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Alerte rouge : une seule terre

Institut tricontinental en recherche sociale

vendredi 11 juin 2021, par Françoise Couëdel

2 juin 2021. Selon le PNUMA (Programme des Nations unies pour l’environnement) trois « crises planétaires auto-infligées » — le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution — « mettent gravement en péril le bien-être de la génération actuelle et des futures générations. »

Un nouveau rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUMA), Faire la paix avec la nature (2021), souligne « la gravité de la triple urgence environnementale de la Terre : le changement climatique, la perte de biodiversité, et la pollution ». Ces « trois crises planétaires que nous nous infligeons font courir un risque inacceptable au bien-être de la génération actuelle et des futures générations », dit le PNUMA. Cette alerte rouge, publiée à l’issue de la Journée mondiale de l’environnement (5 juin), a été élaborée tandis qu’avait lieu la Journée internationale de lutte anti-impérialiste.

Quelle est l’ampleur de la destruction ?

Les écosystèmes se sont dégradés à un rythme alarmant. Le rapport de 2019 de la Plateforme intergouvernementale scientifique et normative sur la Diversité biologique et les Services des écosystèmes (IPBES son sigle en anglais) relève des exemples impressionnants du niveau de dégradation :
 Des huit millions estimés d’espèce de plantes et d’animaux existants, un million sont en danger d’extinction.
 Les actions humaines ont condamné à l’extinction au moins 680 espèces de vertébrés depuis 1500, et la population mondiale des espèces de vertébrés a diminué de 68% dans les 50 dernières années.
 La quantité d’insectes sylvestres a diminué de 50%.
 Plus de 9% des races de mammifères domestiqués utilisés pour l’alimentation et l’agriculture s’étaient éteintes en 2016, et mille races encore sont actuellement en danger d’extinction.

La dégradation des écosystèmes se trouve accélérée par le capitalisme qui intensifie la pollution et le déversement de résidus, la déforestation, l’exploitation et le changement d’usage de la terre, les systèmes d’énergies carbonées. Par exemple le rapport du Groupe intergouvernemental d’Experts sur le changement climatique, Le changement climatique et la terre (janvier 2020) indique qu’il ne reste que 15% de zones humides, car la majorité ont été dégradées au point qu’elles ne puissent pas se régénérer. En 2020 l’UNEP a signalé que, entre 2014 et 207, les récifs coralliens ont souffert du blanchiment le plus long enregistré jusqu’alors. Les projections indiquent que les récifs de corail diminueront dramatiquement à mesure qu’augmenteront les températures. Si le réchauffement global augment de 1,5° C, il ne restera que 30% de coraux, tandis que si l’augmentation est de 2° C, il n’en restera à peine qu’1%.

Dans l’état actuel des choses il y a de fortes probabilités que dans l’océan Arctique la glace ne se forme plus en 2035, ce qui perturbera autant les écosystèmes que la circulation des courants océaniques en transformant probablement le climat et la météorologie régionale et mondiale. Ces modifications de la superficie glacée de l’Arctique ont déjà déclenché une course entre les grandes puissances pour la domination militaire de la région et le contrôle des riches ressources énergétiques et minières, ouvrant ainsi la voie à une dévastation écologique majeure. En janvier 2021, dans un article intitulé « Récupération de la domination sur l’Arctique » l’Armée des États-Unis a qualifié l’Arctique de « conjointement un scenario de compétence, une ligne d’attaque conflictuelle, une zone vitale qui renferme de nombreuses ressources pour notre nation et une plateforme pour la projection du pouvoir global »

