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DIAL 3256

HONDURAS - Déclaration du diocèse de La Ceiba sur l’extractivisme

mercredi 9 octobre 2013, mis en ligne par Dial

Dans le prolongement des textes déjà publiés sur la problématique de l’extractivisme [1] et avant d’en publier encore quelques autres dans les numéros qui suivent, voici la prise de position du diocèse de la Ceiba sur les projets d’exploitation minière qui se multiplient dans la région, malgré l’opposition et les luttes des populations affectées. Déclaration datée du 26 juin 2013 et publiée sur le site Amerindia en la red.


L’Assemblée diocésaine, qui s’est tenue le 1er juin 2013 dans la paroisse de San Isidro, en présence de quelque 120 agents de pastorale de toutes les paroisses, a donné mandat au diocèse de la Ceiba de se prononcer sur la problématique de l’extraction minière dans tout le département et plus concrètement dans le secteur Florida, de la paroisse Nuestra Señora del Pilar de Arizona. En accomplissement de ce mandat, le diocèse de la Ceiba porte à la connaissance de tout le Peuple de Dieu, de toutes les personnes de bonne volonté, des autorités et citoyens en général, nos positions qui sont les suivantes :

I.- Nous croyons fermement que…

1.- Notre terre est création et don de Dieu. C’est pourquoi nous devons la traiter avec respect. Nous, les êtres humains créés à l’image de Dieu (Gen 1,26), sommes appelés à être des administrateurs responsables des biens de la création ; nous sommes appelés à « garder et cultiver » (Gen 2,15).

2.- Jésus a, en paroles et en actes, annoncé que Dieu est le Dieu de la Vie (Jn 10,10). La fidélité à l’Évangile exige de nous que nous contemplions la vie comme don de Dieu dans toute la création. Cette dimension intégrale et interdépendante de tout le créé engage la responsabilité humaine.

3.- Il existe un lien étroit entre suivre Jésus et la mission. « La mission évangélisatrice ne peut être séparée de la solidarité avec les peuples et de leur promotion intégrale » (DA 545) [2]. Donc « les conditions de vie de nombreux laissés-pour-compte, exclus et ignorés dans leur misère et leur douleur, contredisent le projet du Père et interpellent les croyants pour que ceux-ci s’engagent davantage en faveur de la culture de la vie. Le Royaume de Vie que le Christ est venu apporter est incompatible avec ces situations inhumaines. Si nous prétendons fermer les yeux face à ces réalités, nous ne sommes pas les défenseurs de la vie du Royaume et nous nous trouvons sur le chemin de la mort. » (DA 358).

4.- Vivre selon l’Esprit de Jésus nous appelle à réaffirmer l’option pour les pauvres, les vulnérables et les exclus, les destinataires préférés du Royaume et les premières victimes des effets négatifs du modèle socio-économique en vigueur et des désastres naturels consécutifs au changement climatique global.

II.- Nous souhaitons faire la lumière…

5.- Nous n’avons pas le droit d’exploiter les ressources de la terre, « en anéantissant de façon insensée les sources de vie » (DA 471).

6.- La Doctrine sociale de l’Église souligne qu’« une conception correcte de l’environnement ne peut réduire la nature, par utilitarisme, à un simple objet de manipulation et d’exploitation » (CDSI 463). Au contraire, l’intervention de l’être humain dans la nature doit être régie par le respect des autres personnes et de leurs droits et par le respect des autres créatures vivantes (CDSI 459) [3]. Cela implique aussi la responsabilité envers les générations futures, afin qu’elles puissent hériter d’une terre habitable.

7.- Nous réaffirmons la nécessité de préserver la planète Terre comme « maison commune » de tous les êtres vivants. Le Bienheureux Pape Jean-Paul II nous a avertis des risques que comporte cette manière de considérer la planète uniquement comme une source de richesses économiques : « …l’environnement vu comme “richesse” met en danger l’environnement vu comme “maison” » (CDSI 461). Pour cette raison, il est indispensable d’évaluer le coût à long terme des activités extractives.

8.- En ce qui concerne les activités des industries extractives et l’usage des ressources naturelles non renouvelables, il faut garder à l’esprit le principe de la destination universelle des biens de la création, spécialement les ressources d’importance vitale comme l’eau, l’air, la terre. C’est le principe fondamental de tout l’ordre éthico-social (Laborem Exercens, 19) [4].

