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DIAL 3599

BRÉSIL - 43 millions de Brésiliens vivent sans revenu du travail, soit 21%. Entretien exclusif avec Waldir Quadros

Patricia Fachin

mercredi 29 décembre 2021, mis en ligne par Dial

Dans cet entretien conduit par Patricia Fachin et publié le 24 novembre 2021 par le site de l’Instituto Humanitas Unisinos, l’économiste Waldir Quadros analyse les effets de la crise économique et de la pandémie sur les classes populaires et proposent différents leviers d’actions pour l’action publique.


« Ce contingent de personnes sans revenu illustre ce qui a été débattu dans le pays : la nécessité d’une aide d’urgence », affirme l’économiste.

Les données de l’Enquête nationale par sondage auprès des ménages (PNAD), qui publie des informations sur les revenus du travail, « mettent en évidence la réalité de la pauvreté croissante dans le pays », déclare l’économiste Waldir Quadros, dans un entretien accordé par WhatsApp à l’Instituto Humanitas Unisinos (IHU).

Selon lui, cette année, 43 millions de Brésiliens vivent sans revenu du travail, ce qui représente environ 21% de la population. De 2019 à 2020, près de 13 millions de Brésiliens ont commencé à vivre dans cette situation. « Ces données montrent des familles dans lesquelles il n’y a aucun membre employé ou percevant un revenu du travail. Une partie de ces familles est composée de retraités, qui n’ont aucun revenu du travail, mais perçoivent une allocation de retraite, généralement à hauteur d’un salaire minimum. Dans ce groupe se trouvent aussi ceux qui perçoivent les prestations du programme Bolsa Família [1] et ceux qui perçoivent un certain type de revenu qui ne vient pas du travail. Et 80% de ces personnes sont pauvres », résume-t-il.

« Les personnes qui vivent du recyclage, par exemple, sont comprises dans celles qui vivent des revenus du travail – le PNAD inclut tous les travailleurs, qu’ils soient informels ou formels, y compris les collecteurs de matières recyclables », précise l’économiste.

Parmi les sources de revenus qui ont garanti une aide à de nombreuses familles en cette période de vulnérabilité et de montée du chômage, Quadros met en avant la retraite. « Une importante source de revenus pour ces personnes et ces familles a été l’allocation minimum retraite. Les retraités ont un revenu garanti. En ce sens, préserver et valoriser les petites retraites est important, car la grande majorité de la population vit avec un minimum retraite d’un salaire minimum [2]. La revalorisation des retraites serait une mesure très efficace en ce moment car beaucoup de ces retraités sont chefs de famille ».

Le niveau actuel du chômage, souligne-t-il, devrait accélérer la mise en place de programmes de redistribution de revenus et la mise en place d’un revenu minimum. « Pour l’instant, nous devons miser sur l’aide d’urgence, pour sortir les gens du trou immédiatement, et sur un revenu minimum universel comme quelque chose de permanent ».

Waldir José de Quadros est titulaire d’un diplôme en économie de l’Université de São Paulo - USP et d’une maîtrise et d’un doctorat en sciences économiques de l’Université d’État de Campinas - Unicamp. Il est professeur associé à la retraite à l’Institut d’économie d’Unicamp et professeur aux Facultés de Campinas - Facamp.

Voici l’entretien.

Que révèlent les données de l’Enquête nationale par sondage auprès des ménages (PNAD) sur l’augmentation de la pauvreté dans le pays, notamment sur le contingent de la population qui vit sans revenus du travail ?

Je travaille avec les données de deux PNAD : l’annuel, le PNAD revenus de toutes provenances, dans lequel il est possible de vérifier les données des ménages (sur l’éducation, le travail, les revenus et le logement), et le PNAD trimestriel, qui recueille les données sur les revenus du travail. La dernière génère une colonne qui correspond aux données des personnes qui vivent sans revenus du travail. J’ai toujours été soucieux d’analyser les données sur le revenu familial, mais compte tenu de la situation actuelle, c’est la première fois que je travaille spécifiquement avec des données sur les familles qui vivent sans accès aux revenus du travail.