Le réchauffement des océans se produit en même temps que le déversement annuel de jusqu’à 400 millions de tonnes de métaux lourds, de solvants, et de résidus toxiques (entre autres des rejets industriels), sans compter les rejets radioactifs. Ces dernières années ce sont les résidus les plus dangereux mais ils représentent une faible proportion du total des rejets déversés dans l’océan, qui comptent des millions de tonnes de déchets plastiques. Une étude de 2016 indique que, en 2050, il est probable que le poids de ces déchets plastiques dans les océans dépassera le poids des poissons. Dans la mer le plastique s’accumule sous l’effet de gyres, et l’un de ces amas est le Grand vortex d’ordures du Pacifique, connue sous le nom de l’île aux ordures , une masse estimée à 79 mille tonnes de plastique qui flottent concentrés sur une surface de 1,6 km2 (la taille approximative de l’Iran). Les rayons ultraviolets du soleil dégradent les résidus en microplastiques dont il est impossible de se débarrasser, qui altèrent les chaines alimentaires et détruisent les habitats. Le déversement des résidus industriels dans les eaux, y compris dans les fleuves et autres superficies d’eau douce, engendre au moins 1,4 millions de morts par an dues à des maladies curables qui sont dues à l’eau contaminée par des pathogènes

Les résidus dans les eaux ne sont qu’une petite fraction des résidus produits par les être humains, qui sont estimés à 2 milliards 110 millions de tonnes annuelles. Seuls 13,5 % de ces résidus sont recyclés, tandis que 5,5% seulement sont compostés. Les 81% restants, sont abandonnés dans des décharges, incinérés (ce qui émet des gaz toxiques et à effet de serre) ou finissent dans les océans. Au rythme actuel de production de déchets, on estime que ce chiffre va augmenter de 70% jusqu’à atteindre 3 milliards 400 millions de tonnes annuels en 2050.

Aucune étude n’indique une diminution de la pollution, ni de la production de déchets ou une décélération de l’augmentation de la température. Par exemple, le rapport sur la Brèche des émissions de la UNEP (décembre 2020) montre que, au rythme actuel des émissions, le monde s’achemine vers une augmentation de température d’au moins 3,2°C au-dessus des niveaux préindustriels pour 2100. Cela dépasse de loin les limites établies par l’Accord de Paris de 1,5°C – 2°C. Le réchauffement global et la dégradation environnementale s’alimentent mutuellement : entre 2010 et 2019 la dégradation et la transformation de la terre — qui incluent la déforestation et la perte en carbone des sols cultivables — ont contribué à un quart des émissions de gaz à effet de serre, et le changement climatique a aggravé encore davantage la désertification et l’altération des cycles de nutrition des sols.

Quelles sont les responsabilités communes et les responsabilités différenciées ?

Lors de la Déclaration de 1992 de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, le septième principe reconnu des « responsabilités communes mais différenciées » — fixé par la communauté internationale — établit que toutes les nations doivent entreprendre des actions quant à certaines responsabilités communes pour réduire les émissions, mais que les pays développés ont les plus grandes responsabilités différenciées dues au fait historique de leur contribution bien supérieure aux émissions globales accumulées responsables du changement climatique.

Si nous considérons les données du Projet global du carbone du Centre d’analyse d’information sur le dioxyde de carbone il révèle que les États-Unis à eux seuls, ont été la source principale des émissions de dioxyde de carbone depuis 1750. Historiquement, les principaux émetteurs de dioxyde de carbone ont été les puissances industrielles et coloniales, en particulier les États européens et les États-Unis. Depuis le XVIIIe siècle, ces pays non seulement ont émis la plus grande part de carbone dans l’atmosphère mais ils continuent à dépasser la norme qui est la leur, selon le Budget mondial du carbone en proportion de leur population. Les pays dont la responsabilité est moindre dans la création de cette catastrophe climatique — comme les petits États-île — sont les plus impactés par ses conséquences désastreuses.

