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DIAL 3414

Le Venezuela d’aujourd’hui et de demain

François Houtart

mardi 27 juin 2017, mis en ligne par Dial

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Nous avons reçu ce texte par courriel fin mai et avons décidé de le publier dans le numéro de juin de DIAL. Comme déjà en octobre 2015 sur l’Équateur [1], les analyses à chaud de l’auteur sont souvent informées, et précieuses. Le 6 juin, François Houtart est décédé dans son sommeil à Quito, où il vivait ces dernières années – il était âgé de 90 ans. La publication de son article est aussi pour nous une manière de rendre hommage à cet observateur engagé de l’Amérique latine et de ses luttes. Adios François.


24 mai 2017.

Après une visite à Caracas, j’aimerais faire quelques réflexions sur la situation du pays.

Une révision de la Constitution sur des bases plus populaires est, en principe, une bonne idée, mais constitue un processus à moyen et long terme alors que les problèmes existentiels sont à court terme. Avant la fin du processus, les gens risquent de se fatiguer face aux difficultés de la vie quotidienne. Celles-ci proviennent de toute évidence du boycott et de la spéculation de la part du capital local et de l’impérialisme, mais également de processus ordinaires en périodes de pénuries : marché noir, accaparement de marchandises, changement dans la production en fonction de la loi du marché, usure des intermédiaires, mais également corruption des agents de l’État.

Il existe cependant un risque de « fétichisme » de la loi (ici de la Constitution) qui tend à identifier texte juridique et réalité. C’est un défaut très latin qu’on retrouve dans le monde entier, depuis la Déclaration universelle des droits humains de la Révolution française. Karl Marx en parlait déjà dans son texte sur La Question juive. Sans compter qu’il ne sera pas facile de définir sur quelles bases vont se désigner les électeurs et que cela prendra du temps. Il y a enfin un risque de non-participation de l’opposition qui laisserait alors le processus dans les seules mains des convaincus, sans parler d’un possible rejet de la part de la majorité de la population.

C’est pourquoi beaucoup d’autres mesures paraissent nécessaire :
 Renégocier la dette extérieure qui fait sortir des milliards de dollars du pays, alors qu’il existe des pénuries, sachant que cela risque d’augmenter l’évaluation du risque-pays, déjà le plus élevé du monde.
 Se penser sur la dette interne qui revient à l’heure actuelle à financer l’opposition.
 Repenser le projet de l’Arc minier de l’Orénoque, qui, s’il cherche à régler le problème des mines illégales, constitue aussi un retour au passé néolibéral, avec des concessions aux grandes multinationales et paiement de compensations pour les expulsions réalisées du temps de Chávez.
 Agir sur la distribution qui reste aux mains du capital local – une dizaine de grandes entreprises qui manipulent la pénurie – alors que la production et les importations se sont relativement améliorées.
 Freiner la spéculation financière qui, avec l’hyperinflation, permettent à certains groupes de constituer d’énormes fortunes au détriment du bien public et qui augmentent la fuite des capitaux – estimée à plus de 300 000 millions de dollars.
 Lutter contre la corruption interne (y compris dans l’armée) qui fait obstacle à la distribution des biens que le gouvernement achète à l’extérieur, etc..

Un groupe contraire à l’opposition mais critique de certaines politiques du gouvernement se développe actuellement, avec une série de propositions concrètes. Mais, dans un climat de confrontations extrêmes, il risque d’être identifié comme dangereux ou pour le moins utopique, et non comme proposant des alternatives dignes d’être prises en considération.

Évidemment, la chute du gouvernement de Maduro aurait comme résultat l’arrivée au pouvoir d’un Macri ou d’un Temer, c’est-à-dire d’un régime antipopulaire. Pour cette raison, il faut défendre sa légitimité jusqu’à la fin de son mandat. Par ailleurs, l’utilisation de la violence par l’opposition a pris des proportions inédites, avec la destruction de bâtiments publics (un hôpital, un immeuble de l’aviation civile, entre autres), l’immolation d’un jeune homme et l’utilisation d’excréments humains, face aux forces de l’ordre à qui il a été interdit d’utiliser des armes susceptibles d’entraîner la mort.

Par leur nature même, les moyens de communication amplifient la réalité des actions de la droite, donnant l’impression d’un chaos généralisé mais la vie quotidienne continue malgré les difficultés. Les services publics comme le transport, la collecte des déchets, le nettoyage des rues, fonctionnent.

Il est certain que la pénurie dans un secteur comme la santé peut avoir des conséquences dramatiques et, à moyen terme, le manque de pièces détachées peut avoir un effet sur la disponibilité de véhicules en état de rouler. Ce 21 mai, l’opposition a convoqué une grève générale mais, à Caracas, la ville n’a pas été paralysée et la vie a continué son cours.