Population sans accès aux revenus du travail

Les données sur le contingent de la population qui vit sans revenus du travail sont le grand constat du moment, car elles expliquent la réalité de l’augmentation de la pauvreté dans le pays. Ces données montrent des familles dont aucun membre n’est employé ou ne perçoit de revenus du travail. Une partie de ces familles est composée de retraités, qui n’ont pas de revenus du travail, mais perçoivent des revenus de retraite, généralement d’un montant d’un salaire minimum. Ce tableau comprend en plus des retraités ceux qui perçoivent les prestations du programme Bolsa Família et ceux qui perçoivent un certain type de revenu qui ne provient pas du travail. Et 80% de ces personnes sont pauvres.

Augmentation du chômage

Au second semestre 2014, 26 332 000 personnes appartenaient à cette catégorie de personnes sans revenu du travail. En 2019, en raison de la récession qui a commencé avec le gouvernement Dilma et s’est poursuivie jusqu’en 2018, le nombre de personnes dans cette situation est passé à 34 602 000. De 2014 à 2019, plus de sept millions de personnes ont commencé à vivre en situation de chômage, sans avoir accès à des revenus.
Lorsque nous analysons les données du second semestre 2019 et 2020, il y a une augmentation de près de 13 millions de personnes – 12,8 millions qui ont commencé à vivre sans revenus du travail. En comparant la situation du premier semestre 2020 avec celle du premier semestre 2021, il y a eu une augmentation de 2,5 millions de personnes vivant sans revenu du travail.

Qu’indiquent ces données ? Comment interprétez-vous le nombre croissant de personnes qui vivent désormais sans revenus de travail dans le pays ?

Cette situation est le résultat, d’une part, de la crise économique et de la pandémie de 2020 jusqu’à maintenant. La situation de 2014 à 2019 est attribuée à la récession qui a commencé sous le gouvernement de Dilma et s’est poursuivie les années suivantes. Les grandes périodes d’impact ont été 2016 et 2017, car les effets délétères sont restés. La responsabilité de ce scénario est la politique économique de Dilma et Levy. Le gouvernement Temer a ensuite aggravé la situation et a lancé une bombe à retardement avec l’approbation du plafond des dépenses.

En raison des effets de la pandémie, de 2019 à 2020, en un an, près de 13 millions de personnes n’ont pas eu accès aux revenus du travail. Cela montre le grand impact du chômage sur une courte période. Ce contingent de personnes sans revenus atteste de la pertinence de ce qui a été discuté dans le pays : une aide d’urgence est nécessaire.

Les personnes qui vivent du recyclage, par exemple, sont incluses dans celles qui vivent avec des revenus du travail – le PNAD inclut tous les travailleurs, qu’ils soient informels ou formels. Donc, celui qui est dans cette situation vivant sans revenu de travail n’est pas non plus un recycleur. Le recyclage est déjà un métier stabilisé. Autrement dit, cette situation dont nous parlons est encore plus grave, elle est directement liée au chômage et à la situation des sans-abris, qui se sont multipliés dans les capitales.

À Campinas, à chaque carrefour, une personne apparaît avec une pancarte demandant de l’argent pour acheter de la nourriture. C’est le côté dramatique du nombre qu’il faut souligner. Il est nécessaire de faire comprendre à la société et à ceux qui ont une influence, notamment les parlementaires, le besoin urgent d’une aide d’urgence conséquente. Il est maintenant temps d’augmenter le nombre de personnes dans les programmes sociaux pour redistribuer les revenus, et aussi d’augmenter la valeur des prestations et de fournir une aide d’urgence à ceux qui ne bénéficient pas du programme Bolsa Família. L’argument pour ne pas le faire est le plafonnement des dépenses sociales, c’est-à-dire que l’État ne peut pas dépenser. C’est le drame auquel nous sommes arrivés avec le néolibéralisme. Cela doit changer. Tant qu’on est dans cette situation, il n’y a rien d’autre à faire qu’investir dans l’aide d’urgence.

Ces données représentent quel pourcentage de la population brésilienne qui vit sans revenus du travail ?

Cette année, 21% de la population vit dans cette situation, sans revenus du travail, soit 43 millions de personnes au total. Si l’on divise 43 millions par quatre – qui est le nombre moyen de membres dans une famille –, le résultat est d’environ 11 millions de familles dans cette situation. Et 80% sont pauvres ou misérables.

Quelles sont les sources de revenus des familles qui n’ont pas de revenus du travail et quelle est l’importance de ces revenus en période de vulnérabilité comme celle dans laquelle nous vivons ?

