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DIAL 3640
BRÉSIL - « Semer les résistances » : La CPT organise des actions d’échanges de semences autochtones au Paraná
Andressa Zumpano
vendredi 16 décembre 2022, mis en ligne par
Comme l’expliquent plusieurs textes publiés par DIAL ces dernières années [1], les semences sont un élément clef de la souveraineté alimentaire et de l’autonomie paysanne. Depuis une vingtaine d’années, la Commission pastorale de la terre (CPT) de l’État du Paraná, en association à d’autres organisations sociales, travaille ainsi à encourager la production et la circulation de semences autochtones. L’autrice de l’article, Andressa Zumpano, est membre du secteur de communication du Secrétariat national de la CPT. Ce texte est paru dans le numéro 252 de la revue Pastoral da terra ( octobre-décembre 2021) publiée par la CPT.
Visant à garantir la souveraineté alimentaire et territoriale, les actions de solidarité se sont multipliées pendant la pandémie. Parmi celles-ci, l’échange de semences autochtones et de plants pour les cultures et la reforestation des territoires.
Depuis l’année 2000, la Commission pastorale de la terre du Paraná organise des foires d’échanges de semences. La première fois, ce fut entre les participants de la Romaria [2] de la terre, sur la commune de Cruz. Ce premier essai a permis de consolider l’initiative, qui s’est développée, devenant un élément important du travail de la Pastorale de la terre dans les zones de la réforme agraire, les territoires traditionnels et indiens.
L’expérience s’est renforcée par une construction collective, et diverses organisations sociales, des initiatives autonomes et individuelles sont aussi devenues des partenaires de la CPT du Paraná et sont entrées dans ce réseau.
Ce renforcement et la formation d’un engagement collectif ont encouragé des actions de plus en plus intégrées et engagées pour le bien-être et la souveraineté alimentaire des peuples et communautés traditionnelles. Parmi ces actions, on compte les Journées de l’agroécologie, qui, depuis l’année 2000, sont organisées dans l’État et sont devenues non seulement un espace de débat, de lecture, d’échanges d’expériences, mais aussi l’occasion d’encourager l’échange, la production et la multiplication des semences autochtones.
Cet apprentissage s’appuie sur les savoirs et les coutumes traditionnelles. Selon Isabel Diniz, coordinatrice de la CPT du Paraná, « au fil du temps, les foires d’échange de semences se sont progressivement ajoutées aux événements importants que sont la moisson, les fêtes agricoles et les fêtes paysannes existant déjà dans les communautés. »
Isabel précise à quel point l’initiative s’est propagée depuis la première expérience jusqu’à l’arrivée de la pandémie. « Le fait est que, pendant l’année 2019, nous avons réalisé, organisé et participé à trente-trois fêtes et foires d’échanges de semences au Paraná. Nous étions tellement motivés et engagés que cette question des semences autochtones est devenue une action majeure de la Commission pastorale de la terre du Paraná. »
Pandémie
Nombre d’initiatives lancées par les peuples et communautés traditionnelles ont été affectées par la pandémie. Dans la région du Paraná était prévue pour l’année 2000 une romaria de la Terre avec l’échange de semences autochtones comme thème central.
Isabelle raconte : « Notre trente-troisième Romaria de la terre au Paraná s’inscrivait dans la perspective de célébrer la vie dans les semences, en y associant le défi du thème annuel de la Campagne de fraternité. La romaria devait se faire dans la région centre-sud du Paraná sur la commune de Fernandes Pinheiros, dans le cadre de la septième fête régionale des semences autochtones. C’est une région où se mobilisent de nombreux gardiens et gardiennes de semences, une région où sont produites beaucoup de semences, y compris en opposition à la monoculture du tabac qui fait grand usage des pesticides. »
Avec la pandémie, ont été suspendues toutes les activités de la CPT du Paraná et de ses partenaires auprès des communautés et peuples traditionnels. Il fallait alors trouver le moyen de faire circuler les semences autochtones qui étaient prévues pour les plantations de 2020, et qui devaient être distribuées pendant la Romaria de la terre et les autres fêtes d’échange de semences dans l’État.
