Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 1990-1999 > Année 1999 > Septembre 1999 > BRÉSIL - Quand les évêques brésiliens entendent la clameur des pauvres.

DIAL 2314

BRÉSIL - Quand les évêques brésiliens entendent la clameur des pauvres.

Dom Geraldo Verdier, Dom José Maria Pinheiro

mercredi 1er septembre 1999, par Dial

Hélder Câmara est mort dans la nuit du 27 au 28 août. Il était tout à la fois évêque, prophète et défenseur des pauvres. Nous lui avons rendu hommage ici en février de cette année à l’occasion de ses 90 ans (cf. DIAL D 2280). L’Église du Brésil - comme l’Église universelle - lui doivent beaucoup pour avoir creusé le sillon de la défense du droit des pauvres et dénoncer l’injustice des relations internationales. Sa voix fait encore écho dans celles des évêques au Brésil qui, en dépit de tous les changements qui se sont produits, n’hésitent pas à intervenir vigoureusement pour dénoncer les excès d’une politique néolibérale, la marginalisation de millions de pauvres, l’absence de projet social du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso et qui réclament sans se lasser justice pour les sans-terre.

Dans cette ligne se situent les deux textes épiscopaux ci-dessous dont le premier se réfère à la grave situation qui sévit contre les sans-terre dans l’État du Paraná et dont le second annonce le procès qui doit s’ouvrir en novembre à propos du massacre qui avait eu lieu à Corumbiara le 9 août 1995 (cf. DIAL D 2036 ). À simple titre informatif, ajoutons que le procès, si longtemps attendu, des policiers accusés du massacre effectué à Eldorado de Carajás en 1996 (cf. DIAL D 2072, 2126 et 2165) a été suspendu fin août après l’intervention du procureur qui a demandé l’annulation de la première session au cours de laquelle le jury s’était prononcé pour l’absolution des trois officiers qui avaient commandé l’opération qui coûta la mort à 19 personnes.


La clameur qui vient de la campagne

« Vos mains sont pleines de sang : lavez-vous, purifiez-vous ! Cessez de faire le mal, apprenez à faire le bien ! » (Is 1, 15-17)

Nous évêques de la Présidence et de la Commission épiscopale de pastorale de la CNBB [Conférence épiscopale des évêques du Brésil], réunis à Brasilia, les 24-25 juin, conscients de la violence croissante contre les travailleurs sans-terre, devenue plus aiguë récemment au Paraná, nous ne pouvons pas nous taire.

Les dénonciations, confirmées par des témoignages, par des documentaires écrits et télévisés, attestent le visage terrible de la violence qui devient proche d’un état de guerre contre les pauvres de la campagne. Rien qu’au Paraná actuellement il y a 41 travailleurs ruraux en prison, plusieurs d’entre eux blessés pendant les expulsions réalisées par la police, à l’aube, de façon humiliante et avec cruauté. Selon les données de la Commission pastorale de la terre (CPT), depuis 1994 ont été emprisonnés plus de 200 travailleurs, 6 torturés, 15 assassinés, 30 victimes d’attentats et 40 continuent d’être menacés.

Nous sommes choqués par les nouvelles signalant que des représentants du pouvoir judiciaire, lesquels ont la mission de faire valoir la justice, usent, de manière autoritaire et partiale, de leur pouvoir légal contre les sans-terre et leurs familles. Dans ce cas-ci, nous sommes indignés du fait qu’il y ait des écoutes téléphoniques, qu’on lance des mandats injustes pour emprisonner les dirigeants des travailleurs sans-terre et que l’on fasse les premières démarches pour que des zones fassent l’objet d’une réintégration en matière de possession alors qu’elle n’ont jamais accompli leur fonction sociale.

Il y a des signes d’une claire action de démantèlement de l’organisation des travailleurs et la création d’un climat d’hostilité contre les mouvements populaires, particulièrement dans le monde rural. Il est urgent que soient prises des mesures sérieuses afin qu’on en finisse avec la violence et les conflits à la campagne, d’où qu’ils viennent. Pour cela, nous croyons que la seule issue se trouve dans une réforme agraire ample et intégrale, qui puisse garantir la démocratisation de la terre et les conditions nécessaires pour que les paysans vivent sur elle avec dignité. Une telle réalisation aiderait aussi à la diminution du chômage au Brésil. « Ce sont surtout les gouvernements qui, avec volonté et détermination, doivent trouver avec urgence ces solutions. Ajourner la réforme agraire enlève toute crédibilité à leurs actions de dénonciation et de répression de l’occupation des terres. » (Document du Conseil pontifical Justice et paix : Pour une meilleure répartition de la terre. Le défi de la réforme agraire, n° 44).