9.- Un autre principe fondamental de la Doctrine sociale qui guide l’Église dans son engagement pour promouvoir un développement intégral et durable, est le principe du bien commun. « Désirer le bien commun et y travailler est une exigence de justice et de charité » (Caritas in veritate n° 5) [5]. La Doctrine sociale rappelle aussi que « l’Église a une responsabilité envers la Création et elle se sent obligée de l’exercer également dans le domaine public, pour défendre la terre, l’eau et l’air, dons de Dieu à tous, et protéger la personne humaine » (Message pour la Journée mondiale de la Paix 2010, n° 12).

III.- Nous nous préoccupons et nous refusons…

10.- L’avalanche de projets miniers dans notre département d’Atlántida : selon nos informations, ils se chiffrent à plusieurs dizaines, et proposent d’exploiter des zones de grande valeur écologique. Atlántida jouit d’une beauté naturelle incomparable, avec 12 zones protégées sous forme de parcs nationaux, qui représentent 40% de son territoire ; c’est la région du pays qui a la plus grande production d’eau, elle possède un littoral propice au tourisme et des chaînes de récifs de corail. Voulons-nous mettre en péril toute cette beauté, cette richesse ?

11.- L’impact sur l’environnement que tous ces projets provoqueraient et les conséquences négatives pour la vie des communautés. Jusqu’à présent, nous n’avons pas de preuve et d’évidences manifestes qu’aient été réalisées des études d’impact environnemental avec la participation des personnes affectées. Le manque d’information à ce sujet nous fait soupçonner le manque de crédibilité de ces supposées études d’impact environnemental. Nous ne pouvons pas nous engager, au nom du développement, sur un chemin qui nous apporterait plus de préjudices que de bénéfices.

12.- Le manque de transparence et le culte du secret avec lesquels sont réalisés ces processus de concessions, sans informer, dans la dissimulation vis-à-vis des communautés qui se verront gravement affectées. À celles-ci, on veut imposer la réalisation de ces projets sans qu’elles aient été consultées, sous prétexte que « les permis existent » et que « c’est légal ». Peut-on réaliser ces projets sans prendre en compte l’opinion des communautés ? En tant qu’Église nous disons que c’est impossible et nous rejetons cette atteinte aux droits humains personnels et collectifs.

13.- Les agissements de la police et des forces de sécurité de l’État, qui sont partiales et favorisent ceux qui manient le capital, les influences et les volontés. Nous ne croyons pas que la police agisse en l’occurrence pour protéger la population, qui a toujours été pacifique, mais pour favoriser un groupe, allant jusqu’à transgresser les limites légales et leur propre devise de « protéger et servir ». Pourquoi la présence d’éléments Cobras [6] dans la zone avec une attitude provocatrice à l’égard de la population qui a vécu pacifiquement sans présence policière ? Nous refusons que ce soit l’État qui provoque, avec ses forces de police, la population du secteur. Cette devise des éléments Cobras nous inquiète : « Vaincre ou mourir » ; vaincre qui ?

14.- Les agissements des autorités locales qui n’œuvrent pas dans la transparence puisqu’elles dénient au peuple le droit de décider. Pourquoi n’a-t-il pas été possible d’organiser une consultation populaire pour que ce soit la population qui décide ? Pourquoi donne-t-on des permis d’opération sans tenir compte de l’opinion des communautés directement affectées ? Pourquoi nos autorités tournent-elles le dos au peuple qu’elles doivent servir en recherchant le bien commun ? Pourquoi cette distance, ce manque de communication fluide avec ceux-là mêmes qu’elles représentent ?

IV. Nous proposons et défendons…

15.- En accomplissement de sa mission de travailler à la réconciliation et à l’unité, au respect de la dignité de chacun et au bien commun (cf. LG 1) [7], l’Église poursuit sa promotion d’un dialogue ouvert et transparent entre les différents acteurs de la société qui sont impliqués dans les conflits socio-environnementaux. De cette manière, l’Église désire aider en tout cas à freiner l’escalade des conflits, à éviter les dénouements violents et à trouver une solution juste et durable.

V.- Nous demandons et espérons

16.- L’Église diocésaine de la Ceiba exige de l’État qu’avant d’autoriser le début de n’importe quelle activité minière :

  • Qu’il garantisse la consultation populaire préalable, en facilitant la participation des représentant(e)s des peuples et communautés affectées à la prise de décisions concernant la possible réalisation des dits projets.
  • Que les Études d’impact environnemental soient sérieuses et fiables, établies avec la participation des communautés affectées.
  • L’Église exige aussi de l’État qu’au travers de l’autorité minière il informe de façon adéquate la population sur les résultats de l’étude.

