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DIAL 2986
NICARAGUA - Du télescope au microscope : trois membres de pandillas témoignent, deuxième partie
José Luis Rocha
samedi 1er mars 2008, mis en ligne par
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L’existence des maras, encore appelées pandillas [1] et la violence croissante de leurs activités est depuis quelques années un sujet de préoccupation pour les gouvernements centro-américains tout autant qu’un objet de recherche universitaire et de documentaires [2]. Dial a déjà publié de nombreux articles sur la question [3]. Cet article de José Luis Rocha, chercheur du service jésuite pour les migrants d’Amérique centrale (SJM) et membre du conseil éditorial d’Envío nous a semblé apporter quelque chose de plus : long et approfondi, il brosse un panorama remarquablement complet de la situation au Nicaragua, dont on parle moins souvent que de ses voisins le Guatemala, le Honduras et El Salvador. La première partie de cet article a été publiée dans le numéro de février.
Une expérience intéressante : le CEPREV
En partant de l’idée que la violence prend racine dans la culture, le Centre de prévention de la violence (CEPREV) a entrepris un travail louable de pacification des jeunes membres des pandillas. Le CEPREV est l’unique instance, hormis la Police nationale du Nicaragua, qui cherche à reconvertir l’ensemble du groupe et pas seulement les individus, sans pour autant négliger l’attention personnalisée. Travailler exclusivement avec les individus permet à la pandilla de perdurer en recrutant de nouveaux membres. C’est pour cela que l’on doit travailler avec le groupe.
Ceci est globalement la manière dont le CEPREV envisage la question. Cette ONG a à son actif une expérience de huit ans dans la réhabilitation de pandilleros, période pendant laquelle ses promotrices ont travaillé dans 22 quartiers. Sa méthode consiste à organiser des débats dans les collèges – destinés aux professeurs, parents et élèves –, et à proposer une attention psychologique, des visites et des ateliers dans les quartiers, des visites à domicile dans les familles. Elle réalise aussi des formations sous forme d’ateliers portant sur l’estime et la connaissance de soi qui visent à ouvrir une réflexion sur l’origine de la haine des jeunes, les raisons de l’usage des drogues et des armes, et les sensibilisent sur les conséquences de la violence.
Après avoir effectué une recherche sur les organismes de la société civile qui travaillent avec les jeunes impliqués dans la violence juvénile, l’anthropologue Wendy Bellanger a conclut que « la clé pour diminuer la violence exercée par la jeunesse au sein de pandillas pourrait se trouver dans des programmes comme celui du CEPREV, qui attaquent la culture de la violence sans s’attacher au thème spécifique d’abandon de la pandilla ». Le CEPREV travaille sur l’estime de soi à travers des visites de psychologues aux pandilleros, à leur famille et aux voisins, sans prétendre les arracher à leur milieu et désintégrer la pandilla L’un des moyens principaux consiste à transformer les pandilleros en « leaders de la paix », ce qui, en plus d’inverser – de changer de signe – le leitmotiv qui les rassemblait, permet de maintenir leur estime de soi et de les convertir en agents de leur propre réhabilitation.
Ce rôle de protagoniste est justement présenté comme un des facteurs clé de leur succès. Du fait de la camaraderie qui existe entre les psychologues et les autres membres de l’équipe – le personnel comprend au total six membres –, les jeunes sentent qu’ils sont entrés dans la sphère du socialement acceptable, dans une situation de respect et d’apprentissage constant sur les façons de se comporter dans les différents contextes organisationnels et sociaux auxquels ils sont confrontés. En d’autres termes, au lieu d’apprendre le machisme, la violence, et les préjugés, les jeunes apprennent les conduites, le langage et les valeurs qui les aideront à se sentir à l’aise au sein de groupes.
Machisme et autoritarisme : le berceau de la violence
Les ateliers du CEPREV transcendent habituellement le purement informatif et abordent des thèmes psychologiques – comme les relations humaines, la maternité, la paternité, le genre et le machisme. S’y ajoute une présence fréquente dans les différents quartiers. Ils cherchent à favoriser une maturité émotionnelle croissante chez chacun et font en sorte que les jeunes découvrent leurs propres façons non violentes de s’exprimer. Les ateliers sont menés en groupes composés à la fois de jeunes pandilleros et d’autres habitants du quartier. Cet espace mixte contribue également à ce que l’acceptation sociale se négocie de façon tangible pour les pandilleros.
