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DIAL 3282
GUATEMALA - Les autorités q’eqchi’ de Tezulutlán présentent leur opposition à la centrale hydroélectrique devant les Nations unies
Gustavo Illescas
mardi 20 mai 2014, mis en ligne par
Les deux premiers textes de ce numéro ont été publiés sur le site du Centre de médias indépendants du Guatemala et se font l’écho des luttes de communautés indiennes contre le projet de construction d’une centrale hydroélectrique qui affecterait leur existence. Le premier texte reprend dans son intégralité une conférence de presse donnée par le Conseil des villages de Tezulutlán « Manuel Tot », le 24 janvier 2014. Le second, ci-dessous, replace la lutte en cours dans le cadre plus large des évolutions du capitalisme global à l’heure de « l’économie verte » (3 février 2014).
Les autorités indiennes de Balbatzul, Cobán, Alta Verapaz, membres du Conseil des villages de Tezulutlán « Manuel Tot », réunies en Conseil, ont présenté leur opposition au projet hydroélectrique Santa Rita devant la Commission sur le changement climatique de l’ONU et, en particulier, devant la Commission du Mécanisme de développement propre.
Comme elles l’ont expliqué lors la conférence de presse tenue le 24 janvier 2014, la compagnie hydroélectrique Santa Rita, S.A., est en train de réaliser les démarches pour l’obtention du Certificat de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (CER, pour son sigle anglais), d’une valeur d’environ 80 000 dollars. Si l’entreprise obtient l’accréditation, elle pourra vendre le CER aux multinationales des pays industrialisés signataires du Protocole de Kyoto.
La compagnie hydroélectrique Santa Rita, S.A., (24.2 MW) a été fondée en 2008 par Roberto Carlos Antonio López Roesch et en 2009, elle a réalisé des tests sur les fleuves Icbolay, Dolores et Canguinic. Cette même année, elle a reçu l’aval de la Commission nationale de l’énergie électrique (CNEE) et elle a reçu le feu vert du ministère de l’énergie et des mines, en 2010. En 2009, le jour même où les études menées par la CNEE sur Santa Rita ont été approuvées, le projet hydroélectrique Las Brisas (20 MW), à Nebaj, Quiché [1], a, lui aussi, été autorisé. Le fondé de pouvoir de ce dernier n’est autre que López Roesch, également représentant de l’entreprise Energía Limpia de Guatemala [Énergie propre du Guatemala] [2].
La compagnie hydroélectrique Santa Rita a d’abord obtenu la concession des fleuves Icbolay, Dolores et Canguinic pour 50 ans et les Études d’impact environnemental ont été réalisées postérieurement. Cette situation a provoqué l’opposition des communautés pour qui ces fleuves sont la seule source d’eau, comme l’a souligné Julio González du collectif Madre Selva [Mère Forêt] lors de l’exposé de la conférence de presse : « Ce sont des communautés qui appartiennent à une culture de l’eau et cette culture n’est pas comprise par les marchands de la production d’électricité ; en outre, elles ne paient pas d’impôts pour leur consommation d’eau ».
De leur côté, les représentants des communautés ont dénoncé les tactiques utilisées par l’entreprise pour pénétrer le territoire et installer la centrale [3].
– La route qui conduit à l’endroit prévu pour la construction de la centrale appartient à la communauté et l’entreprise veut la privatiser.
– Le bureau du défenseur des Droits humains du district et la mairie de la municipalité de Cobán ont défendu, à plusieurs reprises, les intérêts du projet.
– 10 enlèvements de leaders des communautés ont eu lieu, ainsi que des intimidations constantes et 4 hommes ont été blessés à la machette.
– L’ONG « CEDER » de Claudia Villagrán a commencé à développer les programmes d’assistance de l’entreprise. On l’accuse d’avoir fomenté les divisions à l’intérieur des communautés et d’avoir essayé de coopter le leader David Chen.
– Des leaders parlant espagnol et sachant lire et écrire ont été achetés dans le but de convaincre les communautés.