17.- L’ouverture d’un dialogue dans le secteur et dans tout le département pour s’accorder sur les voies du développement équitable, humain et durable. Nous soutenons la vocation touristique d’Atlántida fondée tant sur ses plages que sur ses montagnes, l’investissement dans des systèmes agroforestiers, dans la pêche, l’agriculture et l’élevage, l’artisanat… L’exploitation minière est-elle l’avenir d’Atlántida ? Nous ne le croyons pas et nous savons qu’il faut chercher de manière consensuelle d’autres alternatives viables, plus humaines et durables.

VI.- Nous dénonçons…

18.- La pression inhumaine à laquelle sont soumises les communautés du secteur Florida et particulièrement la communauté de Nueva Esperanza, municipalité de Tela, paroisse d’Arizona, Atlántida.

19-. L’introduction d’armes de gros calibre dans le secteur. Tout cela avec la permission et la connivence de la police de la zone pour faire taire la voix des communautés qui résistent à l’imposition par la force d’un projet menaçant leur avenir.

20.- La présence d’hommes fortement armés dans la zone, amenés de l’extérieur du secteur, qui menacent tous les opposants au projet avec des pratiques de sicaires.

21.- Les menaces et pressions sur les leaders communautaires qui nous donnent des leçons d’intégrité et d’honnêteté avec leur foi et leurs valeurs d’amour du vivant.

22.- La stratégie de division et d’affrontement entre les habitants. Les stratégies mafieuses consistant à semer le chaos et la méfiance chez les gens grâce à des « informateurs », des « oreilles », etc.

23.- La diffamation et les menaces dont est l’objet le Père César Espinoza et l’équipe missionnaire d’Arizona, de la part d’entrepreneurs sans scrupules et des groupes sous leur influence. En tant qu’Église de La Ceiba nous soutenons le travail pastoral réalisé à partir de la paroisse d’Arizona, et fondé sur l’engagement avec les plus pauvres – selon la riche doctrine sociale de l’Église –, accompagnant un peuple qui lutte pour le droit à la vie et le bien commun de la population.

VII.- Nous rendons responsables…

24.- Nous ne souhaitons pas qu’on en arrive à la violence dans la zone… mais si elle se produit à partir de maintenant, nous en imputons la responsabilité :

  • aux entrepreneurs impétueux et pressés, prêts à n’importe quoi pour exploiter la zone contre la volonté des habitants, montrant ainsi leur imprudence et leur arrogance,
  • aux responsables des forces de sécurité de l’État, pour donner des ordres qui attentent à la sécurité et à la vie du peuple simple et pacifique,
  • aux policiers qui obéissent aux ordres d’agir contre leur propre peuple en servant des intérêts privés,
  • aux autorités locales pour n’avoir pas su informer et consulter le peuple de manière transparente…

VIII.- Nous offrons…

25.- En tant qu’Église, de poursuivre l’effort en faveur du processus de dialogue entre toutes les parties et de nous attacher tous à ce qui est juste, ce qui ne coïncide pas toujours avec les lois promulguées.

Nous demandons à Saint Isidore Laboureur, amoureux de la terre et patron de notre diocèse, et à Saint François d’Assise de nous illuminer tous pour trouver la solution la plus sage à ces problèmes que nous affrontons. C’est à eux que nous nous confions.

Fait dans la ville de La Ceiba le 26 juin 2013,

Mons. Michael Lenihan, O.F.M.P., évêque du diocèse de La Ceiba
Francisco Sánchez Argueta, vicaire général du diocèse de La Ceiba
P. René Flores Pineda, chancelier du diocèse de La Ceiba
P. Victor Cámara Cámara, vicaire épiscopal de pastorale.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3256.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : Amerindia en la red.

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[2DA fait référence au Document d’Aparecida dont le titre complet est : Document conclusif de la Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et de la Caraïbe à Aparecida – NdT.

[3CDSI est mis pour Condensé de la Doctrine sociale de l’Église – NdT.

[4Laborem exercens est une encyclique de Jean-Paul II promulguée le 14 septembre 1981 – NdT.

[5Caritas in veritate est une encyclique de Benoît XVI promulguée le 7 juillet 2009 – NdT.

[6Les Cobras sont un groupe d’élite de la police nationale hondurienne ; ce sont des francs-tireurs, entraînés aussi à la lutte anti-émeute et aux opérations spéciales – NdT.

[7LG est mis pour Lumen Gentium, l’une des 4 Constitutions conciliaires de Vatican II, consacrée à l’Église, promulguée le 21 novembre 1964, sous le pontificat de Paul VI – NdT.

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