Le CEPREV réalise aussi des ateliers avec des journalistes, des professeurs et des policiers afin de changer la façon dont sont traités les pandilleros. Le travail de sensibilisation avec les journalistes est vital pour influer sur la perception publique des pandillas et de la violence juvénile. En huit années d’existence, le CEPREV a travaillé avec 15 000 jeunes et 30 000 personnes de manière indirecte dans 21 quartiers du District V, de Tipitapa et de Ciudad Sandino. Malheureusement, les limitations financières que connaît le CEPREV n’ont pas permis d’étendre son action.
Les promoteurs de cet organisme soutiennent que les causes de la violence juvénile sont culturelles : le machisme et l’autoritarisme. Selon un point de vue psychogénique, ils identifient « en premier lieu la désintégration familiale car elle fait partie d’un problème culturel. On est élevé dans cette ambiance caractéristique de la famille autoritaire, même si en général, dans les familles des pandilleros, le père est absent. S’il est présent, c’est lui qui constitue le pouvoir principal ». Il arrive alors que le jeune « ne soit pas accepté chez lui et qu’il parte dans la rue, vers un groupe où il est accepté, où il n’est pas discriminé. Et c’est là qu’il va se sentir réalisé négativement parce qu’il va tout évacuer sous une forme très négative au travers de la drogue, de la violence. C’est là qu’il évacue toute sa colère ». C’est ainsi qu’ils parviennent à la conclusion que la violence est « un problème culturel, de rôles qui sont imposés par notre culture ».
Quelques liens qui manquent et qui nous éclairent
Les promoteurs associent le problème micro-psychologique avec le macro-social – « Il y a le mauvais exemple des politiques. Ils nous disent : ceux d’en haut volent, donc nous aussi on va voler. Si le Président et les députés volent, pourquoi je pourrais pas, moi ? ». Mais ils ne passent pas au niveau plus abstrait qu’impliquerait parler du système et de sa délégitimation. Tout est expliqué en termes de psychogénèse, comme le fruit de l’apprentissage des rôles : du voleur, du violent. Les pandillas se présentent ainsi comme un phénomène arraché à son contexte socioéconomique, qui apparaît à un moment déterminé et ne cesse de s’accroître : « ça a commencé avec le break dance, avec les Chiots de Sandino, les tatouages, la musique. A partir de là ils ont commencé à s’organiser aux coins des rues. »
L’approche psychogénique fournit des outils très utiles pour mettre en pratique une attention effective à l’individu et au groupe. Mais il est aussi nécessaire de ne pas perdre de vue l’inscription historique et socioéconomique de ce phénomène afin de ne pas laisser de côté des éléments qui pourraient éclairer, enrichir et repositionner dans le temps et l’espace son traitement. Par exemple, en étendant cet intéressant cadre théorique au plan social et à l’évolution historique, ils pourraient se demander pourquoi le rôle du pandillero apparaît à un moment donné comme une forme de violence juvénile, quels sont les échanges qu’entretient ce rôle social avec d’autres rôles présents dans le société nicaraguayenne, quelles sont les différences et les similitudes entre les pandillas de la fin des années 90 et celles des années 70 et 80, quel effet ont les organisations ecclésiastiques sur la modulation des rôles, quel impact sur la pandilla ont-elles du fait qu’elles offrent des espaces de vie collective qui complètent la famille ou se substituent à elle, quel impact indirect joue sur la violence juvénile le travail des organismes non gouvernementaux qui ne se centrent pas sur ce thème mais qui incitent, grâce à leur tissu de promoteurs sociaux, à la participation citoyenne dans la micro-politique locale.