– Un attentat a été perpétré par le propriétaire David Leonel Ponce Ramírez qui a tiré sur plusieurs hommes des communautés et en a blessé un. Ponce Ramírez est le propriétaire de la ferme de Xalaha où doit être construite la centrale hydroélectrique [4].
– En 2012 un détachement militaire s’est installé dans la communauté de Santa Valeria (qui jouxte le fleuve Dolores) sous prétexte que les communautés l’avaient sollicité pour éviter la violence.
– Les communautés ont perçu cette installation comme une intimidation et le mercredi saint d’avril 2012, elles se sont organisées pour demander le retrait des militaires car si les communautés « les avait sollicités », elles avaient tout aussi bien le droit de les congédier, si bien que les militaires n’eurent d’autre choix que de signer le procès-verbal et de se retirer.
– Le 24 août 2013 fut le point culminant du conflit quand un tueur à gage du nom de David Pacay Bol qui a dit avoir été engagé par l’entreprise, est arrivé à la communauté de Monte Olivo (qui jouxte elle aussi le fleuve Dolores) pour trouver le leader David Chen et le tuer, mais, en arrivant à la communauté, Pacay Bol a confondu David Chen avec un autre membre de sa famille et il l’a mis en joue.
– Voyant cela, les enfants David Estuardo Pacay Maaz, 11 ans, et Ageo Isaac Guitz Maaz, 13 ans, se sont approchés pour porter secours à leur parent et ils ont été assassinés.
Le projet prévoyait que la centrale Santa Rita entre en fonction en 2011. Le retard a donc occasionné des pertes pour l’entreprise. Cependant, celle-ci est en train de réaliser les démarches pour obtenir un Certificat de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (CER) en s’appuyant sur le Mécanisme de développement propre (MDP) ce qui lui permettrait d’avoir accès au financement ou aux investissements des grandes entreprises et de la Banque mondiale.
Cette transaction s’effectue par le biais de l’accord public-privé signé avec le ministère de l’environnement et des ressources naturelles, via le Bureau national de développement propre (ONDL, pour son sigle en espagnol) créé par le décret ministériel 477-2005 signé sous le gouvernement d’Oscar Berger.
L’ONDL a pour mission de solliciter, d’analyser, d’évaluer et d’approuver les propositions qui appliquent le MDP. L’article 2 décrit son application en conformité avec la Constitution politique de la République et avec les accords internationaux signés par le Guatemala.
Cela implique non seulement l’adhésion à la Convention sur le changement climatique de l’ONU mais aussi à la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui fait aussi partie de l’ONU, obligeant donc au respect du droit des peuples indiens à être informés et consultés sur la viabilité de ce projet ou d’autres que l’on prétend installer dans la sierra de Las Minas, qui, il importe de le mentionner, est une Réserve de biosphère co-administrée par l’organisation Defensores de la naturaleza [Défenseurs de la nature]depuis 1990.
En outre, l’un des objectifs principaux du MDP est de « promouvoir le développement durable » mais le Conseil des villages de Tezulutlán dénonce le fait que les bénéfices ne reviendront qu’à l’entreprise et qu’il n’a pas été consulté sur les plans d’aménagement territorial imposé d’en haut par le gouvernement.
Le premier projet enregistré par le bureau exécutif de l’Organisation nationale du développement propre (ONDL) a été celui de la centrale hydroélectrique Las Vacas de 45 MW (17/12/2005), propriété de la famille Bosch-Gutierrez, membre de l’oligarchie guatémaltèque qui, depuis l’année 2009, bénéficie aussi de la Lettre d’approbation nationale de Mécanisme de développement propre pour la centrale de Santa Teresa située sur le fleuve Polochic à hauteur de Tucurú, Alta Verapaz. En 2012, 11 projets étaient déjà enregistrés au Guatemala sous le label MDP [5].
Selon une enquête de la Banque mondiale, les pays d’Amérique latine qui ont le moins de possibilités d’avoir accès au MDP sont la Colombie et le Guatemala car les investissements y sont considérées comme risqués du fait des conflits sociaux dont ils sont le théâtre [6].
