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DIAL 2873

MEXIQUE - Une année de mort dans le désert d’Arizona

Miguel Pickard

samedi 1er avril 2006, mis en ligne par Dial

L’immigration aux Etats-Unis en provenance d’Amérique latine, et tout spécialement du Mexique, est un fait bien connu. Pour lutter contre l’immigration latino-américaine, le gouvernement états-unien envisage de construire un mur de 1 130 km entre le Mexique et les Etats-Unis où vivent plus de 35 millions d’hispaniques. Ce projet, ainsi que d’autres concernant l’expulsion des clandestins et la poursuite des personnes qui les embaucheraient, suscitent une très vive opposition aux Etats-Unis. Des manifestations monstres ont eu lieu. A Los Angeles, par exemple, entre 500 000 (selon la police) et un million de personnes (selon les organisateurs) ont envahi les rues. Les Latino-Américains, dont en premier lieu les Mexicains, courent des risques importants en traversant la frontière. Beaucoup trouvent la mort, notamment dans le désert d’Arizona. C’est ce que développe l’article ci-dessous paru dans le bulletin Chiapas Al Dia n° 498.


L’an passé, dans leur tentative d’émigrer du Mexique ou d’Amérique centrale, 473 personnes sans-papiers sont mortes avant de parvenir à leur but. La majorité d’entre elles sont mortes en raison des intempéries climatiques, gelées dans les montagnes, ou frappées d’insolation et de déshydratation dans le désert, ou noyées. Certaines ont été assassinées. Le nombre total de morts au cours des dix dernières années dépassent les 3 000. Ils sont morts en recherchant du travail. En cherchant à être employé dans des activités que les Etats-Unis dédaignent, parce qu’elles sont sales, dangereuses, abrutissantes ou parce que ce sont des travaux domestiques. Pendant ce temps, chez eux, les politiques économiques en vogue au Mexique et en Amérique centrale détruisent des millions d’emplois dans le secteur rural et urbain.

Un fait que l’on ignore à dessein aux Etats-Unis est que le gouvernement de ce pays promeut cette même politique économique qui conduit au désastre. On récolte ce qui a été semé. Au cours des dix dernières années, l’émigration du Mexique et d’Amérique centrale a augmenté de 300%. Les Latino-américains ne trouvent pas d’emplois chez eux et les politiques aux Etats-Unis refusent de se demander pourquoi.

Aux Etats-Unis, on essaye diverses options : davantage d’opérations de sécurité à la frontière, la construction de murs, des menaces contre les patrons qui embauchent des migrants sans-papiers, des persécutions contre les travailleurs journaliers dans leur lieu de regroupement. Toutes les options, moins une. L’option unique qui pourrait être une avancée réelle pour donner une solution à la crise migratoire, c’est une révision en profondeur de ces politiques économiques à la mode. Les politiques néolibérales consacrées dans les traités de libre-échange interdisent au Mexique et aux pays centraméricains de protéger des secteurs stratégiques et vulnérables de leur économie. La protection pourrait être obtenue moyennant l’usage de tarifs, de frais de douane ou de quotas pour empêcher l’entrée de biens provenant majoritairement des Etats-Unis. Si une telle protection pouvait être mise en œuvre, le Mexique et les autres pays pourraient reprendre leur programme d’industrialisation qui, dans le passé récent, avait créé des emplois. De même, protéger le secteur rural de l’importation des produits agricoles des Etats-Unis, qui profitent de subventions élevées, aiderait à restaurer la viabilité de la campagne, en permettant ainsi aux paysans de rester sur leur terre et en leur évitant la peine de migrer pour survivre.

Cependant, revoir de telles options, qui sont à l’origine d’une si forte émigration de nos pays, semble interdit aux Etats-Unis. Et les chercheurs n’arrêtent pas de se demander pourquoi la migration s’est emballée.

Avec toutes ses œillères, le gouvernement des Etats-Unis verra d’un bon oeil l’alternative consistant à « fermer la frontière », vouée à l’échec à long terme. D’autres mesures provisionnelles, comme les « programmes d’accueil » des travailleurs du président Bush et des membres du Congrès de différentes tendances, ne pourront jamais être autre chose de plus que des gestes symboliques, en légalisant une infime partie des 500 000 Mexicains qui traversent chaque année sans papiers la frontière et trouvent du travail.

Mais si des centaines de milliers atteignent leur but, des centaines meurent dans leur tentative chaque année. Revoir la liste des morts, c’est se mettre face à la tragédie humaine en marche dans un désert dont la température atteint 50 degrés pendant plusieurs mois. Il y aussi le fait que cette liste enregistre seulement une partie des migrants morts l’an passé car elle n’est élaborée que pour une partie de la frontière de 3 000 Km avec les Etats-Unis, celle qui touche l’Etat d’Arizona, qui est le point de passage le plus important pour les migrants.

Les organisations de droits humains et de droits des migrants qui connaissent la zone frontière affirment que le chiffre des migrants morts est sous-évalué car on n’y enregistre que le nombre de cadavres rencontrés. Beaucoup de migrants sont à la traîne en ne pouvant pas suivre, pour des raisons d’empêchement physique, le groupe avec lequel ils voyageaient, ils se perdent facilement dans ces régions montagneuses ou désertiques inconnues et meurent quelques jours après. Parfois on ne trouve jamais leurs restes. Mais il est fréquent que les migrants racontent avoir vu des restes humains au cours de leur traversée, des personnes qui sont mortes mais qui ne rentreront même pas dans une statistique pour les gouvernements mexicains et états-uniens.

S’il est vrai que les politiques promues et exigées par les Etats-Unis pour le Mexique et l’Amérique centrale sont derrière ces centaines de tragédies enregistrées avec la froideur de la statistique, voir les noms des victimes et les circonstances de leur mort nous obligent à nous demander pourquoi le gouvernement mexicain ne fait rien pour protéger ses citoyens. Ecouter le chiffre de 282 personnes mortes, la majorité d’entre elles mexicaines, rien qu’à la proximité de la frontière avec l’Arizona, est effrayant. Pourquoi le gouvernement mexicain n’exige-t-il pas du gouvernement des Etats-Unis l’arrêt immédiat des opérations de mort de la Patrouille des frontières et des autres organismes de ce pays qui ont fermé la frontière aux points de passage traditionnel et ont canalisé les migrants vers des zones inhospitalières qui ont été le cimetière de tant de paysans. Pouvons-nous imaginer la réaction des autorités états-uniennes si cette liste concernait des citoyens de leur pays ?

Un tableau des décès a été élaboré par la Coalition des droits humains et Alliance indigène sans frontières, pour la période du 1er octobre au 30 septembre (année fiscale gouvernementale aux Etats-Unis).


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2873.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Chiapas Al Dia n° 498, mars 2006.

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