Une importante source de revenus pour ces personnes et ces familles a été la retraite. Les retraités ont un revenu garanti. En ce sens, préserver et valoriser les retraites est important, car la grande majorité de la population vit d’une retraite équivalente à un salaire minimum [3]. La correction des retraites serait une mesure très efficace en ce moment car une partie importante de ces retraités sont responsables de familles. Dans les PNAD complets, il est possible de vérifier que le revenu principal de nombreuses familles – ou le seul revenu – provient d’un membre inoccupé, qui est précisément le retraité.

Le Service continu de prestations est également une source de revenu garanti et lié au salaire minimum, donc une politique sociale extrêmement importante.

Les prestations d’urgence et le programme Bolsa Família ne sont pas liés au salaire minimum. La Bolsa Família est très importante, mais sa valeur est très faible. L’aide d’urgence était significative lorsqu’elle a commencé avec 600 réaux [4] et dépassait la valeur de la Bolsa Família [5]. Elle a assuré une activité minimale au début de la pandémie, car les gens dépensent surtout en nourriture et en loyer. Si une aide d’urgence solide était apportée, il serait possible de réactiver une partie de l’économie, en plus de fournir des revenus immédiats à ceux qui la consomment.

Comment évaluez-vous les discussions autour du projet de loi PEC 29/2020, en cours de discussion au Congrès, sur l’instauration d’un revenu de base, compte tenu du scénario que vous décrivez ? Quel genre de politique de l’État serait nécessaire ?

L’aide d’urgence, comme son nom l’indique, est pour une urgence, pour une situation précise. Le revenu minimum, au contraire, doit être constitutionnel. Cette discussion a été lancée par [le sénateur] Eduardo Suplicy au Brésil, mais aujourd’hui le monde entier discute de cette solution car il n’y a plus assez de travail. Le revenu minimum est très pertinent car il n’y aura pas d’emplois pour tout le monde, compte tenu des changements technologiques. En ce sens, un revenu universel qui prend en charge les besoins de base peut donner de la dignité aux personnes, les empêchant de devoir se soumettre à n’importe quelle situation. La discussion sur le revenu de base est très pertinente et opportune, et nous en débattrons de plus en plus à l’avenir. C’est un problème qui est là pour rester.

Pour l’instant, il faut miser sur l’aide d’urgence pour « sortir les gens du trou » immédiatement, et sur le revenu minimum universel comme quelque chose de permanent. Il sera difficile de les adopter et de les mettre en œuvre rapidement, précisément à cause des arguments liés au plafonnement des dépenses, aux coupes budgétaires, à la manière de réduire les coûts, etc. Je ne vois pas la faisabilité immédiate pour l’approbation de la proposition dans la situation dans laquelle nous vivons.

Des microdonnées du PNAD 2020 – revenus de toutes sources, anticipant les données qui seront publiées à la fin du mois, montrent que plus la population brésilienne est jeune, plus le revenu des ménages est faible. Qu’est-ce que cela indique pour le pays ? Ce scénario est-il une conséquence de la situation actuelle ou est-il lié à un scénario plus inquiétant pour l’avenir ?

Il est difficile de faire une analyse en ce moment. C’est presque impossible, car ces données datent de 2020, mais nous discutons déjà des données trimestrielles pour 2021. Au début de l’année prochaine, j’écrirai un article sur les données complètes qui seront publiées par la PNAD à la fin du mois, en analysant la question de la mobilité. Mais les données 2020 sont déjà impactées par la crise pandémique. Il est difficile, en les analysant, de distinguer quels impacts sont liés à la crise économique ou à la situation structurelle. Il a les deux. L’impact du chômage sur le revenu familial, indépendamment de la pandémie, était déjà une réalité : la réduction de l’emploi est quelque chose qui se produit année après année. Je me réfère spécifiquement aux emplois qualifiés, car lorsque les gens perdent leur emploi qualifié, ils commencent à travailler dans des activités qui n’ont pas besoin de qualification, qu’il s’agisse de travail autonome ou informel, qui sont aussi des formes de précarité.

Le problème est que, depuis les années 1990, nous vivons une détérioration du marché du travail et de l’économie, avec le processus de désindustrialisation. Par conséquent, il est difficile, lors de l’analyse des données agrégées, de mesurer quels sont les effets de la technologie ou de la crise économique sur le chômage, car la désindustrialisation a encore aujourd’hui un impact beaucoup plus fort sur l’industrie que les changements technologiques.

