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DIAL 2842

MEXIQUE - Feu vert pour les biopirates

Silvia Ribeiro

jeudi 1er décembre 2005, mis en ligne par Dial

Dénoncée de plus en plus souvent, la biopiraterie peut trouver refuge jusque dans un cadre légal. C’est ce qui s’est passé cette année dans la législation mexicaine qui ouvre la voie à la privatisation des ressources génétiques et au dépôt de brevets sur les connaissances indigènes.Depuis plusieurs années, Dial a publié de nombreux articles sur ce comportement prédateur de la part de laboratoires ou d’entreprises. Article de Silvia Ribeiro, paru dans ALAI le 31 mai 2005.


Sans débat, comme pour la loi Monsanto sur la « bioinsécurité », le Sénat a adopté, les 27 et 28 avril de cette année, deux lois selon lesquelles entrent en vigueur, au Mexique, la privatisation des ressources génétiques et la délivrance de brevets d’exploitation des connaissances indigènes.

Cela n’a rien d’étonnant considéré à la lumière du brutal « écran de protection légal » destiné à consolider la privatisation des ressources stratégiques, que le congrès a voté – avec le concours de tous les partis – loi nationale sur l’eau, loi Monsanto, loi sur l’exploitation minière et d’autres encore en instance, complétées par des réglementations officielles et des programmes gouvernementaux, comme celui d’Assistance et aide par les services de l’environnement.
Pour autant cela n’en est pas moins terrible et plus encore lorsque l’abus dans les termes employés semble entrer dans les us et coutumes des législateurs : tout est fait au nom du « développement durable » (sans doute des transnationales ?) et du « progrès », en particulier des communautés paysannes et des populations indiennes qui sont, paradoxalement, elles qui subissent le plus l’impact de ces lois.

De la biopiraterie à la bioprospection

La proposition de Loi d’accès et d’exploitation des ressources génétiques reprend l’essentiel des termes arrêtés par les transnationales dans la Convention sur la diversité génétique des Nations unies. La finalité est que le terme de « bioprospection » se substitue à celui de biopiraterie, et que grâce à des contrats et en graissant la patte à qui acceptera de vendre au nom de tous le patrimoine commun, il intègre le secteur du « développement scientifique », avec, directement ou indirectement un but commercial, et, plus important encore, qu’il prenne un caractère légal. On est dans le même esprit que celui de la Couronne d’Angleterre lorsque, au XVIe siècle, au lieu de condamner le célèbre pirate Francis Drake, elle lui accorda un appui officiel, allant jusqu’à lui donner le titre de Sir, en échange d’une partie du butin.

Si elle est approuvée par la Chambre des députés, la loi établira que ceux qui voudront prospecter, faire des recherches, mettre à profit, faire breveter des produits dérivés et mettre en œuvre la commercialisation de ressources génétiques telles que plantes, animaux sauvages, micro-organismes, champignons, insectes, etc. pourront le faire sous condition que le possesseur ou le propriétaire légitime du domaine sur lequel se trouvera la ressource génétique donne son accord par un contrat de bio-prospection et que la SEMARNAT (Secrétariat de l’environnement et des ressources naturelles) l’autorise. Le contrat doit inclure des clauses d’une supposée « répartition des bénéfices »
Nous sommes dans le cas de figure Drake. C’est ce que faisaient déjà de nombreuses transnationales en collaboration avec des universités nationales ou étrangères et avec la médiation d’ONG internationales (par exemple WWF, Conservación Internacional, The Nature Conservancy), ou de quelques ONG locales qui voient dans la biopiraterie une sorte de « supplément budgétaire » pour les communautés.

Les quatre plus importants contrats de biopiraterie dénoncés au Mexique (ICBG Maya au Chiapas pour Ecosur ; l’Université de Géorgie et l’entreprise Molecular Nature ; ICBG Zones Arides pour l’Université d’Arizona , le jardin Botanique de l’UNAM et l’entreprise Wieth ; le projet Biolead à Oaxaca pour l’Association ERA, USACHI et Novartis ; la bioprospection d’enzymes de l’Institut de Biotechnologies de l’UNAM et Diversa Corporation) ont été annulés ou non renouvelés grâce aux dénonciations de communautés et d’organisations civiles, grâce aux protestations soutenues qu’ils ont suscitées et à l’ambiguïté du cadre légal existant au Mexique sur ce sujet.

C’est à ce dernier point que la loi actuelle prétend porter remède pour que le saccage se perpétue mais à l’abri de problèmes de légalité. Résistances et dénonciations ne peuvent l’empêcher, mais par le biais d’une « répartition des bénéfices » il est possible de diviser les communautés entre elles ou de les réduire au silence. La loi consent à ce que les ressources génétiques ou les produits dérivés puissent être brevetés, c’est à dire privatisés, sans attacher d’importance au fait que ce soient des ressources collectives et du secteur public, partie intégrante des territoires des populations indiennes , et produit du travail et des connaissances collectives des paysans et des indigènes et de leur interaction avec la biodiversité. Bien au contraire cet état de fait est reconnu puisque ces derniers « doivent être consultés » et doivent signer une autorisation chaque fois qu’ils seront « possesseurs ou propriétaires légitimes ». Par exemple dans le cas d’une plante médicinale présente dans plusieurs régions, une communauté, l’ensemble d’un territoire communal ou même le propriétaire d’une parcelle peut signer un contrat autorisant sa vente et la demande ultérieure de brevet. Le projet de loi indique que pour définir « les propriétaires légitimes » et même les copossesseurs voisins, le Bureau (Procuraduria) de affaires agraires devra être consulté. Mais, dans la seule année 2004, selon les statistiques de ce bureau, il y a eu 62 738 requêtes… auxquelles il faut en ajouter des milliers chaque année et qui, avec cette loi, vont devenir plus nombreuses. Non seulement elle légalise la biopiraterie et brade la biodiversité, mais elle est source de conflits entre les communautés à propos de qui parviendra, la première, à vendre les ressources de tous.

C’est sur le même fond de perversité que les sénateurs ont, allégrement, voté la possibilité de vendre ou faire breveter les « connaissances traditionnelles et collectives » en biodiversité. Par une modification de la Loi sur la propriété industrielle, un Registre national sur le savoir traditionnel lié aux ressources génétiques et à la médecine traditionnelle indigène est créé et mettra à la disposition des transnationales les connaissances indigènes systématisées. Aux communautés on reconnaît le « droit » de les faire enregistrer et aux individus celui de déposer les brevets.

Le troisième Congrès national indigène (Nurio, 2001) avec plus de 3 000 délégués d’à peu prés toutes les populations indiennes du Mexique, tout autant que les assemblées de médecins traditionnels indigènes ont clairement manifesté leur opposition à la biopiraterie, la bioprospection et le dépôt de brevets relatifs à des êtres vivants et des connaissances. Apparemment ils ne sont pas considérés comme « légitimes possesseurs » de connaissances ou de territoires puisque les sénateurs savent mieux qu’eux-mêmes où est leur intérêt. Il en était de même avec la réforme de la loi sur la culture et les droits indigènes [1].


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2842.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, 31 mai 2005.

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[1Allusion aux Accords de San Andrés, signés entre le gouvernement mexicain et les zapatistes, portant sur le thème de la culture et des droits indigènes, reconnaissant le droit des peuples autochtones à l’autonomie. Mais ces accords n’ont jamais été suivis des réformes constitutionnelles nécessaires.

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