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DIAL 2315

COLOMBIE - La situation en Colombie est-elle une menace pour toute la région ? Les États-Unis démentent les rumeurs d’une intervention militaire.

Serafín Ilvay

mercredi 15 septembre 1999, mis en ligne par Dial

Les négociations sont toujours au point mort entre le gouvernement colombien et le principal mouvement de guérilla. Les violences se multiplient. Le grand voisin du Nord, les États-Unis, suivent de près la situation et, selon ce qu’a soutenu la presse ces derniers temps, ils étudiraient la possibilité d’une intervention militaire qu’ils souhaiteraient conjointe avec d’autres États d’Amérique latine. La raison principale en serait la lutte contre la drogue - dont les États-Unis sont le grand consommateur. Article de Serafín Ilvay, dans ALAI, 18 août 1999 (Pérou).


Les moyens de communication de toute l’Amérique, dans une mesure plus ou moins grande, ont révélé un secret de polichinelle : les États-Unis étudient la possibilité d’une invasion militaire multinationale de la Colombie. La justification ? Le développement du trafic de drogue dans ce pays. Au passage, on contrôlerait la guérilla, ou vice-versa.

La perte de l’administration du canal de Panama par les États-Unis, et donc du contrôle de la partie sud du continent, mais en même temps, l’installation d’une base militaire en Équateur, sont des exemples réels de la pression des États-Unis sur la Colombie et la région, pour maintenir leur pouvoir. En moins d’un mois, plusieurs visites en Colombie et à ses voisins ont renforcé cette tendance.

Les porte-parole gouvernementaux, militaires, diplomatiques, ceux qui font l’opinion et beaucoup d’autres, surtout latino-américains, participent par leurs déclarations à une attaque psychologique contre la Colombie, en appuyant la version propagée par l’Amérique du Nord : la situation de la Colombie est un problème régional et pas seulement colombien. C’est pour cela que les États-Unis veulent avoir plus de présence militaire et plus de pouvoir dans la région.

Il ne faut pas perdre de vue que la situation est dure pour la Colombie :

 plus de 40 % du territoire est contrôlé par la guérilla, avec laquelle existent des pourparlers de paix ;

 la dette extérieure a provoqué l’instabilité économique, entraînant un déséquilibre inévitable dans les domaines social et politique ainsi que dans le monde du travail, etc. ;

 les promesses électorales n’ont absolument pas été tenues après une première année de gouvernement.

Ces faits, entre autres, sont en train de transformer le pays en un lieu où tout le monde, ceux du dedans et ceux du dehors, veulent donner leur avis et réaliser le plus grand profit possible en soutenant les intérêts de groupes nationaux, multinationaux et transnationaux.

La pointe de l’iceberg

Cette intervention non déclarée est devenue évidente suite à la disparition d’un avion militaire sophistiqué, un RC-7 étasunien, le 23 juillet 1999, qui effectuait des tâches de renseignement pour la lutte anti-drogue, dans le sud de la Colombie. On a retrouvé l’appareil quelques jours plus tard, écrasé contre la colline Patascoy. Cinq agents anti-drogue nord-américains et deux colombiens sont morts dans l’avion.

Selon la presse, ce type de survols a lieu depuis 1994, en coordination avec des militaires nord-américains, équatoriens, péruviens, des agents de la DEA et de la CIA. Ils utilisent des appareils sophistiqués qui leur permettent de repérer les cultures des narco-trafiquants en vue de leur destruction. À côté de cette information, il y a toujours, également, des données sur la guérilla, ses mouvements et ses positions.

La partie cachée de l’iceberg

Le chef du Commandement sud de l’armée des États-Unis, Charles Wilhelm, a été le premier à faire une tournée dans la région. Puis la star anti-drogue de l’administration Clinton, Barry McCaffrey, a visité la Colombie, l’Équateur et le Venezuela, montrant ainsi un intérêt particulier pour la situation du trafic de drogue et de la guérilla en Colombie.

La première semaine d’août, McCaffrey lui-même, devant le Congrès des États-Unis, a déclaré que « la guérilla colombienne constitue une menace pour toute la région parce qu’elle franchit les frontières pour faire des incursions au Panama, au Brésil, au Venezuela, en Équateur et au Pérou », et il a insisté sur le fait que la crise de la Colombie « est une menace pour toutes les démocraties » ; d’où la nécessité d’augmenter le budget pour cette lutte.

