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DIAL 2847
ARGENTINE - Eduquer les jeunes à l’action : travailler et communiquer
vendredi 16 décembre 2005, mis en ligne par
« Action éducative » est une association qui travaille avec et pour les jeunes. Elle a monté un projet original « Vidéo, culture et travail ». Il s’agit de faire face au défi de l’insertion dans le monde du travail mais aussi de permettre aux jeunes d’utiliser les médias modernes au service d’une pratique communautaire aux dimensions variées. Entretien de Carolina Balderrama avec Raquel Souza Santos et Milton Alves Santos, membres d’Action éducative et coordinateurs du projet Vidéo, culture et travail, publié par le bulletin Nueva Tierra (Argentine), juin 2005.
Action éducative est une organisation non gouvernementale qui existe depuis plus de 11 ans et a son siège à São Paolo. Elle a vu le jour à partir d’une autre organisation, le Centre œcuménique d’information et de documentation, très présent durant la dictature militaire, pendant laquelle il s’est consacré en particulier à l’accompagnement et au soutien des éducateurs populaires qui se consacraient à l’alphabétisation des adultes. En 1994 il a donné naissance, par scission, à une série d’institutions qui ont commencé à travailler sur des problématiques plus spécifiques. Cette division est à l’origine d’Action éducative qui a commencé à travailler dans le secteur de l’éducation et la jeunesse avec un effort tout particulier sur l’éducation et l’alphabétisation des jeunes et des adultes et sur l’universalisation de l’éducation considérée comme un droit pour tous.
En quoi consiste le débat à propos des politiques publiques concernant la jeunesse au Brésil ?
En Argentine et au Chili, la problématique de la jeunesse était déjà présente durant les années 90. Elle était considérée comme une question qui exigeait la mise en place de politiques publiques, l’intervention de l’Etat. Dans le cas brésilien, au début des années 90 les jeunes n’étaient pas considérés comme des acteurs sociaux importants et lorsqu’on en faisait état ce n’était pas en tant que sujets porteurs de droits mais en tant que fauteurs de troubles, en conflit avec la loi. A cette image très négative de la jeunesse vient s’ajouter une comparaison avec la jeunesse des années 70. On regarde la jeunesse des années 90 et dit : les jeunes posent problème, ils sont névrosés, tandis que dans les années 70 ils étaient militants, ils luttaient contre la dictature. Action éducative, qui a toujours maintenu le contact avec les mouvements populaires, a pris conscience que les jeunes étaient impliqués dans d’autres secteurs d’action politique, sociale, culturelle, peu pris en compte par la société, l’Etat, les médias. Des mouvements Hip Hop par exemple, des groupes de quartiers, des associations communautaires, le mouvement noir… Certains de ces groupes sont en lien avec des mouvements pour l’éducation, eux-mêmes en relation avec Action éducative. Action éducative commença alors à travailler avec des jeunes déjà organisés et c’est ainsi que naît le projet Vidéo, culture et travail.
Quelle est la méthode de travail ? Les propositions émanent-elles des jeunes ou sont-elles faites par Action éducative ?
Les deux à la fois. Notre équipe est réduite. Souvent ces groupes sont demandeurs de formations, de conseils, cela peut-être pour obtenir un bus pour se rendre au Forum social mondial, au Festival de hip hop ou à la Conférence nationale sur la jeunesse. Nous élaborons avec eux des stratégies pour obtenir des moyens, organiser des campagnes… Par exemple, nous avions constaté que les jeunes avaient beaucoup d’idées mais qu’elles n’aboutissaient pas. Alors en 2002 nous avons créé un espace de formation sur l’élaboration de projets et la construction de stratégies.
Comment s’articule le travail d’Action éducative avec celui des organisations d’Etat ?