Une plus ample réflexion sur ce thème aurait pour effet de rendre plus conscients les promoteurs du CEPREV que des pans entiers de la société sont touchés par leur intervention sans qu’ils se soient fixés nécessairement ce but de façon explicite, et permettrait qu’ils se rendent compte de tout le potentiel de leur travail, y compris par des voies qui ne sont pas envisagées dans leur stratégie. Tout cela n’enlève rien à l’inestimable mérite qu’ils ont à se rendre sur le terrain et à pénétrer dans les « longues et dures » vies de tant de jeunes à qui ils ont apporté beaucoup et qu’ils ont su convertir à une culture de la non-violence.
Camilo Arce, El Piruca, témoigne
Un exemple notable du succès des interventions du CEPREV est l’histoire de Camilo Arce, alias El Piruca [4], qui était âgé de 20 ans au moment de cette interview et qui est l’un des jeunes qui m’a le plus apporté dans mes explorations sur les pandillas. Il a partagé avec moi sa vie, ses amis et son temps pour m’accompagner dans de nombreuses visites et il m’a offert sa protection.
Camilo vient d’une famille où sa mère et son beau-père souffraient tous les deux de problèmes d’alcoolisme. Après être passé par les maisons de son père et de tantes, Camilo a terminé dans une minuscule petite maison du Reparto Schick [5], avec sa mère, son beau-père et sa soeur cadette. Sa haine s’est exprimée très tôt : »Avant de rejoindre la pandilla, j’avais déjà une réputation de rebelle à cause de la façon dont me traitait ma famille. Alors j’arrivais et je cherchais un moyen de me décharger de tout ce qu’ils me faisaient. Je voulais me défouler sur d’autres personnes. Alors je ne traînais pas à l’école parce que les professeures voulaient parfois m’agresser comme à la maison. Elles me disaient : “Camilo, tais-toi !” Ou elles nous menaçaient avec une règle. Ça, ça ne me plaisait pas et je les agressais à coup de pieds et je ne traînais pas beaucoup à l’école. Ça fait 7 ans déjà que je n’étudie plus. »
« J’ai changé pour ma petite sœur »
« J’ai commencé à traîner dans des affaires louches à l’âge de treize ans. Mais j’ai commencé à m’impliquer vraiment dans les pandillas à 14 ans. Je suis entré parce que j’aimais que les gars me disent : « Regardez, le Piruca est malin, il se dégonfle pas ! » Parce qu’ils m’appelaient le Piruca (le buveur) comme une marque d’affection. On se donnait tous des surnoms négatifs. Ce que moi j’aimais bien c’était que les salopiots disaient : Ce gars est malin, ne le laissez pas mourir, il se défonce et il se donne à fond. Les salopiots me louaient comme un symbole. Ils me considéraient comme un trophée dans la pandilla : Ce gars est malin, ce gars ne se dégonfle pas. Je me sentais content quand les salopiots parlaient ainsi. Plus ils disaient ça, plus je m’investissais à fond. Je me sentais alors comme un symbole et un bouclier pour eux. »
« Après j’ai monté une pandilla qu’on appelait Les Soyeros. Elle était grande. Après est apparue la pandilla qu’on appelait La Pradera et qui est devenue célèbre quand il y’a eu un mort. Après sont apparus Les Gasparines, c’étaient les plus jeunes, et après la pandilla s’est reformée à partir de quatre membres et des Mataperros. Dans ma pandilla on est tous restés invaincus. Invaincus ça veut dire qu’il n’y a pas eu de morts, seulement des blessés. La lutte entre pandillas fut terrible car on ne respectait même pas les policiers. On leur rentrait dedans avec ce qu’on avait sous la main : des bouteilles ou n’importe quoi d’autre. S’ils nous tiraient dessus, nous on allait dans un coin qu’il y avait par là. Un jour ils m’ont attrapé et m’ont donné un coup de pied dans la poitrine et je suis tombé du haut d’un mur. Après ils m’ont attrapé par les cheveux pour me relever car j’avais les cheveux longs. Ils m’ont attrapé le pantalon et m’ont jeté aux mains de la patrouille en me frappant. J’ai passé une semaine à cracher du sang par la bouche. J’étais en train de mourir et la juge m’a dit de les dénoncer, d’aller voir le légiste mais je lui ai dit que je voulais rien de tout ça, que je voulais juste mourir seul. »
