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DIAL 3705
BRÉSIL - Changement climatique, soja et inondations dans le Rio Grande do Sul : Aux racines du problème
Claudio Medaglia
vendredi 28 juin 2024, mis en ligne par
Le biologiste Eduardo Vélez explique à Claudio Medaglia (Brecha, Uruguay) comment la croissance exponentielle des cultures de soja dans l’État de Rio Grande do Sul est en partie responsable des inondations survenues début mai. Article paru dans l’édition 2009 de l’hebdomadaire Brecha (24 mai 2024).
L’utilisation du sol et, en particulier, l’extension croissante de la monoculture du soja jouent un rôle important dans la catastrophe naturelle qui a touché l’État de Rio Grande do Sul.
Le déséquilibre entre les surfaces occupées par l’agriculture et les espaces de végétation naturelle est l’un des principaux facteurs responsables de la catastrophe climatique qui a dévasté une partie du Rio Grande do Sul, fait plus de 160 morts et touché plus de 2 millions de personnes, selon l’initiative MapBiomas, qui participe au Système d’estimation des émissions de gaz à effet de serre de l’Observatoire du climat, un réseau collaboratif qui rassemble des ONG, des universités et des entreprises de technologie, dont les recherches couvrent tout le territoire brésilien, ainsi que celui de l’Argentine et de l’Uruguay.
Pour renforcer la lutte contre de nouveaux évènements climatiques extrêmes de cet ordre, il faut faire marche arrière, surtout pour ce qui est de la culture du soja, déclare à Brecha le biologiste Eduardo Vélez, chercheur à MapBiomas pour le biome Pampa [1]. Une étude récente de MapBiomas montre que l’État de Rio Grande do Sul a perdu environ 3,5 millions d’hectares de végétation naturelle entre 1985 et 2022. Cette zone correspond à 22% de la couverture végétale constituée de prairies et de forêts, entre autres, dans cet État brésilien. Au cours de cette période, plus d’1 million d’hectares de forêt a été transformé en cultures de soja dans la zone de pampa de Rio Grande do Sul, explique ce chercheur. Cet État a aussi perdu 3,3 millions d’hectares (soit 32%) de ses zones de pacage, adaptées au climat tropical de Rio Grande do Sul et constituées essentiellement de pâturages et de petits arbustes. Ces étendues – utilisées historiquement pour l’élevage extensif, activité moins agressive pour le sol et qui conserve les caractéristiques biologiques et les fonctions environnementales originelles – ont laissé place aux cultures de soja qui ont augmenté de 366%. En 1985 il y avait 1,3 million d’hectares de cultures légumières. En 2022, il y en avait 6,3 millions.
Selon Vélez, l’avancée des cultures d’oléagineuses sur des zones occupées auparavant par des prairies indigènes et des pâturages impacte l’état des sols. La végétation indigène réduit la vitesse à laquelle l’eau atteint le lit des rivières, facilite l’infiltration dans le sol et diminue la sédimentation. Bien que le soja couvre le sol et consomme de l’eau au cours de son développement, il n’aurait pas les mêmes capacités que la végétation indigène pour retenir l’eau et la terre lors des pluies qui frappent le Rio Grande do Sul, du fait des caractéristiques de son système radiculaire. « L’élimination de cette végétation n’est pas responsable de ce qui se passe, mais elle participe du problème. Pour préparer l’avenir, nous devons donc faire marche arrière et rééquilibrer le rapport entre la production agricole et le pourcentage de végétation indigène », affirme-t-il. Vélez révèle que la perte de cette végétation s’est opérée dans tout le Rio Grande do Sul, mais plus significativement dans le bassin du rio Guaíba, où ont été détruits 1,3 millions d’hectares.
L’origine de l’inondation, la région d’Alto Jacuí, où les fortes pluies ont fait déborder les cours d’eau adjacents et inondé plusieurs municipalités du bassin hydrographique du Guaíba – qui couvre 2 900 kilomètres carrés –, est un bon exemple de ce qu’explique le chercheur. Là-bas, Seuls 19% de la superficie sont couverts de végétation indigène. La carte de couverture et usage du sol établie par MapBiomas en 2022 montre la mauvaise répartition de la végétation dans tout ce bassin et témoigne de l’avancée du soja sur les zones boisées.
Les modèles climatiques actuels indiquent que le volume de pluie sur le Rio Grande do Sul augmentera dans les prochaines 50 années. La faute en est l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre qui affecte la circulation atmosphérique, en emmagasinant l’humidité et en empêchant l’avancée de fronts froids. « Nous devons réfléchir à comment préparer le terrain pour que les pluies à venir ne détruisent pas tout, y compris le sol. Il faut retenir l’eau en amont des fleuves », met en garde Vélez. Le biologiste suggère de restaurer la végétation indigène sur au moins 30% de la zone du bassin du Guaíba, à partir de la région de Cruz Alta et Passo Fundo.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3705.
– Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
– Source (espagnol) : Brecha (Uruguay), n° 2009, 24 mai 2024.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Selon la classification de MapBiomas, ce biome comprend une bonne partie du Rio Grande do Sul, la totalité de l’Uruguay, les provinces argentines d’Entre Ríos et Buenos Aires et une partie de celles de Corrientes et Santa Fe.