La société brésilienne ne peut pas ignorer la misère croissante et l’agonie du peuple. Pour cela, il lui faut se mobiliser pour mettre en place les conditions permettant la construction d’une nation souveraine, démocratique et socialement juste. Nous soutenons tous ceux qui sont positivement engagés dans cette cause.

Nous appuyons le message et la position de Mgr Ladislau Biernaski, évêque auxiliaire de Curitiba et vice-président de la Commission nationale de la pastorale de la terre, qui vient de dénoncer prophétiquement cette situation d’injustice et d’oppression contre les travailleurs sans terre au Paraná.

Nous lançons un appel insistant au peuple afin qu’au cours de la Journée du travailleur rural (25 juillet), il accomplisse des gestes significatifs de solidarité envers les frères sans terre. Nous en appelons encore aux autorités de notre pays, en particulier dans l’État du Paraná, pour qu’elles assument leur responsabilité dans la défense et la promotion des plus pauvres.

Présidence et Commission épiscopale de pastorale de la CNBB, Brasilia,

24 et 25 juin 1999

Corumbiara : nous ne pouvons pas oublier

Fazenda Santa Elina, 9 août 1995... désolation dans le campement incendié ; des centaines de personnes battues, faisant la queue devant les médecins pour l’examen du corps du délit ; des cadavres méconnaissables et pour couronner le tout, la cruauté de la répression, le petit corps de Vanessa, 7 ans, clamant justice.

Qui a été témoin de tout cela ne peut pas, n’arrive pas à oublier. Il n’y a pas de haine en cela, ni désir de vengeance. Simplement un grand désir de justice envers tous et de paix sociale. Car il n’y aura plus d’invasions quand il y aura une véritable réforme agraire, et il n’y aura plus de répression sanglante quand la police affrontera, avec discernement et maîtrise de soi, des conflits sociaux qui n’ont rien à voir avec la guérilla.

Finalement, le 9 août 1995, il ne s’agissait pas de défendre la patrie, mais seulement une parcelle infime des 13 fermes de Corumbiara, qui occupent une surface de 292 248 hectares sur les 400 000 hectares, c’est-à-dire, presque 3/4 des terres de cette municipalité. Des terres excellentes d’ailleurs, quand des petits paysans reçoivent des buttes et des terres sablonneuses impropres à l’agriculture.

Le grand « crime » de Corumbiara fut de n’avoir pas continué la négociation, difficile il est vrai, mais pas impossible. On pouvait même envisager que les occupants quittent les lieux, mais sans violence et sans morts. Comme il est arrivé dans la ferme Adriana, en 1992, non loin de la ferme Santa Elina. Deux fois la police militaire a fait sortir les gens qui étaient dans les campements d’Adriana. Ils sont revenus une troisième fois. La juge de Colorado a donné un troisième ordre de déménagement : les colons, désespérés, promettaient de résister avec quelques pauvres fusils, comme à Corumbiara. Le commandant de la police militaire de Colorado nous a dit : « Comment vais-je exécuter cet ordre ? Je sais que nous allons tuer beaucoup de gens et que quelques-uns de mes soldats pourront mourir. J’ai informé mes supérieurs de Vilhena et de Porto Velho. J’espère que nous pourrons arriver à un accord. Aidez-nous ! »

Nous sommes allés voir la juge. Elle a accepté de suspendre l’ordre. Nous avons voyagé une journée entière jusqu’à l’INCRA [Institut national de la réforme agraire] de Porto Velho, pour négocier avec les propriétaires de la ferme Adriana, lesquels ne se sont pas présentés à la réunion prévue. La ferme Adriana a été expropriée et les colons heureux ont commencé à cultiver leur lopin de terre. Maintenant, dans l’assentamento Adriana, fleurit une communauté active et unie, qui a pu avoir une route, une école et un poste médical. Elle a déjà envoyé un jeune à notre séminaire. En 2000, deux autres entreront dans le même séminaire.

Et s’il y avait eu un massacre, comme à Santa Elina, où serait tout ce peuple ? Où seraient ces précieuses vocations ?

Le 3 novembre prochain, à Colorado do Oeste, la justice jugera individuellement, selon le Code pénal, les responsables des morts à Santa Elina.

Nous demandons à Dieu et à nos responsables nationaux qu’ils jugent et qu’ils en finissent avec les injustices et les violences institutionnalisées. Parmi celles-ci, nous mettons le manque d’une profonde réforme agraire et la violence de la police envers les petits paysans, ces éternels perdants dans les conflits engendrés par l’injustice sociale.

Dom Geraldo Verdier, évêque diocésain de G. Mirim

Dom José Maria Pinheiro, évêque auxiliaire de G. Mirim et président de la CNBB Nord I.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2314.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : textes épiscopaux, septembre 1999.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 

responsabilite

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

>> PDF Formato PDF