Après que la pandilla s’est divisée et qu’il a été battu, après avoir condamné son beau-père à « chier dans un sac », Camilo a commencé à avoir peur pour sa sécurité et pour l’avenir de sa sœur : « À partir du moment où ils m’ont tous frappé, j’ai senti la peur. J’ai pensé que je m’étais fourré dans une zone de mort, de risque quoi. J’ai senti une vraie peur, tout ça ce n’était pas pour rire, j’ai eu peur de rentrer plus à fond dans la pandilla. À partir de ce jour, j’ai connu la peur, avant je n’avais pas peur. J’étais comme une personne du genre super héros, comme Superman, à lui il ne lui arrive rien. Donc à partir de ce grand tabassage j’ai eu peur et j’ai commencé à penser. »
« J’ai poignardé mon beau-père, je l’ai frappé à coups de bâtons et de batte sur la tête et je lui ai causé une grande blessure. Et tout ça, ma petite sœur le voyait, et ça la traumatisait pas mal. Alors je me suis mis à penser qu’il pourrait lui arriver quelque chose plus tard. J’ai surtout changé pour me sauver moi et pour que ma sœur ne tourne pas mal plus tard. J’aime beaucoup cette petite fille et je donnerais ma vie pour elle. C’est pour ça que j’ai changé. Parce que ma mère, elle a la vie qu’elle a, mon beau-père, il a la vie qu’il a, mais ma sœur elle est petite. Ok ? Et je n’aimerais pas que plus tard elle fasse partie de ces filles qui tombent dans ce genre de choses. Pour moi, ma petite sœur est comme un ange. Je m’appuie sur elle, et aussi sur moi-même. Ça m’aide de penser que je vaux quelque chose aussi.
« Maintenant je me sens comme un leader de la paix »
Cette conscience d’avoir de la valeur en tant que personne et l’utilisation des mots « penser » et « traumatiser » dénotent l’intériorisation du discours du CEPREV. Camilo a été poussé à assumer un autre rôle social et il le perçoit ainsi : « Maintenant je me sens comme un leader dans ma manière de vivre, comme un leader de la paix. Parce que je leur explique comment ils peuvent aussi changer. Alors ils m’ont appelé comme ça et je me sens aussi comme ça. »
« Les gars m’appuient et quand ils ont des problèmes, ça c’est la plus belle chose que j’ai vue : ils viennent chez moi. Ils me disent : Piruca – parce que ce mauvais surnom m’est resté, mais c’est affectueux –, écoute, j’ai tel problème. Ne t’inquiètes pas, viens demain je leur dis. Même ceux qui me prenaient la tête viennent. Ils me disent : Regarde, Piruca, je ne bois que du guaro [6], je prends plus de pierres [7], aie confiance en moi, je te donne ma parole. Ok mecs – je leur dis –, ne prends pas de cette merde, tu sais bien qu’après tu te lances dans le vol et il t’arrive que des mauvaises choses. Et si je les vois avec des drogues je commence à leur parler. Comme j’ai des dépliants, je leur explique. Je leur raconte mon histoire. Tu te rappelles quand je consommais du guaro avec du diazepán [8] et toute cette merde ? J’ai failli mourir, ça m’a filé de la tachycardie. Je sais que vous aussi vous avez ces symptômes. Et vous savez pourquoi ? Quand vous courrez vous vous étouffez. Faire ça peut entraîner un arrêt pulmonaire. Alors les gars ont la trouille. Comme je sais comment ça marche la drogue, je parle de ce que j’ai senti. »
Parvenir à assumer cette position, qui fait de lui le sujet de sa propre réinsertion, est un long processus, qui requiert un travail lent et obstiné de la part des psychologues du CEPREV. Camilo a transmué son rôle social : de leader violent en leader de la paix. Sa métamorphose culturelle est rendue possible car il joue un rôle de protagoniste dans beaucoup d’autres métamorphoses. Son histoire est semblable à celles de beaucoup de son quartier, mais sa transformation n’est pas commune. En effet, le problème de la violence juvénile déborde la capacité des institutions existantes. Et ceux qui luttent contre la violence nagent à contre-courant : contre les Paint-ball qui la promeuvent chez les riches et contre les entreprises de sécurité qui vendent de l’inégalité dans la distribution des victimes.