Qu’est-ce qu’un Mécanisme de développement propre (MDP) ?
Ce sont des incitations financières et/ou technologiques reçues par les entreprises qui investissent dans des pays peu industrialisés comme le Guatemala et qui — du moins on le suppose — utilisent des moyens de productions et de commercialisation respectueux de l’environnement afin de contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre [7], causes du changement climatique.
La condition est que les entreprises implantées en Amérique latine établissent leurs moyens de production et de commercialisation sur les bases du Mécanisme de développement propre (MDP), consigné dans le Protocole de Kyoto signé en 1997 et intégré dans la Convention sur le changement climatique à laquelle le Guatemala a adhéré en 1992.
La Convention et le Protocole ont été signés par les pays industrialisés les plus pollueurs de la planète comme l’Allemagne, le Canada, le Japon et la France, à l’exception des États-Unis qui ont refusé de signer.
Parmi les principales conséquences de la crise écologique globale, on peut évoquer les grandes sécheresses, les inondations, l’augmentation du nombre des ouragans et des cyclones, les fronts froids, la fonte des glaciers.
On observe aussi des perturbations radicales des saisons qui occasionnent de grandes pertes dans l’agriculture et dans les biens des populations affectées. En somme, le réchauffement global aggrave la crise alimentaire et la prolifération de maladies qui portent atteinte à la vie du plus grand nombre.
L’objectif est que les entreprises et les gouvernements de ces pays N’aient PAS à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre car s’ils le faisaient cela supposerait une réduction considérable de leurs marges bénéficiaires. C’est pourquoi, « l’alternative » proposée par l’ONU devant cet écocide transnational est que les grandes entreprises qui rejettent des millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère puissent acheter des Certificats de réduction d’émissions (CER), vendus par les entreprises situées dans les pays peu industrialisés par le biais du Mécanisme de développement propre (MDP).
« Le fait d’autoriser le transfert de CER introduit une certaine souplesse dans les engagements établis par le Protocole de Kyoto et c’est extrêmement pratique étant donné l’important volume d’investissements que représentent ces engagements. » [8]
Autrement dit, si une centrale hydroélectrique construite dans un pays « sous-développé » génère moins d’émissions de gaz à effet de serre qu’un autre processus de production d’énergie, elle pourra prétendre à un CER qui sera acheté par une industrie hautement polluante de l’Union européenne ou par la Banque mondiale.
Les principaux acheteurs de CER sont les gouvernements et les multinationales du Royaume Uni, du Japon, des Pays-Bas, d’Espagne, d’Italie et d’Allemagne entre autres. Ils comptent tous parmi les principaux actionnaires de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international lui-même co-administrateur des Fonds carbone destinés aux MDP.
C’est ainsi que les grandes puissances mondiales refusent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre mais achètent « de l’oxygène » aux entreprises qui produisent « de l’énergie propre » ou qui développent une « économie verte » sous deux formes principales :
– Production d’énergie : projets géothermiques et hydroélectriques, petits ou grands, que le capital soit national comme pour la centrale de Santa Rita S.A., ou qu’il soit transnational comme pour le Grupo Terra du Honduras, propriétaire d’Hidroxacbal situé à Chajul, dans la région d’Ixil.
– Déforestation évitée : aires protégées publiques ou privées qui produisent de l’oxygène ou plantations en monoculture comme le palmier à huile, comme on le voit dans le Projet Mésoamérique (autrefois appelé Plan Puebla Panama [9]).
Paradoxalement, les plantations de palmier à huile peuvent obtenir des certificats de réduction d’émissions parce qu’elles produisent de l’oxygène pendant le temps de culture, mais on passe sous silence la dégradation de la terre, l’usage de produits agrochimiques et la déviation des cours d’eau qu’occasionne ce type de culture. En outre, on ne tient aucun compte du fait que cette huile de palme va être l’objet d’une utilisation polluante sous forme de carburant ou bien dans l’industrie alimentaire et cosmétique.