Les responsables proposèrent d’organiser un rassemblement pour l’achat et la distribution des semences des gardiens et gardiennes de l’État. Isabel raconte comment s’est déroulée l’opération. « Nous avons entrepris de réunir les gardiennes femmes en août 2020, dans la maison communautaire des semences de l’Association brésilienne de protection de l’enfance, à Mandirituba. En pleine crise sanitaire tout le monde est venu en prenant toutes les précautions nécessaires. Nous avons réussi à rassembler les plants et les graines de trente-huit gardiennes des semences venues de seize communautés des cinq grandes régions de l’État. Après une cérémonie, chaque entité ou groupe a emporté les semences dans sa région. Ces graines ont été distribuées dans quelques territoires indiens, aux communautés forestières, dans les zones de réforme agraire et pour quelques jardins solidaires expérimentaux en périphérie urbaine. Cette expérience a montré qu’il était possible de réunir les semences et de les faire parvenir à bon port. Ainsi, en même temps que nous distribuions des paniers alimentaires, nous remettions des plants et des graines, principalement pour les jardins solidaires et pour les jardins domestiques dans les zones urbaines périphériques. Ce fut une belle réussite associée à d’autres actions solidaires. »
Ces actions ont d’abord été mené en co-organisation entre la CPT du Paraná et d’autres organisations sociales. S’est mis en place ensuite un partenariat avec le ministère du travail, dans le cadre du Réseau semences de l’agroécologie (RESA), mis sur pied en deux étapes, entre septembre et octobre 2020.
Cet accord a permis de distribuer cinquante-sept tonnes de semences autochtones dans tout l’État du Paraná, comprenant haricots, riz, maïs et légumineuses, ainsi que des plants de pommes de terre, persil, igname, cará, bananier, juçara, palmito, et divers plants fruitiers. La distribution a été réalisée parmi les communautés traditionnelles, les peuples indiens et dans les zones urbaines, avec l’engagement par chaque groupe bénéficiaire de produire et rapporter de nouvelles graines destinées à la redistribution.
Isabel insiste sur la dimension de l’opération menée pendant la pandémie et sur l’importance qu’elle a représentée pour les communautés traditionnelles, les peuples indien, les zones de réforme agraire et les périphéries urbaines, en garantissant la souveraineté alimentaire et territoriale de populations qui sont en permanence menacées par l’expansion de l’agrobusiness dans l’État. « Nous pouvons dire ainsi que ce fut une expérience fantastique qui a également développé l’échange et le dialogue entre la ville et le monde rural, et contribué à une valorisation de la lutte pour la terre. »
Dans l’avenir, la CPT du Paraná prévoit de construire une nouvelle maison communautaire pour les semences autochtones et d’élaborer de nouveaux projets, qui prolongeront et s’appuieront sur l’expérience acquise pendant la pandémie.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3640.
– Traduction de Lucile et Martial Lesay pour Dial.
– Source (portugais) : Pastoral da terra, n° 252, octobre-décembre 2021, p. 15.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, les traducteurs, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.
[1] Voir notamment, DIAL 3378 - « La défense des semences en Amérique latine : Perspectives et défis », 3379 - « MEXIQUE - Semences autochtones et liberté des peuples », 3380 - « VENEZUELA - L’Assemblée nationale chaviste a approuvé une Loi des semences anti-OGM et antibrevets avant le changement de majorité », 3381 - « ÉQUATEUR - Une nouvelle politique pour le monde rural ! L’agriculture biologique et paysanne : Saine, durable et créatrice d’emplois. Entretien avec Luis Andrango et José Cueva, seconde partie », 3451 - « VENEZUELA - La souveraineté commence par les semences », 3549 - « URUGUAY - Semences et agroécologie : Entre initiatives individuelles et politiques publiques », 3557 - « COSTA RICA - Une loi pour la privatisation des semences » et 3625 - « VENEZUELA - « La pomme de terre est la culture de la résistance » : Entretien avec Liccia Romero ».
[2] Les romarias sont des moments de rencontres – note DIAL.