Nous avons besoin d’ « imagination sociologique »
Certaines recommandations découlent de l’exploration de ces trois cas et de cette initiative de réhabilitation. La première et la plus évidente est la nécessité de mener davantage de recherche : études comparatives dans différents quartiers, suivis longitudinaux de pandillas et pandilleros, comparaison des processus de démocratisation en Amérique centrale, approfondissement des connaissances sur les stratégies développées connues sous le nom de « la rébellion des élites » et son effort de ségrégation, analyse de l’évolution des définitions du crime, du dynamisme et de la composition des réseaux sociaux, entre autres facteurs dont on peut raisonnablement présumer qu’ils exercent une influence sur la violence juvénile.
Ces tentatives d’approches de la réalité des pandillas requièrent le concours de disciplines distinctes : la criminologie, la sociologie, l’anthropologie, la psychologie, la psychologie sociale, les sciences politiques, etc. Cela demande aussi de prendre des risques, car seule une approche humaine peut aider à comprendre les motivations, les stratégies et les impasses des pandilleros. Et cette approche implique des risques. Mais seule la proximité avec ceux qui touchent le fond de la désaffiliation sociale peut stimuler la créativité. « L’imagination sociologique » comme dirait Charles Wright Mills.
L’exercice de cette imagination sociologique, associée à une responsabilité éthique, implique de ne pas se laisser leurrer par le rideau de fumée de « la sécurité », qui dissimule le problème, ancre le stigmate et renforce la carrière criminelle. Seule une redéfinition de la sécurité, en termes de stabilité de l’emploi, qualité de vie, sécurité dans la vieillesse, l’invalidité et la mort – entre autres espaces de sécurité qui construisent la citoyenneté, c’est-à-dire un sentiment d’appartenance à une communauté juridique –, permettrait de comprendre pourquoi les pandilleros ne respectent pas un contrat social qui les a confinés dans la poubelle de la société.
L’imagination sociologique montre que le problème des pandillas – qui est un symptôme des problèmes sociaux – ne doit pas être réduit à ses manifestations de violence des rues. Les taux croissants de suicide, qui affectent les jeunes plus que n’importe quel autre groupe d’âge – doivent être inclus dans l’analyse. Et une attention non moins importante doit être portée à la lente mais efficace autodestruction due à l’excès de drogues, car le risque existe que l’analyse n’inclue pas dans sa problématique le jeune qui se détruit au coin de la rue sous l’effet de la « pierre » et qu’elle se concentre sur ceux, également drogués, qui se rendent visibles par l’exercice de la violence. Un autre écueil serait d’oublier de prendre en compte l’effet des comportements ostentatoires des classes moyennes et supérieures qui exhibent leur opulence sans aucune pudeur ni conscience des séquelles directes et collatérales que cela entraîne, et qui stimulent l’obsession compulsive pour les marques qui sacralisent certains produits.
Pourquoi ne pas leur reconnaitre ce courage ?
Il est urgent de produire plus d’analyses mais il est urgent aussi de réaliser davantage d’actions. La Police nationale doit ajuster ses actions au Code de l’enfance et de l’adolescence, contrôler et restreindre davantage la possession d’armes et multiplier les invitations à déposer les armes. Les investissements de mandatés de la police chez des armuriers et dans des compagnies de sécurité privée ne devraient pas être autorisés.
La police représente le visage le plus visible de l’État et elle est même présente là où il n’y a pas d’écoles, d’électricité ou de centres de santé. Et du fait de son rôle d’appareil coercitif, elle a tenu et continuera à tenir un rôle déterminant dans la relation État-pandillas. Les façons dont elle les affronte définissent un patron culturel et c’est pour cela qu’elle représente un élément indispensable pour le changement. Sa collaboration avec des organismes comme le CEPREV, ou même la reproduction à l’échelle nationale du modèle pacificateur de cette ONG serait une contribution de poids dans la modification du rôle des pandillas.