Si tout s’arrange au Brésil, si en 2022 le pays adopte une politique économique adaptée à la crise, nous aurons encore de nombreux problèmes à affronter. S’il y a une réindustrialisation, avec un développement scientifique et technologique dans les dix prochaines années, les impacts de la technologie sur l’emploi se produiront toujours. Ainsi, le revenu permanent est désormais pertinent et le sera de plus en plus.

Le revenu minimum, comme son nom l’indique, est de garantir le minimum. Or, il existe d’autres moyens pour l’État d’intervenir face à cette situation. L’un d’eux est de donner des bourses d’étude, pour retarder l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Cela a été fait entre 2004 et 2014. Durant cette période, la pression des jeunes sur le marché du travail a baissé car les familles avaient des ressources et ils n’avaient pas besoin de travailler et pouvaient étudier, même parmi les pauvres. Les jeunes ne devraient chercher du travail qu’après avoir suivi un cours technique. Les bourses, en ce sens, sont aussi importantes que d’autres mesures ; je dirais qu’elles sont cruciales. L’État doit dépenser.

Une autre possibilité est la retraite anticipée. Comment le plein emploi a-t-il été mis en œuvre dans l’État-providence ? Avec la retraite anticipée, retarder l’entrée des jeunes et anticiper la sortie de ceux qui sont sur le marché du travail. Tout cela doit être financé. D’où l’importance de l’État et des dépenses sociales. C’est pourquoi c’est de la folie de plafonner les dépenses. Ce battage médiatique du secteur financier selon lequel il est nécessaire d’avoir un équilibre budgétaire en permanence est un problème. Quel équilibre aurons-nous dans ce cas ? L’équilibre budgétaire est nécessaire, mais l’État doit dépenser et relancer l’économie.

Pourquoi n’y a-t-il aucune réaction sociale en ce moment face à l’augmentation de la pauvreté, du chômage et de l’inflation elle-même ?

La relative apathie face à l’ampleur de la crise est quelque chose qui attire l’attention. Cela s’explique en partie par la pandémie. Sans la pandémie, les mobilisations auraient eu plus de répercussions. La situation est désespérée et le danger est celui de manifestations non organisées, car les pillages n’ont pas encore commencé. Aujourd’hui, ce qu’on voit, c’est du banditisme, des vols de téléphones portables dans la rue, des actes de vandalisme. Mais l’augmentation des pillages est une réaction possible.
Il y a aussi une faiblesse des partis de gauche, une difficulté du côté des syndicats, qui peinent à survivre, et les mouvements sociaux sont également impactés. Les partis de gauche, par exemple, ne pensent qu’aux élections.

Quelles sont les attentes pour faire face à cette situation sociale après la prochaine présidentielle ?

J’espère que le gouvernement changera dans un sens progressiste. C’est possible. Il y a la candidature de Lula. Qu’on le veuille ou non, c’est une candidature forte, avec peu de rejet, et une grande popularité. J’espère qu’il a mûri. Ceux qui ont eu des contacts avec lui disent qu’il a beaucoup mûri, qu’il est plus conscient de la gravité de la situation – non pas sociale, qui est visible –, mais des enjeux économiques.

Si Lula remporte les prochaines élections, il ne retrouvera pas le scénario de croissance du pays de 2003, dans lequel il a navigué et a pu mener une politique sociale sans toucher à la fiscalité et aux gains du secteur financier. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Maintenant, si vous voulez faire quelque chose de pertinent, vous allez devoir taxer les riches, taxer les dividendes et les bénéfices.

La taxation des riches pour pouvoir dépenser pour les pauvres est cruciale. Et pas seulement pour les pauvres, mais pour les travaux publics, les infrastructures, la technologie, le développement scientifique, la récupération des universités, des écoles et du SUS [6]. Tout est détruit, mais pour changer il faut avoir des ressources fiscales, c’est fondamental. Et, dans un premier temps, il faut garantir les ressources de toutes les manières possibles, car la Banque centrale et le Trésor public peuvent dépenser.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3599.
 Traduction de Pedro Picho pour Dial.
 Source (portugais) : Instituto Humanitas Unisinos - IHU, 24 novembre 2021.

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[1Allocation pour les familles à bas revenus – NdT.

[2192 euros – NdT.

[3192 euros – NdT.

[496 euros – NdT.

[536 euros – NdT.

[6Le système de sécurité sociale – NdT.

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