La seconde semaine d’août, la Colombie a reçu une nouvelle délégation des États-Unis : le sous-secrétaire d’État Thomas Pickering, celui des affaires politiques Peter Romero, et celui du trafic de drogue Randy Beers. Leur mission : analyser de plus près les accords de paix du gouvernement de Pastrana avec la guérilla.

On ne peut pas ignorer une « anecdote » : l’épouse du responsable étasunien des opérations antidrogue qui a visité la Colombie est impliquée dans une affaire de trafic de drogue international.

Cependant, les gouvernements « concernés » notamment ceux d’Équateur, du Pérou, du Venezuela et du Brésil ont refusé une intervention directe ou une lutte contre la guérilla en Colombie au moyen d’une force multinationale, et ont au contraire déclaré que c’est un problème intérieur à la Colombie. En tout cas, chaque pays a renforcé le contrôle de ses frontières avec la Colombie pour éviter une « infiltration » supposée de guérilleros sur son territoire.

Avec l’Équateur par exemple, la guérilla fait du commerce à la frontière depuis pas mal de temps, et ce n’est que récemment que le gouvernement équatorien, et surtout ses forces armées, ont lancé un cri d’alarme. Il est bien évident qu’aucun des pays voisins n’a envie que la guerre civile colombienne n’arrive chez lui ou n’établisse des liens avec lui, mais les États-Unis s’appuient sur cette éventualité pour les contraindre à intervenir militairement et ensemble en Colombie.

Une générosité intéressée

Les États-Unis ont offert une augmentation des aides économiques pour lutter contre le trafic de drogue. En Équateur, où les militaires étasuniens ont récemment installé dans une petite ville côtière de Manta un « poste d’observation avancée » au service de la douane des États-Unis, de la DEA, des garde-côtes et des forces aériennes, ils ont offert de tripler l’investissement qui dépasse déjà cinq millions de dollars, et d’ajouter trente autres millions pour d’autres activités.

Dans chaque pays visité par le général McCaffrey, quand on lui a demandé s’il y aura ou non une invasion en Colombie, il a toujours répondu la même chose : non. Très peu de gens l’ont cru. Le président Clinton a envoyé à son homologue colombien Pastrana une lettre qui écarte une solution militaire pour répondre à la situation actuelle en Colombie. Les États-Unis ont procédé de même il y a plus de dix ans, avant leur invasion du Panama. Car il ne faut pas oublier les priorités stratégiques de Washington pour soutenir une guerre : l’insurrection communiste et le trafic de drogue. Comme par hasard, les deux situations que vivent actuellement les Colombiens.

Pastrana a fait face aux commentaires internationaux, en défendant la souveraineté de la Colombie dans la prise de décisions pour les affaires intérieures et en expliquant que c’est « un pays complexe, et pour beaucoup, difficile à comprendre » ; il essaye ainsi de répondre aussi à McCaffrey à propos de « la situation d’urgence » dans laquelle se trouverait le pays.

Et la guérilla ?

La guérilla des FARC-EP, dans ses communiqués de presse, a fait connaître ses points de vue sur l’interventionnisme : « Sous prétexte de lutte antidrogue, les États-Unis ont envoyé en Colombie des tas de millions de dollars, des centaines de conseillers militaires, ainsi qu’une technologie moderne destinée en fait à l’action contre l’insurrection », et ils ajoutent : « Comme par hasard, on se met à parler de l’invasion de la Colombie quand les gringos doivent quitter Panama », ce qui explique, semble-t-il, « l’abondance de prétextes pour essayer de justifier cette invasion. »

A propos des négociations de paix, ils reconnaissent que « faute d’actions du gouvernement et des hommes politiques » pour sauver le processus de dialogue, incluant « des mesures énergiques contre les paramilitaires », ils ont décidé de geler les dialogues pour donner du temps au gouvernement, bien qu’« il manque peu de chose pour arriver à l’accord total pour un programme commun ».