Du côté de la société civile, il reste à accomplir un travail maison par maison. Mais aussi un travail macro. Elle doit continuer à exercer une pression pour qu’il existe au Nicaragua une gestion de la justice qui projette de la crédibilité sur le système judiciaire et sur le cadre législatif tout entier. Le premier échelon de cette crédibilité se joue dans la lutte contre les responsables des grandes évasions fiscales, les pilleurs des coffres étatiques et la structure tributaire qui perpétue l’inégalité. À l’intérieur de la société civile, les médias ont l’énorme responsabilité d’être ceux qui façonnent les perceptions de la violence.
Il existe un biais dans leur présentation des pandillas : les médias couvrent les délits mais diffusent à peine les cas d’expériences de réhabilitation réussies. Leur responsabilité éthique de ne pas cautionner le stigmate doit être mise en avant et exigée. Ils doivent présenter les multiples significations du pandillerismo. Pourquoi ne pas reconnaître en eux des agents de questionnement de l’ordre social ? Avant de les diaboliser comme des malades ou des déviants, ils pourraient nous les présenter comme des êtres sensibles et allergiques au chaos qui nous enveloppe. Ne pas les ficher comme des individus contre-culturels, mais comme une manifestation crue des rengaines culturelles de notre époque : l’obsession pour les marques, l’hédonisme, le sauve qui peut, les attentes insatisfaites, le risque.
Et la rédemption par l’art ?
Personne n’a exploré au Nicaragua le potentiel de réhabilitation de certains goûts des jeunes : la rédemption par l’art. Il existe deux obsessions compulsives chez les pandilleros qu’ils partagent avec beaucoup d’autres jeunes des quartiers marginaux : la drogue et la culture transnationale et ses expressions artistiques. Les deux sont de nature différente, même si elles sont parfois pareillement diabolisées.
La culture transnationale, avec ses expressions artistiques, est peu reprise par les griffonneurs paresseux de politiques publiques, qui fuient toute fatigue mentale en proposant les sempiternelles panacées : sport et emploi. Offrir à ces jeunes des opportunités pour qu’ils présentent, avec un certain niveau de reconnaissance publique et de notoriété, leurs créations artistiques – chansons, graffitis, dessins – serait une contribution de poids pour transmuer l’orientation violente de leurs énergies, permettre que leur juste révolte soit écoutée et leur ouvrir des espaces pour que la participation soit élaborée, non pas à base de coups de bâtons, de coups de poings et de mortiers, mais sur des arguments, et qu’elle soit illustrée par des images et favorisée par le talent.
Entre les Walters, les Camilos et les Ernestos, il y a beaucoup d’artistes et d’apprentis citoyens qui cherchent à se manifester. Il reste beaucoup à faire, mais peu se dirigent dans la bonne direction. Pendant que le CEPREV fait des efforts notables pour transformer la culture de la violence, les entrepreneurs du Paint-ball Xtrême la légitiment et la vendent comme un divertissement.
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2986.
– Traduction d’Émilie Ronflard pour Dial.
– Source (espagnol) : revue Envío, n° 303, juin 2007.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Leurs membres sont des mareros ou pandilleros. Nous conserverons ces termes pour faire référence aux gangs et à leurs membres dans le contexte de l’Amérique centrale.
[2] Hijos de la guerra en est un exemple.
[3] Voir DIAL 2690 - « AMÉRIQUE CENTRALE - La guerre contre les bandes organisées de jeunes », 2831 - « AMÉRIQUE CENTRALE - Les « maras », gangs ou bandes de jeunes : une nouvelle menace internationale ? », 2912 - « AMÉRIQUE CENTRALE - Les jeunes et les maras : un cri de citoyenneté ? ».
[4] Le Buveur.
[5] Le quartier du Reparto Schick dont le nom officiel est Barrio Enrique Gutierrez Schick s’est développé en quatre étapes (jusqu’à présent) donnant lieu à la formation de quatre sous-quartiers nommés respectivement Reparto Schick Primera Etapa, Reparto Schick Segunda Etapa, Reparto Schick Tercera Etapa et Reparto Schick Cuarta Etapa.
[6] Alcool d’élaboration artisanale à base de canne à sucre.
[7] Nom donné au crack.
[8] Tranquillisant qui est utilisé à forte dose comme une drogue.