La situation est semblable pour les centrales hydroélectriques puisque les barrages stockent une eau stagnante et le sédiment qui s’accumule au fond génère du CO2. Et le plus souvent, il faut dévier des cours d’eau vers le bassin principal pour générer une plus grande puissance dans les turbines qui transforment la force de l’eau en énergie. Cela a des conséquences non seulement sur la vie humaine des communautés dont la culture est liée à l’eau mais aussi sur les espèces aquatiques dont le cycle de reproduction est altéré.
De même, le transport de l’énergie du lieu de production aux lieux de consommation par câbles à haute tension produit des radiations tout au long du trajet et, finalement, la production d’hydroélectricité au Guatemala est toute entière destinée à l’approvisionnement des grands consommateurs que sont l’industrie minière et l’industrie alimentaire qui rejettent des gaz à effet de serre au cours de leur processus de production.
Le dioxyde de carbone, ou CO2, est le plus polluant des gaz à effet de serre émis au Guatemala. En 2005, la consommation de combustible par l’industrie énergétique, l’industrie manufacturière, la construction, le transport et les autres secteurs dépassait les 11000 tonnes de CO2, tandis que la combustion de biomasse comme celle utilisée pour générer de l’électricité dans les industries de canne à sucre produisait plus de 17000 tonnes de CO2 [10].
Les chiffres du Guatemala sont accablants et ils ne peuvent qu’augmenter au vu de la politique énergétique et des concessions pétrolières qui ont été accordées pendant le gouvernement d’Otto Pérez Molina. Il n’en reste pas moins que c’est dans les pays les plus industrialisés qu’est produite la pollution par production de gaz à effet de serre la plus importante, en lien avec les niveaux d’accumulation de capital opérés par les gouvernements et les corporations industrielles les plus puissantes [11] du monde.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3282.
– Traduction de Michelle Savarieau pour Dial.
– Source (espagnol) : Centro de medios independientes de Guatemala, 3 février 2014.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] L. Álvarez, « El MEM autoriza instalar hidroeléctrica en Cobán », El Periódico, 10 juillet 2010.
[2] Luis Solano, « Hidroeléctricas en la cuenca del río Icbolay : entretelones de la hidroeléctrica Santa Rita ». Enfoque 31, 5e année, 15 décembre 2013.
[3] Notes extraites de la Conférence de presse réalisée par le Conseil des villages de Tezulutlán et entretien avec ses membres.
[4] Luis Solano, « Hidroeléctricas en la cuenca del río Icbolay ».
[6] Efraín Peña et Lincoln Bent, « El mercado de carbono », Revista Perspectiva, quinzième édition, 2007, p. 29.
[7] Les gaz à effet de serre sont les principaux accélérateurs du changement climatique et ils proviennent, en majorité, du processus mondial d’industrialisation depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours : dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4), oxyde nitreux (N2O), oxyde de nitrogène (Nox), monoxyde de carbone (CO), composés organiques volatiles autre que le méthane (COVDM) et dioxyde de soufre (SO2), vapeur d’eau (H2O) et ozone (O3).
[8] Raúl Jimenez Mori, « Mecanismos de Desarrollo Limpio para el Financiamiento Ambiental en América Latina », Centro de Estudios Económicos y Desarrollo Empresarial – CEEDE, Documentos de Trabajo n° 3, Lima, Pérou, octobre 2007, p. 4.
[9] Sur le Plan Puebla Panama, voir DIAL 2505 - « PANAMA - Le Plan Puebla-Panama, un plan de développement pour l’Amérique centrale ? et 2625 - « AMÉRIQUE CENTRALE - Le Plan Puebla-Panama. Tout ce qu’il faut savoir pour comprendre ce vaste plan qui englobe le Mexique et l’Amérique centrale — note DIAL.
[10] Ministère de l’environnement et des ressources naturelles (MARN), « Inventario Nacional de Emisiones y Absorciones de Gases Efecto Invernadero », année de référence 2005, Guatemala, avril 2012, p. 6.
[11] Accord fait selon la règle de proximité — note DIAL.