Un des points de désaccord (sur lequel il y a déjà des possibilités d’arrangement) est l’interprétation de la Commission internationale d’accompagnement [1]. De toute façon, les positions et les attitudes, aussi bien dans le pays qu’à l’extérieur, sont opposées. Pendant ce temps, les actions belliqueuses ont connu une recrudescence ces derniers mois. Les affrontements les plus récents ont eu lieu près de Bogota, ce qui a mis en état d’alerte les autres grandes villes. Il semble que chaque participant aux pourparlers de paix veuille démontrer sa force et son pouvoir.

La zone du Chocó a focalisé de façon croissante l’attention en Colombie. Ce département du nord est frontalier avec le Panama et ses côtes s’ouvrent sur le Pacifique comme sur l’Atlantique, devenant ainsi un point stratégique tant national qu’international. On ne manque pas de rappeler l’ancien projet de construction en Urabá d’un canal comme celui du Panama [2] ; les États-Unis, bien sûr, en seraient partie prenante.

Pendant ce temps, aux États-Unis...

Mais, malgré les commentaires contre la Colombie, et la menace que celle-ci représente pour la région, du général McCaffrey, de Rand Beers secrétaire de la division du trafic de drogue du département d’État, de l’amiral Craig Quiegle, porte-parole officiel du Pentagone, il n’y a pas aux États-Unis de position favorable à une invasion de la Colombie. Clinton est sur le point d’achever son mandat et gérer un problème du genre Vietnam ne l’intéresse pas. Le Congrès est davantage préoccupé par les prochaines élections. La seule pensée que ses troupes puissent être en danger est absolument rejetée par l’opinion publique.

Pour ces raisons, Washington a choisi d’augmenter l’assistance militaire, en fournissant à l’armée et à la police colombiennes de l’équipement, du matériel et un entraînement sophistiqué. En apparence ce sont les trafiquants de drogue qui sont visés, mais comme, selon Washington, la guérilla joue un rôle aussi dans les drogues, cela devient également une lutte contre elle. À l’opposé, à l’intérieur des États-Unis, Donnie Marshall, administrateur chargé de la DEA, a déclaré publiquement qu’« il n’est pas arrivé à la conclusion que les FARC sont des trafiquants de drogue », et il reconnaît que « nous n’avons pas un seul cas permettant de conclure que ce groupe se soit comporté comme une organisation de trafic de drogue ».

Le président colombien Andrés Pastrana a déclaré à ce sujet qu’il ne traite pas avec les trafiquants de drogue, et que ses conversations ont lieu avec la guérilla et non avec une narco-guérilla.

Et au milieu de tout ceci...

Depuis 1995, près d’un million de Colombiens ont été obligés de quitter leurs terres, bien que de manière non officielle on estime que le nombre puisse être deux ou trois fois plus grand. Parmi eux, plus de la moitié n’ont pas atteint l’âge de la majorité. Les responsables de cet exode sont les paramilitaires, la guérilla, les forces armées et les milices urbaines, à des degrés divers. Des groupes de personnes déplacées ont franchi les frontières et, dans le cas du Venezuela, ont déjà été refoulés massivement.

Quelques-uns d’entre eux sont revenus sur leurs terres d’origine, et n’y ont rencontré que la mort provoquée par l’une ou l’autre des forces en conflit. On suppose qu’ils sont tués parce qu’ils font partie de l’autre camp ou parce qu’ils l’ont aidé. En réalité, ce sont des gens qui se trouvent au milieu d’un feu croisé.

En plus des paysans déplacés et morts, il y a des habitants des villes qui souffrent eux aussi des ravages d’une guerre civile, non déclarée officiellement, mais qui, dans les dix dernières années de conflit entre les diverses forces en présence, a fait près de 40 000 morts : peu importe leur groupe ou leur condition, ils sont tous colombiens.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2315.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, août 1999.
 
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[1Le gouvernement colombien a proposé la création d’une commission internationale qui serait chargée dès le début des négociations de vérifier les accords réalisés, mais les FARC s’y opposent, du moins dans l’immédiat. Selon certains, le refus des FARC serait lié à leur volonté de renforcer leur présence militaire dans la zone que leur a concédée le gouvernement ainsi qu’à la réalisation d’activités liées au trafic de drogue. (NdT)

[2Cf. DIAL D 2146 (NdT).

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