Pour défendre sa légitimité, le gouvernement doit cependant éviter des erreurs qui la remettent en question et alimentent les campagnes de dénigrement dans la majorité des médias nationaux et internationaux. On pourrait attendre de Nicolás Maduro qu’il adopte plus un discours de chef d’État que de militant de base, gardant en mémoire qu’il parle à la nation, au continent latino-américain, au reste du monde, et non seulement à ses partisans.

En fin de compte, il s’agit d’abord d’une confrontation de classes. Les manifestations de l’opposition en témoignent clairement, par le type de quartiers où elles sont organisées et le public qui y participe. Une partie de la classe moyenne urbaine, dont le pouvoir d’achat a été très affecté par la chute de la rente pétrolière – aujourd’hui une pièce détachée importante de voiture coûte le même prix que 5 voitures il y a 4 ans –, joue un rôle de soutien aux classes supérieures qui veulent récupérer le pouvoir politique. Ces dernières s’associent à des groupes utilisant la violence – la majorité des victimes sont chavistes. Mais il existe également un fort mécontentement dans les classes subalternes, qui forme la base du processus bolivarien, du fait de la détérioration des « missions » par manque de financement et à cause de la corruption – dans le secteur de la santé, de l’éducation, des marchés populaires, dont les structures existent toujours mais avec moins de contenu réel.

L’augmentation de la mortalité infantile et de la mortalité lors des accouchements est le résultat de plusieurs facteurs qui s’associent : la logique du capitalisme de monopole mondial qui manipule les prix des produits des biens de consommation, le boycott interne par ceux qui disposent encore d’une hégémonie économique sur la distribution et finalement la corruption interne. Il n’est pas certain d’ailleurs que la meilleure réponse était de destituer la ministre de la santé qui en a révélé les chiffres.

La grande difficulté est de prendre en compte de manière conjointe le long terme et le court terme. Álvaro García Linera a écrit qu’une révolution qui n’assure pas – pour la raison que ce soit – la base matérielle de la vie du peuple, n’a pas beaucoup d’avenir et les adversaires le savent très bien.

La Conférence épiscopale a choisi son camp – l’opposition – et produit des textes de grande pauvreté intellectuelle, alors que le Pape n’a pas hésité à critiquer l’opposition pour son manque de disposition au dialogue.

Au Venezuela, comme dans tous les pays post-néolibéraux d’Amérique latine, il est nécessaire de refonder le projet de gauche et non seulement de l’adapter. C’est la seule manière d’être fidèle à l’objectif initial d’émancipation populaire et de réorganisation de la société qui a généré tant d’espérances et d’admiration dans le monde entier et qui, au Venezuela, dispose toujours de bases avec les initiatives communales. C’est aussi le chemin à prendre pour sortir progressivement de la rente pétrolière ou minière, fruit de productions qui détruisent fortement l’environnement et en contradiction totale avec un projet post-capitaliste.

L’adoption d’une vision holistique de la réalité pour définir un nouveau paradigme d’existence collective de l’humanité sur la planète, qui soit de vie et non de mort, comme l’est le capitalisme – mort de la Terre-mère et économie sacrifiant des millions d’êtres humains – est une base nécessaire. Cela implique une autre relation avec la nature, qui ne soit pas fondée sur l’exploitation mais sur le respect et la possibilité de régénération, qui ne s’appuie plus non plus sur l’extractivisme, forme capitaliste de l’extraction, et qui ne soit pas construite sur la rente de produits hautement nocifs pour l’environnement qui finissent par altérer le climat de la planète.

Cette vision implique aussi de privilégier la valeur d’usage sur la valeur d’échange – seule valeur existante pour le capital – avec toutes les conséquences que cela entraîne pour la propriété des moyens de production. Cela demande aussi une généralisation des processus démocratiques pour construire le nouveau sujet historique, qui n’est plus seulement le prolétariat industriel comme au 19e siècle mais requiert aussi l’interculturalité et la fin de la domination d’une culture nommée occidentale, fruit du développement capitaliste à dominante instrumentale – segmentant le réel – et individualiste – excluant d’autres lectures et d’autres savoirs.

C’est ce que l’on peut appeler le Bien commun de l’humanité ou l’Écosocialisme ou de n’importe quel autre nom qui permette de synthétiser ce contenu. La conquête de ces objectifs exige des transitions qui prendront du temps et que les gouvernements du changement doivent précisément définir, chacun à l’intérieur de ses frontières.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3414.
 Traduction d’Alessandra Moonens, revue et modifiée par Dial.
 Source (français) : ZinTV, 6 juin 2017.
 Texte original (espagnol) : ALAI, 24 mai 2017.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française originale (ZinTV - https://www.zintv.org) et l’une des adresses internet de l’article.

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