L’énergie bon-marché basée sur le charbon et les hydrocarbures, en même temps que le pillage des ressources naturelles par les puissances coloniales, a permis aux pays d’Europe et d’Amérique du Nord d’augmenter le bien-être de leurs populations au détriment du monde colonisé. Actuellement l’inégalité extrême entre la qualité de vie moyenne d’une personne en Europe (sur 747 millions d’habitants) et d’une personne en Inde (sur 1 milliard 380 millions d’habitants) est aussi importante qu’il y a un siècle. La dépendance de la Chine, de l’Inde et d’autres pays en développement au carbone, au charbon en particulier, est effectivement très élevée ; même si son utilisation récente par la Chine et l’Inde est très inférieure à celle des États-Unis. Les chiffres de 2019 des émissions de carbone par tête en Australie (16,3 tonnes) et États-Unis (16 tonnes) sont plus du double que ceux de la Chine (7,1 tonnes) et de l’Inde (1,9 tonnes).

Chaque pays dans le monde doit progresser pour sortir de la dépendance à l’énergie basée sur le charbon pour éviter la dégradation à grande échelle de l’environnement, mais les pays développés doivent endosser les responsabilités de deux actions urgentes :

1- Réduire les émissions nocives. Les pays développés doivent opérer en urgence une réduction drastique des émissions d’au moins 70 à 80% des niveaux de 1990 d’ici à 2030, et doivent s’engager dans une voie qui accélère ces réductions d’ici 2050.

2- Former à la modération et l’adaptation. Les pays développés doivent aider les pays en développement grâce au transfert de technologies destinées aux sources d’énergie renouvelable, ainsi et leur fournir des financements pour qu’ils réduisent les impacts climatiques et s’y adapte. La Convention-Cadre des Nations unies de 1992 a reconnu l’importance de la division géographique du capitalisme industriel entre le Nord et le Sud global et son impact sur les répartitions non équitables du budget global du carbone.

Pour cette raison tous les pays lors des différentes Conférences pour le climat ont décidé de créer le Fonds vert pour le climat, lors de la Conférence de Cancún en 2016. L’objectif actuel est de 1milliard 100 millions annuels pour 2020. Les États-Unis, sous la nouvelle administration Biden, se sont engagés à doubler leur contribution financière internationale pour 2024 et à tripler leur contribution pour l’adaptation ; néanmoins, compte tenu du très bas point de départ, cela s’avère totalement insuffisant. L’Agence internationale de l’énergie suggère chaque année dans son World energy outlook (perspectives de l’énergie dans le monde) qu’en réalité le chiffre pour le financement international pour le climat devrait s’élever à des billions. Aucune des puissances de l’Occident ne s’est engagée à cette échelle vis à vis du Fonds.

Qu’est-il possible de faire ?

1. Parvenir à zéro émissions de carbone. Les pays du monde dans leur ensemble, sous l’égide du G20 (qui représente 78% du total des émissions mondiales), doivent établir des plans réalistes pour parvenir à zéro émissions nettes de carbone. Dans la pratique cela signifie zéro émissions de carbone en 2050

2. Réduire l’empreinte carbone de l’Armée des États-Unis. Actuellement l’Armée étasunienne est la plus grande institution émettrice de gaz à effet de serre. Une réduction de l’empreinte carbone de cette armée réduirait significativement les problèmes politiques environnementaux

3. Offrir des compensations climatiques aux pays en développement. Garantir que les pays développés offrent des compensations climatiques pour les pertes et les dommages occasionnés par leurs émissions de carbone. Exiger que les pays qui polluent les eaux, les sols et l’air avec des résidus toxiques et dangereux – y compris des déchets nucléaires – assument le coût du nettoyage. Exiger la fin de la production et de l’usage des résidus toxiques.

4. Fournir financements et technologies aux pays en développement pour la régulation et l’adaptation. En outre les pays développés doivent apporter 1 milliard 100 millions de dollars annuels pour subvenir aux besoins des pays en développement, y compris pour l’adaptation et la résilience aux réels impacts désastreux du changement climatique. Les pays en développement (spécialement ceux en basse altitude et les petits États-îles) luttent déjà contre ces effets. Il faut également envisager un transfert de technologie aux pays en développement pour la compensation et l’adaptation.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://thetricontinental.org/es/alerta-roja-11-mediomabiente/.

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