiscal de plus de 11 200 millions de dollars. Mais on semble avoir oublié que 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. De plus, afin de regagner la confiance des investisseurs, le gouvernement de Noboa accepte de changer le monnaie locale, le sucre, par le dollar. Cette dollarisation n’a apporté aucun soulagement à la situation de la population qui de plus a été heurtée dans sa fierté nationale. L’instabilité sociale et politique continue donc, en 2001, à menacer le gouvernement Noboa. L’Équateur est en train de vivre actuellement le mouvement de migration le plus explosif de la région et l’un des plus dramatiques de toute son histoire. Cette vague a dépassé toutes les prévisions de ce pays de 12 millions d’habitants qui vit sa plus importante récession depuis 70 ans avec une chute de PIB de 8 % en l’an 2000 et une inflation annuelle de pratiquement 100 %. Depuis la dollarisation de l’économie en 2000, entre 1,1 et 1,2 million d’Équatoriens ont quitté le pays, soit 10 % de la population.

Bolivie

Des soulèvements se sont aussi produits en Bolivie qui, à la différence de l’Équateur, semblait avoir réussi ses réformes économiques sous l’administration du président Hugo Banzer. Mais en avril 2000 le gouvernement dut imposer l’état de siège et changer le cabinet ministériel pour faire face aux demandes des producteurs de coca, des paysans, des policiers et d’autres groupes sociaux.

Mais les conflits sociaux se prolongent. Et en avril 2001 encore une fois les paysans producteurs de coca firent de nouveau une marche de près de 400 km jusqu’à la capitale, La Paz, demandant la fin de l’éradication de cette culture qui est leur principal gagne-pain et le changement des lois agraires. En arrivant à La Paz ils furent rejoints par des professeurs, des petits commerçants et autres groupes qui protestaient aussi, pour d’autres raisons. Les forces de l’ordre durent intervenir encore une fois pour dissoudre la manifestation. Dans le courant de l’année 2001 le président Banzer démissionna pour raisons de santé et fut remplacé par son vice-président. La Centrale ouvrière bolivienne (la COB), puissante organisation syndicale, demande avec une force croissante un changement du modèle économique avec la fin des privatisations des entreprises publiques et l’augmentation des salaires.

Pérou

Au Pérou, le président Alberto Fujimori qui avait été réélu en l’an 2000 dans une élection très contestée et pleine d’irrégularités, dut démissionner quand furent connues de l’opinion publique des vidéos de celui qui était son bras droit, Vladimiro Montesinos, dans lesquelles on le voyait soudoyer des membres du Parlement. Il dut se réfugier au Japon et son ancien opposant Alejandro Toledo fut élu pour le remplacer.

La situation économique et sociale du pays est désastreuse. Plus de la moitié de la population péruvienne se trouve sous le seuil de pauvreté, les salaires ont chuté et une grande partie de la force de travail se trouve dans le secteur informel. Selon l’enquête faite en décembre 2000 sur le niveau de vie entre 1997 et 2000, le pourcentage de pauvres est passé de 50,7 % à 54,1 %. Cela veut dire que 12 des 25 millions de Péruviens n’ont pas les moyens de couvrir leurs besoins de base et que 15 % des Péruviens vivent dans l’extrême pauvreté.

Colombie

Parmi les situations conflictuelles que l’on retrouve dans les pays andins, la plus grave est celle qui affecte la Colombie. Dans ce pays la guérilla d’une part, avec son action qui se prolonge depuis de longues années, et les contra d’autre part, mettent en échec le gouvernement actuellement dirigé par le président Andrés Pastrana.

Bien que depuis 1998 des négociations de paix aient été engagées par le gouvernement et le plus important des groupes guérilleros, celui des FARC, celles-ci n’ont pas encore abouti et la violence se prolonge dans diverses zones du pays.

D’autre part le gouvernement Pastrana veut appliquer ce qu’on appelle « Le Plan Colombie », une initiative pour en terminer avec les plantation illégales de coca, qui doit se faire avec l’appui financier des États-Unis, et leur contribution en armes. Ceci fait craindre à beaucoup, ainsi qu’aux pays voisins, une recrudescence du conflit avec la guérilla qui a fait 35 000 morts depuis 10 ans et qui pourrait s’étendre aux territoires des pays limitrophes.

L’instabilité qui règne en Colombie depuis quelques décennies a contribué aussi à développer un très fort courant de migration. Quelque 800 000 Colombiens vivent aujourd’hui aux États-Unis et un million au Venezuela, pays voisin. Cet exode touche aujourd’hui beaucoup de jeunes adultes hautement qualifiés, ce qui appauvrit le pays, environ 15 000 d’entre eux ont quitté dernièrement le pays pour l’Europe ou le Canada. Ce sont surtout des cadres, des techniciens et des personnes hautement qualifiées.

La situation socio-économique de la Colombie n’est pas aussi négative que celle des autres pays andins, mais à cause de l’incertitude les investissements de développement se réduisent considérablement.

Venezuela

Le dernier des pays andins, le Venezuela, est dirigé depuis février 1999 par le président Hugo Chávez qui doit faire face à de graves problèmes sociaux : chômage qui touche de 15 à 18 % de la force de travail, dégradation des services publics de santé et d’éducation et pauvreté qui touche près de 80 % des 23 millions de Vénézuéliens.

La première initiative de Chávez fut d’appeler à un référendum pour changer la Constitution, ce qu’il obtint, ainsi que l’immense majorité de la nouvelle Assemblée. Maintenant il doit affronter les graves problèmes économiques et sociaux du pays, ce qu’il semble vouloir faire à partir de 2001 en ayant comme atout une meilleure situation économique grâce à la hausse du prix de pétrole - qui a chuté de nouveau fin 2001. Mais la communauté des entrepreneurs se méfie de sa politique et ne lui fait pas confiance.

Si nous passons de l’Argentine et des pays andins aux autres pays d’Amérique latine et si nous observons la réalité socio-économique ou politique, la situation se présente pleine de tensions et d’incertitudes un peu partout. À cela il faut ajouter l’impact économique des phénomènes naturels comme les tremblements de terre et les sécheresses.

Sécheresse et catastrophes naturelles

La sécheresse affecta en 2001 le Nord-Est du Brésil où plus d’un million de personnes manquent de nourriture à cause des récoltes perdues. En juin, près de 770 municipalités sur un total de 1 785 dans

 


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2520.
 Traduction Dial.
 Source (français) : conférence donnée à Lyo, novembre 2001.
 
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