Nous sommes un pays à faible tradition démocratique. Les instances participatives sont limitées et plutôt en voie de construction. Cependant, pendant ces deux dernières années une expérience très intéressante de débats sur le sujet des politiques concernant la jeunesse a eu lieu au Brésil. En général les jeunes ne sont pas invités à ces discussions mais ils ont fait fortement pression pour participer à la création des politiques publiques qui les concernent. Il est clair pour nous qu’il n’y a pas d’espaces de débat ouverts a priori, qu’ils ne surgissent pas du néant. Alors nous créons des situations aptes à les provoquer. Parce que si l’on considère un jeune rappeur, son attention se centre sur la musique, sur le débat culturel. Mais si l’on pense que les théâtres, les cinémas et les boutiques se concentrent majoritairement dans les centres-villes alors que lui vit à la périphérie, il est possible qu’il perçoive l’absence d’espaces où pouvoir se présenter avec un groupe. Cela est en lien direct avec l’absence d’une politique publique. C’est ici que nous intervenons. Nous cherchons la stratégie qui nous permettra d’établir un dialogue qui permette d’une part de renforcer le mouvement de jeunes et d’autre part de percevoir besoins et perspectives. C’est dans ce va et vient qu’est né le projet Vidéo, culture et travail.
En quoi consiste ce projet ?
L’objectif d’Action éducative avec le projet Vidéo, culture et travail est double. D’une part ouvrir le dialogue avec le monde du travail par le biais d’un projet de formation. Cela implique que, dans un processus de formation et de conseil aux jeunes, on parvienne non seulement à débattre des questions juridiques du monde du travail mais aussi à faire face au défi que représente l’insertion effective dans le monde du travail d’un groupe de jeunes, après leur passage par un processus de formation de 18 mois. Il s’agit de jeunes de 18 à 21 ans originaires de la métropole de São Paolo. Cela ne veut pas dire qu’ils sont employés dans un cadre formel et il ne s’agit pas non plus de cautionner la précarisation. Il s’agit plutôt de penser des stratégies du point de vue de l’économie solidaire, de l’autogestion ou du travail en coopérative. L’autre dimension du projet consiste à travailler sur la production de médias en vidéo digitale. Les jeunes se sont rapidement appropriés les technologies digitales, Internet, la vidéo et la photographie. L’idée est que ces médias puissent être mis au service d’une pratique communautaire qui ne concerne pas exclusivement la jeunesse mais aussi la santé, la question du genre et de la couleur. Ils participent aussi à l’histoire culturelle des mouvements locaux ou à la production d’un discours plus positif sur leur communauté, ce qui fait contrepoint au discours de dénigrement des grands médias sur les jeunes ou les pauvres, par exemple. C’est une tentative pour produire un discours différent sur les exclus et sur ceux dont les grands médias (télévision, cinéma, presse) n’offrent que des représentations stéréotypées.
Comment les jeunes qui participent au projet perçoivent-ils le monde du travail ?
Beaucoup perçoivent le travail dans le monde capitaliste comme aliénant, comme ne contribuant pas au développement personnel. On est militant, mais on arrive à 21 ans sans travail, à 22 ans sans travail, à 23 on se considère chômeur et à 24 on va travailler chez Mc Donald. Cela a posé problème à l’institution et c’est à partir de là qu’a surgi l’idée de la vidéo, car le travail, mis à part l’aspect financier, a une dimension de réalisation personnelle, d’élargissement des contacts sociaux, des relations humaines. Le travail forme aussi la personne. Par conséquent les politiques qui cherchent à répondre aux revendications autour de l’absence de travail en s’arrangeant pour que les jeunes aient accès à davantage de divertissement et d’activités artistiques sont erronées. Cela ne veut pas dire que ces politiques culturelles, sportives et de loisirs ne soient pas nécessaires. Elles le sont mais elles ne doivent pas se substituer à une politique de redistribution des revenus, de création d’opportunités de travail, et pas nécessairement sous forme d’emplois, parce qu’il existe des dynamiques productives et économiques différentes. Cela ouvre un débat plus vaste qui doit s’inscrire au cœur de l’activité politique d’un pays, mais qui n’est possible que dans la mesure où il se nourrit d’une pratique quotidienne, de processus de formation, de dialogues avec d’autres organisations.
Contacts :
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2847.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Bulletin Nueva Tierra (Argentine), juin 2005.
En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.